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Date : 20150616


Dossier : T‑2065‑09

Référence : 2015 CF 753

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2015

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SHELDON BLANK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée par Sheldon Blank [le demandeur] en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi sur l’accès à l’information ou la Loi] visant la décision du ministère de la Justice de refuser de lui communiquer certaines parties des documents qu’il avait réclamés dans sa demande d’accès du 30 novembre 2006 et dans sa plainte subséquente du 16 mars 2007.

[2]               La présente demande devrait être rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Les faits

[3]               Après une enquête menée en 1992, le demandeur et son entreprise, Gateway Industries Ltd, ont été accusés en 1995 de 13 contraventions à la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 [Loi sur les pêches]. Selon cinq chefs d’accusation, une papetière appartenant au demandeur avait pollué la rivière Rouge, en violation de la Loi sur les pêches, et selon huit autres chefs d’accusation, le demandeur et son entreprise ne se seraient pas conformés aux exigences en matière de rapport prévues par le règlement pris en application de la Loi sur les pêches. En février 1996, des fonctionnaires du Procureur général du Canada [le ministère public], qui avaient compétence pour intenter des poursuites pour violation de la Loi sur les pêches et de son règlement d’application, ont choisi d’engager des poursuites par procédure sommaire.

[4]               Le 4 avril 1997, la Cour provinciale du Manitoba a annulé huit des 13 accusations visées au motif qu’elles ne précisaient pas le lieu où les infractions auraient été commises (R c Gateway Industries Ltd, [1997] MJ no 185). Les huit accusations visées avaient été portées en vertu du règlement.

[5]               Le 10 avril 2001, le juge Kennedy, de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, a annulé les cinq autres infractions poursuivies par procédure sommaire en vertu de la Loi sur les pêches, au motif qu’elles n’avaient pas été poursuivies dans le délai prescrit à défaut de certificat établissant à quel moment le ministre avait été mis au courant des violations alléguées : R c Gateway Industries Ltd, 2001 MBQB 106. Le ministère public a par la suite choisi de continuer à poursuivre les cinq chefs d’accusation restants par mise en accusation et en a informé le demandeur le 9 mai 2001. Le ministère public a porté de nouvelles accusations par mise en accusation en juillet 2002.

[6]               Entre-temps, en mai 2002, le demandeur et Gateway Industries Ltd ont introduit une action civile contre plusieurs personnes physiques et entités du gouvernement fédéral dans laquelle ils alléguaient la fraude, le complot, le parjure et l’exercice abusif des pouvoirs de la poursuite relativement aux 13 accusations portées contre eux. L’action civile est toujours pendante à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba et, à la date de la présente audience, elle n’avait pas encore été tranchée. La requête du demandeur concerne certains documents émanant du ministère de la Justice portant sur ce procès qui est toujours en cours.

[7]               Le 4 février 2004, le ministère public a estimé qu’il n’était plus dans l’intérêt public de continuer les poursuites et il a donc ordonné l’arrêt des procédures visant les cinq chefs d’accusation restants. À ce moment‑là, le demandeur ne faisait plus partie de l’entreprise Gateway Industries Ltd et l’usine de pâtes et papiers avait cessé ses activités.

[8]               Le 30 novembre 2006, le demandeur a présenté une demande d’accès en vertu de la Loi en vue d’obtenir :

[traduction]

Tous les documents et toutes les communications concernant ou mentionnant le procès civil visant Sheldon Blank et Gateway Industries Ltd (dossier no CI 02‑01‑28295 de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba) échangés entre Rod Garson et toute autre personne. La présente demande inclut les notes prises par Rod Garson à ce sujet.

[9]               Cette demande d’accès concerne les documents relatifs à l’action civile du demandeur actuellement en instance devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Cette action est défendue maintenant par le ministère de la Justice ou par son mandataire, le cabinet d’avocats Filmore Riley.

[10]           Le 14 mars 2007, le ministère de la Justice a écrit au demandeur une lettre à laquelle il a joint 194 pages qui constituaient les documents qu’il jugeait communicables en réponse à sa demande d’accès. Dans la même lettre, le ministère de la Justice refusait de communiquer au demandeur certaines parties des documents demandés en invoquant les exceptions prévues au paragraphe 19(1) (renseignements personnels), à l’alinéa 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (consultations ou délibérations), ainsi qu’à l’article 23 (secret professionnel des avocats) de la Loi.

[11]           Le 16 mars 2007, le demandeur a porté plainte au Commissaire à l’information au titre de la Loi, il alléguait que le ministère de la Justice avait effectué à tort des prélèvements parmi les documents qui lui avaient été remis et avait appliqué à tort certaines exceptions prévues par la Loi.

[12]           Le 16 juin 2009, le Bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels [AIPRP] du ministère de la Justice a rendu publics d’autres documents (27 pages) en réponse à la demande et à la plainte ultérieure du demandeur.

[13]           Le 27 juillet 2009, en réponse à la plainte du demandeur et après en avoir discuté avec le Commissariat à l’information [le CI], le bureau de l’AIPRP du ministère de la Justice a réexaminé les exceptions invoquées et a communiqué d’autres documents (15 pages).

[14]           Le CI a fait un compte rendu des conclusions de son enquête au demandeur le 10 novembre 2009. Le Commissaire à l’information se disait convaincu que le ministère de la Justice avait correctement : appliqué les exceptions, exercé son pouvoir discrétionnaire et effectué des prélèvements parmi les documents applicables. Le compte rendu du Commissaire à l’information portait sur les documents qui avaient été communiqués à l’origine au demandeur, ainsi que sur les tranches de 27 et de 15 pages qui lui avaient été transmises ultérieurement.

[15]           Le 9 décembre 2009, le demandeur a saisi la Cour, en vertu de l’article 41 de la Loi, d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministère de la Justice de refuser de lui communiquer certaines parties des documents qu’il réclamait. Dans sa demande, le demandeur réclamait un examen des documents dont la communication totale ou partielle lui avait été refusée. Il alléguait également dans sa demande que les prélèvements permis par l’article 25 de la Loi n’avaient pas été correctement appliqués et que ces documents devaient lui être communiqués, et une annexe en particulier.

[16]           Le 22 février 2010, le ministère de la Justice a révélé au demandeur et à la Cour que certains documents (111 pages) auraient dû être traités lors de l’examen de la demande d’accès du demandeur, mais avaient été omis par inadvertance. Les documents en question étaient des annexes de documents déjà traités.

[17]           Le 30 août 2010, le ministère de la Justice a écrit au demandeur une lettre à laquelle il a joint les 111 pages qui avaient été omises par inadvertance. Il a refusé de communiquer au demandeur certaines parties des documents demandés en invoquant les exceptions prévues au paragraphe 19(1) (renseignements personnels), à l’alinéa 21(1)a) (avis ou recommandations) et 21(1)b) (consultations ou délibérations), ainsi qu’à l’article 23 (secret professionnel des avocats) de la Loi. Un nouveau recueil des documents communiqués a été remis au demandeur. Ce recueil contenait tous les documents qui lui avaient été communiqués, tant ceux à l’égard desquels il avait porté plainte auprès du Commissaire à l’information que les 111 pages à l’égard desquelles il n’avait pas porté plainte ni demandé d’examen par le Commissaire à l’information, mais que le ministère de la Justice avait par la suite divulgués. Je tiens à signaler que 27 des pages en question avaient été communiquées intégralement au demandeur de sorte qu’elles n’étaient pas censées faire l’objet d’un examen ou d’un compte rendu.

[18]           L’article 41 de la Loi permet à la personne « qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information » d’exercer un recours devant la Cour. Le demandeur n’a pas déposé de plainte devant le Commissaire à l’information au sujet des 111 pages de documents supplémentaires en question.

[19]           Dans ces conditions, le défendeur a proposé ce qui suit au demandeur, si ce dernier souhaitait faire réviser par la Cour les pages plus récemment communiquées en même temps que celles déjà examinées par le Commissaire à l’information : 1) soit suspendre la présente demande de contrôle judiciaire en attendant l’issue de sa plainte au Commissaire à l’information et en attendant que ce dernier ait fait rapport de ses conclusions pour avoir la compétence nécessaire pour modifier la demande afin d’ajouter toutes les préoccupations du demandeur en ce qui concerne sa demande; 2) soit se désister de la présente demande de contrôle judiciaire et en présenter une nouvelle après avoir déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information au sujet de tous les documents qui lui ont été communiqués jusqu’ici et après que le Commissaire à l’information eut fait un compte rendu de ses conclusions à ce sujet.

[20]           Le demandeur – qui était parfois représenté et qui parfois ne l’était pas, et qui a pu ou non bénéficier de l’assistance d’un avocat dans le cadre de la présente demande, bien qu’il ait comparu devant moi en personne – a choisi de ne pas porter plainte auprès du Commissaire à l’information relativement aux nouveaux documents. Il a plutôt décidé de poursuivre sa demande. Il a unilatéralement versé au dossier de sa demande les 111 pages de documents susmentionnés, y compris les 27 pages qui lui avaient été communiquées intégralement et que le défendeur avait regroupées dans un recueil distinct.

[21]           Je tiens à signaler que le demandeur a beaucoup d’expérience en matière de demandes d’accès à des documents fédéraux : en janvier 2010, il avait présenté au ministère de la Justice 96 demandes d’accès à l’égard desquelles le bureau de l’AIPRP du Ministère avait examiné 61 312 documents. Le ministère de l’Environnement et le ministère des Pêches ont également fait l’objet de nombreuses demandes d’accès de la part du demandeur, qui a déposé beaucoup de demandes de contrôle judiciaire et interjeté de nombreux appels devant la Cour d’appel fédérale et qui s’est d’ailleurs représenté lui‑même devant la Cour suprême du Canada dans un des arrêts de principe sur l’accès à l’information au niveau du gouvernement du Canada.

[22]           Par suite de la décision du demandeur de ne pas porter plainte, le Commissaire à l’information n'a pas examiné les 84 pages (111 pages moins 27 pages) qui avaient été communiquées au demandeur par le ministère de la Justice et il n’a pas fait de compte rendu de ses conclusions à ce sujet.

[23]           La question de savoir si la Cour a compétence pour réviser des documents n’ayant pas fait l’objet de plainte devant le Commissaire à l’information a été soulevée devant le juge chargé de la gestion de l’instance. Le défendeur s’est à nouveau dit d’avis que le défaut de porter plainte au sujet des pages récemment communiquées soulevait une question de compétence. Le 30 août 2010, le juge Milczynski chargé de la gestion de l’instance a ordonné que la question de la compétence soit déférée au juge saisi de la demande, de sorte qu’elle se trouve maintenant posée à la Cour.

[24]           Les documents faisant l’objet de la plainte portée par le demandeur devant le Commissaire à l’information qui ont par la suite été examinés par le CI et au sujet desquels ce dernier a rendu compte de ses conclusions sont joints à l’affidavit de Mme Rhéaume en tant que pièces « I ». Les documents qui n’ont pas fait l’objet d’une plainte, d’un examen et d’un compte rendu des conclusions du Commissaire à l’information constituent la pièce B de l’affidavit de Mme Projean. Comme nous l’avons déjà signalé, les pages 2 à 28 de la pièce B ont été communiquées au demandeur intégralement, de sorte qu’il reste 84 pages qui n’ont pas fait l’objet d’une plainte, d’un examen et d’un compte rendu des conclusions.

II.                Les questions en litige

[25]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

A.                Les deux affidavits, soit les affidavits du 11 juillet 2011 et du 28 février 2013 que le demandeur a déposés à l’appui des requêtes interlocutoires soumises au protonotaire devraient‑ils être considérés au soutien de sa demande de contrôle judiciaire?

B.                 La demande de contrôle judiciaire des 84 pages supplémentaires communiquées le 30 août 2010 par le ministère de la Justice est‑elle prématurée?

C.                 Le ministère de la Justice a‑t‑il commis une erreur en appliquant l’exception discrétionnaire prévue par la Loi sur l’accès à l’information?

D.                Le ministère de la Justice a‑t‑il commis une erreur en effectuant des prélèvements parmi les documents en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’accès à l’information?

III.             La norme de contrôle

[26]           Aux paragraphes 57 et 62 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une analyse de norme de contrôle « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

[27]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il faut examiner deux décisions lorsque l’application d’une exception discrétionnaire prévue par la Loi est contestée : 1) la décision selon laquelle l’information non communiquée relève de l’exception; 2) la décision de refuser la communication des renseignements. C’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique en ce qui concerne la décision selon laquelle les renseignements non communiqués relèvent des exceptions prévues par la loi et c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique à la décision discrétionnaire de refuser la communication des renseignements visés par l’exception (Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 1221, au paragraphe 31 [Blank 2009 CF 1221]).

[28]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui est attendu de la cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[29]           Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui est attendu de la cour qui procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[30]           Les lignes directrices générales suivantes sont importantes en cas de contrôle judiciaire prévu par la Loi. Le juge de Montigny les résume comme suit aux paragraphes 23 à 26 de la décision Blank 2009 CF 1221 : 

[23]           L’objet de la Loi est de conférer au public un droit d’accès à l’information contenue dans les documents de l’administration. Ce droit d’accès n’est cependant pas absolu. Il est subordonné à des exceptions énoncées dans la Loi. Les exceptions à ce droit sont précises et limitées : paragraphe 2(1) de la LAI. 

[24]           Lorsqu’une personne se voit refuser l’accès à des renseignements et qu’elle a déposé une plainte auprès du commissaire à propos du refus, elle peut déposer devant la Cour, en vertu de l’article 41 de la LAI, un recours en révision de ce refus. L’accès du public à l’information gouvernementale ne doit pas être entravé par les cours de justice, sauf dans les circonstances les plus évidentes : Reyes c. Canada (Secrétaire d’État), [1984] A.C.F. n° 1135, 9 Admin. L.R. 296, au paragraphe 3 (C.F.). 

[25]           Dans une demande de révision fondée sur l’article 41 de la LAI, c’est à l’institution fédérale qu’il appartient d’établir que les renseignements en cause ont été validement soustraits à la communication : voir l’article 48 de la LAI. 

[26]           Lorsqu’un demandeur dépose un recours en révision de la décision de refuser la communication d’un document, la Cour bénéficie de l’enquête et du rapport du commissaire. L’opinion du commissaire est un facteur à prendre en compte dans un recours en révision, car il détient, en matière d’accès à l’information, une spécialisation que n’a pas la Cour : Canada(Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2004 CF 431, [2004] A.C.F. n° 524, au paragraphe 84, jugement infirmé pour d’autres motifs : 2005 CAF 199; Gordon c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 258, au paragraphe 20; [2008] A.C.F. n° 331; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CAF 405, [2005] A.C.F. n° 2040, au paragraphe 12. Cela dit, c’est le refus du responsable de l’institution fédérale que la Cour est chargée de revoir, et non les recommandations du commissaire.

[31]           En ce qui concerne les prélèvements prévus à l’article 25 de la Loi, le rôle de la Cour consiste à contrôler la décision du responsable de l’institution en matière de divulgation et de déterminer si cette décision était conforme à la Loi (Merck Frosst Canada Ltd c Canada (Santé), 2012 CSC 3, au paragraphe 232 [Merck Frosst]). Il me faut donc déterminer si le ministère de la Justice a correctement appliqué l’article 25.

IV.             Analyse

A.                Les deux affidavits, soit les affidavits du 11 juillet 2011 et du 28 février 2013 que le demandeur a déposés à l’appui des requêtes interlocutoires soumises au protonotaire devraient‑ils être considérés au soutien de sa demande de contrôle judiciaire?

[32]           Une réponse succincte à cette question est que ces affidavits ne devraient pas être considérés comme ayant été déposés à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a déposé des affidavits à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, laquelle a été introduite il y a plus de cinq ans. Il s’en est suivi de longs contre‑interrogatoires et de nombreux autres actes de procédures interlocutoires devant divers juges et protonotaires chargés de la gestion de l’instance. Deux de ces actes de procédure interlocutoire étaient des requêtes présentées par le demandeur à l’appui desquelles il a déposé les deux affidavits susmentionnés (datés du 11 juillet 2011 et du 28 février 2013). Ces requêtes ont été tranchées. Ce n’est que le troisième jour de l’audience à la Cour que le demandeur a demandé l’autorisation de déposer ces deux affidavits supplémentaires à l’appui de la demande de contrôle judiciaire en soi.

[33]           À mon avis, les affidavits déposés par le demandeur à l’appui des requêtes interlocutoires sont devenus caducs lorsque ces requêtes ont été tranchées. Ils ne font pas partie du dossier de la présente demande de contrôle judiciaire, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le demandeur ne les avait pas déposés à cette fin; ils ont été déposés en vue d’obtenir une mesure interlocutoire et non pour appuyer la demande elle‑même. En second lieu, bien que la Cour puisse autoriser le dépôt d’affidavits supplémentaires dans le cadre d’un contrôle judiciaire, cette mesure ne peut être autorisée que sur demande précise moyennant un préavis suffisant et avec présentation d’arguments et de pièces à l’appui. Or, aucune demande régulière n’a jamais été formulée. Inutile de dire qu’une telle demande aurait également dû être présentée en temps utile. En l’espèce, au lieu de présenter une requête avec un préavis suffisant et des pièces à l’appui longtemps avant l’audience et certainement avant de préparer son dossier, le demandeur s’est contenté de demander l’autorisation de déposer les deux affidavits en question le dernier jour d’une audience de deux jours et demi, à Winnipeg, le 9 avril 2015. Le demandeur a présenté cette requête plus de cinq ans après avoir déposé et signifié la présente demande. Même alors, le demandeur ne l’a formulée qu’après avoir été invité par la Cour à faire connaître sa position. La requête du demandeur est irrégulière sur le plan procédural et elle est entachée d’un vice fatal, en plus d’avoir été présentée beaucoup trop tard.

[34]           Le défendeur avait le droit de se fier aux faits sur lesquels la cause du demandeur reposait, sur les documents que ce dernier avait identifiés à cette fin et déposés à l’appui de sa demande, sur les documents déposés en réponse par le défendeur et sur les contre‑interrogatoires et les communications connexes subséquentes. Le défendeur avait le droit de connaître la cause à laquelle il devait répondre. Permettre le dépôt de ces documents à ce moment-ci serait inéquitable et injuste à l’égard du défendeur qui ne savait rien de l’intention du demandeur de déposer les deux affidavits en question jusqu’au moment où ils ont été versés à son dossier, il n’a pas eu la possibilité de contre‑interroger les auteurs de ces deux affidavits aux fins de la demande (contrairement aux requêtes à l’égard desquelles ils ont été déposés) et il n’a pas eu l’occasion de déposer des documents en réponse.

[35]           Je rejette l’argument du demandeur suivant lequel il avait le droit de déposer les deux affidavits en question et que, s’il souhaitait contester leur dépôt, le défendeur aurait dû le faire en déposant une requête en radiation distincte. Ce raisonnement est fait au mépris des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles des Cours fédérales]. C’était sur le demandeur que pesait l’obligation de demander à la Cour l’autorisation de déposer ces documents supplémentaires, ce qu’il n’a pas fait. Le défendeur s’est opposé à juste titre au dépôt de ces documents tant dans son mémoire qu’à l’audience. Je ne vois aucune raison de conclure que le défendeur aurait dû assumer les frais et les délais d’une autre requête en raison de la façon irrégulière dont le demandeur a versé les deux affidavits en question à son dossier. Le demandeur a agi unilatéralement, s’exposant ainsi au risque que les documents en question soient refusés. Ce risque s’est depuis matérialisé.

[36]           Le demandeur revendique également le droit de déposer les deux affidavits en question qui découleraient selon lui des ordonnances de gestion de l’instance rendues par le protonotaire. Cet argument est sans fondement. Aucune ordonnance ou directive conférant explicitement ou implicitement au demandeur le droit de déposer à nouveau ses documents de requête caducs à l’appui de la demande de contrôle judiciaire elle‑même ne m’a été montrée.

[37]           Le demandeur affirme que les affidavits en question sont importants pour sa cause. Cet argument est sans fondement. Leur importance constitue une raison de plus pour laquelle le demandeur aurait dû solliciter l’autorisation de les déposer et qu’il aurait dû le faire longtemps avant l’audience. Le demandeur a plutôt choisi d’attendre la dernière journée de l’audience. S’ils étaient importants pour lui, ils l’étaient également pour le défendeur. Le défendeur avait parfaitement le droit de connaître longtemps à l’avance la preuve qu’il devait réfuter.

[38]           À cet égard, le demandeur a invoqué à juste titre l’effet conjugué du paragraphe 84(2) et des articles 306 et 309 des Règles des Cours fédérales. L’alinéa 309(2)d) des Règles des Cours fédérales dispose que le dossier du demandeur « contient […] d) les affidavits et les pièces documentaires à l’appui de sa demande ». L’article 306 prévoit que les « affidavits et pièces documentaires » en question doivent être déposés « [d]ans les 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande ». Les deux affidavits contestés n’ont pas été déposés dans les 30 jours suivant la délivrance de l’avis de demande, de sorte qu’ils appuient la thèse du défendeur. L’article 312 prévoit les mesures supplémentaires qu’une partie peut choisir de prendre avec l’autorisation de la Cour pour déposer des affidavits en plus de celles énumérées à l’article 306 (affidavit du demandeur). Le demandeur n’a pris aucune de ces mesures :

Dossier complémentaire

Additional steps

312. Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

312. With leave of the Court, a party may

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

b) effectuer des contre‑interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

(b) conduct cross‑examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

c) déposer un dossier complémentaire.

(c) file a supplementary record.

[39]           Je constate également que l’article 363 dispose : « [u]ne partie présente sa preuve par affidavit, relatant tous les faits sur lesquels elle fonde sa requête qui ne figurent pas au dossier de la Cour » [non souligné dans l’original], ce qui confirme que les affidavits déposés à l’appui d’une requête doivent être invoqués à l’appui de la requête et non de la demande principale. Ce qui, en l’espèce, correspond à la demande.

[40]           Comme nous l’avons déjà fait observer, le demandeur a lui‑même expliqué dans chacun des affidavits contestés que ceux‑ci étaient déposés à l’appui de la requête à laquelle il se rapportait sans mentionner la présente demande. L’affidavit du 11 juillet 2011 du demandeur mentionne qu’il [traduction« souscrit le présent affidavit à l’appui de la présente requête sans aucun motif illégitime ». L’affidavit du 28 février 2013 du demandeur affirme qu’il [traduction« souscrit le présent affidavit de bonne foi et à l’appui de la présente requête et sans objectif illégitime ». Le demandeur ne déclare nulle part que ces affidavits sont souscrits à l’appui de la demande principale.

[41]           Par conséquent, la Cour ne tiendra pas compte des affidavits du 11 juillet 2011 et du 28 février 2013 antérieurement déposés à l’appui des requêtes interlocutoires du demandeur.

B.                 La demande de contrôle judiciaire des 84 pages supplémentaires communiquées le 30 août 2010 par le ministère de la Justice est‑elle prématurée?

[42]           Les faits relatifs à cet aspect de l’affaire ont déjà été relatés aux paragraphes 16 à 23 ci-dessus. Pour l’essentiel, le demandeur n’était pas satisfait de la réponse que le ministère de la Justice avait donnée à sa demande d’accès et il s’est donc adressé au Commissaire à l’information pour qu’il examine la question et qu’il rende compte de ses conclusions. Le Commissaire à l’information a réussi à obtenir d’autres documents qui ont été communiqués au demandeur. Toujours pas satisfait, le demandeur a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire. Par la suite, le défendeur a découvert 84 pages supplémentaires qu’il a communiquées et dont une grande partie a été caviardée ou alors la communication a été refusée. Comme nous l’avons déjà fait observer, 27 pages supplémentaires non caviardées ont été communiquées par le ministère de la Justice.

[43]           Le demandeur n’a pas demandé au Commissaire à l’information d’examiner les passages caviardés des 84 pages en question ou de rendre compte de ses conclusions à ce sujet. Le demandeur a plutôt choisi de s’adresser directement à la Cour et de lui demander de pouvoir exercer le recours prévu à l’article 41 en l’absence d’examen et compte rendu du Commissaire à l’information. Le défendeur lui a expliqué que cette façon de procéder allait à l’encontre de l’article 41, qui prévoit que les documents doivent avoir été examinés par le Commissaire à l’information et avoir fait l’objet d’un compte rendu des conclusions de ce dernier avant de pouvoir faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Malgré le fait qu’il a eu amplement la possibilité de le faire, qu’il était parfaitement conscient et qu’il a été pleinement prévenu des conséquences, le demandeur a personnellement choisi de ne pas se prévaloir de son droit de déposer une plainte devant le Commissaire à l’information. Par conséquent, les 84 pages en question ont été soumises directement à la Cour par le ministère de la Justice sans que le demandeur ait porté plainte et sans que le Commissaire à l’information les ait examinées et ait rendu compte de ses conclusions à leur sujet.

[44]           Le demandeur n’est nullement tenu de porter plainte auprès du Commissaire à l’information à quelque moment que ce soit ou à quelque sujet que ce soit. Toutefois, le défaut de porter plainte en l’espèce relativement aux 84 pages en question le rend irrecevable à demander à la Cour d’examiner les documents en question étant donné que sa demande est prématurée à cet égard.

[45]           Je conviens avec le défendeur qu’à défaut de plainte, d’examen et de compte rendu des conclusions du Commissaire à l’information en ce qui concerne les documents communiqués par le ministère de la Justice, la Cour n’a pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire des documents en cause en vertu de l’article 41 de la Loi, qui dispose :

Révision par la Cour fédérale

Review by Federal Court

41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante‑cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation [je souligne].

41. Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty‑five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty‑five days, fix or allow [emphasis added].

[46]           À mon sens, les mots « et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information » à l’article 41 constituent une condition de recevabilité à laquelle le demandeur doit satisfaire pour que la Cour puisse connaître d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de cet article. Le défaut du demandeur de déposer une plainte prive la Cour de la compétence nécessaire pour statuer sur sa demande de contrôle judiciaire relativement aux documents en question.

[47]           Je suis conforté dans cette conclusion par la Cour d’appel fédérale, qui déclare ce qui suit au paragraphe 27 de l’arrêt Canada (Commissaire à l’information du Canada) c Canada (Ministre de la Défense nationale) (1999), 240 NR 244 (CAF) :

27        L’enquête que doit mener le Commissaire est la pierre angulaire du système d’accès à l’information. Elle représente une méthode informelle de résolution des conflits où l’institution fédérale se voit investie non pas d’un pouvoir décisionnel, mais bien d’un pouvoir de recommandation auprès de l’institution concernée. L’importance de cette enquête est soulignée par le fait qu’elle constitue un préalable à l’exercice du pouvoir de révision, selon que le prévoient les articles 41 et 42 de la Loi. [Non souligné dans l’original].

[48]           Au paragraphe 55 de l’arrêt Statham c Société Radio‑Canada, 2010 CAF 315, [Statham], la Cour d’appel fédérale va dans le même sens en déclarant que :

En cas de plainte portant sur un refus présumé de donner communication, le plaignant peut présenter une demande de contrôle judiciaire dans les 45 jours du compte rendu des résultats donné par le commissaire conformément au paragraphe 37(2) de la Loi. L’utilité de la procédure choisie par le commissaire est illustrée par le fait que, lorsqu’elle est saisie d’un recours exercé en vertu de l’article 41 de la Loi, la Cour ne peut statuer sur l’application de toute dérogation ou exception invoquée en vertu de la Loi que si le commissaire n’a pas enquêté et rendu compte de ses conclusions au sujet de la dérogation ou de l’exception revendiquée. [Non souligné dans l’original].

[49]           La Cour d’appel fédérale a confirmé ce point de vue récemment aux paragraphes 8 et 9 de l’arrêt Whitty c Canada (PG), 2014 CAF 30 [Whitty] :

[8]        La Cour fédérale […] s’est donc fondée sur l’article 41 de la Loi pour conclure que la demande de contrôle judiciaire était prématurée. Selon l’article 41, une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée qu’après que le Commissariat a réalisé une enquête et rendu compte de ses conclusions au sujet de la plainte en question : voir, par exemple, Statham c. Société Radio‑Canada, 2009 CF 1028, [2010] 4 R.C.F. 216, au paragraphe 18, conf. par 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421. Au moment où la demande de contrôle judiciaire a été déposée, le Commissariat n’avait même pas nommé d’enquêteur pour examiner les allégations d’Environnement Canada portant sur les exceptions et les expurgations. L’article 41 de la Loi est l’expression légale des principes de common law selon lesquels, hormis des circonstances exceptionnelles, il faut avoir épuisé tous les autres recours appropriés avant de recourir à une demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Commissariat n’avait pas terminé son enquête et n’avait pas publié son rapport, la Cour fédérale estimait que la demande de contrôle judiciaire ne pouvait être déposée.

[9]        Rien ne justifie à notre avis de modifier l’interprétation et l’application qu’a faites la Cour fédérale de l’article 41 aux faits de l’espèce. [Non souligné dans l’original].

[50]           Il y a d’autres raisons pour lesquelles la Cour ne devrait pas contrôler judiciairement des documents qui n’ont jamais fait l’objet d’une plainte, d’une enquête ou d’un compte rendu de conclusions. La Loi est un régime législatif équilibré lorsqu’il s’agit de donner accès au public aux documents détenus par le gouvernement. L’examen indépendant des plaintes est effectué par le Commissaire à l’information, qui est un agent du Parlement, qui relève du Parlement et de personne d’autre. Le Commissaire à l’information est donc indépendant des ministères et des organismes du gouvernement du Canada. L’examen auquel il procède constitue donc un élément essentiel du régime législatif équilibré adopté par le Parlement. Le régime créé par la Loi autorise la Cour à tenir compte de l’opinion du Commissaire à l’information sur le caractère suffisant de la communication. Un poids considérable est donc accordé au point de vue du Commissaire à l’information, car il possède en matière d’accès à l’information des compétences et des connaissances étendues que la Cour n’a pas.

[51]           Les auteurs de demandes d’accès à l’information ne peuvent unilatéralement méconnaître l’une des pierres angulaires de notre régime d’accès à l’information (l’examen indépendant du Commissaire à l’information) et faire valoir un droit positif de s’adresser directement à la Cour pour chercher à obtenir la divulgation de documents à l’égard desquels ils n’ont pas d’abord sollicité l’aide du Commissaire à l’information.

[52]           Cette question de compétence a régulièrement été portée à l’attention du demandeur par le défendeur en août 2010. Le défendeur a également porté cette question à l’attention de la Cour lors d’une rencontre relative à la gestion de l’instance en août 2010. Le défendeur – et c’est tout à son honneur – a proposé des solutions visant à permettre de trancher tous les aspects de la présente demande en même temps que tous les autres documents et toutes les autres demandes.

[53]           Le demandeur allègue que le fait de ne pas examiner les documents supplémentaires en question dans le contrôle judiciaire à la Cour entraînera des retards. Il y avait quelques retards que ce soit, il serait entièrement imputable à la décision du demandeur de ne pas porter plainte ou Commissaire à l’information comme il était tenu de le faire. Malgré le dépôt des affidavits il y a environ quatre ans et demi, le demandeur n’a ni alors ni maintenant tenté de régulariser l’état de ces documents comme il aurait pu et dû le faire. La Cour ne peut pas remédier au fait que le demandeur a méconnu les exigences de la Loi.

[54]           À l’audience, pour justifier davantage sa décision de ne pas se conformer au régime législatif, le demandeur a allégué qu’il avait été traité de façon inéquitable par le CI. Même si c’était le cas, un tel traitement ne pourrait pas justifier son refus de se conformer au régime légal établi par l’article 41 de la Loi. Je tiens à signaler que le demandeur a tendance à recourir à des effets de langage dans sa plaidoirie et qu’il a fréquemment embelli ses arguments par des dénonciations graves et catégoriques de divers fonctionnaires et organismes, parmi lesquels, comme je l’ai déjà mentionné, le CI. Il ne s’est toutefois pas contenté de diriger ses attaques contre le gouvernement et les fonctionnaires du Parlement. Il a également accusé les tribunaux de faire preuve de « partialité » en faveur du ministère public. Bien qu’il ait repris cette allégation précise, comme dans le cas de ses critiques du CI, le demandeur n’a avancé aucun élément de preuve à l’appui. Ses objections sont dénuées de fondement.

[55]           En résumé, la requête présentée par le demandeur au sujet des 84 pages supplémentaires en question est prématurée. La défaut du demandeur de respecter une condition préalable prévue par la Loi pour pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire fait en sorte que la Cour n’a pas compétence pour examiner les documents mentionnés aux pages 248 à 258, 261 à 326, 342 et 343, et 345 à 349 de la pièce « B » de l’affidavit de Mme Projean. Comme nous l’avons déjà signalé, les pages 2 à 28 de la pièce « B » ont été communiquées intégralement et il n’est donc pas nécessaire de les examiner. Par conséquent, la Cour examinera uniquement les documents contenus à la pièce « I » de l’affidavit de Mme Rhéaume.

C.                 Le ministère de la Justice a‑t‑il commis une erreur en appliquant l’exception discrétionnaire prévue par la Loi sur l’accès à l’information?

[56]           Dans une instance comme la présente, la Cour contrôle la décision du ministère de la Justice de refuser au demandeur communication partielle de documents qui ont été communiqués et non le rapport ou les recommandations non contraignantes du Commissaire à l’information (Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 CF 245 (CF); Blank 2009 CF 1221, au paragraphe 26). Toutefois, compte tenu des compétences que le Commissaire à l’information possède en matière d’accès à l’information, ses conclusions appellent une déférence considérable et revêtent une grande importance (Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2005 CAF 405, au paragraphe 12; Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2010 CAF 183, au paragraphe 35 [Blank 2010 CAF 183]; Blank 2009 CF 1221, au paragraphe 26).

(1)               Paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information (renseignements personnels)

[57]           Le paragraphe 19(1) sur la Loi sur l’accès à l’information prévoit une exception en ce qui concerne les renseignements personnels :

Renseignements personnels

Personal information

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

19. (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

Cas où la divulgation est autorisée

Where disclosure authorized

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act that contains personal information if

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

b) le public y a accès;

(b) the information is publicly available; or

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

[58]           En ce qui concerne le recours, par le ministère de la Justice, au paragraphe 19(1) de la Loi pour refuser de communiquer des renseignements personnels concernant des individus identifiables, l’examen du Commissaire à l’information a convaincu celui-ci que les renseignements refusés répondaient à la définition de l’expression « renseignements personnels » prévue à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 qui est intégrée à la Loi sur l’accès à l’information au moyen du paragraphe 19(1). Le Commissaire à l’information a également fait observer qu’aucune des conditions permettant la communication de renseignements personnels prévues au paragraphe 19(1) de la Loi ne s’appliquait, étant donné que les renseignements n’étaient pas publics, que les personnes qu’ils concernaient n’y avaient pas consenti et que l’article 8 de la même Loi ne s’appliquait pas.

[59]           Bien qu’elles aient été soulevées dans l’avis de demande, les questions relatives à l’article 19 n’ont pas fait l’objet de revendication sérieuse par le demandeur. Quoi qu’il en soit, après avoir examiné les documents non divulgués ou caviardés, je ne vois rien sur lequel je puisse me fonder pour ordonner la communication des documents non divulgués au titre du paragraphe 19(1) de la Loi. Je partage l’avis du Commissaire à l’information à cet égard. La décision du ministère de la Justice suivant laquelle le dossier faisait partie de l’exception avancée était fondée et sa décision de refuser de communiquer ce document était raisonnable.

(2)               Article 23 de la Loi sur l’accès à l’information (secret professionnel des avocats)

[60]           L’article 23 de la Loi prévoit une exception dans le cas du secret professionnel des avocats :

Secret professionnel des avocats

Solicitor‑client privilege

23. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

23. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information that is subject to solicitor‑client privilege.

[61]           Les débats ont principalement porté sur ce point lors de l’audition de la demande.

[62]           Le Commissaire à l’information a terminé son enquête environ deux ans et demi après le dépôt de la plainte du demandeur. Le CI s’est dit [traduction] « convaincu » que les documents restants (après que le ministère de la Justice eut réexaminé les exceptions ainsi que les documents supplémentaires communiqués le 27 juillet 2009) répondaient aux critères de la catégorie et étaient des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat. Le CI a également conclu que les fonctionnaires du ministère de la Justice avaient correctement exercé leur pouvoir discrétionnaire, mais pas au point de renoncer au secret professionnel de l’avocat.

[63]           À mon avis, après avoir examiné le dossier confidentiel déposé, non caviardé, sous scellés, auprès de la Cour par le défendeur, j’estime que les exceptions revendiquées au titre de l’article 23 de la Loi ont été correctement revendiquées et que le ministère de la Justice a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire.

[64]           À cet égard, je signale que le secret professionnel des avocats a deux volets : le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige. Le défendeur peut invoquer l’un et l’autre. Le privilège de la consultation juridique ne comporte aucune date d’expiration tandis que le privilège relatif au litige s’éteint généralement à l’issue du litige qui lui a donné lieu (Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 [Blank 2006 CSC 39]). En l’espèce, le privilège relatif au litige existe toujours parce que la demande d’accès en cause concerne les documents se rapportant au procès que le demandeur a intenté devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba contre le gouvernement du Canada, ses employés et ses mandataires et qui est toujours en instance.

[65]           Compte tenu du fait que le demandeur demande au ministère de la Justice des documents concernant un procès en cours contesté par le ministère en question et ses mandataires, il n’est guère étonnant que le défendeur ait revendiqué à la fois le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige en ce qui concerne bon nombre des documents demandés.

[66]           Le demandeur fait valoir qu’en ce qui concerne les poursuites criminelles intentées contre lui, il a été traité avec mauvaise foi, que des décisions ont été prises de façon irrégulière, qu’il y a eu dissimulation d’actes répréhensibles, que les tribunaux ont été induits en erreur, et d’autres variantes de ces allégations. Le demandeur soutient que les actes en question lui ont causé des dommages et constituent des abus de procédure ouvrant droit à action. Je crois comprendre que le demandeur a formulé des allégations d’abus de procédure semblables ou analogues dans l’action au civil qu’il a intentée à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.

[67]           Le demandeur sollicite des documents au moyen de la Loi en vue d’établir ou de donner du poids à sa demande de dommages‑intérêts dans son action au civil. Bon nombre des arguments formulés par le demandeur dans la présente demande visent à faire en sorte que la Cour se prononce sur les prétentions qu’il a formulées dans son action civile. Il mentionne les nombreuses instances qu’il a introduites au fil des ans devant un grand nombre de juges tant devant la Cour criminelle provinciale du Manitoba que devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Il cherche à obtenir la communication de documents en vue de les utiliser pour son procès, en plus des documents auxquels il a droit en vertu des règles applicables de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Il ne perçoit que peu ou pas de distinctions entre le régime légal régissant son action civile et le présent contrôle judiciaire qu’il a introduit au titre de la Loi.

[68]           J’ai mentionné ce qui précède à titre d’éléments factuels parce que, indépendamment des droits que les règles de procédure civile du Manitoba lui reconnaissent, le demandeur a le droit de solliciter des documents en vertu de la Loi, de demander au Commissaire à l’information de les examiner et, s’il n’est pas satisfait, de demander à la Cour de procéder au contrôle judiciaire des documents dont la communication lui a été refusée dans le cadre d’une instance régulièrement introduite en conformité avec la Loi. L’action civile n’a pas pour effet d’élargir ou de restreindre les droits que la Loi confère au demandeur. Il peut obtenir toutes les réparations civiles auxquelles il a droit à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba et il peut revendiquer les droits que la Loi lui reconnaît. À la Cour, il sollicite une réparation légale prévue par un régime légal adopté par le Parlement. Il doit établir le bien‑fondé de sa cause d’après le dossier, la preuve, la loi et la jurisprudence applicables.

[69]           À cet égard, et avant d’examiner en profondeur le secret professionnel des avocats, je tiens à trancher d’autres questions préliminaires soulevées par le demandeur.

[70]           En premier lieu, le demandeur se plaint qu’il manque des documents. Il a formulé cette allégation devant le Commissaire à l’information, qui a réussi à faire produire par le défendeur l’unique annexe que le demandeur avait expressément mentionnée. Toutefois, la Cour n’a pas compétence pour ordonner « des recherches plus complètes » (Blank c Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 100 ACWS (3d) 377). Le même raisonnement a été suivi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Blank 2004 CAF 287 :

76        Toutefois, M. Blank souhaite que la Cour examine des documents qui, selon le dossier, ont soit été incorporés par renvoi aux dossiers existants soit annexés à des documents versés à ces documents, mais qui ne s’y trouvent plus. Une demande antérieure à cet effet fondée sur l’hypothèse que les dossiers du ministre étaient en quelque sorte incomplets a été rejetée pour absence de fondement factuel : voir Sheldon Blank & Gateway Industries Ltd. c. Le ministre de l’Environnement, précité, aux paragraphes 7 et 8. Le Commissaire avait fait enquête sur la question et il avait conclu que tous les documents avaient été repérés et qu’ils avaient été communiqués ou exemptés de la communication. Cela était suffisant pour trancher la demande.

77        Toutefois, j’aimerais répéter que le droit de M. Blank est un droit d’accès aux dossiers tels qu’ils existent entre les mains du responsable d’une institution fédérale. Ce qu’il demande à la Cour et ce qu’il a demandé au juge des requêtes, c’est, en fait, d’affirmer le pouvoir d’ordonner la reconstitution de ces documents. En l’absence d’une preuve que cela permettrait à la Cour d’avoir des motifs raisonnables de croire que l’intégrité des documents a été altérée, le pouvoir de révision de la Cour est limité à ceux qui ont été produits en l’espèce. La Cour n’a été saisie d’aucune preuve d’altération des documents et le juge des requêtes a eu raison de limiter sa révision aux documents dont il était saisi.

En l’espèce, je ne vois aucune raison de penser que l’intégrité des documents a été altérée.

[71]           Une autre question concerne le critère légal applicable pour déterminer dans quel cas la Cour peut déroger au secret professionnel des avocats ou ne pas en tenir compte, qu’il s’agisse du privilège de la consultation juridique ou du privilège relatif au litige. Je propose d’examiner le dossier en conformité avec les balises proposées par la Cour suprême du Canada aux paragraphes 44 et 45 de l’arrêt Blank 2006 CSC 39 :

44        Quoi qu’il en soit, le privilège relatif au litige ne saurait protéger contre la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui le revendique. Il ne s’agit pas d’un puits sans fond duquel la preuve que l’on s’est mal conduit ne pourra jamais être extraite pour être exposée au grand jour.

45        Même lorsque des documents seraient autrement protégés par le privilège relatif au litige, l’auteur d’une demande d’accès peut en obtenir la divulgation, s’il démontre prima facie que l’autre partie a eu une conduite donnant ouverture à action dans le cadre de la procédure à l’égard de laquelle elle revendique le privilège. Peu importe que le privilège soit revendiqué dans le cadre du litige initial ou d’un litige connexe, le tribunal peut examiner les documents afin de décider s’il y a lieu d’ordonner leur divulgation pour ce motif.

[72]           Je crois comprendre que la Cour suprême du Canada évoque l’inconduite donnant lieu à une action en tant que catégorie de documents à examiner, mais uniquement dans une instance pour laquelle le privilège relatif au litige est revendiqué, c’est‑à‑dire en l’espèce dans l’action civile en cours du demandeur. Je tiens également à signaler que le privilège relatif au litige du procès criminel s’est conclu par la suspension des chefs d’accusation restants en 2004.

[73]           Après avoir rendu l’arrêt Blank 2006 CSC 39, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 [Blood Tribe]. Au paragraphe 10 de l’arrêt Blood Tribe, la Cour suprême du Canada semble restreindre la portée des exceptions au secret professionnel des avocats aux communications qui sont criminelles en elles‑mêmes ou qui tendent à réaliser une fin criminelle :

[10]      Dans la présente affaire, la possibilité que l’employeur ait ou non envisagé un procès au moment où il a consulté son avocat n’a aucune importance. Bien que le privilège du secret professionnel de l’avocat ait d’abord été considéré comme une règle de preuve, il constitue sans aucun doute maintenant une règle de fond applicable à toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier donne des conseils juridiques ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat et non en qualité de conseiller d’entreprise ou à un autre titre que celui de spécialiste du droit : Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 885‑887; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456, par. 40‑47; McClure, par. 23‑27; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, par. 26; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), [2006] 2 R.C.S. 32; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189; Juman c. Doucette, [2008] 1 R.C.S. 157. Il existe une rare exception, qui ne s’applique pas en l’espèce : aucun privilège ne protège les communications criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle (voir Descôteaux, p. 881; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565). La nature extrêmement restreinte de cette exception fait ressortir, plutôt que l’atténuer, la suprématie de la règle générale selon laquelle le privilège du secret professionnel de l’avocat est établi et préservé de façon « aussi absolu[e] que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (McClure, par. 35). [Non souligné dans l’original.]

[74]           Je ne suis pas convaincu que, dans l’arrêt Blood Tribe, la Cour suprême visait à restreindre l’exception au secret professionnel de l’avocat énoncée antérieurement dans l’arrêt Blank 2006 CSC 39. Les motifs de la Cour suprême ne révèlent aucun débat en ce sens. Je reconnais l’importance accrue que la Cour suprême a accordée au secret professionnel de l’avocat. Toutefois, je vais appliquer le critère énoncé dans l’arrêt Blank 2006 CSC 39 qui concernait le même demandeur.

[75]           En gardant à l’esprit ces réflexions, j’ai examiné les passages exemptés ou caviardés de la pièce « I » de l’affidavit de Mme Rhéaume.

[76]           La Cour estime que la conclusion du défendeur suivant laquelle les documents faisaient partie de l’exception relative au secret professionnel de l’avocat était adéquate et elle conclut également que la décision du défendeur de ne pas communiquer de documents protégés au demandeur était raisonnable.

[77]           Lors de mon examen, je n’ai constaté aucun abus de procédure ou autre conduite répréhensible analogue. Mon examen n’a pas non plus révélé l’existence d’éléments de preuve démontrant prima facie que le ministère public avait eu une conduite donnant lieu à une action civile ou à vrai dire d’éléments de preuve démontrant prima facie l’existence d’une inconduite donnant lieu à une action criminelle maintenant terminée, soit les critères mentionnés dans l’arrêt Blank 2006 CSC 39. Pour répondre aux allégations précises et maintes fois réitérées du demandeur, la Cour n’a constaté aucun élément de preuve d’une dissimulation. De plus, je n’ai constaté aucun élément de preuve établissant un acte répréhensible.

[78]           Je tiens à ajouter, par souci de précaution, que je n’ai constaté aucun élément de preuve de « communications criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle » au sens de l’arrêt Blood Tribe.

[79]           Je n’ai pu trouver aucun élément de preuve de conduite répréhensible dans l’un quelconque des documents que j’ai examinés. Même si j’en avais trouvé, ce qui n’est pas le cas, la Cour d’appel fédérale a expressément déclaré que l’« inconduite » ne constituait pas en soi une exception reconnue au secret professionnel des avocats, au paragraphe 20 de l’arrêt Blank 2010 CAF 183. Je n’ai pas non plus constaté l’existence de communications visant à perpétuer un délit comme la Cour d’appel l’a mentionné dans le même paragraphe de ses motifs, dans la mesure où ce type d’acte délictueux est différent de quelque manière de l’exception relative aux actes mentionnés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blank 2006 CSC 39.

[80]           Il vaut la peine de signaler que la Cour et la Cour d’appel fédérale en sont arrivées à la même conclusion à d’autres occasions dans d’autres affaires dans lesquelles le demandeur avait avancé le même argument ou des arguments similaires (Blank c Canada (Ministre de la Justice) 2003 CFPI 462, au paragraphe 8 (CF); Blank 2004 CAF 287, au paragraphe 64; Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CF 841, au paragraphe 35; Blank c Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1253, au paragraphe 33; Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 147, aux paragraphes 18 et 19; Blank c Canada (Ministre de l’Environnement), 2007 CAF 289, aux paragraphes 9 et10 [Blank 2007 CAF 289]; Blank 2010 CAF 183, aux paragraphes 19 et 20).

[81]           À mon avis, la conclusion tirée par la Cour d’appel au paragraphe 10 de l’arrêt Blank 2007 CAF 289 s’applique en l’espèce : « C’est à M. Blank qu’incombe la charge d’établir le fondement des malversations qu’aurait commises la Couronne. À ce jour, il ne l’a pas fait ».

[82]           La Cour estime que la conclusion du ministère de la Justice suivant laquelle le document faisait partie de l’exception revendiquée était adéquate et la Cour estime également que la décision du Ministère de refuser de communiquer ce document était raisonnable. Par conséquent, en ce qui concerne l’exception relative au secret professionnel des avocats prévue à l’article 23 de la Loi, la Cour juge non fondées les prétentions du demandeur.

(3)               Alinéas 21(1)a) (avis et recommandations) et 21(1)b) (consultations et délibérations) sur la Loi sur l’accès à l’information

[83]           Les alinéas 21(1)a) et 21(1)b) de la Loi prévoient les exceptions suivantes dans le cas des avis ou recommandations et des consultations ou délibérations :

Avis, etc.

Advice, etc.

21. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant :

21. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains

a) des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre;

(a) advice or recommendations developed by or for a government institution or a minister of the Crown,

b) des comptes rendus de consultations ou délibérations auxquelles ont participé des administrateurs, dirigeants ou employés d’une institution fédérale, un ministre ou son personnel;

(b) an account of consultations or deliberations in which directors, officers or employees of a government institution, a minister of the Crown or the staff of a minister participate,

[84]           Comme le Commissaire à l’information a conclu que l’article 23 de la Loi avait été correctement appliqué aux documents communiqués par le ministère de la Justice, il a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner l’application des alinéas 21(1)a) et 21(1)b) de la même Loi. Je suis d’accord avec cette analyse du CI parce qu’à mon avis l’article 23 de la Loi a été adéquatement appliqué par le ministère de la Justice.

[85]           Quoi qu’il en soit, après avoir examiné les documents, je suis convaincu que la conclusion du ministère de la Justice suivant laquelle le dossier faisait partie de l’exception revendiquée était bien fondée et que sa décision de refuser de le communiquer était raisonnable.

D.                Le ministère de la Justice a‑t‑il commis une erreur en effectuant des prélèvements parmi les documents en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’accès à l’information?

[86]           L’article 25 de la Loi porte sur les prélèvements effectués dans les documents :

Prélèvements

Severability

25. Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

[87]           Le Commissaire à l’information a estimé que les documents avaient fait l’objet de prélèvements conformément à l’article 25 de la Loi et il a estimé que la plainte était réglée. Compte tenu des exceptions limitées au secret professionnel des avocats, je ne vois aucune raison d’exprimer mon désaccord et je conclus également que les prélèvements ont été effectués en conformité avec la Loi et qu’ils ont été adéquatement appliqués.

[88]           La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet de l’article 25 aux paragraphes 6 et 7 de l’arrêt Blank 2007 CAF 289 :

[6]        L’article 25 est conçu pour éviter la suppression d’un document au complet au motif qu’une partie de celui‑ci contient des renseignements à protéger. L’article 25 se borne à exiger que les renseignements à protéger soient supprimés du document et que le reste soit communiqué. La Cour a précisé que lorsque l’exception est contestée, le demandeur doit obtenir les renseignements qui le mettent en mesure de cerner le document en question et de contester l’exception invoquée : voir Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 374, [2001] A.C.F. no 1844. Cela ne comprend pas les renseignements qui dévoileraient le sujet de la communication visée par le privilège : voir Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 147, [2007] A.C.F. no 523, au par. 7.

[7]        Rien de tout cela n’étaie la thèse que l’article 25 réduit, d’une manière ou d’une autre, la portée des exceptions prévues par la Loi. Lorsque l’institution en question conclut que le document contient des renseignements protégés, elle doit alors étudier la possibilité de les supprimer de celui‑ci et d’en communiquer le reste, à condition que les portions subsistantes conservent une certaine cohérence : voir Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CF 1551, [2005] A.C.F. no 1927, au par. 36.

[89]           Au paragraphe 13 de l’arrêt Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 87, la Cour d’appel fédérale a déclaré que :

Toutefois, l’article 25 doit être appliqué aux communications assujetties au secret professionnel d’une manière qui reconnaît la pleine mesure de la protection. L’intention du législateur n’est pas d’exiger le prélèvement de renseignements qui font partie d’une communication privilégiée en exigeant, par exemple, la communication de renseignements qui révéleraient le sujet précis de la communication ou les hypothèses actuelles de l’avis juridique donné ou sollicité.

[90]           Vu ce qui précède et compte tenu de l’antinomie qui existe entre, d’une part, les droits du demandeur et, d’autre part, l’objet général de la Loi et la portée du secret professionnel des avocats, lequel comprend à la fois le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige, j’ai examiné les documents caviardés et non communiqués. J’ai également examiné le contre‑interrogatoire mené par le demandeur à cet égard. Après examen, j’en suis venu à la conclusion que l’article 25 a été adéquatement appliqué. Les documents supplémentaires ne pouvaient faire l’objet de prélèvements sans révéler la nature des documents faisant l’objet du privilège relatif au litige ou sans porter atteinte au secret professionnel des avocats en donnant des indices quant au contenu des parties caviardées ou sans entraîner la divulgation de bribes de phrases ou de mots dénués de sens hors de leur contexte.

[91]           Vu mes conclusions susmentionnées, la demande doit être rejetée.

V.                Dépens

[92]           En ce qui a trait aux dépens, j’ai demandé aux parties de me soumettre leurs observations. Le défendeur a présenté un mémoire des frais fondé sur un tarif par défaut qui prévoyait une réclamation de trois unités sous plusieurs rubriques, pour un total de 20 790 $, à l’exclusion des débours.

[93]           Le défendeur a notamment réclamé 30,5 heures pour sa présence lors des contre‑interrogatoires et 15 heures d’honoraires d’avocat pour deux jours et demi, ainsi que les montants habituels pour la préparation du dossier et de l’audience.

[94]           Le demandeur n’a pas présenté de mémoire de frais à l’audience. Il a déclaré verbalement qu’il ne réclamait pas de frais et lorsque je l’ai pressé de questions, il a répondu qu’il souhaitait réclamer les frais d’impression de cinq copies de son dossier de demande au coût de 15 à 20 cents la page.

[95]           Le demandeur a également fait valoir que les questions soulevées étaient nouvelles, de sorte que même s’il ne devait pas obtenir gain de cause, il ne devait pas être condamné à payer les dépens. Je ne suis pas de cet avis et je constate en particulier que le demandeur a repris en l’espèce essentiellement le même argument que celui qu’il avait déjà invoqué sans succès, en l’occurrence que le secret professionnel des avocats avait été invoqué pour dissimuler des actes répréhensibles – comme je l’ai expliqué au paragraphe 81. À mon avis, rien ne justifie l’adjudication des dépens au demandeur malgré le résultat, parce que le demandeur n’a pas soulevé de nouveaux principes importants.

[96]           À mon avis, les dépens devraient suivre l’issue de la cause comme l’exige le paragraphe 53(1) de la Loi (voir également la décision Blank 2009 CF 1221, au paragraphe 57).

[97]           Vu le gain de cause général du défendeur, vu également la gravité des allégations formulées par le demandeur et leur rejet par la Cour, vu la durée et la complexité de la présente affaire et vu l’ensemble des circonstances, j’établis à 7 000 $, tout compris, les dépens que le demandeur devra payer sans délai au défendeur.

VI.             Dispositif

[98]           La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et les dépens de 7 000 $, tout compris, sont payables sans délai par le demandeur au défendeur.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2065‑09

 

INTITULÉ :

SHELDON BLANK c le MINISTRE DE LA JUSTICE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 7, 8 ET 9 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Sheldon Blank

 

LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

John Faulhammer

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheldon Blank

 

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE défendeur

 

 

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