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Date : 20150928


Dossier : T-1814-14

Référence : 2015 CF 1117

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

WILLIAM RYAN MITCHELL

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la directrice générale intérimaire de la Sûreté aérienne, prise au nom du ministre des Transports (le ministre) le 24 juillet 2014, de révoquer l’habilitation de sécurité en matière de transport (HST) du demandeur, ce qui empêche ce dernier de continuer à travailler à l’Aéroport international Lester B. Pearson. Le demandeur prie la Cour d’annuler la révocation et de renvoyer l’affaire devant le ministre pour nouvelle décision.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I.                   Le contexte

[3]               Le demandeur est pilote à l’Aéroport international Lester B. Pearson.

[4]               Le 11 février 2014, le demandeur s’est vu remettre une lettre de Transports Canada, Stratégies de sûreté et de sécurité et Intégration des programmes, qui lui mentionnait que son HST serait remise en cause en raison de renseignements concernant son implication dans quatre incidents de nature sexuelle décrits dans ladite lettre.

[5]               À la suite du premier incident, survenu le 5 août 2011, le demandeur avait été averti par la police de ne pas s’exposer nu en public, mais aucune accusation n’a été portée contre lui. À la suite des deux autres incidents, survenus respectivement le 13 décembre 2011 et le 24 décembre 2011, où il s’est notamment exposé nu devant des mineurs, il avait dû s’expliquer à la police et il avait avoué sa culpabilité, mais là aussi, aucune accusation n’a été portée contre lui. Il a également produit des lettres d’excuses anonymes aux victimes et la preuve qu’il suivait une thérapie. Le demandeur voulait que l’affaire soit tenue à l’écart des tribunaux, parce qu’il ne voulait pas qu’elle nuise à son travail.

[6]               L’incident le plus récent est survenu le 9 novembre 2012, et il implique la corruption, en ligne, de l’enfant de l’un de ses proches amis. Bien que la police ait communiqué avec le demandeur pour discuter de cette histoire, la victime et ses parents n’ont pas voulu porter plainte. Le demandeur a avoué, par l’intermédiaire de son avocat, qu’il avait un problème de comportement et qu’il souhaitait collaborer avec la police. Il avait antérieurement mis fin à sa thérapie en raison des coûts, mais il a convenu de reprendre le counseling aux frais de son père. Aucune accusation n’a été portée contre le demandeur.

[7]               Le demandeur a présenté, par l’intermédiaire de son avocat, une réponse à la lettre datée du 11 février 2014, en joignant des lettres signées par son psychiatre et son psychologue traitants, son employeur, un collègue, un ami de la famille, son pasteur et la Société d’aide à l’enfance de Windsor-Essex.

[8]               Le 24 juillet 2014, le demandeur a été avisé que le ministre avait révoqué son HST, après quoi il a présenté une demande de contrôle judiciaire le 22 août 2014.

II.                La décision contestée

[9]               La décision du ministre est intégrée à un compte rendu de décision daté du 19 juillet 2014, dans lequel il est mentionné que les quatre incidents décrits dans la lettre du 11 février 2014 soulèvent des inquiétudes à l’égard du jugement, de la fiabilité et de l’honnêteté du demandeur. La directrice générale intérimaire de la Sûreté aérienne, au nom du ministre, a déclaré, après examen de tous les renseignements au dossier, qu’elle avait des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte. Elle a donc souscrit à la recommandation de l’organisme consultatif et a révoqué l’HST du demandeur.

[10]           La décision a été communiquée au demandeur par voie de lettre datée du 24 juillet 2014.

[11]           L’organisme consultatif auquel on fait allusion dans le compte rendu de décision est l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport. Son compte rendu de décision daté du 20 mai 2014 recommande la révocation de l’HST du demandeur en raison d’un rapport de police décrivant quatre incidents de plus en plus graves d’activités sexuelles criminelles. L’Organisme consultatif a noté que les incidents démontraient une tendance récente de comportement sexuel explicite mettant en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté du demandeur. Ces facteurs ont mené l’Organisme consultatif à croire selon la prépondérance des probabilités que le demandeur pourrait commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile. En outre, la déclaration écrite et les pièces justificatives fournies par l’avocat du demandeur n’ont pas fourni suffisamment d’informations pour dissiper les inquiétudes.

[12]           Dans un compte rendu des discussions également daté du 20 mai 2014, l’Organisme consultatif a présenté un résumé des discussions, qui comprenait notamment les éléments suivants :

A.             les vérifications indiquant que le casier judiciaire du demandeur était exempt de condamnations ou d’accusations au criminel;

B.              la réception par le Programme de filtrage de sécurité de Transports Canada d’un rapport de la GRC daté du 5 février 2014 décrivant en détail les quatre incidents;

C.              le demandeur avouant sa culpabilité à la police à l’égard de deux des incidents et fournissant une lettre anonyme aux quatre victimes;

D.             le demandeur indiquant à la police, lors de l’interrogatoire de décembre 2011, qu’il voulait tenir l’affaire à l’écart des tribunaux, parce qu’il ne souhaitait pas qu’elle nuise à son travail de pilote;

E.              l’Organisme consultatif émettant l’avis que la tentative de corruption de l’enfant d’un ami proche donnait lieu à un abus d’une situation d’autorité, et que ces gestes avaient mené l’Organisme à mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté du demandeur;

F.               l’Organisme consultatif prenant note de la déclaration et des pièces justificatives du demandeur, y compris la déclaration du psychiatre judiciaire qui le traite depuis le 19 novembre 2012 et qui indique que le demandeur ne présente qu’un risque faible de récidive; toutefois, l’Organisme consultatif était resté d’avis que le meilleur indicateur du comportement à venir est le comportement antérieur;

G.             le demandeur avait été mis en garde par la police pour son comportement qui a continué à s’aggraver, et ce, même s’il savait que ce comportement pourrait nuire à son travail;

H.             l’Organisme consultatif était d’avis qu’il ne s’était pas écoulé suffisamment de temps pour que le demandeur puisse démontrer que son comportement avait changé, puisque les événements sont relativement récents.

III.             Les questions en litige et le norme de contrôle

[13]           Le demandeur soulève les deux questions suivantes :

A.             Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale découlant du caractère inadéquat des motifs à l’appui de la décision du ministre?

B.              La décision du ministre est-elle raisonnable?

[14]           Le demandeur fait valoir que les questions d’équité procédurale, dont le contexte de la révocation de l’habilitation de sécurité, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Russo c Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2011 CF 764, au paragraphe 22 [Russo]). Le défendeur fait aussi valoir que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle des questions d’équité procédurale, mais remarque les conclusions de Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et-Labrador, 2011 CSC 62 aux paragraphes 20‑22 [Newfoundland Nurses] selon lesquelles l’obligation d’équité procédurale est respectée du moment que la décision est motivée; la question alors soumise à la Cour est de déterminer si les conclusions sont raisonnables ou non.

[15]           Les parties conviennent du fait que, dans les affaires en matière d’habilitation de sécurité, la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est celle de la raisonnabilité (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités c Farwaha), 2014 CAF 56 [Farwaha], au paragraphe 86). Je suis d’accord avec elles.

IV.             Les dispositions pertinentes

[16]           La législation et les documents de politiques pertinents en l’espèce sont les suivants :

Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2 [la Loi] :

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318 :

146. (1) Il est interdit à l’exploitant d’un aérodrome de délivrer une carte d’identité de zone réglementée à une personne à moins qu’elle ne réponde aux conditions suivantes :

146.(1) The operator of an aerodrome must not issue a restricted area identity card to a person unless the person

c) elle possède une habilitation de sécurité;

(c) has a security clearance;

165. Il est interdit à toute personne d’entrer ou de demeurer dans une zone réglementée à moins qu’elle ne soit, selon le cas :

165. A person must not enter or remain in a restricted area unless the person

a) titulaire d’une carte d’identité de zone réglementée;

(a) is a person to whom a restricted area identity card has been issued; or

b) en possession d’un document d’autorisation, autre qu’une carte d’identité de zone réglementée, pour la zone réglementée.

(b) is in possession of a document of entitlement, other than a restricted area identity card, for the restricted area.

Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [la Politique] :

L’objectif de ce Programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré de toute personne :

The objective of this Program is to prevent the uncontrolled entry into a restricted area of a listed airport by any individual who;

1.   mêlée ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violences graves commis contre les personnes ou les biens;

1.   is known or suspected to be involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property;

2.   membre ou soupçonnée d’être membre d’une organisation connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités de menace ou à des actes de violence graves commis contre les personnes ou les biens;

2.   is known or suspected to be a member of an organization which is known or suspected to be involved in activities directed towards or in support of the threat or use of acts of serious violence against people or property;

3.   soupçonnée d’être étroitement associée à une personne :

3.   is suspected of being closely associated with an individual who is known or suspected of;

  • mêlée aux activités citées à l’alinéa (a);
  • being involved in activities referred to in paragraph (a);
  • membre d’une organisation citée à l’alinéa (b);
  • being a member of an organization referred to in paragraph (b); or
  • membre d’une organisation citée au paragraphe (e) ci‑après.
  • bring a member of an organization referred to in subsection (e) hereunder.

4.  que le ministre croit, en s’appuyant sur les probabilités, être sujette ou susceptible d’être incitée à:

4.   the Minister reasonably believes, on a balance of probabilities, may be prone or induced to;

  • commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile;
  • commit an act that may be unlawfully interfere with civil aviation; or
  • aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.
  • assist or abet any person to commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation.

5.    mêlée à une organisation criminelle ou soupçonnée d’être ou d’avoir été membre de celle‑ci ou d’avoir pris part à des activités d’organisations criminelles, telles que définies aux paragraphes 467.1(1) et 467.11(1) du Code criminel du Canada;

5.   is now or suspected to be or to have been a member of or a participant in activities of criminal organizations as defined in Subsection 467.1 and 467.11 (1) of the Criminal Code of Canada;

6.   membre d’un groupe terroriste, tel que défini à l’article 83.01(1)(a) du Code criminel du Canada.

6.   is a member of a terrorist group as defined in Section 83.01 (1)(a) of the Criminal Code of Canada.

V.                Les observations des parties

A.                 La position du demandeur

[17]           En ce qui a trait au caractère adéquat des motifs du ministre, le demandeur fait valoir qu’ils n’équivalent qu’à rien de plus que des allégations dénuées de fondement. Il n’existe aucun raisonnement significatif permettant de déterminer : (i) comment ou pourquoi le demandeur pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; (ii) comment ou pourquoi le demandeur pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte.

[18]           En ce qui a trait au caractère raisonnable de la décision du ministre, le demandeur fait allusion à la jurisprudence récente sur la révocation de l’habilitation de sécurité et fait remarquer que ces affaires impliquent des personnes qui étaient membres d’organisations criminelles, qui possédaient des armes, qui étaient impliquées dans des activités liées aux drogues ou qui avaient commis des fraudes. Le demandeur prétend, en établissant une distinction entre sa situation et ces affaires, qu’il est impossible de conclure raisonnablement qu’il pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte. Plus particulièrement, il fait valoir qu’il n’y a pas de corrélation défavorable entre les circonstances entourant les gestes qui lui sont reprochés et son maintien de l’accès à des secteurs à accès restreints de l’aéroport.

[19]           Le demandeur conteste également l’idée que les actes qu’il aurait commis aient un rapport avec sa fiabilité ou son honnêteté; il fait valoir que, même s’ils avaient rapport avec son jugement, il faut qu’il existe un lien entre son erreur de jugement et la protection de la sûreté aérienne visée par l’article 4.8 de la Loi. Le demandeur fait valoir que ce lien est absent en l’espèce; il établit une distinction entre sa conduite et l’ensemble des actes criminels ou malhonnêtes qui ont servi de fondement raisonnable à la révocation de l’HST dans la jurisprudence invoquée par le défendeur.

[20]           Le demandeur affirme plutôt que ses actes sont des frasques sexuelles découlant d’un trouble psychiatrique ou psychologique. Il n’a pas fait preuve de mauvais jugement en général, mais il a plutôt manifesté la propension à commettre ce type de geste en lien avec ce problème. Il fait également remarquer que la preuve présentée par son psychiatre indique qu’il ne présente qu’un risque faible de récidive et il conteste que l’Organisme consultatif ait rejeté cette preuve, en y préférant plutôt l’opinion selon laquelle le meilleur indicateur du comportement à venir est le comportement antérieur. Le demandeur fait valoir qu’il n’existe aucun fondement probatoire pour que l’Organisme consultatif puisse adopter cet avis. Bien que la preuve présentée par le psychiatre comporte une déclaration selon laquelle le plus puissant indicateur clinique du comportement à venir est le comportement antérieur, cette déclaration est exprimée dans le contexte de conclusions psychiatriques selon lesquels le demandeur ne présente qu’un risque très faible de récidive.

B.                 La position du défendeur

[21]           En ce qui a trait au caractère adéquat des motifs, le défendeur fait valoir que, lorsqu’une décision est fondée sur une recommandation, les motifs peuvent être tirés non seulement de la décision définitive par écrit, mais aussi de la recommandation sur laquelle ils sont fondés (Irani c Canada (Procureur général), 2006 CF 816, aux paragraphes 17‑18). Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce, les motifs de la décision ressortent clairement du compte rendu des discussions de l’Organisme consultatif.

[22]           En ce qui a trait au caractère raisonnable de la décision du ministre, le défendeur fait remarquer que, dans MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719, le juge Harrington a insisté sur le caractère relativement peu rigoureux de la norme de preuve applicable aux décisions touchant à l’habilitation de sécurité en matière de transport. La raison d’être de cette norme repose sur le fait que, contrairement aux procédures pénales qui cherchent à attribuer la responsabilité pour des événements antérieurs qui sont clairement définis, les décisions en matière d’habilitation de sécurité représentent un exercice intrinsèquement plus hypothétique qui sert à prévoir les risques futurs (Farwaha au paragraphe 94). La Cour, en sous‑pesant les droits d’un demandeur au regard de l’intérêt public de prévenir des actes d’intervention illicite visant l’aviation civile, a jugé que l’intérêt public doit primer et qu’il est « loisible au ministre de privilégier la sécurité du public » (Farwaha au paragraphe 85).

[23]           Dans les observations du défendeur, le lien de causalité entre les allégations du demandeur et l’aviation civile est clair. L’habilitation de sécurité permet à son titulaire d’accéder à des secteurs très sensibles des aéroports canadiens. Si l’on abuse de cette habilitation, les conséquences sont graves. Le titulaire de l’habilitation doit être fiable, honnête et doit faire preuve de discernement.

[24]           Le défendeur fait remarquer que la Cour a jugé que le décideur, au moment de l’évaluation du jugement et de la fiabilité d’un demandeur, n’a pas à se cantonner à la conduite antérieure de celui‑ci dans le contexte de l’aviation. La Cour a jugé que d’autres comportements comme la fraude à l’assurance (Salmon c Canada (Procureur général), 2014 CF 1098 [Salmon], au paragraphe 79), le vol à l’étalage (Lavoie c Canada (Procureur général), 2007 CF 435 [Lavoie]), le méfait public (Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175 [Rivet] et des antécédents criminels en matière de trafic de stupéfiants (Russo) peuvent étayer de façon raisonnable la conclusion selon laquelle le demandeur pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

[25]           Le défendeur fait également remarquer que la décision fait allusion à l’aggravation de l’inconduite du demandeur, malgré les avertissements répétés et le fait que ce dernier savait que son emploi était en jeu; il a fait preuve d’un manque d’égards envers les conséquences de ses actes sur le plan juridique et de l’emploi.

[26]           Le défendeur plaide que l’historique du demandeur en matière d’inconduite sexuelle à l’endroit d’enfants le rend particulièrement vulnérable à être contraint d’aider ou d’encourager d’autres personnes à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile. Parce que le demandeur désire préserver le secret, le décideur peut raisonnablement penser qu’il pourrait être vulnérable aux incitations de personnes qui sont au fait de son inconduite.

[27]           En outre, le défendeur fait remarquer qu’on ne sait pas trop si, selon les références morales du demandeur, ces personnes étaient au courant de son inconduite. Il ajoute que l’avis psychiatrique est limité au risque de récidive sexuelle et n’aborde pas la question de la fiabilité ou du jugement du demandeur dans d’autres contextes comme celui de la sûreté aérienne.

VI.             Analyse

[28]           En ce qui concerne la question du caractère adéquat des motifs du ministre, je suis d’accord avec le défendeur que la documentation produite au nom du ministre et celle produite par l’Organisme consultatif font partie intégrante de la décision. À cet égard, le cas en l’espèce est similaire à l’affaire Thep-Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59, dans laquelle le juge Rennie a conclu, au paragraphe 15, ce qui suit :

[15] […] La demanderesse a fait valoir qu’il faudrait aussi considérer qu’un document de l’organisme consultatif intitulé [traduction] « Principaux sujets examinés » fait partie de la décision du ministre. Ce document est un sommaire de l’analyse que l’organisme consultatif a faite. À mon avis, il fait partie intégrante des motifs. En fait, sans lui, on pourrait dire que la lettre du ministre n’est pas étayée. Le document, à première vue, est important. Le document, à première vue, est important. Il est intitulé [traduction] « Principaux sujets examinés » et les facteurs qui y sont énumérés ont été [traduction] « pris en note » par l’organisme consultatif au moment où il a formulé sa recommandation. Ce document faisait également partie du dossier qui avait été soumis au ministre.

[29]           La lettre envoyée au demandeur au nom du ministre communiquant la décision indiquait que :

A.       la décision était fondée sur quatre incidents de frasques ou de violence sexuelles, qui ont soulevé des inquiétudes quant au jugement et à la fiabilité du demandeur;

B.        le demandeur détenait une HST valide au moment de ces incidents, et il semble qu’il voulait cacher ses gestes au public et à Transports Canada afin de conserver son HST;

C.        le demandeur pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte.

[30]           Le compte rendu des décisions daté du 17 juillet 2014 indiquait expressément que la directrice générale intérimaire de la Sûreté aérienne souscrivait, au nom du ministre, à la recommandation de l’Organisme consultatif. Lorsque l’on jumelle cette décision à la documentation produite par l’Organisme consultatif, l’ensemble de la décision porte sur le contenu suivant :

A.       les incidents démontrant une [traduction] « tendance en matière de frasques sexuelles de plus en plus graves »;

B.        une aggravation s’étant poursuivie malgré les avertissements répétés de la police et malgré le fait que le demandeur aurait apparemment reconnu que cette situation pourrait nuire à son travail;

C.        la tentative de corrompre, en ligne, l’enfant d’un ami proche ayant donné lieu à un abus d’une situation d’autorité, ce qui a mené l’organisme consultatif à mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté du demandeur;

D.       la récence du dernier événement;

E.        l’avis de l’Organisme consultatif selon lequel le meilleur indicateur du comportement à venir est le comportement antérieur, malgré les observations du demandeur et l’avis de son psychiatre traitant voulant qu’il ne présente qu’un risque faible de récidive.

[31]           Il m’est aisé de conclure que ces motifs atteignent le seuil minimum de l’équité procédurale, dont il est question au paragraphe 20 de Newfoundland Nurses, de telle sorte que la principale question dont il faut tenir compte en l’espèce est de savoir si le raisonnement et l’issue de la décision sont raisonnables. Je suis d’avis que cela est conforme au raisonnement appliqué par la Cour d’appel fédérale dans Farwaha, affaire dans laquelle le juge Stratas a évalué, aux paragraphes 104‑106, le caractère adéquat des motifs du ministre, qui comprenaient le dossier sur lequel le ministre s’était fondé pour prendre sa décision, dans le cadre de l’évaluation globale de la Cour pour déterminer si la décision était raisonnable ou non.

[32]           Quant au caractère raisonnable de la décision, l’application de l’article 4.8 de la Loi, de la Politique et de la jurisprudence a été examinée par la juge Kane dans Salmon aux paragraphes 71‑81 :

[traduction]

[71]      L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique confère au ministre, et à la directrice générale qui agit au nom du ministre, un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut « accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité » et prendre en compte tout facteur pertinent pour le faire.

[72]      La directrice générale ne requiert que des motifs raisonnables de croire, selon la prépondérance des probabilités, que la personne « est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte » (paragraphe 1.4(4) du PHST).

[73]      La directrice générale a fondé sa décision sur la conduite de M. Salmon, peu importe son association avec le Sujet « A ». Les renseignements de sources humaines fiables, l’enquête de la GRC et les observations du PHT sur son trafic de drogue suffisaient amplement pour corroborer les vues de l’Organisme consultatif et de la directrice générale. La conduite du demandeur qui a donné une fausse adresse pour profiter d’une baisse de cotisation d’assurance a également été un facteur pertinent dans l’évaluation de son jugement et sa moralité.

[74]      Comme l’a mentionné le juge Harrington dans MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 :

La politique est prospective; autrement dit, elle tient de la prédiction. La politique n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu « commettra » un acte qui « constituera » un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il « aidera ou incitera » toute autre personne à commettre un acte qui « constituerait » une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit « sujet » à le faire.

Cela a été défini comme étant moins strict que la prépondérance des probabilités (Ho, ci‑dessus; Clue, ci‑dessus).

[75]      Comme il en a été fait mention, le ministre et la directrice générale, au nom du ministre, jouissent d’un grand pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux décisions concernant les habilitations de sécurité. La sûreté aérienne revêt une importance considérable pour le public et a préséance sur les intérêts des particuliers.

[76]      Dans Rivet, ci‑dessus, au paragraphe 15, le juge Pinard remarque que, dans la mise en équilibre des intérêts de tous, ceux du public ont préséance :

[15] Par ailleurs, tant l’objet de la Loi que la nature de la question ont trait à la protection du public en prévenant des actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Même si la décision du ministre vise directement les droits et les intérêts du demandeur, ce sont les intérêts du grand public qui sont en jeu et qui ont préséance sur la capacité du demandeur d’avoir son HST pour pouvoir travailler à titre de pilote. L’objectif de la Loi émane d’un problème élargi qui englobe les intérêts de la société tout entière et non seulement ceux du demandeur.

[77]      Contrairement à la position du demandeur, la décision de révoquer l’habilitation de sécurité de celui‑ci n’a pas été arbitraire. Les allégations voulant qu’il ait été impliqué dans des activités liées au trafic et à la possession de drogue dans sa communauté et à l’importation de stupéfiants à l’aéroport, en plus de sa conduite liée à une fraude à l’assurance, sont clairement liées au PHST et à l’aviation.

[78]      Les allégations en disent long sur l’honnêteté du demandeur et sur son respect de la loi, qui, à leur tour, ont une incidence sur l’évaluation de la tendance possible qu’il soit sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte.

[79]      Il n’est pas nécessaire que la personne soit impliquée directement dans les actes d’intervention illicite visant l’aviation civile. Cela serait très contraignant et ne servirait pas les objectifs de la politique.

[80]      Dans Thep-Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59, 224 ACWS (3d) 538 [Thep-Outhainthany], affaire dans laquelle le mari de la demanderesse était impliqué dans un réseau de vente de drogue sur appel auquel celle‑ci avait nié toute participation, la Cour a établi un lien entre le trafic de stupéfiants au sein de la communauté et la sûreté aérienne. De façon plus spécifique, le juge Rennie a noté au paragraphe 27 :

On importe de la cocaïne et de l’héroïne au Canada et l’accès de la demanderesse à une zone réglementée d’un aéroport est susceptible d’attirer l’attention de son époux ou des acolytes de ce dernier. En l’espèce, c’est le demandeur lui-même, un employé de l’aéroport, qui fait l’objet d’allégations de trafic de stupéfiants, cela a un lien plus direct avec les atteintes illicites à l’aviation civile.

[81]      D’autres précédents soutiennent également l’idée que le comportement en question ne doit pas porter atteinte à l’aviation civile; dans Pouliot, ci‑dessus, le demandeur, un conducteur complice d’un braquage de banque, a nié avoir eu connaissance d’un complot pour cambrioler une banque; dans Russo, ci‑dessus, le demandeur avait un casier judiciaire lié à une affaire de stupéfiants; dans Rivet, ci‑dessus, le demandeur a été inculpé sous deux chefs d’accusation de fraude; et dans Farwaha, ci‑dessus, le demandeur était lié aux membres d’une organisation criminelle connue. Or, dans toutes ces circonstances, le lien avec l’aviation civile était reconnu.

[33]           Comme l’a mentionné la juge Kane dans Salmon, le comportement en cause ne doit pas porter directement atteinte, en lui-même, à la sûreté aérienne pour qu’il soit raisonnable de refuser de délivrer une HST ou d’en faire la révocation. Dans d’autres affaires, les comportements qui ont mené à une telle décision sont, entre autres, le vol de banque, Pouliot c Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Communautés), 2012 CF 347), la culture de drogues, l’achat de drogues et l’association avec des criminels qui découle de ce geste (Russo), la fraude (Rivet), ainsi que la fraude et le vol (Lavoie).

[34]           Dans la décision Rivet, la Cour aborde expressément l’argument selon lequel la condamnation du demandeur pour fraude n’avait rien à voir avec son HST ni avec son emploi de pilote. Le juge Pinard a rejeté cet argument en concluant, au paragraphe 22, que puisque le demandeur avait commis des infractions de fraude alors qu’il était dans une position de confiance dans un autre emploi, il n’était pas déraisonnable de conclure qu’il pourrait être un risque pour la sûreté aérienne. Le juge Pinard a aussi noté que le demandeur avait eu l’occasion d’informer l’Organisme consultatif de ses accusations de fraude et qu’il avait choisi de ne pas le faire de façon franche et complète.

[35]           Il y a des similitudes entre le raisonnement de Rivet et celui de l’Organisme consultatif dans le cas en l’espèce. L’Organisme consultatif était d’avis que la tentative de corruption en ligne de l’enfant d’un ami proche donnait lieu à un abus d’une situation d’autorité, et que ces gestes avaient mené l’organisme à mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté du demandeur. L’Organisme consultatif, puis le ministre dans sa décision font aussi allusion au désir du demandeur de cacher ses gestes au public et à Transports Canada afin de conserver son HST. Comme dans Rivet, je n’estime pas que ces arguments sont déraisonnables.

[36]           Il ressort clairement de la documentation produite par l’Organisme consultatif que sa recommandation a aussi été influencée par le comportement poursuivi par le demandeur, et par son aggravation, en dépit du fait qu’il avait été mis en garde par la police et qu’il était préoccupé par les conséquences de sa conduite sur son emploi. L’Organisme consultatif a fait remarquer qu’il ne s’était pas assez écoulé de temps depuis les incidents pour qu’on puisse remarquer un changement dans le comportement; après quoi, l’Organisme a formulé la conclusion qu’il avait des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pourrait être sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte.

[37]           J’ai examiné l’argument du demandeur selon lequel sa conduite est de nature autre que celle des incidents liés à la possession et au trafic de drogue, au vol qualifié, au vol, à la fraude et à l’association avec des criminels qui ont fait l’objet de la jurisprudence invoquée par les parties. Bien que l’avocat du demandeur fasse remarquer que ce dernier n’a pas été accusé ni déclaré coupable d’une infraction criminelle, il ne conteste pas le fait que sa conduite pourrait constituer une infraction. Il fait valoir plutôt qu’il y a une différence parce que la conduite du demandeur ne relève pas de la malhonnêteté intentionnelle ou de l’association avec des criminels.

[38]           Je suis d’avis qu’il existe une différence qui aurait pu influencer ou non la décision du ministre de révoquer l’HST du demandeur. Toutefois, je suis conscient que le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire ne consiste pas à substituer son opinion à celle du décideur, mais plutôt de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables. Je m’inspire particulièrement de l’analyse de Salmon, aux paragraphes 77‑78, confirmant la révocation de l’HST en fonction de la conduite du demandeur, laquelle était révélatrice au sujet de son honnêteté et son respect de la loi, qui, à leur tour, ont une incidence sur l’évaluation de la tendance possible qu’il soit sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte. Bien que la conduite du demandeur n’implique pas de malhonnêteté comme celle de Salmon, elle en dit beaucoup sur le respect qu’éprouve le demandeur envers la loi; il n’est donc pas déraisonnable pour l’Organisme consultatif d’avoir analysé l’affaire comme il l’a fait; comme il n’est pas déraisonnable que l’Organisme consultatif et le ministre aient tiré une conclusion défavorable en ce qui a trait à l’honnêteté, la fiabilité et le jugement du demandeur, selon ladite conduite.

[39]           L’Organisme consultatif a examiné l’avis du psychiatre du demandeur selon lequel ce dernier représente un faible risque de récidive, mais il a adopté l’approche voulant que le meilleur indicateur du comportement à venir soit le comportement antérieur. Quand le psychiatre a énoncé ce principe clinique dans sa déclaration écrite, je comprends qu’il s’agissait là du prélude à son avis selon lequel il existe une corrélation entre le faible risque de récidive du demandeur et le fait qu’il n’ait pas d’antécédents en matière de problèmes de relation et d’emploi, d’infractions à caractère sexuel sans violence, d’infractions sans violence ou d’infraction avec lésions physiques infligées à d’autres personnes. Toutefois, compte tenu du dossier dont disposait l’Organisme consultatif, qui comprenait le nombre d’incidents, leur récence, leur aggravation, et le fait que le demandeur avait suivi, mais interrompu une thérapie, avant l’incident de cyberprédation, je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable pour l’Organisme consultatif de se fonder sur le principe clinique énoncé par le psychiatre sans accepter l’avis de ce dernier selon lequel le demandeur représentait un risque minimal de récidive.

[40]           Par conséquent, je conclus que la décision du ministre appartient aux issues possibles acceptables et qu’elle est raisonnable, de sorte que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VII.          Les dépens

[41]           Les deux parties en l’espèce ont réclamé les dépens, et les avocats ont convenu, lors de l’audience de la présente demande, que le montant approprié desdits dépens s’élevait à 2 500 $, peu importe quelle partie avait gain de cause. Par conséquent, je suis d’avis d’accorder 2 500 $ au défendeur à titre de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens de 2 500 $ en faveur du défendeur.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T-1814-14

 

INTITULÉ :

WILLIAM RYAN MITCHELL c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE :

LE 28 SEPTEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Gregory Lafontaine

POUR LE DEMANDEUR

Jon Bricker

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lafontaine & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto, Ontario

Pour le défendeur

 

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