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Date : 20151126


Dossier : T-446-15

Référence : 2015 CF 1318

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 novembre 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

ABDUL-SATTAR Q MAHDI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Motifs prononcés de vive voix à Toronto le 25 novembre 2015)

[1]               Le ministre demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une juge de la citoyenneté a accordé la citoyenneté canadienne à Abdul‑Sattar Q Mahdi. Je conviens avec le ministre que la juge de la citoyenneté ne s’est pas véritablement penchée sur certains éléments de preuve importants figurant dans le dossier dont elle disposait qui mettaient en doute la prétention de M. Mahdi selon laquelle il avait été effectivement présent au Canada pendant 1138 jours au cours de la période pertinente, de sorte que la décision était déraisonnable.

I.                   Question préliminaire

[2]               Avant de passer à l’examen du caractère raisonnable de la décision de la juge, je souligne que M. Mahdi a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire un affidavit qui répond à certaines des préoccupations qui ont été soulevées par le ministre.

[3]               Le contrôle judiciaire doit toutefois être effectué en fonction de la preuve dont le décideur disposait au moment où la décision faisant l’objet du contrôle a été rendue. Il y a des exceptions à cette règle – lorsque, par exemple, l’affaire soulève une question d’équité procédurale ou de compétence – mais M. Mahdi n’a pas établi que son nouvel élément de preuve est admissible en vertu de l’une des exceptions reconnues à la règle générale et il ne sera donc pas pris en compte dans le cadre de la présente demande.

II.                Le caractère raisonnable de la décision de la juge de la citoyenneté

[4]               En concluant que la décision de la juge de la citoyenneté était déraisonnable, je tiens d’abord à souligner qu’il y avait des irrégularités dans les copies de passeports que M. Mahdi a fournis à l’appui de sa demande de citoyenneté. Les documents étaient censés être des copies notariées des originaux, mais il y avait des pages blanches dans les copies qui n’avaient pas été notariées, ce qui soulevait des préoccupations quant à l’intégralité des copies et à la possibilité que des voyages n’aient pas été déclarés.

[5]               Comme l’avocat du ministre l’a fait remarquer, la question des voyages non déclarés est particulièrement préoccupante en l’espèce, étant donné que la présence effective de M. Mahdi au Canada n’excédait que légèrement l’exigence minimale.

[6]               Ce qui est tout aussi troublant, c’est le fait que M. Mahdi a obtenu à l’ambassade du Canada en Jordanie, en juillet 2010, un visa lui permettant de rentrer au Canada. Aucun des passeports que M. Mahdi a déclarés ne faisait état de ce visa, ce qui donne fortement à penser qu’il détenait peut‑être un autre passeport qu’il n’avait pas déclaré aux autorités canadiennes responsables de la citoyenneté, ce qui ajoute à la préoccupation concernant les voyages non déclarés.

[7]               Dans les circonstances de l’espèce, il incombait à la juge de la citoyenneté de s’enquérir davantage, ce qui n’a pas été fait. Il n’y a en outre eu aucune tentative de se pencher sur cet élément de preuve ou de répondre à cette préoccupation.

[8]               Une autre préoccupation quant à l’exactitude des antécédents de voyage que M. Mahdi a déclarés tenait au fait que des membres de sa famille proche (dont sa mère, trois frères et une femme qu’il avait décrite comme étant sa fille) vivaient aux États‑Unis depuis 2008 et qu’il affirmait ne jamais les avoir visités. La juge de la citoyenneté a omis de poser des questions sur cette affirmation intrinsèquement invraisemblable, et plus important encore, sur le passeport manquant.

[9]               Ce qui est tout aussi problématique, c’est le fait que M. Mahdi n’a pas révélé l’existence de sa fille vivant aux États‑Unis, et qu’il a affirmé que sa mère vivait en Irak, alors qu’en fait, elle vivait aux États‑Unis.

[10]           D’autres problèmes se posaient à l’égard des pièces d’identité de M. Mahdi, dont des noms différents figurant dans différents documents, et des incohérences dans sa date de naissance. Il y avait également des incohérences dans la preuve que M. Mahdi avait fournie quant à l’endroit où il vivait au cours de la période en cause, et de longues périodes, passées sous silence, où les deux enfants de M. Mahdi avaient été absents de l’école en 2007 et 2009. Il convient de souligner que ces périodes d’absence correspondaient aux périodes où les antécédents de visites régulières des enfants chez le médecin avaient soudainement disparu dans leurs dossiers médicaux, un fait qui n’a jamais été abordé par la juge de la citoyenneté. Il y avait en outre une absence totale de renseignements bancaires pour l’année 2007, un autre fait qui n’a jamais été abordé par la juge de la citoyenneté.

III.             Conclusion

[11]           En l’espèce, il y avait donc de nombreuses incohérences et lacunes dans la preuve, ce qui a eu pour effet de soulever de graves préoccupations au sujet de la preuve fournie par M. Mahdi quant à sa présence effective au Canada, ses antécédents de voyage et la suffisance de la preuve étayant sa présence au Canada.

[12]           La juge de la citoyenneté ne s’est attaquée à aucun de ces éléments de preuve, de sorte que la décision d’accorder la citoyenneté à M. Mahdi ne présentait pas la transparence, la justification et l’intelligibilité que commande une décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

[13]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.

IV.             Réparation

[14]           Comme le juge Mosley l’a mentionné dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vijayan, [2015] A.C.F. no 263, aux paragraphes 90 à 95, la question de la réparation dans un cas comme en l’espèce est compliquée par le fait que des modifications législatives ont été apportées. Je conviens avec le juge Mosley que, dans les circonstances, la réparation qu’il convient d’accorder consiste à renvoyer la présente affaire au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen et décide si M. Mahdi satisfait aux conditions de résidence que prévoit la Loi. S’il est convaincu que c’est le cas, il accordera la citoyenneté à M. Mahdi. Dans le cas contraire, il renverra une fois de plus l’affaire à un juge de la citoyenneté différent pour qu’il procède à un nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire sera renvoyée au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen. Le ministre accordera la citoyenneté à M. Mahdi ou renverra l’affaire à un juge de la citoyenneté pour qu’il procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-446-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c ABDUL-SATTAR Q MAHDI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Christopher Ezrin

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Paul Krumeh

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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