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Date : 20150825


Dossier : IMM‑7205‑14

Référence : 2015 CF 1004

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

HEINZ KLEIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Heinz Klein est un citoyen allemand qui est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur en 1986 et qui n’est jamais reparti depuis. Il souffre d’une dépression depuis plus de 30 ans, laquelle a, par moments, été assez grave pour entraîner son hospitalisation. M. Klein est néanmoins parvenu à se bâtir une vie enrichissante au Canada, où il s’est lié d’amitié avec de nombreuses personnes et a contribué activement à la vie de sa collectivité au sein de laquelle il occupe un rôle de premier plan.

[2]               M. Klein ne mène pas une vie commune. Il exécute divers petits travaux et gagne sa vie en jouant de la musique dans des lieux publics. Malgré ses problèmes de santé mentale importants, M. Klein n’a jamais demandé à bénéficier de l’aide sociale. Il a été en mesure de subvenir à ses besoins grâce à l’aide de sa collectivité.

[3]               M. Klein n’a plus de contact avec sa famille en Allemagne. Il ne peut compter sur aucun ami, membre de sa famille ou réseau de soutien dans ce pays.

[4]               Au moment de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de M. Klein, l’agent d’immigration a maintes fois souligné le fait que M. Klein avait décidé de rester au Canada sans statut après l’expiration de son visa de visiteur en 1986. Il est évident à la lecture de l’ensemble des motifs de l’agent qu’il s’agissait là d’un facteur d’une importance cruciale à ses yeux auquel il a accordé une valeur considérable.

[5]               Il est vrai qu’au moment de déterminer si le fait d’obliger une personne à présenter sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire depuis l’étranger occasionnerait des difficultés injustifiées, les agents peuvent évaluer la mesure dans laquelle le séjour du demandeur au Canada est attribuable à des facteurs qui étaient ou n’étaient pas hors de son contrôle. Cela dit, même si le long séjour d’un demandeur au Canada relevait entièrement d’un choix personnel (comme c’est le cas en l’espèce), l’agent d’immigration doit tout de même évaluer si le fait d’obliger cette personne à présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger occasionnerait des difficultés inhabituelles ou excessives. Je ne suis pas convaincue que l’agent a tenu compte comme il se doit de cet aspect du critère dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[6]               L’agent a reconnu que M. Klein éprouverait des difficultés s’il était tenu de retourner en Allemagne pour présenter sa demande de résidence permanente. Il a toutefois affirmé que M. Klein n’avait pas démontré qu’[traduction« il souffre de dépression dans une plus grande mesure que les autres qui sont contraints de quitter un pays, si bien que cela […] représente des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Compte tenu de la preuve au dossier concernant la lutte contre la dépression à laquelle se livre M. Klein depuis des décennies, cette conclusion est déraisonnable.

[7]               J’estime également que l’agent a fait preuve d’un manque de sensibilité dans son évaluation du degré d’établissement de M. Klein au Canada. Il est vrai que M. Klein était sans abri au cours de ses premières années au Canada et qu’il n’a pas occupé d’emploi traditionnel durant son séjour au pays. M. Klein ne possède ni maison, ni voiture, ni entreprise, ni tout autre type d’actifs qui sont généralement considérés comme des indicateurs du degré d’établissement au Canada. Or, en ce qui concerne les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, M. Klein n’est pas un demandeur type. Il s’agit d’une personne avec une déficience qui, de toute évidence, s’est efforcée de se bâtir une vie au Canada. Il fait beaucoup de bénévolat auprès de diverses organisations et a gagné le respect et l’amour de bon nombre de membres de sa collectivité. Exiger d’une personne dans la situation de M. Klein qu’elle soit en mesure de démontrer qu’elle a atteint les indicateurs courants du degré d’établissement, c’est faire abstraction de la réalité de sa vie.  

[8]               À titre d’exemple, prenons le commentaire de l’agent au sujet de l’absence de reçus faisant état des revenus de M. Klein. En plus de faire du bénévolat, M. Klein est musicien et subvient à ses besoins en partie en jouant de la musique dans des lieux publics. Les musiciens ambulants ne reçoivent généralement pas de relevés de paie.

[9]               L’agent semble également avoir rejeté l’ensemble de la preuve témoignant du rôle important que joue M. Klein au sein de sa collectivité pour le seul motif qu’il est demeuré au Canada sans les autorisations nécessaires en matière d’immigration.

[10]           L’agent conclut en reconnaissant le fait que M. Klein éprouvera effectivement des difficultés à son retour en Allemagne, mais écarte cette affirmation en réitérant l’absence de statut au Canada et en soulignant que M. Klein ne pouvait [traduction« raisonnablement s’attendre à pouvoir demeurer au Canada de façon permanente, compte tenu de ses antécédents en matière d’immigration ».

[11]           En raison de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que l’agent a examiné la demande de M. Klein de façon raisonnable ou avec compassion. La préoccupation de l’agent quant à l’absence d’un statut d’immigration fait abstraction du fait que l’objectif même d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est de passer outre aux questions comme l’interdiction de territoire ou l’absence d’un statut d’immigration.  

[12]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Klein est accueillie. Je conviens avec les parties qu’il s’agit d’une affaire éminemment factuelle qui ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme
Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7205‑14

 

INTITULÉ :

HEINZ KLEIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 AOÛT 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Jean Marie Vecina

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tessa Cheer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina & Sekhar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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