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Date : 20150715


Dossier : IMM‑6259‑14

Référence : 2015 CF 871

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

MALIK ALI KACHI,

RUBINA LALANI,

NABIL MALIK ALI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Malik Ali Kachi est citoyen de l’Inde.

-   Son épouse Rubina Lalani est citoyenne du Pakistan.

-   Leur fils Nabil Malik Ali est citoyen des États‑Unis.

-   Leur fille Maheen Kachi est citoyenne du Canada.

-   Ils sont tous des musulmans chiites ismaéliens.

[2]               Malik et Rubina se sont rencontrés et se sont mariés aux États‑Unis où aucun d’entre eux n’avait de statut. Leur fils Nabil y est né en 2000. Les parents n’ont pas été en Inde ou au Pakistan depuis l’an 2000. Nabil et Maheen n’ont jamais été dans ces pays.

[3]               Le père, la mère et le fils sont arrivés au Canada en 2008 et ont demandé l’asile. Leur demande a été rejetée, et ils ont fait l’objet d’une décision défavorable dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi.

[4]               Ils ont présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agente a conclu qu’ils ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils devaient suivre le processus habituel et demander la résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

I.                   La décision contestée

[5]               L’agente devait examiner le degré d’établissement au Canada des demandeurs, les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils étaient renvoyés et l’intérêt supérieur des enfants, Nabil et Maheen. Puisque Maheen est citoyenne canadienne, elle ne peut être renvoyée; cependant, comme jeune enfant, elle a besoin de l’amour et des soins de ses parents.

[6]               En ce qui concerne l’établissement au Canada, les époux ont tous deux un emploi rémunéré. Leurs enfants vont à l’école, et ils sont tous très actifs au sein de la communauté ismaélienne et ont largement participé à des activités de bénévolat. L’agente était d’avis que cela était insuffisant. Elle a conclu que :

[traduction]

Cependant, je ne suis pas d’avis que le degré d’établissement des demandeurs est plus élevé que celui auquel on s’attendrait d’autres personnes qui tentent de s’ajuster à un nouveau pays. Par conséquent, je ne peux conclure qu’en lui‑même, le degré d’établissement des demandeurs justifie l’exercice du pouvoir discrétionnaire que j’ai d’octroyer une exemption relativement aux conditions d’admissibilité au Canada.

[7]               Pour ce qui est du risque et des conditions défavorables, les demandeurs ont soutenu qu’à titre de musulmans chiites ismaéliens ils éprouveraient des difficultés en Inde et au Pakistan. L’agente a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un motif d’exemption suffisant. Cette conclusion n’était pas déraisonnable.

[8]               L’autre facteur en litige était la séparation de la famille. L’époux serait renvoyé en Inde et l’épouse, au Pakistan. La situation des enfants est à tout le mieux embrouillée.

[9]               Les demandeurs ont déposé de nombreux documents au sujet des tensions entre l’Inde et le Pakistan et des difficultés pour une épouse pakistanaise d’obtenir un visa indien à long terme, ou la citoyenneté indienne. Les éléments de preuve démontrent que cela n’est pas impossible, mais que les délais peuvent être très longs.

[10]           L’agente a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je suis d’avis que peu d’éléments de preuve ont été fournis pour démontrer que les demandeurs ne seraient pas éventuellement en mesure de vivre ensemble comme une famille soit dans le pays de citoyenneté du DP ou dans celui de son épouse.

[Je souligne.]

II.                Analyse

[11]           À mon avis, la décision n’est pas raisonnable, aussi bien en ce qui concerne le degré d’établissement au Canada que la vie future de la famille, dans l’éventualité où les époux et les enfants seraient renvoyés.

[12]           Malheureusement, les décisions que nous sommes appelés à trancher dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont celles pour lesquelles l’agent a conclu qu’il y a un degré d’établissement insuffisant au Canada afin de dispenser les demandeurs de présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada.

[13]           Il n’y a aucune décision qui définit ce qui constitue un degré d’établissement suffisant.

[14]           En l’espèce, la famille entière a été très active auprès de diverses organisations. S’ils étaient arrivés en tant que résidents permanents, ils n’auraient aucune obligation d’assister à des offices religieux, de participer à des activités communautaires, de faire du bénévolat ou de créer des amitiés. Dans Re Pourghasemi (1993), 62 FTR 122, [1993] ACF no 232 (QL), la Cour a conclu que la résidence, dans le contexte d’une demande de citoyenneté signifie une présence physique. Le juge Muldoon a fait les observations suivantes au paragraphe 3 :

Il est évident que l’alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d’acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser ». Il la fait en côtoyant les canadiens au centre commercial, au magasin d’alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d’automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l’ascenseur, à l’église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple ‑ en un mot là où l’on peut rencontrer des canadiens et parler avec eux ‑ durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat à la citoyenneté peut observer la société canadienne telle qu’elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés. Si le candidat ne passe pas par cet apprentissage, cela signifiera que la citoyenneté peut être accordée à quelqu’un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d’adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses. Si donc le critère s’applique à l’égard de certains candidats à la citoyenneté, il doit s’appliquer à l’égard de tous. Et c’est ainsi qu’il a été appliqué par Mme le juge Reed dans Re Koo, T‑20‑92, 3 décembre 1992, encore que les faits de la cause ne fussent pas les mêmes.

[Je souligne.]

[15]           La famille Malik n’était pas obligée de faire quoi que ce soit. Il n’est pas suffisant de dire que leur degré d’établissement était insuffisant sans établir de point de référence.

[16]           Cette lacune en elle‑même suffirait pour justifier de faire droit à une demande de contrôle judiciaire.

[17]           Pour ce qui est de la séparation de la famille, le dossier n’est pas aussi complet qu’on pourrait le souhaiter. Il aurait été plus utile que les renseignements soient recueillis auprès de sources officielles, notamment les hauts‑commissariats de l’Inde et du Pakistan. Il est hautement hypothétique d’affirmer qu’« éventuellement », la famille sera réunie. Quand est‑ce que cela se fera? Est‑ce qu’un ressortissant indien qui n’a pas mis le pied au pays depuis plus de quinze ans peut parrainer son épouse pakistanaise? La preuve est loin d’être claire. Une telle preuve laisse entendre que, si Mme Lalani habitait en Inde munie d’un visa, elle aurait une vie misérable.

[18]           Le guide de CIC intitulé IP‑5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire fournit certaines lignes directrices utiles permettant de déterminer si une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devrait être accueillie. En ce qui concerne la séparation de la famille, on a fait référence au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, où l’on trouve notamment parmi les principes pertinents la non immixtion dans la vie de famille, ainsi que l’importance et la protection de l’unité familiale.

[19]           On ne peut simplement conclure qu’« éventuellement » la famille sera réunie. Une analyse plus détaillée des possibilités réelles de renvoi aurait dû être envisagée.

[20]           On se souviendra que, dans Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, les deux parents retournaient dans le même pays, l’Argentine, et qu’ils emmenaient leurs enfants canadiens avec eux. Il n’y a eu aucune séparation. La situation en l’espèce est bien différente.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent d’examen des risques avant renvoi conformément aux directives formulées dans les présentes.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Nathalie Gadbois, B.A. (trad.), LL.L., J.D.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm‑6259‑14

INTITULÉ :

KACHI ET AL c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUILLET 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE :

LE 15 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

POUR LES DEMANDEURS

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Immigration Advocacy, Counsel & Litigation

Toronto (Ontario)

PORU LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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