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Date : 20150828


Dossier : IMM‑7643‑13

Référence : 2015 CF 1023

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 août 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

ISABEL CRISTINA VELOSA RUANO

JULIAN ANDRES ARZAYUS ESCOBAR et

SAMUEL ARZAYUS VELOSA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Ceux‑ci demandent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision négative et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.                   Contexte

[3]               La demanderesse principale, Isabel Cristina Velosa Ruano, son époux Julian Andres Arzayus Escobar, ainsi que leur enfant mineur, Samuel Arzayus Velosa, sont des citoyens de la Colombie. Ils exploitaient une ferme qui appartenait à la grand‑mère de la demanderesse principale, dans les montagnes de la municipalité de Pradera.

[4]               Au début de l’année 2010, Luis Alberto Bermudez Potes (Bermudez), ancien contremaître de la ferme, s’est illégalement emparé de celle‑ci. Ayant apparemment des liens avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC], il a menacé d’extorsion la famille des demandeurs.

[5]               En décembre 2010, la mère et la tante de la demanderesse principale ont déposé une plainte à la fiscalia locale. Elles demandaient d’être protégées, parce que Bermudez menaçait de faire venir les FARC, pour qu’ils les tuent.

[6]               Le même jour, le procureur général de la Colombie a délivré une [traduction] « Demande de mesure de protection » à l’intention de la police. Toutefois, au final, aucune protection n’a été fournie par les autorités policières.

[7]               Bermudez a quitté la ferme après que la grand‑mère de la demanderesse lui eut versé 2 500 000 de pesos colombiens. Il a cependant continué de communiquer avec la famille des demandeurs par téléphone en 2011 et 2012 pour leur demander de l’argent.

[8]               En 2013, des membres des FARC sont allés à la ferme et ont laissé un message : la demanderesse principale devait payer une contribution mensuelle de 2 millions de pesos pour aider à leur cause. Craignant pour leur vie, les demandeurs ont pris des arrangements pour quitter la Colombie.

[9]               Le 10 mai 2013, les demandeurs ont quitté la Colombie pour les États‑Unis; ils y sont restés jusqu’au 14 août 2013 et sont ensuite venus au Canada. Ils ont présenté une demande d’asile à la frontière canadienne. Leur fille est née au Canada, le 8 septembre 2013.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Par sa décision, en date du 7 novembre 2013, la Commission a conclu que la demanderesse principale n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Sa conclusion a été la même en ce qui concerne le demandeur et l’enfant mineur.

[11]           La Commission a jugé que la question déterminante était celle de la protection de l’État. Elle a conclu que la demanderesse principale n’avait pas établi par une preuve claire et convaincante que l’État n’était pas en mesure de fournir une protection à ses citoyens. Elle a déclaré que « le demandeur d’asile venant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile ». Elle a précisé que les demandeurs devaient démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables, dans les circonstances, pour obtenir la protection de l’État.

[12]           La Commission a fait observer que la demanderesse principale avait tenu pour acquis que Bermudez était à l’origine de la menace proférée par les membres des FARC en 2013. La demanderesse principale a déclaré qu’elle n’avait pas signalé cet incident aux autorités parce qu’elle leur avait déjà signalé les menaces faites par Bermudez, et qu’elle avait obtenu une ordonnance de protection contre lui. Elle a également expliqué qu’il faut faire preuve de prudence lorsqu’on rapporte des gestes des FARC aux autorités parce que les FARC étaient présentes dans plusieurs zones du pays, et qu’elles étaient susceptibles de faire subir des représailles à la demanderesse principale si elles apprenaient qu’elle avait porté plainte. La Commission a conclu qu’il n’était pas raisonnable de la part de la demanderesse principale de ne pas demander la protection des autorités, qui étaient en mesure de lui offrir une protection.

[13]           La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, au moyen des preuves claires et convaincantes nécessaires, que la protection de l’État était insuffisante en Colombie. S’appuyant sur des preuves documentaires, la Commission a ensuite constaté que la Colombie est un pays démocratique, disposé à protéger ses citoyens, qui possède les ressources nécessaires à cette fin. Elle a reconnu qu’il y avait eu une augmentation de 44 p. cent des attaques des FARC entre 2010 et 2011, mais elle a relevé que le gouvernement de la Colombie avait déployé des efforts pour réduire leur emprise avec un certain succès. Elle a cité des extraits des preuves documentaires en vue d’établir les résultats obtenus par suite des efforts déployés. Par exemple, le troisième dirigeant de la compagnie Jefferson Cartagena, de la colonne 18 des FARC, a été arrêté. D’après les rapports du Département d’État des États‑Unis, les tribunaux ont déclaré certains membres des FARC coupables d’enlèvements.

[14]           La Commission a souligné que contrairement aux affirmations de la demanderesse principale selon lesquelles les FARC avaient infiltré le gouvernement colombien, tous les cas de violation des droits de la personne dont le gouvernement avait été informé avaient fait l’objet de poursuites. Depuis l’année 2000, le gouvernement a obtenu des déclarations de culpabilité dans 192 dossiers. La Commission a fait référence à un document du Département d’État des États‑Unis intitulé Colombia : Country Report on Human Rights Practices for 2012 [rapport national sur les pratiques des droits de l’Homme – 2012].

[15]           La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas repoussé la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante.

III.             Les questions en litige

[16]           Les demandeurs me demandent d’examiner les questions suivantes :

1.                  La Commission a‑t‑elle formulé et appliqué le critère approprié en ce qui concerne la protection de l’État?

2.                  La Commission a‑t‑elle ignoré des éléments de preuve?

[17]           Le défendeur a soulevé une question : la Commission a‑t‑elle agi raisonnablement en concluant que les demandeurs n’avaient pas repoussé la présomption selon laquelle la Colombie offrait, sur le plan opérationnel, une protection de l’État adéquate à ses citoyens se trouvant dans une situation semblable?

[18]           Je reformulerais les questions comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  La Commission a‑t‑elle mal compris le critère relatif à la protection de l’État?

3.                  La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

IV.             Les observations écrites des demandeurs

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis deux erreurs dans son analyse de la protection de l’État. Ils soutiennent d’abord que pour qu’une demande d’asile soit rejetée en raison de la protection offerte par l’État, il faut qu’il ait fait davantage que déployer des efforts raisonnables pour protéger le demandeur d’asile. Ensuite, ils font valoir qu’une quantité importante de documents portant sur la situation au pays, et qui corroborait leurs allégations selon lesquelles les FARC avaient infiltré le gouvernement colombien, a été déposée devant la Commission, et que celle‑ci n’a pas tenu compte de ces documents et n’en a pas discuté (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 au paragraphe 17, 157 FTR 35 [Cepeda‑Gutierrez]; et Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 au paragraphe 60, [2007] ACF no 584 [Hinzman]).

V.                Les observations écrites du défendeur

[20]           Le défendeur affirme qu’en ce qui concerne les questions factuelles, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 aux paragraphes 47, 51 et 57, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La norme de contrôle applicable en ce qui concerne les questions mixtes de droit et de faits, comme la question de la protection de l’État, est aussi celle de la décision raisonnable (Hinzman au paragraphe 38; et Hippolyte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82 au paragraphe 23, [2011] ACF no 93).

[21]           En premier lieu, le défendeur fait valoir que la norme de contrôle applicable à la protection de l’État est énoncée dans la décision Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au paragraphe 30, [2008] ACF no 399 [Carrillo] : « [L]e demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante ». Il soutient que plus un État est démocratique, plus il importe que le demandeur d’asile démontre ce qui a été fait pour épuiser toutes les possibilités qui s’offraient à lui de rechercher sa protection.

[22]           En second lieu, le défendeur soutient que la Commission a appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne la protection de l’État. Il fait valoir que le critère relatif à la protection de l’État s’attache au caractère adéquat de la protection et non pas à son efficacité. La Commission doit considérer les efforts déployés par un pays, et non l’efficacité de la protection. À l’appui de ses arguments, le défendeur cite la décision Florez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723 aux paragraphes 9 à 11 [2008] ACF no 969. Le défendeur soutient que la Commission a appliqué le bon critère, car elle a déclaré ce qui suit : « À la lumière de la preuve dont je dispose, je conclus que la demandeure d’asile principale n’a pas présenté les éléments de preuve clairs et convaincants nécessaires pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante en Colombie ».

[23]           Troisièmement, le défendeur prétend que la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée. Il fait remarquer qu’en 2010, à la différence de ce qu’ils ont fait lorsqu’ils ont été victimes d’extorsion en 2013, les demandeurs ont signalé aux autorités le fait qu’ils avaient été victimes d’extorsion et obtenu une ordonnance de protection. En 2013, ils ont quitté le pays sans signaler aux autorités les menaces dont ils avaient fait l’objet. Les demandeurs n’ont donc pas donné aux autorités l’occasion de leur fournir une protection adéquate. Ils n’ont pas présenté une preuve pertinente, fiable et convaincante pour réfuter la présomption.

[24]           Le défendeur a souligné quelques‑unes des conclusions de la Commission, par exemple celles qui concernent les élections récentes, libres et équitables, en 2010, l’indépendance du système judiciaire, les poursuites intentées à la suite de violations des droits de la personne, et les campagnes militaires menées par l’État colombien contre les FARC. Le défendeur affirme que l’ensemble de la preuve montre que la Commission a conclu, avec objectivité et de manière raisonnable, que la Colombie était un pays où l’on pouvait raisonnablement compter sur la protection de l’État.

[25]           Quatrièmement, le défendeur soutient que la Commission a tenu compte de toute la preuve pertinente. En l’instance, la Commission a tenu compte des preuves relatives à la situation en Colombie, et a pris acte du fait qu’il y avait eu une augmentation des attaques des FARC, que certains fonctionnaires étaient corrompus, et que les FARC se livraient à l’extorsion. Elle a examiné tant les preuves favorables que les preuves défavorables relatives à la situation en Colombie, et elle pouvait raisonnablement constater que la protection offerte par la Colombie à ses citoyens était adéquate. Le défendeur soutient que la conclusion était raisonnable et qu’elle appartient aux issues acceptables eu égard aux faits de l’affaire et au droit applicable (Riczu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 888 aux paragraphes 23 à 24, [2013] ACF no 923).

VI.             Réponse des demandeurs et mémoire supplémentaire

[26]           Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si la Commission a mal compris ou mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État est une question de droit, et qu’elle est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Dawidowicz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 115 au paragraphe 23, [2014] ACF no 105 [Dawidowicz]; et Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004 au paragraphe 22, [2013] ACF no 1099 [Ruszo]).

[27]           Les demandeurs soutiennent qu’aux fins de l’analyse de la protection de l’État, le caractère adéquat se mesure en fonction de la qualité de la protection sur le plan opérationnel. Ils soutiennent également que c’est vraisemblablement parce qu’elle a mal compris le critère, et qu’elle croyait qu’il suffisait d’évaluer les efforts déployés par l’État, que la Commission n’a pas fait référence à certains des éléments de preuve produits. À cet égard, ils s’appuient sur la décision Giraldo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 169 aux paragraphes 17 à 19, [2014] ACF no 204, dans laquelle la juge Sandra Simpson a conclu que la Commission avait fait erreur en ne faisant pas référence à un taux d’impunité de 97,5 %. Les demandeurs allèguent qu’en l’espèce la Commission a ignoré des preuves au même effet.

[28]           Les demandeurs insistent sur le fait que bien qu’ils aient demandé la protection de l’État en 2010, aucune ne leur a alors été fournie par la police, et que la grand‑mère de la demanderesse principale a dû recourir à des mesures d’autoprotection.

[29]           Pour étayer leur argument voulant que la Commission n’ait pas tenu compte de certains éléments de preuve, les demandeurs citent également la décision Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 750 aux paragraphes 54 à 59, [2014] ACF no 816, à l’appui de la proposition selon laquelle il n’est pas raisonnable que la Commission ne traite pas expressément des éléments de preuve contradictoires relatifs à la protection de l’État.

VII.          Mémoire supplémentaire du défendeur

[30]           Le défendeur exprime son désaccord avec les demandeurs en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la question de la protection de l’État. Il soutient que bien que la formulation du critère relatif à la protection de l’État soit une question de droit, elle n’est pas étrangère au domaine d’expertise de la Commission et à sa compréhension de celui‑ci. Cette question est donc contrôlable selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 55).

[31]           Le défendeur affirme de nouveau que la Commission a formulé de manière raisonnable le critère relatif à la protection de l’État, et qu’elle a conclu de manière raisonnable que les demandeurs n’avaient pas fourni des preuves suffisantes pour réfuter la présomption de protection de l’État.

[32]           En ce qui concerne la protection offerte par la police, le défendeur cite les paragraphes 40 et 51 de la décision Ruszo, en insistant sur le passage suivant : « J’ajoute, pour plus de clarté, que l’impression subjective qu’une personne perdrait son temps en demandant la protection de la police ou en essayant de corriger les manquements de la police locale en soumettant l’affaire à d’autres sources de protection policière ne constituerait pas une preuve convaincante, sauf si le demandeur avait demandé sans succès la protection de la police à de multiples reprises. »

[33]           Quant à l’argument des demandeurs selon lequel des éléments de preuve contraires ont été ignorés, le défendeur soutient que la Commission n’avait pas à évaluer et à commenter chacun des points soulevés par les parties dans ses motifs, dans la mesure où sa décision était, dans son ensemble, raisonnable.

VIII.       Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[34]           Lorsque la question de la norme de contrôle applicable a déjà été résolue de façon satisfaisante par les tribunaux, la Cour n’a pas à entreprendre de nouveau l’analyse relative à la norme de contrôle applicable (Dunsmuir, au paragraphe 62).

[35]           En ce qui concerne la norme applicable à question de la protection de l’État, je suis d’accord avec les demandeurs : la norme applicable est celle de la décision correcte. Dans la décision Ruszo, aux paragraphes 20 à 22, le juge en chef Paul Crampton a conclu que la norme de la décision correcte devait être utilisée lors de l’examen de la question de savoir si la Commission a compris, ou non, le critère relatif à la protection de l’État. J’ai de nouveau confirmé ce principe dans la décision Dawidowiczi, au paragraphe 23.

[36]           En ce qui concerne l’analyse de la protection de l’État, je suis d’accord avec les parties : la norme de la décision raisonnable s’applique. La Cour d’appel fédérale a déterminé dans l’arrêt Carrillo, au paragraphe 36, que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable en ce qui a trait à l’analyse de la protection de l’État.

[37]           Selon cette norme, je dois m’abstenir d’intervenir si la décision de la Commission est transparente, justifiable et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47). En l’instance, j’annulerai la décision de la Commission seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] CSC 12 aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339, le tribunal qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable, et il ne peut apprécier à nouveau les éléments de preuve.

B.                 Deuxième question – La Commission a‑t‑elle mal compris le critère relatif à la protection de l’État?

[38]           Nul ne conteste que les États sont présumés être en mesure de protéger leurs citoyens. Pour que sa demande d’asile soit acceptée, le demandeur doit réfuter la présomption de protection de l’État.

[39]           Les parties conviennent également que même si la protection qu’un État offre à ses citoyens n’a pas à être parfaite, elle doit à tout le moins être adéquate en pratique. Autrement dit, elle doit être adéquate au niveau opérationnel. Dire que l’État a déployé des efforts pour fournir une protection ne suffit pas. Ces efforts doivent être adéquats sur le plan pratique.

[40]           En l’espèce, la Commission a bel et bien indiqué au paragraphe 13 de sa décision que les demandeurs n’avaient pas présenté :

[...] [d]es éléments de preuve clairs et convaincants nécessaires pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante en Colombie.

[41]           Toutefois, au paragraphe 15, la Commission a déclaré :

[…] le gouvernement colombien a déployé des efforts pour réduire l’emprise des FARC dans les zones actives en Colombie.

Au paragraphe 16 :

Le gouvernement de la Colombie déploie des efforts concertés pour lutter contre les problèmes persistants que posent les activités criminelles de groupes comme les FARC [...]

Puis, au paragraphe 21 :

Je ne suis pas convaincu que, si la demandeure d’asile principale communiquait aux autorités de l’État les détails de l’agression et des menaces, ou de toute agression ou menace future, l’État ne déploierait pas des efforts raisonnables pour les aider, elle et sa famille.

[42]           À la lecture de l’ensemble de la décision, je ne suis pas convaincu que la Commission a appliqué le critère approprié compte tenu du fait qu’elle a à maintes reprises fait mention des « efforts » déployés.

[43]           Je suis d’avis que cela rend la décision de la Commission déraisonnable, et qu’elle doit être annulée, et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

[44]           Vu ma conclusion sur cette question, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres points.

[45]           Aucune des parties n’a proposé la certification d’une question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


ANNEXE

Les dispositions législatives applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7643‑13

 

INTITULÉ :

ISABEL CRISTINA VELOSA RUANO

JULIAN ANDRES ARZAYUS ESCOBAR et

SAMUEL ARZAYUS VELOSA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suzanne Bruce

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Lehrer

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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