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Date : 20150929


Dossier : T‑1273‑14

Référence : 2015 CF 1128

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

RECALL TOTAL INFORMATION MANAGEMENT INC.

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL DU CANADA ET COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision en application de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi], en ce qui concerne la divulgation d’une modification apportée à un contrat le 22 novembre 2013 [modification au contrat]. Les présents motifs sont rendus publics, afin que le raisonnement de la Cour puisse être compris, sans qu’il soit nécessaire de rédiger une version confidentielle des motifs.

[2]               Le présent litige a eu un dénouement étrange. La demanderesse [Recall] a reçu un avis de demande de renseignements aux termes de l’article 27 de la Loi. Elle a ignoré l’avis, et en l’absence de preuve, le ministre, par l’entremise de l’Agence de revenu du Canada [ARC] a décidé de communiquer les renseignements desquels le prix unitaire a été expurgé. (Le ministre du Revenu national est le ministre compétent aux fins de la décision de l’ARC de publier les renseignements.)

[3]               L’ARC a donné un avis à Recall l’informant qu’elle envisageait de communiquer les renseignements en question vu l’absence d’une demande de révision présentée à la Cour en application de l’article 44 de la Loi. Recall a ensuite présenté la demande visée à l’article 44 et a produit des éléments de preuve pour étayer sa thèse selon laquelle les renseignements qui devaient faire l’objet d’une divulgation étaient visés par les exceptions à l’obligation de divulgation prévue aux alinéas 20(1)a), b) et c).

[4]               Le litige s’est déroulé de manière habituelle. La demanderesse n’y a pas participé, mais le commissaire à l’information du Canada [le commissaire à l’information] a été constitué partie au litige.

[5]               Après examen de la preuve soumise par Recall dans le cadre du présent litige, le ministre a changé d’avis et a déterminé que certains renseignements ne devraient pas être divulgués. Il a indiqué vouloir rendre une deuxième décision selon laquelle beaucoup moins de renseignements seraient divulgués que ce qu’il avait initialement prévu.

[6]               À la suite d’une demande de décision par le commissaire à l’information, la Cour, dans la décision Recall Total Information Management Inc v Canada (National Revenue), 2015 FC 848, a affirmé que le ministre ne pouvait rendre une deuxième décision, mais qu’il pouvait changer d’avis dans le cadre du litige. Les parties ont donc déposé un mémoire des faits et du droit modifié, et elles ont donné suite à la demande de révision prévue à l’article 44.

II.                Contexte factuel – dossiers en cause

[7]               Le 26 octobre 2012, l’ARC a publié une demande de soumissions pour obtenir des :

… services de gestion des documents liés à la gestion et à l’entreposage hors site sécuritaires de documents d’information en format papier ou électronique ou en microformat « au fur et à mesure des besoins ». L’ARC a besoin des services de cycle de vie de la gestion des documents suivants pour les documents de l’ARC : l’acquisition, l’entreposage, l’extraction, le transport et le déclassement.

Les soumissions reçues n’étant toutefois pas recevables, une deuxième demande de soumissions a été lancée.

[8]               Recall a été retenue dans le cadre de la deuxième demande de soumissions le 2 mai 2013. Le contrat [contrat initial] de 40 millions de dollars était d’une durée de cinq ans et il pouvait être renouvelé annuellement pendant une période de cinq ans.

[9]               À la suite de discussions entre l’ARC et Recall, il s’est avéré que l’ARC avait des besoins additionnels qui ne figuraient pas dans le contrat initial. Les parties ont convenu d’une modification au contrat, laquelle fait l’objet du présent litige.

[10]           Un nouveau prix était prévu dans la modification au contrat et Recall a mis en place un processus par étapes de numérisation des codes à barres dans son système informatique (appelé IMCS).

Alors que le contrat initial mettait de l’avant les fonctions que Recall devait exécuter, la modification au contrat décrivait le processus suivi par Recall pour les exécuter.

[11]           Le document qu’on prévoyait communiquer comprenait le nouveau prix, ainsi que le processus par étapes [les documents]. Recall indique en partie que l’insertion du processus par étapes dans la modification au contrat était une « erreur accidentelle ». Toutefois, elle n’a pas pris de mesures pour corriger cette erreur et elle n’a pas non plus demandé à l’ARC de le faire.

[12]           Les parties ont déposé auprès de la Cour une copie des pages pertinentes (pages 34 à 40 des documents) qui sont « surlignées en jaune » par le ministre et qui font état des renseignements qui ne devraient pas faire l’objet de divulgation. Les renseignements en question se rapportent surtout au processus par étapes.

[13]           Recall soutient que les renseignements contenus dans ces pages, ainsi que le nouveau prix (une grande partie de la modification au contrat), ne peuvent être divulgués aux termes des alinéas 20(1)a), b) et c) de la Loi. La question soumise à la Cour est celle de savoir si Recall a établi que l’une ou l’autre de ces dispositions est applicable. Les observations des parties portent principalement sur l’exemption du processus par étapes aux termes de l’article 20 de la Loi. Pour ce qui est du prix du contrat, le litige porte sur la question de savoir si le prix de la modification au contrat est accessible au public.

III.             Analyse

A.                Alinéas 20(1)a) – Renseignements de tiers

[14]           Voici le libellé de l’article 20(1)a) de la Loi :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

a) des secrets industriels de tiers;

(a) trade secrets of a third party;

[15]           Recall affirme que les pages 34 à 40 des documents divulguent des secrets industriels. Elle fait valoir que les renseignements servent à des fins industrielles et qu’ils étaient intégrés dans l’outil protégé par des droits d’auteur, connu sous le nom de Re Quest Web, dans le cadre de la modification au contrat et que ces renseignements sont la propriété de Recall. Elle soutient également qu’elle a agi de manière à ce que ces renseignements demeurent confidentiels et qu’elle s’attendait à ce que l’ARC protège de la même façon ces renseignements. Enfin, elle affirme qu’elle a un intérêt économique à ce que ces renseignements demeurent confidentiels en raison de l’avantage concurrentiel qu’ils présentent, à la fois avec le gouvernement et un marché plus vaste, en raison du processus qu’elle a élaboré.

[16]           Le ministre n’a pas pris position sur cette question, mais convient que les parties surlignées en jaune dans les documents ne doivent pas être divulguées aux termes de l’alinéa 20(1)c). Le Commissariat à l’information affirme que Recall n’a pas respecté les critères établis dans la jurisprudence.

[17]           Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 RCS 23 [Merck Frosst], la Cour suprême a défini le secret industriel :

[112]    … Pour les fins de l’art. 20 de la Loi, le secret industriel doit s’entendre d’un plan ou procédé, d’un outil, d’un mécanisme ou d’un composé qui possède chacune des quatre caractéristiques énoncées dans les lignes directrices et dont je viens de faire mention. Cette approche est conforme à la définition du secret industriel en common law et elle tient compte du fait que le législateur a manifestement voulu que le secret industriel soit distinct de la catégorie plus large des renseignements commerciaux de nature confidentielle, lesquels font expressément l’objet d’une protection légale qui leur est propre. Cette approche est également conforme à l’utilisation du terme « secrets industriels » dans la Loi, comme je l’ai déjà mentionné.

[18]           Les quatre caractéristiques établies dans les lignes directrices en question sont les suivantes :

‑           L’information doit être secrète dans un sens absolu ou relatif (c’est‑à‑dire qu’elle est connue seulement d’une ou de quelques personnes).

‑           Le détenteur de l’information doit démontrer qu’il a agi dans l’intention de traiter l’information comme si elle était secrète.

‑           L’information doit avoir une application pratique dans le secteur industriel ou commercial.

‑           Le détenteur doit avoir un intérêt (par exemple, un intérêt économique) digne d’être protégé par la loi. [Annexe A]

Paragraphe 109 de l’arrêt Merck Frosst

[19]           Comme la Cour suprême l’a indiqué au paragraphe 119 de l’arrêt Merck Frosst, la question à trancher est simplement de savoir si la partie invoquant l’exception a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les dossiers sont visés par la définition de « secrets industriels ». L’analyse doit être réalisée en fonction des « catégories de renseignements » plutôt que des « préjudices causés » aux termes de l’alinéa 20(1)c).

[20]           L’examen des documents révèle que le processus par étapes répond au premier critère en ce qu’il s’agit d’un plan ou procédé, un outil, un mécanisme ou un composé.

[21]           Recall a établi que les renseignements étaient secrets. Le processus a été conçu à l’interne et seuls les employés de Recall le connaissaient. Fait important, seuls les employés du service de TI de Recall avaient accès aux scripts et aux codes, qui n’ont d’ailleurs pas été transmis à l’ARC.

[22]           Toutefois, Recall n’a pas réussi à démontrer qu’elle traitait ces renseignements comme étant confidentiels. Bien que Recall ait pris des mesures pour traiter ces renseignements comme étant secrets, ses efforts n’étaient pas adéquats. Mis à part l’avis habituel de confidentialité au bas des courriels, Recall n’a pris aucune mesure, même dans la modification au contrat, pour indiquer que les renseignements étaient secrets ou confidentiels. Elle a fourni à l’ARC une version Word du document à sa demande, ce qui est incompatible avec l’intention de traitement sécuritaire des renseignements secrets.

[23]           N’ayant déployé aucun effort pour protéger les renseignements lorsqu’ils ont été inclus par erreur dans la modification au contrat, Recall est donc l’artisan de son propre malheur. Son silence et son inaction avant le début du présent litige ne correspondent pas au comportement d’une personne qui avait l’intention de traiter, et qui traitait effectivement, les renseignements comme étant secrets et exigeant leur non‑communication.

[24]           Recall ne s’est aucunement souciée de protéger un processus qu’elle soutient maintenant être secret. En ne prenant aucune mesure à la suite de l’insertion des renseignements dans la modification au contrat, en ignorant l’avis donné aux termes de l’article 27 et en attendant d’intenter une action en justice pour invoquer la confidentialité des renseignements, Recall n’a pas démontré qu’elle a agi dans l’intention de traiter l’information comme si elle était secrète. Recall n’a pas expliqué son inaction ou son insouciance.

[25]           Comme Recall n’a pas démontré qu’elle répondait au deuxième critère établi par la Cour suprême, il n’est pas impératif que la Cour aborde les autres critères : l’application dans le secteur industriel ou commercial ou l’intérêt digne d’être protégé par la loi. Toutefois, sur ces points, Recall est en terrain plus solide.

B.                 Alinéa 20(1)b) – Renseignements commerciaux et techniques – Traitement confidentiel

[26]           Voici le libelle de l’alinéa 20(1)b) de la Loi :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[27]           Nul ne conteste vraiment que les renseignements litigieux – le processus par étapes – sont plus techniques que commerciaux, comme la Cour l’a expliqué dans le jugement Brainhunter (Ottawa) Inc c Canada (Procureur général), 2009 CF 1172, 182 ACWS (3d) 244.

[28]           Sur la question de savoir si les renseignements sont « de nature confidentielle et […] traités comme tels » comme l’a décrit le juge MacKay dans le jugement Air Atonabee Ltd c Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 FTR 194,16 ACWS (3d) 45, au paragraphe 42, et laquelle description a été reprise dans l’arrêt Merck Frosst, au paragraphe 133, les critères pour déterminer que des renseignements sont confidentiels sont les suivants :

a)         Le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef.

b)         Les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués.

c)         Les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.

[29]           Ces critères sont objectifs, et le seul fait de reproduire le contenu de la loi ou d’affirmer que ces renseignements sont confidentiels, sans produire des éléments de preuve concrets d’un tel traitement, n’est pas suffisant.

[30]           Le ministre n’a pas pris position sur cette question et le commissaire à l’information a simplement affirmé que les dossiers devraient être considérés comme des documents découlant d’un processus de demande de soumissions ou d’appel d’offres. Par conséquent, ces documents seraient plus à même d’être divulgués.

[31]           Le problème qui se pose avec l’argument du commissaire à l’information est que la modification au contrat ne découle pas d’un processus de demande de soumissions ou d’appel d’offres. La modification au contrat a été adoptée à la suite d’une demande de modifier le contrat pour répondre aux besoins de l’ARC, une fois l’étape de l’appel d’offres terminée. Rien ne laisse croire que la modification au contrat était un subterfuge pour contourner les obligations de divulgation ou une ruse pour éviter de satisfaire entièrement aux exigences en matière de divulgation qui pourrait venir étayer la position du commissaire à l’information que la modification faisait partie du processus d’appel d’offres.

L’argument du commissaire à l’information est dénué de tout fondement au regard des faits et du droit.

[32]           Aucun élément de preuve n’indique que ces documents étaient accessibles au public. Il ne fait aussi aucun doute que les renseignements ont été fournis au gouvernement par un « tiers ».

[33]           Quant à la question de savoir si les renseignements ont été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués, Recall l’a peut‑être tenu pour acquis, mais elle a agi d’une manière incompatible avec cette supposition. Il n’y a aucune preuve pour étayer cette hypothèse.

[34]           Comme il a été souligné dans les motifs concernant l’alinéa 20(1)a), les mesures prises par Recall étaient vraiment inadéquates, d’un point de vue objectif, et ne correspondaient pas à celles d’une partie qui jugeait ces renseignements confidentiels.

[35]           En ce qui concerne la question de déterminer si la relation « n’est pas contraire à l’intérêt public » et que « la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public », les observations de Recall ne contiennent aucune indication sur la façon dont on favoriserait la relation dans l’intérêt public. Il n’appartient pas à la Cour de substituer des arguments selon lesquels le traitement confidentiel des renseignements favoriserait l’intérêt public.

[36]           Au paragraphe 69 du jugement AstraZeneca Canada Inc c Canada (Ministre de la santé), 2005 CF 189, 275 FTR 133, (confirmé par 2006 CAF 241) [AstraZeneca], notre Cour a présenté une façon dont l’intérêt public devrait être traité :

[69]      Pour satisfaire à ce critère, il faut tenir compte de la nature de la relation qui existe entre le gouvernement et le tiers. […] Lorsqu’un tiers tente de convaincre le gouvernement de lui accorder une concession ou une licence, l’expectative de confidentialité est forcément moindre que dans le cas où ce tiers aide le gouvernement à exécuter son mandat.

Toutefois, Recall n’a fourni aucune preuve tangible pour satisfaire à ce critère relatif à l’alinéa 20(1)(b).

[37]           La Cour d’appel fédérale a traité d’une situation similaire à la présente affaire en ces termes :

Toutefois, en l’espèce, NAV CANADA n’a pas expliqué en quoi ni pourquoi le fait de préserver la confidentialité des renseignements en cause ici n’est conforme à l’intérêt public. Une simple affirmation en la matière ne suffit pas à écarter le droit général d’accès qui est conféré par la Loi sur l’accès à l’information.

Commissaire à l’information du Canada c Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, 2006 CAF 157, au paragraphe 78

[38]           Recall n’a pas établi que les renseignements faisaient exception à l’obligation de divulgation aux termes du paragraphe 20(1)b) de la Loi.

C.                 Paragraphe 20(1) c) – Préjudice lié à la divulgation

[39]           Le paragraphe 20(1)c) de la Loi prévoit ce qui suit :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[…]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party;

[40]           Recall soutient essentiellement qu’elle détient les droits de propriété sur le processus par étapes et que ses concurrents pourraient utiliser cette information pour nuire à sa relation avec l’ARC sur le plan économique. Cette situation se produirait probablement au cours de la demande de soumissions pour le renouvellement du contrat.

La position de Recall sur cette question est intimement liée au fait qu’elle s’oppose à la divulgation des renseignements de la page 56 des documents – le prix du contrat. La Cour a examiné séparément la question de la divulgation du prix.

[41]           Le ministre est d’accord avec Recall en ce qui concerne la divulgation du processus par étapes. Le ministre a changé de position sur la divulgation de renseignements à la suite de nouvelles preuves soumises par Recall sur cette question.

[42]           Le fardeau imposé à Recall pour démontrer l’existence d’un préjudice a été établi par la Cour dans le jugement AstraZeneca, au paragraphe 46 (adopté en principe dans l’arrêt Merck Frosst, au paragraphe 204) :

[46]      Le fait de reconnaître le caractère implicitement conjectural d’une preuve de préjudice ne dispense toutefois pas une partie de l’obligation d’invoquer quelque chose de plus que des croyances et des craintes personnelles. Une preuve de résultats raisonnablement attendus, comme une preuve de nature prévisionnelle, est une chose que les tribunaux connaissent, et il doit donc y avoir un motif logique et convaincant pour souscrire à la prévision. Une preuve de documents d’information antérieurs, une preuve d’expert et une preuve de traitement de preuve similaire ou de situations similaires sont souvent admises comme un fondement logique dans le cas d’une expectative de préjudice, ainsi que comme preuve de la catégorie de documents considérés.

[43]           Il faut qu’il y ait un lien clair et direct entre la divulgation d’un renseignement précis et le préjudice invoqué.

[44]           Les parties ne s’entendent pas sur la manière de comprendre la position du commissaire à l’information. On pensait que la position du commissaire à l’information était que, pour conclure à l’existence d’un préjudice lié à la divulgation, il était nécessaire de conclure que la partie qui contestait la divulgation avait un intérêt propriétal dans les renseignements, c’est‑à‑dire que cette partie était propriétaire des renseignements.

[45]           Dans son argumentation, le commissaire à l’information a précisé sa position : lorsqu’il y a un intérêt propriétal dans les renseignements, il est plus facile d’établir le préjudice lié à la divulgation. À mon avis, le bien‑fondé de sa position dépend des faits de chaque affaire.

[46]           Le commissaire à l’information a également soulevé la question de savoir si les renseignements appartenaient à Recall, notamment parce qu’ils étaient censés faire partie de l’Énoncé des travaux et qu’en conséquence ils ont été payés par le ministre et ce dernier en serait donc le propriétaire. La genèse de cet argument est fondée sur le fait que les conditions générales font partie du contrat.

2035 01 (2013‑03‑21) Interprétation

Dans le contrat, à moins que le contexte n’indique un sens différent :

[…]

« travaux » désigne les activités, services, biens, équipements, choses et objets que l’entrepreneur doit exécuter, livrer ou fournir en vertu du contrat.

[…]

2035 19 (2008‑05‑12) Droit de propriété

1.         Sauf disposition contraire dans le contrat, le droit de propriété sur les travaux ou toute partie des travaux appartient au Canada dès leur livraison et leur acceptation par ou pour le compte du Canada.

[…]

2035 20 (2008‑05‑12) Droits d’auteur

Dans cette section, le mot « matériel » désigne tout ce qui est créé par l’entrepreneur dans le cadre du travail prévu au contrat, qui doit, selon le contrat, être livré au Canada, et qui est protégé par un droit d’auteur. Le mot « matériel » ne comprend pas quelque chose qui a été créé par l’entrepreneur avant la date du contrat.

Le Canada est titulaire du droit d’auteur sur le matériel, et l’entrepreneur doit apposer sur le matériel le symbole du droit d’auteur et l’un ou l’autre des avis qui suivent : © Sa Majesté la Reine du chef du Canada (année) ou © Her Majesty the Queen in right of Canada (year).

[…]

2035 22 (2008‑05‑12) Confidentialité

[…]

3.         Sous réserve de la Loi sur l’accès à l’information, L.R., 1985, ch. A‑1, et sous réserve des droits du Canada selon le contrat de communiquer ou de divulguer, le Canada ne doit pas communiquer ou divulguer en dehors du gouvernement du Canada aucune information livrée au Canada en vertu du contrat qui appartient à l’entrepreneur ou un sous‑traitant.

[…]

5.         Dans la mesure du possible l’entrepreneur doit indiquer ou marquer tout renseignement protégé par des droits de propriété intellectuelle qui ont été livrés au Canada en vertu du contrat comme étant la « propriété de (nom de l’entrepreneur), utilisations permises au gouvernement en vertu du contrat no (inscrire le numéro du contrat de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada [TPSGC]) ». Le Canada n’est pas responsable de l’utilisation ou de la divulgation non autorisée des renseignements qui auraient pu être ainsi marqués ou identifiés et qui ne l’ont pas été. Le Canada n’est pas responsable de l’utilisation ou de la divulgation non autorisée des renseignements qui auraient pu être ainsi marqués ou identifiés et qui ne l’ont pas été.

[…]

2035 44 (2012‑07‑16) Accès à l’information

Les documents créés par l’entrepreneur et dont le Canada assume le contrôle sont assujettis aux dispositions de la Loi sur l’accès à l’information. L’entrepreneur reconnaît les responsabilités du Canada en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et doit, dans la mesure du possible, aider le Canada à s’acquitter de ces responsabilités…

[47]           Sur la question du préjudice lui‑même, le commissaire à l’information a indiqué que Recall n’a pas établi qu’il y a un marché pour le processus par étapes au‑delà de l’ARC. De plus, le commissaire à l’information soutient que le préjudice allégué par Recall est lié à la divulgation du service de numérisation des codes à barres en 2D offert par Recall à l’ARC. Autrement dit, le préjudice est causé par le fait que la prestation du service soit connue et non par la divulgation de la méthode de prestation du service.

[48]           Le commissaire à l’information a agi dans l’intérêt public en remettant en question le fondement de la demande d’exception de Recall. Toutefois, avec égards pour le commissaire à l’information, le fait de soulever ces questions ne permet pas de conclure que le motif de préoccupation de Recall n’est pas fondé.

[49]           En ce qui concerne la question du droit de propriété, le ministre confirme qu’il n’a jamais souhaité devenir titulaire des droits de propriété du processus par étapes. L’ARC a également pour politique, comme il est prévu dans la directive relative aux droits de propriété intellectuelle, sauf dans certaines circonstances qui ne s’appliquent pas à la présente affaire, que le propriétaire des droits de propriété intellectuelle demeure inchangé.

[50]           À lumière des facteurs comme la conservation des scripts et des codes au sein de Recall, le contrôle du système informatique par Recall et l’intention des parties, comme en a convenu le ministre, il était clair que Recall conservait les droits de propriété sur le processus. Le ministre ne pouvait pas faire ce qu’il voulait avec le processus une fois que le prix du contrat avait été payé.

[51]           Sur la question du préjudice, je suis d’avis que Recall en a établi l’existence. Alors que certains des aspects des services à fournir sont décrits dans les parties auxquelles Recall ne s’oppose pas (dans la version des documents surlignée en jaune), ce ne sont pas tous les aspects des services qui doivent être communiqués. Il est important que Recall soit en mesure de négocier ses services au cas par cas, sans que chacun des clients potentiels sache ce que Recall a fait par le passé ou ce qu’elle serait peut‑être prête à offrir dans le futur.

[52]           La communication de certaines parties des documents nuirait à la position de Recall dans le cadre des prochaines négociations avec l’ARC et d’autres organisations, en raison de l’avantage dont tireraient parti ses concurrents si la façon dont Recall a répondu aux problèmes de l’ARC était divulguée.

[53]           De plus, la communication de renseignements sur le processus permettrait aux concurrents (qui ne sont qu’au nombre d’un ou de deux) de recréer la technologie élaborée par l’équipe de recherche et développement de Recall. La preuve étayant ce préjudice en matière de concurrence est bien décrite dans les affidavits de MM. Michaud, Dino, Camp et Mueller.

[54]           La situation dans laquelle se trouve Recall a été examinée au paragraphe 219 de l’arrêt Merck Frosst :

... la divulgation de renseignements qui n’ont pas déjà été rendus publics et dont on démontre la longueur d’avance qu’ils confèrent à la concurrence dans le développement de produits concurrents, ou l’avantage concurrentiel qu’ils offrent à cette dernière en ce qui concerne des opérations à venir, peut, en principe, satisfaire aux conditions prévues à l’al. 20(1)c). La preuve doit convaincre la cour siégeant en révision qu’il existe un lien direct entre la divulgation des renseignements et le préjudice appréhendé et que la divulgation risque vraisemblablement de causer ce préjudice : [renvois omis]. Les renseignements qui, pris isolément, ne semblent pas tomber sous le coup de l’exception doivent néanmoins être examinés dans leur ensemble pour établir l’incidence qu’aurait vraisemblablement leur divulgation. [Non souligné dans l’original]

[55]           La preuve expose davantage que ce que requiert le libellé de la Loi. La preuve démontre comment les ingénieurs en logiciel pourraient reproduire la technologie de Recall et utiliser éventuellement ces connaissances en réponse aux demandes de soumissions du gouvernement. De plus, le contrat initial est d’une durée de cinq ans, ce qui pourrait faire en sorte que ces concurrents seraient en mesure de présenter de nouvelles soumissions en utilisant la technologie de Recall. Recall serait donc désavantagée sur le plan de ses services et de sa tarification (surtout en raison du fait que le prix total est accessible au public).

D.                Prix du contrat

[56]           Recall s’est opposée à la divulgation du prix convenu dans la modification au contrat. Elle n’a cependant pas établi que son opposition était fondée.

[57]           Le prix (TVH comprise) a été publié sur le site Web de l’ARC le 26 mai 2014 ou aux alentours de cette date. Les renseignements visés par l’opposition, qui figure à la page 56 des documents, comprennent le prix convenu dans la modification au contrat, TVH en sus.

[58]           Peu importe les difficultés auxquels peut faire face un concurrent pour déterminer le prix de la modification au contrat, il est assez simple de le calculer. Par conséquent, il est impossible de s’opposer à la divulgation du prix, car il est de nature suffisamment publique.

IV.             Conclusion

[59]           Pour ces motifs, la Cour ordonne que les parties surlignées en jaune dans la version de la modification au contrat, pages 34 à 40 des documents, doivent être exemptées de la divulgation des renseignements.

[60]           Le ministre communiquera aux autres parties une version des documents qui tient compte de la décision de la Cour. Après accord des parties, cette version sera communiquée par le ministre et une copie sera déposée à la Cour.

Si les parties n’arrivent pas à un accord, la Cour réglera toute question en suspens.

[61]           Des observations relatives aux dépens ont été présentées. Le commissaire à l’information, agissant au nom de celui qui a présenté la demande d’accès à l’information et de l’intérêt public, n’a pas eu gain de cause – plus que toute autre partie – et Recall n’a pas eu gain de cause sur la question de la divulgation du prix. Or, c’est le défaut de Recall de présenter des observations appropriées au ministre qui a donné lieu au présent litige.

[62]           Vu les circonstances, la solution la plus équitable est que chacune des parties assume ses propres dépens, sauf pour Recall qui doit payer au ministre et au commissaire à l’information les dépens relatifs à sa requête visant le dépôt d’autres affidavits.


JUGEMENT

LA COUR ordonne que les parties surlignées en jaune dans la version de la modification au contrat, pages 34 à 40 des documents, doivent être exemptées de la divulgation des renseignements. Chacune des parties assume ses propres dépens, sauf pour Recall Total Information Management Inc. qui doit payer au ministre du Revenu national et au commissaire à l’information du Canada les dépens relatifs à sa requête visant le dépôt d’autres affidavits.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1273‑14

 

INTITULÉ :

RECALL TOTAL INFORMATION MANAGEMENT c MINISTRE DU REVENU NATIONAL DU CANADA ET COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2015

 

ONT COMPARU :

Lorene Novakowski

Brandon Wiebe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Elizabeth McDonald

Melissa Nicolls

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

Diane Therrien

POUR LE DÉFENDEUR

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (ColombieBritannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (ColombieBritannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

Commissaire à l’information du Canada

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

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