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Date : 20150825

Dossier : IMM-5379-14

Référence : 2015 CF 1006

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ROSHAN AKTHAR JIBREEL MOHAMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi], qui vise la décision en date du 18 juin 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR, la Commission] a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés.

[2]               Je me fonde sur l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 (CanLII) [Febles CSC], rendu après la décision de la Commission dans la présente affaire, et je conclus la demande doit être accueillie.

II.                Le contexte

[3]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule et de confession musulmane, est arrivé au Canada et a demandé l’asile le 14 août 2011.

[4]               Le demandeur était habile à réparer des ordinateurs et à accomplir des tâches techniques se rapportant aux ordinateurs, au matériel informatique et aux réseaux; il avait la réputation d’être un technicien en informatique compétent.

[5]               Le demandeur vivait dans une zone contrôlée par le gouvernement du Sri Lanka où il y avait une forte présence des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. Du fait qu’il était musulman, le demandeur était neutre dans le conflit et pouvait se déplacer sans restrictions.

[6]               En décembre 2007, des hommes ont abordé le demandeur et lui ont demandé de leur fournir des services informatiques. Bien que ces hommes ne se soient pas déclarés ouvertement comme étant des membres des TLET, le demandeur soupçonnait qu’ils l’étaient.

[7]               Le demandeur soutient avoir d’abord refusé de travailler pour eux, mais avoir finalement accepté de le faire après que les hommes ont proféré des menaces de mort contre sa famille et lui. Un an et demi après avoir commencé à travailler pour eux, le demandeur a appris qu’ils étaient membres des TLET. Selon le demandeur, en raison des menaces des TLET, il n’avait d’autre choix que de continuer à leur offrir ses services.

[8]               D’après le demandeur, après la défaite des TLET en mai 2009, un membre des TLET qui s’était échappé l’a contacté et l’a menacé. Le demandeur a continué d’offrir des services aux TLET jusqu’à ce qu’il soit arrêté par les autorités sri lankaises en 2010. Après sa remise en liberté, il a réussi à s’enfuir à Colombo.

III.             La décision contestée

[9]               La SPR a effectué une analyse en trois étapes pour établir si le demandeur avait commis un crime grave au sens de l’article 83.03 du Code criminel, LRC 1985, C-46. Elle s’est d’abord penchée sur la question de savoir si le ministre avait démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que le demandeur avait commis un crime de droit commun avant son arrivée au Canada. La Commission a conclu, du fait que le demandeur faisait partie de la communauté musulmane qui n’était pas partie dans la guerre au Sri Lanka, qu’il n’était pas animé de motifs politiques lorsqu’il fournissait des services aux TLET.

[10]           La Commission a également conclu que le demandeur avait commis un crime au sens du paragraphe 83.03 du Code criminel. Le demandeur a fourni des services à des personnes qu’il savait être des membres des TLET, y compris après la fin de la guerre en 2009 et durant des périodes où il aurait pu s’enfuir ou demander la protection de l’État. Le tribunal a aussi examiné les documents sur la situation dans le pays avant de conclure que les TLET sont une organisation terroriste.

[11]           La deuxième étape de l’analyse consistait à examiner si le demandeur avait commis un « crime grave ». La Commission a adopté le critère exposé dans l’arrêt Chan c Canada (MCI), [2000] 4 CF 390 (CAF) [Chan] suivant lequel « un crime est un crime grave de droit commun si une peine maximale de dix ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada ». À la lumière de la peine prévue au paragraphe 83.03, à savoir « un emprisonnement maximal de dix ans », la SPR a conclu que le demandeur avait commis un crime grave passible d’une peine pouvant atteindre un maximum de dix ans.

[12]           À la troisième étape de son analyse, la SPR avait pour objectif d’évaluer les circonstances atténuantes et aggravantes, conformément à l’arrêt Jayasekara c Canada (MCI), [2009] 4 RCF 164, 2008 CAF 404 [Jayasekara]. La SPR n’en a pas relevé. À ce chapitre, la Commission a rejeté l’explication avancée par le demandeur, à savoir qu’il avait continué de réparer les ordinateurs en raison des menaces contre sa famille et lui, en notant que le demandeur d’asile avait été rémunéré pour le travail accompli pour les TLET et qu’il aurait pu fuir ou demander la protection de l’État à tout moment étant donné qu’il bénéficiait de la liberté de circulation.

[13]           De même, le tribunal n’a pas accepté, à titre de circonstance atténuante, les affirmations selon lesquelles le demandeur n’avait fait que réparer les composantes matérielles des ordinateurs ou installer des logiciels, et n’avait pas accès aux données. Le tribunal a conclu que le demandeur était pleinement conscient des activités des TLET et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait compris à quoi servaient les ordinateurs. À cet égard, le demandeur d’asile a déclaré avoir supposé que les ordinateurs servaient à accéder à l’application Google Maps et à enregistrer des données. Par ailleurs, le tribunal n’a accordé aucun poids à son affirmation selon laquelle les autorités sri lankaises ne l’auraient pas remis en liberté après son arrestation si elles avaient eu des motifs sérieux de croire qu’il avait aidé les TLET.

[14]           Au vu de ce qui précède, la SPR a conclu que le demandeur d’asile avait commis le crime prévu à l’article 83 du Code criminel, et que le crime commis est considéré comme étant un crime grave de droit commun passible d’une peine maximale de dix ans.

IV.             La loi

83.03 Est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, directement ou non, réunit des biens ou fournit — ou invite une autre personne à le faire — ou rend disponibles des biens ou des services financiers ou connexes :

83.03 Every one who, directly or indirectly, collects property, provides or invites a person to provide, or makes available property or financial or other related services

a) soit dans l’intention de les voir utiliser — ou en sachant qu’ils seront utilisés — , en tout ou en partie, pour une activité terroriste, pour faciliter une telle activité ou pour en faire bénéficier une personne qui se livre à une telle activité ou la facilite;

(a) intending that they be used, or knowing that they will be used, in whole or in part, for the purpose of facilitating or carrying out any terrorist activity, or for the purpose of benefiting any person who is facilitating or carrying out such an activity, or

 

b) soit en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, par un groupe terroriste ou qu’ils bénéficieront, en tout ou en partie, à celui-ci.

(b) knowing that, in whole or part, they will be used by or will benefit a terrorist group, is guilty of an indictable offence and is liable to imprisonment for a term of not more than 10 years. 2001, c. 41, s. 4.

V.                La question à trancher et la norme de contrôle

[15]           La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’analyse relative à l’exclusion que la Commission a effectuée était raisonnable à la lumière du récent arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles], où la Cour suprême du Canada a formulé des observations sur la façon d’évaluer la gravité d’un crime prévu à l’article 83.03.

VI.             Analyse

[16]           Au paragraphe 62 de l’arrêt Febles, dans le cadre de ce qu’elle présente comme étant une remarque incidente, la Cour suprême fournit des éclaircissements sur la façon d’établir si un crime doit en général être considéré comme étant grave aux fins de l’alinéa b) de la section F de l’article premier :

[62]       Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 17150 (CAF),[2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin-Gill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Non souligné dans l’original.]

[17]           Le défendeur soutient que l’arrêt Febles s’applique peu aux affaires ayant trait à des fugitifs désirant échapper à des poursuites, car le fondement factuel de cet arrêt se rapportait à un demandeur d’asile qui avait été déclaré coupable d’un crime dans un autre pays. Le ministre soutient que, en plus du fait que les éclaircissements soient exposés dans une remarque incidente, la pertinence de l’arrêt en l’espèce est réduite davantage du fait que les facteurs examinés en provenance d’un tribunal étranger, tels que « [l]es éléments [constitutifs du crime], [le mobile], la peine infligée, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes prises en compte », s’appliquent difficilement aux personnes qui tentent d’échapper à la justice.

[18]           Je ne suis pas d’accord. Dans l’arrêt Febles, la Cour suprême a clairement conclu que l’alinéa b) de la section F de l’article premier s’applique à quiconque a déjà commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’asile avant son admission dans ce pays en tant que réfugié. Les remarques de la Cour suprême visaient tous les crimes prévus à l’alinéa b) de la section F de l’article premier, que ces crimes aient mené à des déclarations de culpabilité ou à des fuites pour échapper à la justice.

[19]           Le défendeur fait également valoir que la Cour suprême n’avait pas l’intention d’apporter un changement important au droit pour ce qui de la présomption réfutable dans les affaires liées aux infractions punissables d’une peine maximale d’au moins 10 ans, car si telle avait été son intention, elle l’aurait signalé de manière plus explicite et non dans une remarque incidente. Encore une fois, je ne souscris pas à une telle interprétation de l’arrêt Febles. Étant donné que la Cour suprême s’est donné la peine de se prononcer sur l’application de la présomption exposée dans l’arrêt Jayasekara de la Cour d’appel fédérale, je pense que l’interprétation plus juste veut que, de l’avis de la Cour suprême, il convînt de se prononcer à ce sujet pour éviter des descriptions inexactes de ce qui constitue un crime grave.

[20]           D’après mon interprétation, les remarques de la Cour suprême fournissent des éclaircissements additionnels sur la façon d’appliquer la présomption découlant de la règle des dix ans. La première remarque a trait à l’application appropriée de la présomption concernant la gravité du crime lorsque la peine imposée figure parmi les plus légères dans un large éventail de peines. Dans un tel cas, le demandeur d’asile ne devrait pas être exclu sur la foi de la présomption, si bien qu’il incomberait au ministre de convaincre la Commission que le crime était grave.

[21]           Deuxièmement, la Cour suprême a affirmé qu’il ne faudrait pas appliquer la présomption découlant de la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste. En ce qui a trait à l’application de cette règle de manière injuste, la Cour suprême semble soulever la question de la culpabilité morale du contrevenant à titre de facteur dont il faut tenir compte avant de qualifier un crime de grave. Cela concorde avec les principes généraux de détermination de la peine que la Cour suprême avait précédemment énoncés dans l’arrêt R c CAM, [1996] 1 RCS 500, au paragraphe 82 :

En dernière analyse, le devoir général du juge qui inflige la peine est de faire appel à tous les principes légitimes de détermination afin de fixer une peine « juste et appropriée » qui reflète la gravité de l’infraction commise et la culpabilité morale du contrevenant.

[Non souligné dans l’original.]

[22]           Selon l’argument du défendeur, dans une affaire ayant trait à un demandeur d’asile qui fuit la justice, l’exercice devient entièrement hypothétique et dépasse le domaine d’expertise et le mandat d’un tribunal administratif qui n’est manifestement pas un tribunal pénal. Il se peut fort bien que les parties soient appelées à présenter des témoignages d’experts d’avocats spécialistes en droit criminel en vue d’aider la Commission. Cependant, en toute honnêteté, je ne vois pas de grande différence avec la situation où une personne a été déclarée coupable dans un autre pays.

[23]           Le défendeur signale les préoccupations exposées dans l’arrêt Jayasekara selon lesquelles une peine apparemment clémente imposée par un tribunal étranger peut être la résultante de nombreux facteurs, ce qui ne diminue en rien la gravité de l’infraction commise. Cela donne à penser que les déclarations de culpabilité sont elles aussi « hypothétiques ».

[24]           Je ne vois pas comment le fait de prendre en considération un éventail de peines possibles engage le tribunal dans ce que le défendeur qualifie de [traduction] « principe de droit rigide et formaliste voulant que le tribunal canadien soit tenu d’examiner l’éventail des peines au Canada avant de décider si le crime est “grave” ». Il m’apparaît que certains éléments d’un tel examen relèvent du bon sens.

[25]           En l’espèce, il est évident que le degré de culpabilité du demandeur est moindre que celui d’une personne qui jouerait un rôle plus direct ou plus important dans l’aide à une organisation terroriste. D’après ma compréhension des éléments de preuve, il fournissait aux membres des TLET les mêmes services qu’il offrait au grand public – une situation assez comparable à celle d’un commerçant qui leur vendrait une marchandise essentielle comme le carburant pour leurs camions, bien que les services du demandeur soient manifestement plus spécialisés et moins courants en raison de sa formation professionnelle et de son expertise. Il n’avait pas l’intention d’apporter son soutien aux TLET, mais il a été obligé de le faire, et il a appris, un an et demi plus tard, à qui il avait affaire. Je pense qu’un tribunal appelé à lui infliger une peine aurait tendance à faire preuve de compassion à l’égard de situation : il se trouvait dans une zone de guerre, avec sa famille et il avait affaire à une organisation terroriste qui se livrait à une guerre ethnique; du fait qu’il leur a fourni un service offert au public, il avait le choix de fuir en abandonnant l’entreprise qu’il tentait d’établir ou de mettre sa vie et celle de sa famille en danger. Sans rendre de décision en lieu et place de la Commission, il appert qu’il s’agit d’un cas où la présomption que le crime est grave est loin d’être évidente.

[26]           De plus, si la Commission doit prendre en considération la peine que recevrait le demandeur dans l’éventail des peines au Canada pour le même crime, il faut tenir compte de l’arrêt R c Thambaithurai, 2011 BCCA 137 [Thambaithurai]. Dans cette affaire, l’accusé – qui, il convient de le noter, a plaidé coupable – s’est vu infliger une peine de six mois pour avoir activement recueilli des fonds pour les TLET au Canada. Il est possible qu’une telle activité entraîne une culpabilité morale plus grande que celle du demandeur et que l’effet dissuasif sur les Canadiens joue un plus grand rôle dans cette affaire que dans l’espèce.

[27]           La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a formulé les observations suivantes sur la peine contestée dans le cadre de l’appel :

[traduction]

[22]           Le juge qui a prononcé la peine a reconnu que le deuxième facteur, soit la menace persistante que constitue le contrevenant, soulève des difficultés particulières lorsqu’un tribunal se penche sur des infractions terroristes. Par définition, ces infractions sont souvent commises à des fins politiques, religieuses ou idéologiques. De telles convictions sont souvent inaltérables. Par conséquent, l’absence de remords chez M. Thambaithurai n’était peut-être pas étonnante compte tenu de son origine tamoule, de l’effet de la guerre sur sa famille et de sa préoccupation constante pour la situation précaire de la population tamoule au Sri Lanka. Toutefois, le juge qui a prononcé la peine a conclu que M. Thambaithurai ne constituait pas une menace terroriste persistante, étant donné qu’il est autrement une personne de bonne moralité. En outre, au moment de la comparution de M. Thambaithurai devant les tribunaux, la crainte de nouveaux efforts visant à financer les activités terroristes des TLET avait été atténuée par les événements au Sri Lanka. En mai 2009, Prabhakaran a été tué et le gouvernement du Sri Lanka s’est déclaré victorieux des TLET.

[…]

[24]           Je ne suis pas non plus convaincue que la peine d’emprisonnement de six mois était inappropriée. Bien que les infractions terroristes aient des caractéristiques uniques, elles sont assujetties au même cadre et aux mêmes objectifs en matière de détermination de la peine que les autres infractions prévues au Code criminel, et le législateur a confié aux tribunaux chargés d’examiner de telles infractions l’éventail complet des peines, sauf les peines conditionnelles. Le juge qui a prononcé la peine a énoncé les faits et la situation personnelle de M. Thambaithurai avec précision. Il a pris en considération les objectifs en matière de détermination de la peine établis dans le Code criminel, et a examiné les facteurs atténuants et aggravants pertinents. Il a reconnu la nature unique et grave du terrorisme, mais, à mon avis, a correctement accepté l’observation de la Couronne selon laquelle les activités de M. Thambaithurai se situaient au bas de l’échelle de gravité des infractions. Malgré cela, le juge qui a prononcé la peine a décidé qu’une condamnation avec sursis ne répondrait pas adéquatement aux objectifs en matière dissuasion et de dénonciation. Au contraire, il a imposé une peine d’emprisonnement de six mois, une sanction qui serait habituellement perçue comme étant sévère pour une personne qui commet sa première infraction et qui a autrement un casier judiciaire vierge. De plus, la déclaration de culpabilité de M. Thambaithurai aura des répercussions durables, car il lui sera difficile de voyager à l’extérieur du Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[28]           Enfin, je pense que les arguments du demandeur concernant la faiblesse de la preuve contre lui sont fondés. Il n’y a pas vraiment de preuve se rapportant à l’utilisation que les TLET faisaient de leurs ordinateurs. Une fois dans le domaine de l’hypothèse, il y a normalement un doute raisonnable qui exclut une déclaration de culpabilité. Le demandeur a supposé qu’ils utilisaient peut-être leurs ordinateurs pour accéder à l’application Google Maps ou pour enregistrer des données. Il ne savait pas à quoi servaient leurs ordinateurs. Faute de preuve à l’appui, la conclusion selon laquelle le travail du demandeur jouait un rôle direct ou important dans leurs activités est ténue. Il est peu probable que le demandeur témoignerait et il semble que ce soit une affaire où le procureur serait prêt à négocier une peine réduite en raison du manque d’éléments de preuve solides pouvant mener à une déclaration de culpabilité.

[29]           Je m’inspire également de deux décisions récentes d’anciens juges de la Cour qui vont dans le même sens. Il s’agit de la décision Jung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464 [Jung] du juge de Montigny et de la décision Tabagua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 709 de la juge Gleason. Dans ces deux décisions, la Cour a annulé la décision contestée en raison de l’arrêt Febles.

[30]           Dans la décision Jung, le juge de Montigny a conclu que l’omission de prendre en considération l’arrêt Febles constituait une erreur qui justifiait l’annulation de la décision contestée :

[48]           Tout bien considéré, cependant, l’erreur la plus flagrante de la commissaire a été de ne pas avoir pris en considération ce que la Cour suprême tenait pour un facteur crucial dans Febles, à savoir le grand éventail de peines au Canada et le fait que le crime dont le demandeur avait été déclaré coupable entraînerait l’imposition d’une peine parmi les plus légères. Ce facteur était parfaitement pertinent en l’espèce : l’échelle des peines canadiennes pour fraude de plus de 5 000 $ est vaste (de 0 à 14 ans), et le crime du demandeur – fraude de 50 000 $ assortie d’une peine de 10 mois – se trouve à première vue au bas de cette échelle. Le grand éventail de peines et la faible peine purgée par le demandeur (non seulement la peine infligée n’était que de deux ans, mais le demandeur s’est vu accorder un sursis après 165 jours de détention avant procès) constituaient de toute évidence un facteur des plus pertinents pour la détermination de la gravité du crime.

[49]           Pour ce motif seulement, la décision de la Commission devrait être annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

[31]           La Commission n’a pas tenté d’examiner où, sur l’éventail des peines possibles, se situerait la peine qui aurait été infligée au demandeur pour avoir entretenu les ordinateurs des TLET. Je conclus également, pour le même motif, que la Commission a appliqué la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste. Il ne peut pas être reproché à la Commission d’avoir procédé ainsi, car il s’agissait dans une certaine mesure de la démarche en vigueur avant l’arrêt Febles.

VII.          Conclusion et question certifiée

[32]           La décision doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée pour réexamen par un tribunal différent de la Commission. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne sera certifiée, car il appert que l’omission de se conformer à l’arrêt Febles a été établie comme motif pouvant justifier l’annulation d’une décision.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différent de la Commission. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5379-14

 

INTITULÉ :

ROSHAN AKTHAR JIBREEL MOHAMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juin 2015

 

jugEment ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 25 août 2015

 

COMPARUTIONS :

John Grice

 

POUR Le demandeur,

ROSHAN AKTHAR JIBREEL MOHAMED

 

Kristina Dragaitis

 

POUR Le défendeur,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Grice

Avocat

POUR Le demandeur,

ROSHAN AKTHAR JIBREEL MOHAMED

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour Le défendeur,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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