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Date : 20150903


Dossier : IMM‑6984‑14

Référence : 2015 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

MARK ROBERT JEWELL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2014, un représentant du ministre a conclu que M. Mark Robert Jewell, citoyen des États‑Unis, avait élu domicile au Canada sans d’abord obtenir son statut de résident permanent au Canada, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] – les dispositions citées sont reproduites à l’annexe. Le représentant a ensuite pris une mesure d’exclusion contre M. Jewell aux termes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR], sous‑alinéa 228(1)c)(iii).

[2]               M. Jewell soutient que la décision est déraisonnable parce qu’elle est fondée sur une mauvaise interprétation des dispositions législatives pertinentes et qu’elle ne tient pas compte des dispositions de la LIPR relatives à la double intention. Il ajoute que le représentant ne l’a pas traité de façon équitable en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux questions relatives à la crédibilité ni d’ajourner ou de retirer sa demande. M. Jewell me demande d’annuler la décision du représentant et d’ordonner qu’un autre agent procède à un nouvel examen de ses circonstances.

[3]               Je conviens avec M. Jewel que la décision est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de la double intention de ce dernier d’être un résident temporaire au Canada au moment de l’évaluation dans le but de devenir un résident permanent par la suite. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les observations de M. Jewell sur la question d’équité.

[4]               La seule question à trancher consiste à déterminer si la décision du représentant est déraisonnable.

II.                Décision du représentant

[5]               M. Jewell travaille dans l’État de Washington où il possède une propriété. Depuis 2013, il fréquente une citoyenne canadienne qui vit à Surrey, en Colombie‑Britannique. Le couple a passé du temps ensemble dans l’État de Washington ainsi qu’en Colombie‑Britannique et a effectué de nombreux allers‑retours entre les deux endroits.

[6]               En 2014, la petite amie de M. Jewell a loué une maison à Surrey. Il a aidé à payer le loyer ainsi qu’une partie du mobilier. En septembre 2014, un ami de M. Jewel a tenté de traverser la frontière canado‑américaine avec la voiture de M. Jewel. Un agent des services frontaliers a arrêté la voiture et a examiné les messages textes figurant dans le cellulaire du conducteur. À la lecture de ces messages, l’agent a été porté à croire que M. Jewell avait emménagé avec sa petite amie à Surrey.

[7]               Le lendemain, M. Jewell a été arrêté à la frontière, et ses relevés de téléphone cellulaire ont été examinés. À la lumière de cette preuve, un agent a préparé un rapport indiquant que M. Jewell était interdit de territoire au Canada. Le dossier a ensuite été acheminé à un représentant du ministre pour qu’il tranche l’affaire.

[8]               Les messages stockés semblaient confirmer que M. Jewell vivait au Canada. Ils donnaient des indications quant à la façon dont M. Jewell devait répondre aux questions posées à la frontière. Le représentant a posé des questions à M. Jewell au sujet de son emploi et de sa résidence au Canada. Il a également constaté que les déplacements de M. Jewell correspondaient à ceux d’une personne qui fait la navette entre le Canada et les États‑Unis.

[9]               Le représentant a conclu que M. Jewel avait élu domicile au Canada sans d’abord obtenir son statut de résident permanent. Il s’est fondé sur les messages récupérés dans le téléphone de M. Jewell et dans celui de son ami. De plus, le représentant a souligné que M. Jewell disposait de peu d’éléments de preuve démontrant qu’il travaillait dans l’État de Washington, mais a tout de même accepté le fait que M. Jewell effectuait des allers‑retours entre le Canada et les États‑Unis. Le représentant a examiné la preuve relative à la résidence de M. Jewell dans l’État de Washington et a constaté que ce dernier y possédait une propriété à vocation récréative qui avait été mise en vente.

[10]           Compte tenu de cette preuve, le représentant a pris une mesure d’exclusion aux termes du RIPR.

III.             La décision du représentant était‑elle déraisonnable?

[11]           Le ministre soutient que la mesure d’exclusion est raisonnable du fait que M. Jewell a reconnu avoir l’intention d’habiter au Canada de façon permanente. Par ailleurs, M. Jewell se comportait comme un résident permanent du Canada en faisant la navette quotidienne entre la Colombie‑Britannique et l’État de Washington.

[12]           Je ne souscris pas à la position du ministre. À mon avis, le représentant n’a pas évalué la double intention de M. Jewell d’être résident temporaire pour l’instant et de devenir résident permanent plus tard.

[13]           Selon la LIPR, l’intention d’un étranger de devenir résident permanent n’empêche pas ce dernier de devenir résident temporaire s’il démontre qu’il quittera le Canada à la fin de la période de résidence autorisée (paragraphe 22(2)). S’il ne peut le prouver, la prise d’une mesure d’exclusion sera jugée raisonnable (Barua c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 172, au paragraphe 22; Sibomana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 853, aux paragraphes 27 et 28).

[14]           Il ne ressort pas de la preuve dont disposait le représentant que M. Jewell avait l’intention de devenir résident permanent du Canada sans se conformer aux règles applicables. Au mieux, la preuve est ambiguë. Par ailleurs, aucun élément de preuve n’indique que M. Jewell refuserait de quitter le Canada ou qu’il ne se conformerait pas à toute autre exigence juridique.

[15]           Par conséquent, à mon avis, la décision du représentant ne constitue pas une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle est déraisonnable.

IV.             Conclusion et dispositif

[16]           La décision du représentant est déraisonnable du fait qu’elle ne tient pas compte du fait que M. Jewell souhaite, pour le moment, être un résident temporaire au Canada dans l’espoir de devenir un résident permanent plus tard. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre représentant réexamine les circonstances de M. Jewell. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant demandé la certification d’une question de portée générale, aucune n’est formulée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre représentant en vue d’un nouvel examen.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Obligation à l’entrée au Canada

Obligation on entry

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence;

Double intention

Dual intent

 

22. (2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

22. (2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227

 

Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

Subsection 44(2) of the Act — foreign nationals

 

228. (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci‑après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

228. (1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

 

[…]

 

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

 

[…]

 

iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires, l’exclusion,

(iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order,

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6984‑14

 

INTITULÉ :

MARK ROBERT JEWELL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 SEPTEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Peter Larlee

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marjan Double

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee & Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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