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Date : 20150724


Dossier : IMM-7237-14

Référence : 2015 CF 903

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

HUILAN SHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse, une citoyenne de la République populaire de Chine, affirme qu’elle craint d’être persécutée par le gouvernement chinois du fait de sa pratique du Falun Gong. Elle sollicite le contrôle judiciaire sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi] de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR ou la Commission] selon laquelle elle n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger suivant l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi. 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse allègue que, en raison de son emploi comme travailleuse d’usine, elle souffrait de fatigue, ce qui l’a amenée à se joindre à un petit groupe d’adeptes du Falun Gong en octobre 2010. Elle a commencé à les rencontrer chaque semaine au domicile des différents adeptes pour faire les exercices et discuter de la théorie du Falun Gong. Après trois mois environ, elle a commencé à se sentir mieux et à ressentir moins de fatigue.

[4]               La demanderesse soutient que, le 18 décembre 2011, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] a découvert l’existence de son groupe pendant une séance de pratique en groupe. Après avoir été alertée par le guetteur du BSP, elle a réussi à s’enfuir avant que les agents du BSP ne les attrapent, puis elle s’est cachée.

[5]               La demanderesse allègue que ses parents l’ont informée le lendemain que le BSP la cherchait à son domicile et qu’ils ont été avisés par le BSP qu’elle était recherchée pour sa participation aux activités illégales du Falun Gong, que deux de ses condisciples ont été arrêtés et qu’elle devrait se rendre, puisqu’en continuant de se cacher, elle ne fera qu’aggraver sa situation. La demanderesse est restée cachée jusqu’à ce qu'elle puisse quitter le pays avec l’aide d’un passeur. Ses parents lui ont dit que les agents du BSP étaient revenus les harceler à leur domicile et étaient allés chez d’autres parents pour la trouver. 

[6]               La demanderesse a quitté la Chine le 28 janvier 2012 et s’est rendue au Canada en transitant par la Corée du Sud et les États‑Unis. À l’audience de la SPR, elle a témoigné que le passeur lui avait assuré qu’il la sortirait de la Chine de façon sécuritaire, mais elle ignore ce qu’il a fait. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait présenter une demande d’asile en Corée du Sud et qu’elle a suivi les conseils du passeur en demandant l’asile au Canada plutôt qu’aux États‑Unis, étant donné qu’elle serait probablement expulsée en raison de faux renseignements fournis dans la demande de visa américain qu’elle avait utilisée pour son transit aux États‑Unis. Elle est entrée au Canada par voie terrestre, près de Vancouver, puis s’est rendue à Toronto, où elle a présenté sa demande d’asile le 3 février 2012.

[7]               La demanderesse soutient qu’après son arrivée au Canada, ses parents l’ont informée que les deux condisciples qui avaient été arrêtés étaient toujours sous garde et que le BSP continuait de venir à la maison pour les questionner au sujet de ses allées et venues.

[8]               Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse a témoigné qu’elle continue de pratiquer le Falun Gong au Canada et qu’elle s’est jointe à un groupe local d’adeptes qui se rencontrent tous les samedis et dimanches pour faire les exercices et discuter du Zhuan Falun.

III.             La décision contestée

[9]               La question déterminante pour la SPR était celle de la crédibilité et c’est sur ce fondement qu’elle a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

[10]           La SPR a formulé dans sa décision un certain nombre de conclusions quant à la crédibilité, notamment les suivantes :

         Le témoignage de la demanderesse était incohérent quant à l’endroit où elle est entrée au Canada et sur la façon dont elle l’a fait;

         La demanderesse, après être entrée légalement en Corée du Sud et aux États‑Unis, avait eu auparavant l’occasion, à deux reprises, de demander l’asile dans d’autres pays sécuritaires avant d’arriver au Canada et, en conséquence, la SPR a conclu qu’elle était en quête du meilleur pays d’asile;

         La demanderesse a quitté la Chine légalement, munie d’un passeport authentique, ce qui, de l’avis de la SPR, contredit la preuve documentaire objective montrant que le BSP dispose d’une base de données nationale complexe qui contient des renseignements sur les individus recherchés et qui contrôle les sorties et les entrées;  

         La demanderesse n’a pas fourni de citation à comparaître de la part de la police et ignorait si celle‑ci lui avait été délivrée, alors que la SPR avait conclu que, selon la prépondérance des probabilités, si le BSP avait réellement été à sa recherche, une citation à comparaître ou un mandat d’arrestation aurait été délivré et que le fait qu’elle n’a pas pris de mesures pour obtenir la citation à comparaître depuis le Canada nuit à sa crédibilité;

         La demanderesse s’est trompée en confondant le cartable de l’interprète contenant un glossaire de termes et d’expressions, en anglais et en chinois, liés au Falun Gong, avec celui du Zhuan Falun, un livre portant sur les enseignements du Falun Gong;

         La demanderesse n’a pas joint l’association canadienne du Falun Gong;

         La demanderesse semblait avoir fourni des réponses récitées aux questions au sujet du Falun Gong, puisqu’elle a répondu correctement à la plupart des questions posées par son conseil, mais non à la plupart des questions posées par la commissaire.

[11]           La SPR a conclu qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse était une authentique adepte du Falun Gong et qu’elle n’était pas crédible.

IV.             IV.       Questions en litige

[12]           La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

1.      La SPR a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale en interrogeant la demanderesse au sujet d’un document externe qui n’avait pas été admis en preuve?

2.      La SPR est-elle parvenue à une conclusion déraisonnable sur le fondement de son interrogatoire concernant un document externe qui n’avait pas été admis en preuve?

3.      La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la demanderesse en qualité d’adepte du Falun Gong?

4.      La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables relatives à la vraisemblance en ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était recherchée par le BSP?

V.                La norme de contrôle

[13]           La question de savoir si la SPR a manqué à l’obligation d’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

[14]           Les autres questions en litige ont trait à la compétence de la SPR à tirer des conclusions de fait, notamment son évaluation de la crédibilité de la demanderesse. Ces conclusions sont examinées selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Emploi et Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF) [Aguebor], Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, 213 ACWS (3d) 1003, aux paragraphes 24 à 26).

VI.             Analyse

A.                La SPR a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale en interrogeant la demanderesse au sujet d’un document externe qui n’avait pas été admis en preuve?

B.                 La SPR est-elle parvenue à une conclusion déraisonnable sur le fondement de son interrogatoire concernant un document externe qui n’avait pas été admis en preuve?

[15]           Il ressort de la transcription que la commissaire de la SPR a tout d’abord questionné la demanderesse au sujet du gros cartable jaune apporté à l’audience par l’interprète de la SPR, qui constituait un glossaire des termes reliés au Falun Gong, notamment certains termes provenant du Zhuan Falun. Le Zhuan Falun est un livre renfermant les enseignements du Falun Gong. L’interrogatoire a seulement révélé que la demanderesse avait reçu un exemplaire du cartable, qui lui avait été remis par son instructeur au parc Milliken où elle pratiquait. La demanderesse a affirmé, à deux reprises, qu’elle avait en sa possession une copie du cartable qui lui avait été remise. Rien de cela ne semble avoir eu une importance quelconque.

[16]           La pertinence du cartable s’est révélée importante plus tard dans le cadre de l’audience, quand la demanderesse, au moment d’être questionnée par son propre conseil, a déclaré que le cartable jaune était le Zhuan Falun du Falun Gong. Après discussion, lors de laquelle le conseil a déclaré que ce ne pouvait pas être le cas, ce dernier s’est vu offrir la possibilité de clarifier le témoignage. En réponse à la question du conseil, la demanderesse a affirmé que le contenu du cartable provenait du Zhuan Falun. Puis, à une autre question en vue de savoir ce qu’elle avait reçu de son instructeur au parc Milliken, la demanderesse a répondu qu’elle avait reçu le livre Zhuan Falun, et non le cartable jaune. À ce moment-là, la commissaire a posé des questions à la demanderesse, ce qui n’a fait que confirmer l’incohérence de ses réponses en ce qui a trait à ce qui lui avait été remis par son instructeur et à ce qui était en sa possession. La commissaire a estimé que le témoignage de la demanderesse sur ce point était incohérent.

[17]           La demanderesse soutient que les décisions administratives ne doivent pas être uniquement fondées sur la preuve qui a été dûment présentée au décideur. Elle a ajouté que puisque le cartable n’a pas été admis en preuve, la Cour ne peut apprécier la preuve et déterminer si les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

[18]           J’estime toutefois que la commissaire a uniquement réagi lorsqu’elle a entendu des réponses incohérentes données par la demanderesse aux questions de son conseil, donnant à penser qu’elle ne pouvait pas faire de distinction entre le cartable jaune et les questions additionnelles posées par son conseil qui ont révélé l’existence de la contradiction. Il n’était pas nécessaire d’admettre en preuve le cartable jaune puisque la contradiction reposait sur l’apparence et le contenu très différents des documents. Les descriptions des deux documents dans le cadre de la preuve suffisent pour démontrer de façon claire que ces deux documents ne se ressemblent nullement en apparence.

C.                 La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la demanderesse en qualité d’adepte du Falun Gong?

[19]           La demanderesse soutient en outre que le style d’interrogatoire effectué par la commissaire était inapproprié et inefficace pour permettre d’apprécier la sincérité de ses croyances. Quoi qu’il en soit, la demanderesse souligne que la Cour fédérale a conclu qu’une norme de connaissances religieuses relativement peu élevée est nécessaire pour l’établissement de la sincérité des croyances (citant Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002, [2012] ACF no 1089 (QL), au paragraphe 15, Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503, 409 FTR 264, aux paragraphes 16 à 18), et que la SPR ne devrait pas évaluer la connaissance de la demanderesse en mettant l’accent sur des erreurs ou malentendus au point d’en faire une analyse microscopique (citant Dong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, 184 ACWS (3d) 200, au paragraphe 20, voir également Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1030, 206 ACWS (3d) 800).

[20]           À mon avis, ce n’était pas tant le fait que la demanderesse n’ait pu répondre à bon nombre des questions de la commissaire qui constituait la préoccupation principale. En fait, c’est le conseil de la demanderesse qui a commencé à poser des questions sur le Falun Gong, et c’est à ce moment-là que la commissaire a conclu que les réponses données par la demanderesse semblaient avoir été fournies machinalement. La crédibilité de la demanderesse a été mise en doute quand, en revanche, elle n’a pas été en mesure de répondre aux questions de la commissaire.

[21]           De toute évidence, la commissaire n’avait pas une connaissance approfondie du Falun Gong, et la demanderesse a par ailleurs souligné, à un moment donné, que la réponse qu’elle avait donnée avait été jugée incorrecte à tort. Il n’en demeure pas moins que c’est le conseil qui avait amorcé l’[traduction] « évaluation » de la demanderesse, et il n’était pas déraisonnable que la commissaire pose des questions alors qu’elle craignait que le témoignage avait été orchestré. À part une réponse qui semble avoir été incorrecte, aucune observation n’a été faite indiquant que les autres réponses fournies par la demanderesse aux questions de la commissaire étaient correctes.

[22]           Dans les cas de persécution religieuse, la SPR doit établir si la personne est effectivement membre de la religion en question, ce qui peut amener un commissaire à lui poser des questions au sujet des caractéristiques fondamentales de cette religion (citant Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 4, 224 ACWS (3d) 749, au paragraphe 15 [Su], Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1066, 172 ACWS (3d) 459).

D.                La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables relatives à la vraisemblance en ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était recherchée par le BSP?

[23]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était invraisemblable qu’il n’y ait pas eu délivrance d’une citation à comparaître, faisant valoir que cette conclusion est conjecturale et inexacte quant aux faits. De même, elle allègue qu’aucune conclusion défavorable n’aurait dû être tirée du fait qu’elle a pu quitter la Chine munie d’un passeport valide, même avec l’aide d’un passeur, en raison des vérifications de sortie effectuées par le BSP au moyen de sa base de données nationale. Dans le premier cas, la documentation sur la situation au pays indique que dans la ville de la demanderesse, il est plus probable qu’une citation à comparaître lui aurait été délivrée étant donné le nombre de visites. Dans le second cas, il n’y avait aucune preuve de l’existence de pots-de-vin versés par des passeurs.

[24]           Même en reconnaissant que ces éléments de preuve pris ensemble n’amoindriraient pas la crédibilité de la demanderesse, la conclusion de la SPR reposait suffisamment sur la preuve dans son ensemble. Par exemple, les trois ou quatre réponses différentes données par la demanderesse à la commissaire à la simple question de savoir comment elle était entrée au Canada, avant d’admettre qu’elle avait traversé la frontière illégalement, sont presque suffisantes à elles seules pour miner toute confiance que la Commission pouvait avoir quant à la véracité de tout élément de preuve présenté ultérieurement par la demanderesse.

VII.          Conclusion

[25]           La Cour conclut que la preuve était suffisante pour appuyer les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité. La décision appartient aux issues possibles acceptables et elle repose sur des motifs intelligibles et transparents.

[26]           Par conséquent, la demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7237-14

 

INTITULÉ :

HUILAN SHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUILLET 2015

 

MOTIFS Du JUGEMENT ET JUGEMENT :

lE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Matthew Oh

 

POUR LA DEMANDERESSE

HUILAN SHEN

 

Alex Kam

 

pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Oh

Avocat

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

HUILAN SHEN

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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