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Date : 20150723


Dossier : IMM‑2054‑14

Référence : 2015 CF 902

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

HUGO ALBERTO MORAN GUDIEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur, Hugo Alberto Moran Gudiel, est un citoyen du Salvador où il a travaillé comme entrepreneur dans le milieu de la construction. Après avoir reçu des menaces d’une personne apparemment liée au groupe criminel appelé MS 13, il a quitté le Salvador en juillet 2001. M. Gudiel est arrivé au Canada presque dix ans plus tard, en février 2011, et il a présenté une demande d’asile en invoquant sa crainte d’être persécuté par le gang MS 13 et par des personnes qui y sont associées.

[2]               Le 4 mars 2014, la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de M. Gudiel, parce qu’il pouvait bénéficier d’une protection adéquate de l’État au Salvador. De plus, la SPR n’a pas jugé M. Gudiel crédible et elle a déterminé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[3]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Dans sa demande, M. Gudiel fait valoir que la SPR a commis une erreur à trois égards : la SPR n’a pas réalisé de façon adéquate l’analyse des menaces et des risques que commande l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], la SPR n’a pas réalisé l’analyse nécessaire en ce qui concerne la protection de l’État, car elle a omis de déterminer si une protection adéquate de l’État était réellement offerte à M. Gudiel, et elle a ignoré ou a omis de prendre en considération des éléments de preuve clairs et convaincants qui réfutent la présomption de protection de l’État au Salvador.

[4]               Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire de M. Gudiel est rejetée. Je ne suis pas convaincu que la décision de la SPR était déraisonnable, que ce soit du point de vue des analyses qu’elle a réalisées ou de son appréciation de la preuve au sujet de la protection offerte par l’État. Je conclus également que les motifs de la décision expliquent adéquatement comment la SPR est arrivée à la conclusion que le Salvador offrait effectivement une protection adéquate à M. Gudiel.

[5]               Les trois questions en litige sont les suivantes :

  1. La SPR a‑t‑elle réalisé de façon appropriée l’analyse des menaces et des risques que commande l’article 97 de la LIPR?
  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans l’application du critère relatif à l’analyse de la protection de l’État?
  3. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve relatifs à la protection de l’État?

II.                Contexte

[6]                    En 2000, M. Gudiel a été engagé pour effectuer des travaux de construction dans une propriété au Salvador. Il ne savait pas que la propriété appartenait à un homme connu sous le nom de Cinco de Lena, un dirigeant d’un groupe criminel organisé qui collaborait étroitement avec le gang MS 13. À la suite de problèmes concernant le paiement du travail effectué par M. Gudiel, M. Cinco de Lena l’a menacé de mort. M. Gudiel n’a pas demandé l’aide de la police locale à ce moment‑là, mais de crainte d’être assassiné par M. Cinco de Lena ou le MS 13, il a quitté le Salvador en juillet 2001.

[7]               Au cours des années qui ont suivi, il a voyagé partout au Mexique, il a été déporté au Guatemala à trois reprises, et il a vécu aux États‑Unis. À diverses occasions, il a été mis au courant que le gang MS 13 était apparemment à sa recherche et que M. Cinco de Lena continuait de harceler des membres de sa famille. M. Gudiel est arrivé au Canada le 9 février 2011, et il a présenté sa demande d’asile.

A.                La décision de la SPR

[8]               Vu l’absence de lien avec un motif visé par la définition de la Convention, la SPR a évalué la demande de M. Gudiel sous le régime de l’article 97 de la LIPR.

[9]               La SPR n’a pas jugé M. Gudiel crédible, et elle a relevé des incohérences dans les éléments de sa preuve que M. Gudiel n’a pas été en mesure d’expliquer de manière satisfaisante. La SPR a déterminé qu’il y avait des contradictions dans la version des faits qu’il a fournie concernant M. Cinco de Lena et sa famille, et elle a conclu que M. Gudiel avait tenté d’étoffer son récit en vue de donner plus de poids à sa demande d’asile.

[10]           La SPR a estimé que la thèse selon laquelle les membres du gang MS 13 voulaient que le fils de M. Gudiel travaille pour eux à cause de ses difficultés avec M. Cinco de Lena relevait de l’hypothèse, et elle n’y a pas ajouté foi. Après avoir relevé que les membres de sa famille ont quitté le Salvador pour s’installer aux États‑Unis tout au long d’une période de douze ans et avoir pris en considération les problèmes de crédibilité, la SPR n’a pas cru que les difficultés qu’avaient apparemment connues les frères et sœurs et les enfants de M. Gudiel étaient liées au différend allégué entre M. Gudiel et M. Cinco de Lena. Toutefois, en raison du manque d’instruction de M. Gudiel et de ses difficultés émotionnelles et mentales, lesquelles sont décrites dans l’évaluation psychologique produite en preuve, la SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable à l’égard d’éléments de son récit faisant l’objet d’incohérences quant aux dates et aux contextes spatiaux.

[11]           La SPR a conclu que, malgré les préoccupations que suscitait la crédibilité, la question déterminante était la protection de l’État. La SPR a résumé les principes relatifs à la protection de l’État, et elle a passé en revue de manière approfondie la preuve documentaire au sujet du Salvador, reconnaissant au passage qu’il existait des incohérences dans l’ensemble de cette preuve. La SPR n’était pas convaincue que les autorités salvadoriennes ne prenaient pas de mesures pour lutter contre le MS 13 et d’autres gangs criminalisés. La SPR a conclu que les autorités faisaient des efforts sérieux pour endiguer la criminalité, en particulier les crimes perpétrés par le gang MS 13, et qu’elles obtenaient des résultats. La SPR a également conclu que les éléments de preuve fournis par M. Gudiel à propos de la protection déficiente de la police étaient hypothétiques, et que son propre témoignage et ses propres expériences donnaient plutôt à penser que la police salvadorienne avait réagi positivement à ses plaintes et que les policiers étaient disposés à faire enquête. La SPR a donc conclu que le témoignage de M. Gudiel ne démontrait pas la que les forces policières ne lui offriraient pas une protection adéquate dans sa situation et ses circonstances particulières.

[12]           La SPR a fait remarquer que la définition de réfugié est de nature prospective, et elle a ajouté que M. Gudiel n’était peut‑être pas au courant des efforts récents du gouvernement salvadorien pour combattre et réprimer la criminalité associée aux gangs, étant donné que M. Gudiel avait quitté le pays douze ans plus tôt. La SPR a donc déterminé que la demande présentée par M. Gudiel en vertu de l’article 97 de la LIPR était vouée à l’échec, et elle l’a rejetée.

B.                 La norme de contrôle

[13]           L’avocat de M. Gudiel a fait valoir à l’audience qu’en l’espèce la norme de la décision correcte devrait s’appliquer à l’interprétation et à l’application de la LIPR par la SPR ainsi qu’à l’analyse relative à la protection de l’État qu’a effectuée la SPR, étant donné que les questions soulevées étaient des questions d’interprétation juridique.

[14]           Je ne suis pas de cet avis. Les questions de droit sont présumées être contrôlables selon la norme de la décision raisonnable lorsqu’un tribunal interprète « sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 54 [Dunsmuir]). L’existence de la présomption a été confirmée à de nombreuses reprises depuis l’arrêt Dunsmuir (Front des artistes canadiens c Musée des beaux‑arts du Canada, 2014 CSC 42; McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61).

[15]           De plus, les questions soulevées en l’espèce concernent l’interprétation et l’application aux faits de l’article 97 de la LIPR ainsi que l’évaluation par la SPR de la protection de l’État. Ce sont des questions mixtes de fait et de droit. La Cour a établi que la norme de contrôle à laquelle il faut avoir recours pour déterminer si la SPR a commis une erreur en appliquant l’article 97 ou en analysant la question de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable (Meza Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364 au paragraphe 12 [Meza Varela]; Renderos Moran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 546 au paragraphe 23 [Moran]; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 au paragraphe 22 [Ruszo]; Rusznyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 255 au paragraphe 23; Carranza Benitez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 457 au paragraphe 21 [Carranza Benitez]; Bari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 862 au paragraphe 19; Varon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 356 au paragraphe 29).

[16]           Je reconnais qu’il a été conclu dans certaines décisions que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte lorsque la question consiste strictement à déterminer si la SPR a choisi le bon critère relativement à la protection de l’État (Vargas Bustos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 114 au paragraphe 27; Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 750 au paragraphe 25; Ruszo, aux paragraphes 20 à 22). Toutefois, la norme applicable est celle de la décision raisonnable lorsque la question concerne l’application par la SPR du critère juridique aux faits en cause, comme c’est le cas en l’espèce.

[17]           Dans les cas où il s’agit de contrôler une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Les conclusions concernant des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit ne devraient pas être modifiées si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 59). Pour contrôler le caractère raisonnable de conclusions factuelles, il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou l’importance relative que le décideur a accordée à tout facteur pertinent (Dunsmuir, au paragraphe 47; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 au paragraphe 99 [Kanthasamy]). Selon la norme de la décision raisonnable, dans la mesure où le processus décisionnel et l’issue reposent sur une application adéquate des principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, le tribunal chargé du contrôle ne devrait pas substituer sa propre conception d’une issue préférable.

III.             Analyse

A.                La SPR a‑t‑elle réalisé de façon appropriée l’analyse des menaces et des risques que commande l’article 97 de la LIPR?

[18]           M. Gudiel soutient que la SPR n’a pas réalisé de façon appropriée l’analyse que commande l’article 97 de la LIPR, laquelle nécessite une enquête individualisée à la lumière des éléments de preuve produits dans le contexte d’un risque réel ou possible. M. Gudiel affirme qu’il a établi être exposé au risque personnalisé allégué du fait de son interaction personnelle avec les auteurs de la persécution et des représailles dont les membres de sa famille ont fait l’objet. M. Gudiel a ajouté que l’article 97 n’exige pas une crainte subjective d’être persécuté, et que la SPR devait déterminer si son renvoi l’exposerait personnellement aux menaces et aux risques décrits dans cette disposition de la LIPR (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au paragraphe 15; Guerrero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1210 aux paragraphes 28 à 30 [Guerrero]). M. Gudiel allègue que la SPR n’a pas déterminé le risque qu’il courait personnellement.

[19]           Je ne suis pas de cet avis. Je conclus plutôt que la SPR a correctement mis en application le critère, qu’elle a effectivement examiné la situation personnelle de M. Gudiel et qu’elle s’est demandé si la protection offerte par l’État salvadorien fonctionnait effectivement à son égard et donnait des résultats. Les conclusions de la SPR à cet égard étaient raisonnables et elles appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve.

[20]           Sous le régime de l’article 97 de la LIPR, M. Gudiel devait démontrer qu’à la suite d’un renvoi au Salvador il serait personnellement, entre autres choses, exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il ne pouvait se réclamer de la protection du pays. Pour apprécier ce risque, la SPR doit déterminer expressément le risque en question et exposer clairement le fondement de celui‑ci (Guerrero, au paragraphe 28). Toutefois, la SPR n’est pas forcée de mentionner expressément qu’une personne donnée n’est pas exposée à un risque plus grand que d’autres personnes dans le pays si la question n’est pas soulevée en application du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

[21]           En l’espèce, je suis convaincu que la SPR a déterminé et a examiné le risque individualisé auquel était exposé M. Gudiel à la lumière des éléments de preuve qui le concernait. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le décideur aurait omis de déterminer le risque, aurait employé des termes vagues pour le décrire ou aurait confondu un risque plus élevé lié à une raison personnelle avec un risque général auquel serait exposé un plus grand groupe. Rien ne me donne à penser que la SPR n’a pas raisonnablement énoncé et appliqué le critère de l’article 97. La SPR a clairement déterminé le risque auquel M. Gudiel était exposé au deuxième paragraphe de la décision, lorsqu’elle a fait observer qu’il craignait de retourner au Salvador à cause de ce qu’il lui semblait être des menaces de la part de M. Cinco de Lena, du gang MS 13 et d’autres personnes qui y étaient associées. À plusieurs endroits dans sa décision, la SPR a fait mention de la situation et des circonstances particulières de M. Gudiel dans le contexte de ses craintes individualisées. De plus, la SPR a mentionné les situations dans lesquelles M. Gudiel et sa famille ont été en contact avec la police salvadorienne. Les conclusions de la SPR à cet égard étaient raisonnables.

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans l’application du critère relatif à l’analyse de la protection de l’État?

[22]           M. Gudiel soutient en outre que la SPR a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État, étant donné qu’elle a justifié sa conclusion selon laquelle la protection de l’État était adéquate par le fait qu’elle avait constaté que le gouvernement salvadorien avait pris des initiatives pour lutter contre la violence des gangs. Au paragraphe 26 de sa décision, la SPR a conclu que « [b]ien que l’efficacité de la protection soit un facteur pertinent, selon la prépondérance des décisions récentes de la Cour fédérale, le critère applicable à la protection de l’État est celui de savoir si la protection était adéquate plutôt que purement et simplement efficace ». M. Gudiel affirme qu’en se prononçant ainsi, la SPR a employé et mis en application le mauvais critère, car elle n’a pas déterminé si une protection adéquate de l’État était réellement offerte au Salvador.

[23]           Je ne suis pas de cet avis. Je conclus plutôt, lorsque je lis la décision dans son ensemble, que la SPR a correctement appliqué le critère relatif à la protection de l’État, qu’elle a tenu compte de la situation particulière de M. Gudiel et qu’elle s’est penchée sur la question de savoir si la protection offerte par l’État salvadorien fonctionnait réellement et donnait des résultats concrets. Selon moi, la démarche de la SPR était raisonnable et celle‑ci n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a effectué son analyse relative à la protection de l’État.

[24]           Il est bien établi en droit que les tribunaux canadiens doivent présumer que les demandeurs peuvent compter sur la protection de l’État dans leur pays d’origine. Il incombe toujours au demandeur de réfuter cette présomption en prouvant « d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 aux paragraphes 724 à 726 [Ward]). Comme l’a fait remarquer M. Gudiel, le critère relatif à la protection de l’État concerne non seulement les efforts déployés par l’État, mais aussi les résultats concrets. Il s’agit du caractère adéquat de la protection de l’État : « [c]’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte » (Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250 aux paragraphes 5 et 6). De fait, plusieurs décisions ont confirmé qu’en ce qui concerne la protection de l’État la simple existence d’efforts sérieux ne suffit pas : il faut que ce que l’État accomplit concrètement constitue des mesures adéquates (Cervenakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 525 au paragraphe 74; Ruszo, aux paragraphes 27 et 28; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 785 au paragraphe 30; Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1176 au paragraphe 11; Ferko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1284 au paragraphe 55 [Ferko]; Meza Varela, au paragraphe 16).

[25]           Au passage, j’aimerais faire remarquer que l’avocat de M. Gudiel semble tenter de faire une distinction entre une protection « adéquate » et une protection « efficace au niveau opérationnel ». Un courant jurisprudentiel de la Cour donne à penser que « adéquate » pourrait être différent d’« efficace »; toutefois, ces décisions ne remettent pas en question le fait que la protection doit donner des résultats concrets (Kaleja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 668 au paragraphe 25; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1070 au paragraphe 14). Une protection qui est adéquate est une protection qui fonctionne au niveau opérationnel. Il a été établi que la notion du caractère adéquat de la protection de l’État commande que la SPR détermine si l’État est en mesure de mettre en œuvre des mesures sur le plan opérationnel ou pratique à l’intention des personnes concernées (Meza Varela, au paragraphe 16; Juhasz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 300 au paragraphe 44).

[26]           En l’espèce, l’argument voulant que la SPR a commis une erreur ou a omis de procéder à cette analyse n’est pas fondé. Au contraire, la SPR a de fait conclu que la protection de l’État salvadorien était adéquate et fonctionnait effectivement. Dans ses observations, M. Gudiel tente de se servir de la jurisprudence et de passages tirés des motifs de la SPR pour justifier son argument selon lequel un critère erroné a été appliqué. Mais la Cour doit étudier les motifs dans leur ensemble. En se fondant sur son examen approfondi de deux demandes de renseignements, la SPR a relevé les objectifs poursuivis par les autorités salvadoriennes et les efforts déployés par celles‑ci, et aussi tenu compte de la manière dont le pays offrait actuellement une protection adéquate à ses citoyens et de la mesure dans laquelle les services de police sont à la fois disposés à les protéger et effectivement capables de le faire.

[27]           Dans sa décision, la SPR ne se contente pas de mentionner la nouvelle législation antigang conçue par l’État salvadorien, son entrée en vigueur, et sa mise en œuvre dans le pays. Elle s’est également penchée sur les résultats pratiques de ces mesures législatives, elle a donné des exemples concrets illustrant la façon dont le gouvernement a déployé des forces militaires pour aider les policiers à lutter contre la violence des gangs, et elle a résumé les mesures prises dans ce sens. Comme c’était le cas dans l’affaire Carranza Benitez, au paragraphe 19, la SPR a examiné les éléments de preuve démontrant que la protection était adéquate au niveau opérationnel au Salvador.

[28]           La SPR a aussi traité de la situation particulière de M. Gudiel. Elle a pris en compte des cas où M. Gudiel et son fils se sont plaints à la police locale ainsi que le fait que la police avait réagi positivement et avait fourni de l’aide pour faire enquête au sujet des incidents en question. La preuve au dossier en ce qui concerne les rapports de police indique que les policiers ont donné suite aux plaintes et qu’ils ont indiqué à M. Gudiel comment obtenir la protection de la police et déposer des dénonciations. La SPR pouvait raisonnablement conclure que ces faits ne dénotaient pas un manque de protection de l’État.

[29]           Tout comme dans la décision Moran, au paragraphe 46, la SPR a raisonnablement conclu que la preuve faisait état d’« efforts pour lutter contre la criminalité des gangs et [du fait] que ces efforts étaient adéquats sur le plan opérationnel ». Autrement dit, la SPR a examiné les preuves relatives à la mise en œuvre concrète de mesures et elle a conclu que la protection de l’État était disponible, adéquate et efficace sur le plan opérationnel au Salvador.

[30]           Selon les principes qui sous‑tendent la notion de la disponibilité de la protection de l’État, le régime international de protection des réfugiés devrait intervenir seulement dans les cas où le pays du demandeur est incapable d’assurer sa protection (Ward, au paragraphe 709). Il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État en établissant de façon claire et convaincante l’incapacité d’un État de protéger ses citoyens. Cette analyse est de nature prospective et elle doit répondre à la question de savoir si l’État offrira sa protection dans l’éventualité d’un retour du demandeur dans son pays d’origine (Srichandradas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 829 au paragraphe 4).

[31]           Le critère ne suppose pas l’existence d’une protection parfaite de l’État, mais bien celle d’une protection adéquate. Pour être adéquate, la protection de l’État doit être efficace jusqu’à un certain point (Ferko, au paragraphe 44).

[32]           En l’espèce, la SPR a clairement appliqué le critère du caractère adéquat au plan opérationnel. Le fait que M. Gudiel ne soit pas d’accord avec la conclusion à laquelle est arrivée la SPR ne signifie pas qu’elle a commis une erreur à cet égard. Des éléments de preuve documentaire justifient les conclusions de la SPR, son analyse est détaillée et comportait plusieurs pages, et sa conclusion sur le caractère adéquat et la disponibilité réelle de la protection de l’État est suffisamment étayée. Je conclus donc que l’analyse par la SPR de la question de la protection de l’État était minutieuse, bien motivée et raisonnable.

C.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve relatifs à la protection de l’État?

[33]           En dernier lieu, M. Gudiel fait valoir que la SPR a ignoré ou a omis d’examiner des éléments de preuve clairs et convaincants qui réfutent la présomption de protection de l’État, y compris des documents qu’il a déposés et dans lesquels on peut lire que malgré l’adoption de mesures législatives antigangs, le gouvernement n’est pas en mesure de protéger ses citoyens et que la protection policière est limitée en raison de la corruption. M. Gudiel soutient que la SPR n’a pas exprimé clairement les motifs pour lesquels elle a préféré des éléments de preuve documentaire portant sur les tentatives de réforme législative pour lutter contre la violence des gangs et la corruption policière, et ignoré des éléments de preuve tendant à établir l’absence de protection.

[34]           Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation de la décision. J’estime plutôt que la SPR s’en est remise à juste titre à plusieurs documents dans son analyse et que ses conclusions font partie des issues possibles et raisonnables, compte tenu de la preuve au dossier. J’admets que M. Gudiel a invoqué d’autres documents qui paraissent faire contraste avec les conclusions de la SPR et comporté des conclusions différentes sur la situation en matière de protection de l’État au Salvador. Il fait référence en particulier à un rapport du Département d’État des États‑Unis et un document intitulé No Place to Hide.

[35]           Toutefois, je constate que les rapports dont la SPR a expressément fait mention dans sa décision étaient plus récents que la plupart des rapports et des articles sur lesquels M. Gudiel attirent l’attention de la Cour, dont bon nombre portaient sur la situation qui existait avant l’adoption des mesures législatives antigangs au Salvador. De plus, la SPR a reconnu qu’il existait des sources selon lesquelles le Salvador est l’un des pays les plus dangereux au monde, et elle a expressément admis que la preuve documentaire n’était pas unanime. Mais après avoir examiné de façon approfondie certains des éléments de preuve et avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve devant elle, la SPR est arrivée aux conclusions ci‑dessous en ce qui concerne la question de la protection de l’État :

-          Il y avait des incohérences dans l’ensemble de la preuve documentaire qui a été produite.

-          La SPR n’était pas persuadée que les autorités salvadoriennes ne prenaient pas de mesures contre le MS 13, le M 18 et d’autres gangs.

-          Les autorités déployaient des efforts sérieux pour réprimer la criminalité et elles obtenaient des résultats.

-          Le témoignage de M. Gudiel, selon lequel la police n’assurerait pas sa protection au Salvador, était hypothétique.

-          La preuve disponible concernant les cas précis où M. Gudiel ou sa famille ont porté plainte à la police indiquait que les autorités avaient réagi positivement. La police n’a pas ignoré ni rejeté les plaintes. La police a plutôt réagi et fait enquête.

-          M. Gudiel n’est peut‑être pas au courant des mesures prises par le gouvernement pour combattre et réprimer la criminalité liée aux gangs au Salvador au fil des ans, étant donné qu’il a quitté le pays il y a environ douze ans.

[36]           En fait, M. Gudiel invite la Cour à apprécier de nouveau la preuve en sa faveur. Lorsqu’il s’agit de procéder à l’analyse du caractère raisonnable de conclusions factuelles, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve ni de réévaluer l’importance relative que le décideur a accordée aux éléments de preuve pertinents (Kanthasamy, au paragraphe 99). Si la conclusion est raisonnable, le tribunal chargé du contrôle judiciaire ne doit pas substituer sa conception d’une issue préférable.

[37]           Les analyses relatives à la protection de l’État ne sont habituellement pas choses aisées compte tenu du volume important de la preuve documentaire, souvent contradictoire, dont dispose la SPR. C’est la raison pour laquelle il est important, dans le cadre du contrôle du caractère raisonnable, de reconnaître qu’on doit faire preuve de déférence envers la SPR lorsqu’elle est appelée à s’acquitter de cette tâche difficile.

[38]           M. Gudiel se plaint du fait que la SPR n’a pas expliqué adéquatement pourquoi elle a préféré la preuve documentaire qui allait dans le sens de ses conclusions, plutôt que la preuve contraire. Il renvoie à des décisions dans lesquelles la Cour a conclu qu’une déclaration générale du décideur selon laquelle il a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve omis semblent carrément contredire la conclusion factuelle de l’organisme (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.) au paragraphe 17 [Cepeda‑Gutierrez]). Notre Cour a également déterminé que la SPR commet une erreur si elle reconnaît l’existence d’éléments de preuve contraires, sans véritablement donner les motifs pour lesquels elle les considère non pertinents ni préciser la manière dont ces éléments de preuve ont été appréciés par rapport aux éléments de preuve d’un demandeur qui affirme que des demandes d’aide adressées à l’État n’ont pas porté fruit (Garcia Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 126 au paragraphe 11).

[39]           Toutefois, le décideur est présumé avoir pris en considération toute la preuve. Le fait que certains éléments de preuve documentaire ne soient pas mentionnés dans les motifs d’une décision n’est pas fatal (Hassan c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF) au paragraphe 3). De plus, la décision Cepeda‑Guttierez renvoie aux situations dans lesquelles une preuve substantielle contredisait carrément les conclusions du décideur; ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, l’omission de mentionner certains éléments de preuve, même contradictoires, ne signifie pas nécessairement que la SPR les a ignorés, qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de passer ces documents sous silence ou que cela constitue une erreur révisable. Dans la décision Carranza Benitez, après avoir examiné la protection de l’État au Salvador, la Cour a conclu, au paragraphe 24, que la SPR n’avait pas agi de manière déraisonnable en omettant de mentionner certains éléments de la preuve documentaire qui contredisaient ses conclusions sur la protection de l’État, et elle a ajouté que le décideur n’avait pas à traiter tous les éléments de preuve documentaire.

[40]           En l’espèce, je ne suis pas convaincu que la SPR a fait un usage déraisonnable et sélectif des éléments de preuve ni qu’elle a simplement ignoré la preuve favorable à M. Gudiel (Sanchez Aguilar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1054 au paragraphe 17). La SPR a sans détour fait mention de la violence au Salvador, mais elle a pris bonne note des rapports sur les mesures concrètes prises par le gouvernement ainsi que des cas où la protection de la police avait été offerte à M. Gudiel. La SPR a pris en compte les mesures prises par la police pour aider M. Gudiel et sa famille à la suite des plaintes qu’ils avaient portées, et elle a conclu que M. Gudiel n’avait pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante (Moran, au paragraphe 54). Cette conclusion n’avait rien de déraisonnable.

[41]           Je suis donc convaincu que la preuve a été traitée de manière raisonnable par la SPR et que les conclusions factuelles de celle‑ci ne sont pas teintées d’arbitraire ni d’irrationalité.

IV.             Conclusion

[42]           Pour les motifs énoncés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les conclusions de la SPR et son analyse relative aux risques auxquels M. Gudiel serait exposé ainsi qu’à la protection de l’État étaient raisonnables. De plus, la SPR a donné des motifs adéquats.

[43]           L’avocat de M. Gudiel avait proposé des questions à être certifiées relativement au caractère adéquat des efforts déployés par un État pour offrir sa protection. Étant donné que j’ai conclu en l’espèce que la SPR a de fait analysé les questions de l’efficacité réelle et du caractère adéquat des efforts déployés par l’État sur le plan opérationnel, les questions proposées par l’avocat de M. Gudiel ne seraient ni décisives en l’espèce ni déterminantes en appel. En conséquence, je ne certifierai aucune question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais;

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2054‑14

INTITULÉ :

HUGO ALBERTO MORAN GUDIEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 juin 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 23 juillet 2015

COMPARUTIONS :

Roger Rowe

POUR le demandeur

Kareena R. Wilding

POUR le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats de Roger Rowe

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR le défendeur

 

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