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Date : 20150911


Dossier : IMM‑796‑15

Référence : 2015 CF 1072

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

NADEEM AHMED CHAUDHRY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 6 janvier 2015 par laquelle un agent des visas de la Division des services médicaux aux fins d’immigration du Haut‑commissariat du Canada à Londres [le Haut‑commissariat] a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par Nadeem Ahmed Chaudhry dans la catégorie des candidats des provinces [la décision];

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 42 ans. Il possède des qualifications en technologie de l’information et en commerce, et il exploite sa propre entreprise de revente de matériel informatique depuis 1998.

[4]               En décembre 2010, le demandeur a déposé une demande de visa de résident permanent dans le cadre du Programme des candidats immigrants de la Saskatchewan [PCIS]. Dans sa demande, il a indiqué que son emploi actuel était revendeur de matériel informatique (technicien) et qu’il était un travailleur autonome. Il a également indiqué que sa profession envisagée était directeur du commerce de détail – catégorie 0621 de la Classification nationale des professions (CNP). Son oncle a parrainé sa demande.

[5]               Le 29 mai 2013, le ministère de l’Économie de la Saskatchewan a communiqué avec le demandeur au sujet des documents requis et il a précisé qu’il devait joindre son offre d’emploi dans une profession spécialisée ou les résultats du test d’évaluation de langue anglaise à sa demande. S’il choisissait d’inclure les résultats de l’IELTS [International English Language Testing System], il fallait qu’il obtienne les notes minimales suivantes : 4,5 en compréhension orale, 3,5 en compréhension de l’écrit, 4 en expression écrite et 4 en expression orale. Le demandeur a répondu qu’il avait obtenu une offre d’emploi. Le 21 juin 2013, le ministère de l’Économie de la Saskatchewan [la province] a demandé au demandeur de fournir une copie de l’offre d’emploi et une preuve que l’employeur était inscrit auprès du PCIS, ou une copie de ses résultats à l’examen de l’IELTS.

[6]               Le demandeur a choisi de fournir ses résultats à l’examen de l’IELTS, qui étaient les suivants : 5,5 en compréhension orale, 5,5 en compréhension de l’écrit, 5 en expression écrite et 5 en expression orale.

[7]               Le 30 juillet 2013, la province a approuvé sa demande auprès du PCIS et a délivré un certificat de désignation pour la catégorie 0621 de la CNP (Directeurs/directrices – commerce de détail et de gros). La demande de visa de résident permanent a ensuite été transférée au Haut‑commissariat aux fins d’examen.

[8]               Le 13 juin 2014, le demandeur a reçu de la part du Haut‑commissariat une lettre. Dans cette lettre, on l’informait qu’on s’inquiétait du fait que son niveau de connaissance de l’anglais serait insuffisant pour lui permettre de réussir son établissement économique au Canada, et ce, malgré l’obtention du certificat de désignation de la province. Plus précisément, le Haut‑commissariat a convenu que le demandeur satisfaisait aux exigences linguistiques générales du PCIS. Cependant, il n’était pas convaincu que la compétence linguistique du demandeur serait suffisante pour accomplir les fonctions d’un directeur de commerce de détail, par exemple la lecture de manuels d’entreprise et de lois et des règlements en matière de travail, ainsi que des tâches d’expression orale moyennement complexes comme la communication de directives détaillées au personnel, la gestion de clients difficiles et la direction de négociations laborieuses. Le Haut‑commissariat a donné au demandeur et à la province 90 jours pour répondre aux préoccupations énoncées dans la lettre.

[9]               Le 19 juillet 2014 et le 31 juillet 2014, le demandeur a envoyé des lettres en réponse aux préoccupations, en mettant l’accent sur le fait qu’il possédait plus de 16 ans d’expérience dans le domaine et qu’il avait obtenu des notes supérieures à celles précisées dans les exigences linguistiques générales. Il était aussi convaincu qu’il serait en mesure de trouver un emploi et d’améliorer rapidement ses capacités linguistiques après quelques mois passés dans un environnement majoritairement anglophone.

[10]           Le 11 septembre 2014, la province a fourni une lettre dans laquelle elle maintenait son appui au demandeur. Dans cette lettre, la province indiquait que le taux de chômage en Saskatchewan était faible et que les travailleurs spécialisés étaient très recherchés. Elle indiquait aussi que le demandeur avait démontré qu’il avait une connaissance de la langue suffisante pour s’établir sur le plan économique, qu’il avait reçu une offre d’emploi (non validée), et qu’elle estimait que le demandeur [traduction« tenterait de trouver un emploi dans les domaines du commerce de détail et des services pour s’établir sur le plan économique ».

[11]           Comme il était indiqué dans une note saisie dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] le 20 novembre 2014, un agent des visas du Haut‑commissariat a conclu que, malgré les déclarations présentées par le demandeur et la province, il n’était pas convaincu que le demandeur aurait la capacité de s’établir sur le plan économique. En ce qui concerne les déclarations de la province, l’agent des visas soulignait que le taux de chômage en Saskatchewan ne permet pas nécessairement de conclure que le demandeur a la capacité de s’établir sur le plan économique. L’agent des visas a précisé que ni la province ni le demandeur n’ont répondu directement aux inquiétudes liées aux compétences linguistiques requises pour la profession envisagée par le demandeur, et que le demandeur n’a pas mentionné avoir de l’expérience dans un autre domaine ni une autre possibilité d’emploi.

[12]           L’agent des visas a conclu que le demandeur n’a pas démontré qu’il possédait les compétences linguistiques ou l’expérience nécessaires pour lui permettre de s’établir sur le plan économique. Il a recommandé de substituer son appréciation à celle de la province, aux termes du paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], et a rejeté la demande de visa de résident permanent. Un autre agent des visas a approuvé cette décision, et une lettre a été envoyée au demandeur le 6 janvier 2015 pour l’informer de cette décision.

[13]           Le demandeur conteste la décision au motif que sa demande satisfait à toutes les exigences prévues par la loi et que la décision est déraisonnable.

II.                Norme de contrôle

[14]           Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable à la décision est celle de la décision raisonnable (Singh Sran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 791 [Sran], au paragraphe 9; Ijaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 920 [Ijaz], au paragraphe 18).

III.             Questions en litige

[15]           Compte tenu des observations des parties, la demande de contrôle judiciaire soulève la question de savoir si la décision selon laquelle le demandeur n’avait pas la capacité de s’établir sur le plan économique au Canada était déraisonnable.

IV.             Observations des parties

A.                Observations du demandeur

[16]           Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable. Il soutient que l’agent des visas aurait dû faire preuve d’une plus grande retenue envers l’évaluation de sa capacité à s’établir sur le plan économique réalisée par la province, étant donné que la catégorie des candidats des provinces vise à offrir une plus grande latitude aux provinces dans la sélection de certains immigrants. Il fait valoir que la décision de l’agent des visas ne précise pas la raison pour laquelle les observations de la province présentées au Haut‑commissariat étaient insuffisantes.  

[17]           Se fondant sur le jugement Rezaeiazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 761 [Rezaeiazar], prononcée par le juge Russell, le demandeur soutient également que l’agent des visas a commis une erreur lorsqu’il a évalué ses compétences linguistiques seulement en fonction des compétences requises pour occuper le poste de directeur du commerce de détail, alors qu’aucune disposition dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], ou dans les règlements n’exige que les candidats des provinces s’établissent sur le plan économique dans la catégorie professionnelle envisagée. Il n’est pas non plus exigé de démontrer une autonomie immédiate sur le plan économique. Le demandeur affirme également que la province a indiqué dans ses observations présentées au Haut‑commissariat qu’il trouverait probablement du travail dans les domaines du commerce de détail et des services, ce qui est va à l’encontre de la déclaration de l’agent des visas selon laquelle le demandeur n’a pas indiqué d’autres professions envisagées.

[18]           Le demandeur se fonde également sur le jugement Sran prononcé par le juge Mosley, dont les faits sont similaires à ceux de l’espèce selon lui. Au paragraphe 22 du jugement Sran, le juge Mosley cite l’extrait ci‑dessous du guide pertinent de CIC qui donne des indications sur la signification de l’établissement économique.

[…] Il est toutefois clair, d’après la façon dont le terme est utilisé dans les différentes catégories économiques, que pour être établi sur le plan économique, il faut joindre le marché du travail du Canada et y participer. Il est également clair que les critères de sélection ne s’appliquent pas à la catégorie des candidats des provinces de la même manière qu’ils s’appliquent aux travailleurs qualifiés (fédéral) et que l’intention générale de la loi et des ententes et accords fédérauxprovinciaux/territoriaux est d’accorder une certaine latitude aux provinces quant à leurs décisions en matière de désignation.

[19]           Dans le jugement Sran, le juge a conclu que l’agent avait commis une erreur en se servant principalement de l’outil de classification dans le cas des travailleurs qualifiés pour évaluer la probabilité que le demandeur s’établisse sur le plan économique au Canada et en ne tenant pas compte des autres facteurs qui avaient convaincu le gouvernement de l’Alberta de sélectionner le demandeur. En l’espèce, le demandeur soutient que l’agent a commis la même erreur en limitant son évaluation aux exigences de la CNP en ce qui concerne le poste de directeur de commerce de détail, et aux compétences linguistiques requises pour ce type de profession.

[20]           Le demandeur affirme également que l’agent des visas n’a pas abordé en détail les observations déposées par le demandeur et la province en réponse à la lettre d’équité procédurale. L’agent a omis de tenir compte des facteurs pertinents dans l’évaluation de sa capacité à s’établir sur le plan économique : l’offre d’emploi du demandeur, l’appui de son oncle et les fonds de 20 000 $ destinés à son établissement. Dans l’ensemble, l’agent des visas a accordé trop d’importance à ses compétences linguistiques au détriment d’autres éléments de preuves pertinents pris en compte dans l’évaluation de la capacité du demandeur à s’établir sur le plan économique dans un délai raisonnable.

B.                 Observations du défendeur

[21]           En ce qui concerne le rôle et les observations de la province, le défendeur soutient qu’il revient, en définitive, au gouvernement fédéral de décider d’accepter ou non les demandes de visa de résident permanent, et qu’il n’appartient pas à la province de proposer un changement relatif à la profession proposée par le demandeur. Il affirme que l’agent des visas a examiné correctement les observations de la province, mais qu’elles ne l’ont pas convaincu.

[22]           En ce qui concerne les catégories professionnelles, le défendeur soutient qu’il était raisonnable d’évaluer les qualifications du demandeur en lien avec la profession de directeur de commerce de détail, car il s’agissait de la profession envisagée par le demandeur. De plus, le demandeur n’a pas indiqué d’autres professions possibles ou détenir de l’expérience dans un autre domaine dans sa demande. Le défendeur se fonde particulièrement sur les décisions des jugements Ijaz et Noreen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1169 [Noreen]. Le défendeur maintient qu’il était raisonnable de conclure que le demandeur ne détenait pas les compétences linguistiques requises pour le poste proposé en vue de réussir son établissement sur le plan économique, et il demande simplement à la Cour d’évaluer de nouveau la preuve qui a été soumise à l’agent des visas.

[23]           Il prétend qu’il y a lieu d’établir une distinction entre le jugement Sran et la présente espèce, car, dans cette affaire, la question était de déterminer si l’agent avait accordé suffisamment d’importance aux titres de compétence de l’épouse du demandeur. Or, la Cour était arrivée à la conclusion qu’il n’était pas justifié de refuser la demande d’immigration en se fondant sur les critères prévus dans la CNP sans tenir compte des autres facteurs applicables. Toutefois, en l’espèce, l’agent des visas a tenu compte de tous les facteurs dans la détermination de la capacité du demandeur à s’établir sur le plan économique, y compris les fonds destinés à son établissement, l’appui de sa famille, son expérience professionnelle et la description donnée par le demandeur des fonctions et des tâches liées à son poste.

[24]           Le défendeur soutient également que la décision Rezaeiazar n’est pas pertinente, car elle porte sur les qualifications liées à une demande d’immigration présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Dans cette décision, la Cour précise que les critères de sélection ne s’appliquent pas à la catégorie des candidats des provinces de la même façon qu’à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

[25]           En dernier lieu, le défendeur affirme qu’il était correct que l’agent des visas ne tienne pas compte de l’offre d’emploi du demandeur, étant donné que celui‑ci n’avait pas produit la preuve de cette offre.

V.                Analyse

A.    Cadre législatif

[26]           Afin d’immigrer au Canada en tant que résident permanent, un ressortissant étranger doit présenter une demande de visa de résident permanent dans la catégorie « regroupement familial », la catégorie « immigration économique » ou en qualité de réfugié (article 12 de la LIPR). Les immigrants économiques sont sélectionnés « en fonction de leur capacité de s’établir sur le plan économique au Canada » (paragraphe 12(2) de la LIPR).

[27]           La Partie 6 – Immigration économique du Règlement établit plusieurs catégories d’immigration économique dans lesquelles un ressortissant peut présenter une demande. Le demandeur a présenté une demande de visa de résident permanent dans la catégorie des candidats des provinces, dont les critères sont prévus au paragraphe 87 du Règlement.

Catégorie

Class

87. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

87. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the provincial nominee class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada.

Qualité

Member of the class

(2) Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait aux critères suivants :

(2) A foreign national is a member of the provincial nominee class if

a) sous réserve du paragraphe (5), il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre;

(a) subject to subsection (5), they are named in a nomination certificate issued by the government of a province under a provincial nomination agreement between that province and the Minister; and

b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

(b) they intend to reside in the province that has nominated them

Substitution d’appréciation

Substitution of evaluation

(3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

(3) If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.

Confirmation

Concurrence

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

[…]

[…]

B.                 Caractère raisonnable de la décision

[28]           En ce qui concerne le degré de retenue dont devait faire preuve l’agent des visas envers la décision de la province, je suis d’accord avec le défendeur que l’agent n’a pas commis d’erreur dans la décision sur ce point. Il ne fait aucun doute qu’il faut faire preuve de retenue envers l’évaluation de la province de la capacité d’établissement du demandeur sur le plan économique dans la province. Au paragraphe 13 du jugement Sran, le juge Mosley souligne que la décision du gouvernement provincial doit faire l’objet d’une certaine retenue, mais qu’elle n’est pas contraignante et que l’agent des visas n’est pas obligé de tenir compte des mêmes critères que la province.

[29]           En l’espèce, les notes de l’agent des visas consignées dans le SMGC incluent un résumé de la réponse de la province aux inquiétudes soulevées par l’agent, ainsi que l’analyse suivante :

[traduction] Un grand nombre d’emplois disponibles et une économie forte en Saskatchewan ne sont pas des éléments suffisants pour déterminer la capacité du demandeur principal à s’établir. Aucunes autres professions n’ont été proposées par le demandeur principal, et ce dernier et la Saskatchewan n’ont pas répondu directement aux inquiétudes concernant le manque d’aisance dans la langue anglaise du demandeur principal pour réaliser les tâches d’un directeur du commerce de détail au Canada. Je remarque que le demandeur principal n’a pas mentionné avoir de l’expérience dans d’autres domaines que celui du commerce de détail, et il n’a pas indiqué d’autres professions envisagées. J’ai pris en compte le maintien de l’appui de la province ayant délivré le certificat de désignation envers le demandeur principal et les commentaires en réponse à la lettre d’équité procédurale, mais je ne suis pas convaincu que les observations de la province et du demandeur principal dissipent les inquiétudes soulevées dans la lettre d’équité procédurale.

[30]           À mon avis, l’agent des visas a pris en compte l’évaluation de la province, mais il est arrivé à la conclusion qu’elle n’avait pas répondu aux préoccupations concernant la capacité du demandeur de s’établir sur le plan économique, vu ses compétences linguistiques actuelles. Dans les circonstances, l’agent des visas a fait preuve une retenue suffisante à l’égard de l’évaluation de la province.

[31]           En ce qui a trait au caractère raisonnable général de la décision, y compris l’importance particulière accordée par l’agent aux compétences linguistiques du demandeur en lien avec le poste de directeur de commerce de détail, je constate que dans un certain nombre d’affaires récentes concernant les demandes au titre de la catégorie des candidats des provinces, les candidats des provinces respectaient les exigences linguistiques minimales, mais leurs demandes ont été refusés sur la base de leurs compétences linguistiques insuffisantes par rapport à leur profession envisagée : Parveen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 473, [2015] FCJ no 497; Jalil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 113, [2015] ACF no 90 [Jalil]; Ijaz; Noreen; Kousar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 12, [2014] ACF no 2.

[32]           Dans la décision Jalil, le juge Locke répond précisément, au paragraphe 18, à l’argument selon lequel il était inapproprié pour un agent des visas d’accorder une trop grande importance à la profession prévue d’un demandeur :

[18]      Le troisième argument soulevé par la demanderesse dans le but de prouver que la décision était déraisonnable est que l’agente aurait donné trop d’importance à la profession envisagée de la demanderesse. À mon avis, la décision était raisonnable à ce sujet parce que c’est dans cette profession envisagée que la demanderesse a déclaré qu’elle prévoyait s’établir sur le plan économique. Les autres emplois qu’elle a mentionnés (p. ex. Tim Hortons ou McDonalds) visaient simplement à financer ses efforts de se qualifier au Canada. Il ne semble pas que la demanderesse ait prévu de s’établir sur le plan économique grâce à ces autres emplois.

[33]           L’incidence des autres professions proposées par un demandeur a également été examinée dans la décision Noreen, dans laquelle le juge Zinn a formulé les observations suivantes aux paragraphes 7 et 8 :

[7]               À mon avis, lorsqu’il doit déterminer si un demandeur réussira à s’établir sur le plan économique au Canada, un agent ne devrait pas au départ s’arrêter à la formation et au métier du demandeur. La réussite à s’établir économiquement est très probablement tributaire de la capacité du demandeur d’exercer ce métier au Canada ainsi que de la demande de ses compétences sur le marché du travail. Toutefois, je conviens avec la demanderesse que « la Cour n’a trouvé aucune disposition législative qui oblige quelqu’un à devenir autonome sur le plan économique dans la profession à laquelle il est admissible ou que cette personne entre sur le marché du travail et exerce une profession déterminée à son arrivée au Canada » (Rezaeiazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 761, au paragraphe 82. En conséquence, s’il ne peut conclure, après examen de la profession en question, que le demandeur réussira à s’établir économiquement, l’agent doit chercher des renseignements complémentaires. Je suis convaincu à la lumière du passage précité, que c’est bien ce que l’agent a fait : il a pris en considération ce que la demanderesse a déclaré avoir l’intention de faire, à savoir de « petits boulots », et a conclu qu’elle ne réussirait quand même pas à s’établir sur le plan économique.

[8]        Selon moi, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que l’intention de faire de petits boulots, probablement à temps partiel ou de manière occasionnelle puisque Mme Noreen comptait fréquenter l’université, ne peut constituer la preuve de sa capacité de s’établir sur le plan économique. C’est d’ailleurs ce qui est énoncé de manière explicite dans le guide OP 7b, auquel se reportent les agents qui évaluent les demandes : « […] un emploi à temps partiel ou sur une base occasionnelle ne satisfera généralement pas à l’exigence de participation au marché du travail dans le sens prévu ici » (c’est nous qui soulignons). Le travail à temps partiel n’est pas considéré comme une participation au marché du travail parce que « la participation au marché du travail doit se faire d’une manière qui permet à la personne de subvenir pleinement à ses besoins, et pas seulement de contribuer à payer pour sa subsistance » (c’est nous qui soulignons). Il n’était pas déraisonnable de conclure que Mme Noreen n’aurait pas été capable de subvenir pleinement à ses besoins et à ceux de ses trois filles, même avec l’aide de son époux, si elle ne travaillait qu’à temps partiel ou de manière occasionnelle.

[34]           Je retiens de ces décisions qu’un agent des visas a le droit de se concentrer principalement sur une profession envisagée, car c’est à l’aide de cette profession proposée que le demandeur réalisera son établissement sur le plan économique. L’agent des visas devrait également tenir compte des autres professions proposées par le demandeur afin de déterminer si celui‑ci serait en mesure de réussir son établissement sur le plan économique, c’est‑à‑dire de subvenir pleinement à ses besoins. Cependant, en l’espèce, cet argument n’est d’aucune aide pour le demandeur, car, comme l’agent des visas l’a souligné à maintes reprises, le demandeur n’a pas proposé d’autres professions pour réussir son établissement sur le plan économique. Dans les jugements Jalil et Noreen, les demandeurs avaient proposé d’autres professions possibles. J’estime que ces décisions n’ont pas pour effet d’imposer à un agent des visas d’examiner, de son propre chef, diverses professions hypothétiques. J’estime également que le passage dans les observations de la province, qui prévoit que le demandeur [traduction« tenterait de trouver un emploi dans les domaines du commerce de détail et des services pour s’établir sur le plan économique », ne crée pas une telle obligation.

[35]           Le demandeur s’appuie fortement sur le jugement Sran, dans lequel le juge Mosley a infirmé une décision, car l’agent des visas avait commis une erreur en évaluant la capacité d’établissement sur le plan économique d’un candidat des provinces à l’aide de l’outil de classification nationale des professions utilisé pour les travailleurs qualifiés (fédéral). Dans cette affaire, le demandeur avait été un fermier en Inde et avait aussi travaillé comme commis de magasin en Nouvelle‑Zélande. Pour sa part, sa femme avait travaillé en tant qu’enseignante en Inde, et, une fois en Nouvelle‑Zélande, elle avait obtenu un diplôme en horticulture et avait travaillé dans ce domaine. En plus de conclure que l’agent des visas avait commis une erreur dans l’évaluation de l’ensemble des qualifications de l’épouse du demandeur, le juge Mosley a formulé les observations suivantes :

[24]      À mon avis, l’agent a commis une erreur en se servant principalement de l’outil de classification utilisé dans le cas des travailleurs qualifiés pour évaluer la probabilité que le demandeur s’établisse sur le plan économique au Canada. En comparant les compétences du demandeur aux critères prévus dans la CNP, l’agent a perdu de vue les facteurs qui avaient convaincu le gouvernement de l’Alberta que la famille pourrait s’établir, notamment les études de l’épouse et la volonté des parents d’aider la famille.

[36]           Toutefois, selon mon interprétation du jugement Sran, l’erreur relevée par le juge Mosley était que l’agent avait principalement évalué les études et l’expérience professionnelle en fonction des critères prévus dans la CNP, comme s’il s’agissait d’une demande de travailleurs qualifiés (fédéral). En l’espèce, je ne crois pas que l’agent ait commis d’erreur en ayant recours aux descriptions de la CNP pour connaître les tâches que le demandeur devrait probablement exécuter en tant que directeur de commerce de détail afin d’évaluer si ses compétences linguistiques étaient suffisantes pour y parvenir.

[37]           À mon avis, le jugement Ijaz est le plus pertinent en l’espèce, car il porte sur un argument similaire à celui invoqué par le demandeur, selon lequel l’agent des visas a accordé trop d’importance aux compétences linguistiques du demandeur au détriment d’autres éléments de preuve utiles pour évaluer sa capacité à s’établir sur le plan économique. Comme l’a précisé le juge Russell aux paragraphes 59 et 60 :

[59]      Le fait qu’un facteur (la compétence linguistique) est mis de l’avant et investi d’une importance particulière ne signifie pas que tous les autres facteurs importants n’ont pas été pris en compte dans le processus d’évaluation.

[60]      Comme l’agent le fait remarquer, en dépit de tous les autres facteurs, la demanderesse devait montrer qu’elle serait apte à trouver un emploi qui lui procurerait le soutien nécessaire, ainsi qu’à sa famille, et qui lui permettrait donc de réussir son établissement économique.

[38]           Le demandeur soutient que l’agent des visas a omis de tenir compte des facteurs comme l’offre d’emploi reçue, l’appui de son oncle et les fonds de 20 000 $ destinés à son établissement, qui étaient pertinents pour évaluer sa capacité à s’établir sur le plan économique. Toutefois, un examen des notes consignées dans le SMGC démontre que les fonds destinés à son établissement avaient été pris en compte dans l’évaluation initiale qui avait donné lieu à la lettre d’équité procédurale. Dans la lettre en question, on avait indiqué que le demandeur avait l’appui de membres de sa famille, mais que ce n’était pas suffisant pour répondre aux préoccupations liées aux compétences linguistiques. Par conséquent, comme dans le jugement Ijaz, le dossier indique que ces facteurs ont été pris en compte, mais qu’ils ne dissipaient pas les préoccupations de l’agent selon lesquelles le demandeur n’avait pas démontré la capacité d’obtenir un emploi qui lui permettrait de réussir son établissement sur le plan économique.

[39]           Une offre d’emploi aurait pu aider le demandeur à démontrer une telle capacité. Toutefois, le dossier démontre que la province n’a pas été en mesure de valider l’offre d’emploi que le demandeur affirmait avoir reçue. Je partage donc l’avis du défendeur que, étant donné que le demandeur n’a pas produit de preuve de l’existence d’une telle offre, il n’avait pas à en tenir compte.

VI.             Conclusion

[40]           Dans l’ensemble, j’estime qu’il n’y a aucune raison de conclure que sa décision est déraisonnable. La présente demande est par conséquent rejetée. Les parties ont été consultées et aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question certifiée n’a été soulevée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elise Colas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑796‑15

INTITULÉ :

NADEEM AHMED CHAUDHRY c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 AOÛT 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge southcott

DATE :

11 SEPTEMBRE 2015

ONT COMPARU :

Ram Sankaran

POUR LE DEMANDEUR

Galina M. Bining

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ram Sankaran

Avocat

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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