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Date : 20150722


Dossiers : IMM-7450-14

IMM-7452-14

IMM-7453-14

Référence : 2015 CF 861

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

Dossier : IMM-7450-14

ENTRE :

YIN JI RACHAEL CHOW

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-7452-14

ET ENTRE :

YIN HONG CLARA CHOW

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-7453-14

ET ENTRE :

YIN GWAN ELISIA CHOW

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de trois demandes de contrôle judiciaire présentées à l’encontre de trois décisions identiques par lesquelles un agent d’immigration a refusé les demandes de permis d’études des demanderesses. À l’audience, les avocats des parties ont convenu qu’il était approprié que la Cour prononce une seule décision pour les trois demandes.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

I.                   Le contexte

[3]               Les demanderesses sont des sœurs, toutes les trois mineures et ressortissantes de la Nouvelle‑Zélande. Leur mère est ressortissante coréenne et leur père est ressortissant néo‑zélandais. Leurs parents, munis de fiches de visiteur, étaient au Canada lorsqu’ils ont présenté des demandes de permis d’études pour leurs filles pour l’année scolaire 2014‑2015.

[4]               Les demanderesses ont d’abord demandé des permis d’études le 7 juillet 2014. Leurs demandes ont été refusées par lettre datée du 6 août 2014. Elles ont ensuite présenté de nouvelles demandes le 2 septembre 2014, lesquelles ont été refusées le 24 octobre 2014. Ce sont ces décisions qui sont en litige dans la présente instance.

[5]               Dans sa décision, l’agent a affirmé que les demanderesses ne correspondaient pas à la description de la loi sur l’immigration en ce qui a trait aux personnes admissibles à demander un permis d’études depuis le Canada. Une demande de ce type doit être faite dans un bureau canadien des visas à l’étranger.

[6]               Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) révèlent que l’agent a décidé que les demanderesses n’étaient pas admissibles à faire leurs études au Canada, au titre du paragraphe 30(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), du fait que leurs parents avaient des fiches de visiteurs. Par conséquent, les demanderesses n’étaient pas visées par le nouveau sous‑alinéa 215(1)f)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), parce qu’elles ne poursuivaient pas des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire. Elles doivent donc faire leur demande de permis d’études depuis l’étranger.

[7]               Les demanderesses allèguent qu’il s’agit d’une interprétation déraisonnable des dispositions pertinentes de la LIPR et du RIPR.

II.                La question en litige

[8]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, compte tenu du fait que le point litigieux est une question d’interprétation législative et une question de fait et de droit, intéressant l’interprétation par l’agent de sa loi habilitante et du règlement s’y rapportant (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 124 [Dunsmuir]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30; McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 21).

[9]               Par conséquent, la seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’agent a fait une interprétation déraisonnable du sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR et du paragraphe 30(2) de la LIPR.

III.             Les dispositions législatives et réglementaires

[10]           Les principales dispositions législatives et réglementaires invoquées par les parties dans leur argumentation sont reproduites ci‑dessous.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Études et emploi

30. (1) L’étranger ne peut exercer un emploi au Canada ou y étudier que sous le régime de la présente loi.

Work and study in Canada

30. (1) A foreign national may not work or study in Canada unless authorized to do so under this Act.

Enfant mineur

(2) L’enfant mineur qui se trouve au Canada est autorisé à y étudier au niveau préscolaire, au primaire ou au secondaire, à l’exception de celui du résident temporaire non autorisé à y exercer un emploi ou à y étudier.

Minor children

(2) Every minor child in Canada, other than a child of a temporary resident not authorized to work or study, is authorized to study at the pre-school, primary or secondary level.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

Permis non exigé

186. L’étranger peut travailler au Canada sans permis de travail

No permit required

186. A foreign national may work in Canada without a work permit

v) s’il est titulaire d’un permis d’études et si, à la fois:

(v) if they are the holder of a study permit and

(i) il est un étudiant à temps plein inscrit dans un établissement d’enseignement désigné au sens de l’article 211.1,

(i) they are a full-time student enrolled at a designated learning institution as defined in section 211.1,

(ii) il est inscrit à un programme postsecondaire de formation générale, théorique ou professionnelle ou à un programme de formation professionnelle de niveau secondaire offert dans la province de Québec, chacun d’une durée d’au moins six mois, menant à un diplôme ou à un certificat,

(ii) the program in which they are enrolled is a post-secondary academic, vocational or professional training program, or a vocational training program at the secondary level offered in Quebec, in each case, of a duration of six months or more that leads to a degree, diploma or certificate, and

(iii) il travaille au plus vingt heures par semaine au cours d’un semestre régulier de cours, bien qu’il puisse travailler à temps plein pendant les congés scolaires prévus au calendrier;

(iii) although they are permitted to engage in full-time work during a regularly scheduled break between academic sessions, they work no more than 20 hours per week during a regular academic session; or

w) s’il est ou a été titulaire d’un permis d’études, a terminé son programme d’études et si, à la fois :

(w) if they are or were the holder of a study permit who has completed their program of study and

(i) il a satisfait aux exigences énoncées à l’alinéa v),

(i) they met the requirements set out in paragraph (v), and

(ii) il a présenté une demande de permis de travail avant l’expiration de ce permis d’études et une décision à l’égard de cette demande n’a pas encore été rendue.

(ii) they applied for a work permit before the expiry of that study permit and a decision has not yet been made in respect of their application.

Permis non exigé

188. (1) L’étranger peut étudier au Canada sans permis d’études dans les cas suivants :

No permit required

188. (1) A foreign national may study in Canada without a study permit

c) il suit un cours ou un programme d’études d’une durée maximale de six mois qu’il terminera à l’intérieur de la période de séjour autorisée lors de son entrée au Canada;

(c) if the duration of their course or program of studies is six months or less and will be completed within the period for their stay authorized upon entry into Canada;

Demande avant l’entrée au Canada

213. Sous réserve des articles 214 et 215, l’étranger qui cherche à étudier au Canada doit, préalablement à son entrée au Canada, faire une demande de permis d’études.

Application before entry

213. Subject to sections 214 and 215, in order to study in Canada, a foreign national shall apply for a study permit before entering Canada

Demande au moment de l’entrée

214. L’étranger peut faire une demande de permis d’études au moment de son entrée au Canada dans les cas suivants :

a) il est un national ou résident permanent des États-Unis;

b) il a été légalement admis aux États-Unis à titre de résident permanent;

c) il est résident du Groenland;

d) il est résident de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon

Application on entry

214. A foreign national may apply for a study permit when entering Canada if they are

(a) a national or a permanent resident of the United States;

(b) a person who has been lawfully admitted to the United States for permanent residence;

(c) a resident of Greenland; or

(d) a resident of St. Pierre and Miquelon.

Demande après l’entrée au Canada

215. (1) L’étranger peut faire une demande de permis d’études après son entrée au Canada dans les cas suivants :

a) il est titulaire d’un permis d’études;

b) il a été autorisé à étudier au Canada en vertu du paragraphe 30(2) de la Loi ou de l’alinéa 188(1)a) du présent règlement et la demande est faite dans la période commençant quatre-vingt-dix jours avant la date d’expiration de l’autorisation et se terminant quatre-vingt-dix jours après cette date;

c) il est titulaire d’un permis de travail;

d) il fait l’objet d’une mesure de renvoi qui ne peut être exécutée;

e) il est titulaire, aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi, d’un permis de séjour temporaire qui est valide pour au moins six mois;

f) il est un résident temporaire qui, selon le cas :

(i) poursuit des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire,

(ii) est un étudiant en visite ou participe à un programme d’échange dans un établissement d’enseignement désigné,

(iii) a terminé un cours ou un programme d’études exigé pour       s’inscrire à un établissement d’enseignement désigné;

g) il se trouve dans l’une des situations visées à l’article 207.

Application after entry

215. (1) A foreign national may apply for a study permit after entering Canada if they

(a) hold a study permit;

(b) apply within the period beginning 90 days before the expiry of their authorization to engage in studies in Canada under subsection 30(2) of the Act, or paragraph 188(1)(a) of these Regulations, and ending 90 days after that expiry;

(c) hold a work permit;

(d) are subject to an unenforceable removal order;

(e) hold a temporary resident permit issued under subsection 24(1) of the Act that is valid for at least six months;

(f) are a temporary resident who

(i) is studying at the preschool, primary or secondary level,

(ii) is a visiting or exchange student who is studying at a designated learning institution, or

(iii) has completed a course or program of study that is a prerequisite to their enrolling at a designated learning institution; or

(g) are in a situation described in section 207.

IV.             Les arguments

A.                Les observations des demanderesses

[11]           Les demanderesses soulignent que, selon le paragraphe 30(1) de la LIPR, l’étranger ne peut étudier au Canada « que sous le régime de la présente loi », et que c’est ce qui explique pourquoi elles ont demandé des permis d’études. Le paragraphe 30(2) crée une exception pour les enfants des niveaux préscolaire, primaire ou secondaire, pour qui le permis d’études n’est pas obligatoire. Toutefois, cette exception ne s’applique pas aux enfants mineurs des résidents temporaires qui ne sont eux-mêmes pas autorisés à exercer un emploi ou à étudier. Les demanderesses soutiennent que cela signifie que des enfants dans cette situation doivent demander un permis pour étudier au Canada, et c’est ce qu’elles ont fait.

[12]           Les demanderesses ont ensuite soulevé l’argument selon lequel l’agent avait commis une erreur dans son interprétation du sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR. L’agent a interprété cette disposition comme signifiant qu’il aurait fallu que les demanderesses soient en train de faire leurs études à une école pour demander un permis d’études, en vertu de cette disposition, qui autorise la présentation d’une demande après l’entrée au Canada. Par ailleurs, l’article 213 du RIPR prévoit que la demande doit être faite avant l’entrée au Canada.

[13]           Les demanderesses soutiennent que cette interprétation du sous‑alinéa 215(1)f)(i) est indéfendable. Elles soulignent que, dans l’interprétation d’une loi, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21). De plus, un « texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Loi sur l’interprétation, LRC, 1985, c I-21, article 12). Les demanderesses affirment que le nouveau sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR doit bénéficier d’une interprétation libérale, parce qu’il est censé constituer une exception à la règle générale voulant que les étrangers doivent demander un permis d’études avant d’entrer au Canada.

[14]           Selon l’interprétation privilégiée par les demanderesses, les mots « poursuit des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire » au sous‑alinéa 215(1)f)(i) évoquent le niveau où l’enfant étudiera, et non une exigence voulant que l’enfant soit actuellement aux études. Dans ses observations formulées de vive voix, l’avocat des demanderesses a également prétendu que le fait que les demanderesses soient inscrites à l’école, même si elles n’avaient pas encore le droit d’entrer dans la classe, était suffisant pour que l’on considère qu’elles sont actuellement aux études pour les besoins du sous‑alinéa 215(1)f)(i).

[15]           Les demanderesses prétendent que cette disposition ne peut logiquement être interprétée comme exigeant que l’enfant fréquente déjà l’école au Canada lorsqu’il demande le permis d’études. Elles affirment que cela se produirait dans trois scénarios seulement : l’enfant a déjà un permis d’études qu’il a obtenu à l’étranger; l’enfant est l’enfant mineur d’un résident permanent qui est autorisé à exercer un emploi ou à étudier au Canada ou l’enfant fréquente illégalement l’école sans avoir de permis. Aucun de ces scénarios ne s’applique aux demanderesses ou aux autres enfants mineurs se trouvant dans une situation semblable à celle des demanderesses. Elles avancent que l’interprétation de l’agent rend donc cette disposition vide de sens et qu’elle va à l’encontre de l’objet du texte de loi.

[16]           Les demanderesses mentionnent que la disposition a pour objet de permettre aux enfants mineurs qui, comme les demanderesses, sont déjà au Canada, mais qui ne sont pas visés par l’exemption du paragraphe 30(2) de la LIPR, de demander un permis d’études depuis le Canada. À l’appui de leur prétention concernant l’objet du nouveau sous‑alinéa 215(1)f)(i), elles renvoient à un avis du gouvernement du Canada daté du 12 février 2014, suivant la publication des modifications réglementaires en question dans la Gazette du Canada (DORS/2014-14, 29 janvier 2014, Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés), qui précisait que les modifications visaient à renforcer la position du Canada comme destination par excellence pour les étudiants étrangers éventuels.

[17]           Les demanderesses ont également renvoyé au Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), qui accompagnait les modifications, en soulignant que les répondants s’étaient montrés favorables à l’idée d’accroître le bassin d’étrangers pouvant présenter une demande de permis d’études depuis le Canada.

B.                 Les observations du défendeur

[18]           Le défendeur prétend que c’est à bon droit que l’agent a conclu que les demanderesses ne satisfaisaient pas au critère du sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR, étant donné qu’elles ne poursuivaient pas des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire au moment de la demande. La disposition énonce que la demande de permis d’études peut être faite depuis le Canada si la personne poursuit des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire. Une interprétation selon le sens ordinaire et grammatical de la disposition conduit à la même conclusion que l’agent.

[19]           Le défendeur fait également référence au REIR pour étayer la proposition selon laquelle la nouvelle disposition n’était pas censée s’appliquer aux personnes comme les demanderesses, mais était plutôt censée permettre aux étudiants qui poursuivaient déjà des études au Canada, sans permis d’études, d’en demander un depuis le Canada. Le défendeur souligne, en s’appuyant sur le REIR, que l’alinéa 215(1)f) s’appliquerait aux étudiants visés par le paragraphe 30(2) qui doivent demander un permis d’études lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité, à ceux qui étudient au Canada depuis moins de six mois (sans permis d’études comme l’autorise l’alinéa 188(1)c) du RIPR) et qui veulent continuer leurs études au Canada ou aux étudiants qui n’ont pas besoin d’un permis d’études, mais qui en veulent un quand même pour avoir une preuve tangible d’autorisation aux études ou pour bénéficier de certains avantages sous le régime de la LIPR ou du RIPR (comme le droit de travailler en vertu de l’alinéa 186v) ou w) du RIPR sans détenir de permis de travail).

[20]           Par conséquent, le fait que les demanderesses ou d’autres personnes se trouvant dans la même situation ne peuvent bénéficier de l’exemption prévue au sous‑alinéa 215(1)f)(i) ne rend pas l’interprétation de l’agent déraisonnable.

V.                Analyse

[21]           Le postulat de base, prévu au paragraphe 30(1) de la LIPR, est que l’étranger doit obtenir une autorisation pour étudier au Canada. Le paragraphe 30(2) prévoit une exception : les enfants peuvent étudier au niveau préscolaire, primaire ou secondaire, sauf ceux des résidents non autorisés à exercer un emploi ou à étudier au Canada. En l’espèce, les parties conviennent que les demanderesses sont les enfants de résidents temporaires non autorisés à exercer un emploi ou à étudier au Canada, étant donné que leurs parents ont des fiches de visiteur. Par conséquent, l’exception prévue au paragraphe 30(2) ne s’applique pas aux demanderesses.

[22]           Dans le cas où un étranger doit obtenir un permis d’études, le postulat de base, prévu à l’article 213 du RPIR, est que la demande de permis doit être faite préalablement à son entrée au Canada. Les articles 214 et 215 du RIPR créent des exceptions à cette exigence et permettent, dans certaines circonstances, que la demande soit faite au moment de l’entrée au Canada ou après son entrée.

[23]           Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le nouveau sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR, qui est entré en vigueur le 1er juin 2014, s’applique aux demanderesses et si l’agent aurait dû leur accorder un permis d’études conformément à cette disposition réglementaire. La Cour conclut, pour les motifs qui suivent, qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le sous‑alinéa 215(1)f)(i) ne s’appliquait pas aux demanderesses et qu’elles devaient donc demander un permis d’études depuis l’étranger.

[24]           Si l’on tient compte du sens ordinaire et grammatical (Bell Express Vu c Rex, [2002] 2 RCS 559, du paragraphe 26) du sous‑alinéa 215(1)f)(i), qui énonce que l’étranger « poursuit des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire », il était raisonnable de la part de l’agent d’interpréter cette disposition comme si elle s’appliquait seulement à un résident temporaire qui poursuit actuellement des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire. Il n’y a rien dans cette disposition ou dans le reste de la LIPR ou du RIPR qui rendrait cette interprétation déraisonnable. Même si cette interprétation est plus étroite que celle qui est privilégiée par les demanderesses, il demeure qu’elle s’harmonise avec l’esprit de la LIPR et des autres dispositions de la LIPR et du RIPR limitant le droit des étrangers qui veulent étudier au Canada sur une base temporaire de faire une demande depuis le Canada.

[25]           Comme je l’ai expliqué précédemment, le défendeur a donné des exemples de situations où des étrangers qui étudient légalement au Canada tireraient avantage de cette disposition, du fait qu’ils auraient le droit de demander un permis d’études pour continuer leurs études, et ce, sans devoir quitter le Canada. Par conséquent, le nouveau sous‑alinéa 215(1)f)(i) n’est pas devenu vide de sens en raison de l’interprétation de l’agent, comme l’affirment les demanderesses.

[26]           Les deux parties ont également invité la Cour à se référer au REIR pertinent comme outil d’interprétation. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans Société canadienne de gestion des droits voisins c Astral Media Radio Inc, 2010 CAF 16, au paragraphe 23 :

Bien que le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qu’a publié la Commission accessoirement au Règlement ne fasse pas partie du Règlement, la Cour peut en tenir compte pour interpréter ce dernier […]

[27]           La partie du REIR qui se rapporte à la question soulevée en l’espèce est rédigée en ces termes :

Modifications réglementaires concernant la présentation d’une demande de permis d’études depuis le Canada

Certains étrangers souhaitant présenter une demande de permis d’études afin de fréquenter un établissement d’enseignement désigné après leur entrée au Canada à titre de résidents temporaires, y compris ceux qui fréquentent un établissement préscolaire, primaire ou secondaire, les étudiants invités ou participant à un programme d’échange, ou ceux qui ont terminé un cours ou un programme d’études qui est un préalable à leur acceptation dans un établissement désigné, sont autorisés, en vertu des nouvelles dispositions réglementaires, à soumettre leur demande au Canada plutôt que de devoir quitter le pays pour présenter une demande à l’étranger. Ce changement facilite le passage du statut de visiteur à celui de titulaire de permis d’études pour les mineurs qui atteignent l’âge de la majorité. Il facilite également cette transition dans le cas des étudiants invités ou participant à un programme d’échange dans un établissement désigné qui souhaitent être transférés dans cet éta­blissement de façon permanente afin d’y terminer leurs études, ainsi que dans le cas des étudiants qui souhaitent s’inscrire à un programme d’études collégiales ou universitaires de longue durée après avoir suivi un programme préparatoire à court terme.
[Non souligné dans l’original.]

[28]           Le passage souligné dans l’extrait du REIR ci-dessus, qui semble se rapporter au sous‑alinéa 215(1)f)(i), étaye l’argument du défendeur selon lequel cette disposition s’applique aux étudiants qui, conformément au paragraphe 30(2), doivent demander un permis d’études lorsqu’ils ont atteint l’âge de la majorité. Il n’étaye pas l’argument des demanderesses selon lequel cette disposition s’applique aux étrangers se trouvant dans la même situation que celle des demanderesses qui veulent étudier ou qui se sont inscrits dans une école du niveau préscolaire, primaire ou secondaire.

[29]           Les demanderesses soutiennent que l’interprétation de la disposition par l’agent est déraisonnable, parce qu’elle ne s’applique pas aux demanderesses ou aux autres enfants mineurs se trouvant dans une situation semblable à la leur. Avec égards, l’argument des demanderesses est vicié, parce qu’il repose sur la thèse selon laquelle la disposition vise à permettre à tous les enfants mineurs, comme les demanderesses, qui sont déjà au Canada, mais qui ne sont pas visés par l’exemption du paragraphe 30(2) de la LIPR, de demander un permis d’études depuis le pays. Les demanderesses n’ont toutefois fourni aucun argument convaincant à l’appui de cette thèse.

[30]           Les demanderesses ne sont pas d’accord avec l’agent quant à son interprétation de la loi, mais ce n’est pas un motif pour annuler la décision. L’interprétation donnée par l’agent confère tout de même une nature corrective au sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR, mais d’une façon plus étroite que l’interprétation proposée par les demanderesses. Cela ne signifie pas que l’interprétation de l’agent n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

VI.             Conclusion

[31]           Compte tenu des motifs qui précèdent, et de la conclusion de la Cour selon laquelle l’agent a interprété les dispositions pertinentes de manière raisonnable, les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

VII.          La question certifiée

[32]           Les demanderesses ont demandé que la question suivante soit certifiée à titre de question grave de portée générale en vue d’un appel devant la Cour d’appel fédérale :

[traduction]

Les dispositions du sous-alinéa 215(1)f)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui est rédigé en ces termes :

215. (1) L’étranger peut faire une demande de permis d’études après son entrée au Canada dans les cas suivants [] f) il est un résident temporaire qui, selon le cas : (i) poursuit des études au niveau préscolaire, primaire ou secondaire. [Non souligné dans l’original.]

doivent-elles être restreintes aux étudiants qui étudient actuellement/effectivement dans une institution préscolaire, primaire ou secondaire au Canada (selon l’interprétation littérale et restrictive des mots « poursuit des études »), ou doivent-elles être interprétées pour définir l’exemption, de manière à couvrir le « niveau » d’études des personnes qui se voient accorder une exemption, au titre de ces dispositions, de l’exigence de demander un permis d’études depuis l’étranger, parce qu’elles étudient au « niveau préscolaire, primaire ou secondaire ».

[33]           En vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, seule une « question grave de portée générale » peut être certifiée. Comme l’ont soutenu les demanderesses en invoquant Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9, pour être certifiée, une question doit : i) être déterminante quant à l’issue de l’appel; ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

[34]           Les demanderesses soutiennent qu’il a été satisfait à ce critère, parce que (i) les demandes seraient accueillies si l’interprétation du sous‑alinéa 215(1)f)(i) avancée par les demanderesses était adoptée, et (ii) cette interprétation aura une incidence sur les demandes de permis d’études présentées par d’autres personnes que les demanderesses.

[35]           Le défendeur s’oppose à la demande de certification, parce que la question n’est pas une question de portée générale, mais plutôt une question d’interprétation, restreinte à un seul aspect des modifications réglementaires prévues par DORS/2014-14, qui peut être résolue à l’aide des principes d’interprétation législative bien établis.

[36]           Bien que je convienne avec les demanderesses que l’interprétation qu’elles proposent pour le sous‑alinéa 215(1)f)(i) du RIPR permettrait de trancher l’appel, je souscris à l’opinion du défendeur selon laquelle la question proposée n’est pas une question grave de portée générale. En concluant ainsi, je souligne que, dans la décision Gittens c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 526, au paragraphe 6, le juge Strayer a décrit les questions graves comme étant celles qui soulèvent des doutes sérieux. Je ne suis pas convaincu que la question proposée par les demanderesses soulève pareil doute.

[37]           Je suis plutôt d’avis que la présente affaire s’apparente à celle examinée par le juge Mainville dans la décision Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1234, laquelle portait sur l’interprétation d’instructions ministérielles qui s’étaient fait attribuer un effet législatif en vertu de la LIPR et qui avaient été publiées dans la Gazette du Canada. La Cour a fait observer au paragraphe 24 que l’alinéa 74d) de la LIPR ne doit pas être invoqué à la légère (Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, au paragraphe 23) et elle a conclu que l’interprétation des instructions ministérielles à partir des faits très précis de l’affaire ne constituait pas une question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Il n’y a aucune question à certifier en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7450-14

INTITULÉ :

YIN JI RACHAEL CHOW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

DOSSIER :

IMM-7452-14

INTITULÉ :

YIN HONG CLARA CHOW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

DOSSIER :

IMM-7453-14

INTITULÉ :

YIN GWAN ELISIA CHOW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2015

JUgeMENT et motifs :

le juge southcott

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 22 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Cecil L. Rotenberg, c.r.

POUR LES DEMANDERESSES

Nur Mohammed-Ally

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocat

Toronto (Ontario)

pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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