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Date : 20150605


Dossier : T‑908‑12

Référence : 2015 CF 714

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2015

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

BP CANADA ENERGY COMPANY

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente requête porte sur une sommation du ministre demandeur (le ministre) en vertu du paragraphe 231.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), ch 1 (5e suppl.), modifiée, (la Loi), exigeant que la défenderesse (BP Canada), société cotée en bourse, fournisse des dossiers décrivant ses positions fiscales incertaines, afin de permettre au ministre d’assumer ses responsabilités actuelles et ultérieures en matière de contrôle fiscal. BP Canada s’oppose à cette sommation. Le ministre dépose la présente requête en vertu du paragraphe 231.7(1) de la Loi pour obtenir une ordonnance contraignant BP à fournir les dossiers en question.

[2]               La présente requête est appuyée par les affidavits de Mme Dawn Temple, chargée de dossiers importants pour le ministre, et de M. Steven M. Ingram, ex‑conseiller fiscal principal chez BP Canada, qui ont tous deux participé de manière décisive à l’objet de l’espèce.

I.                   Aperçu de la présente requête

[3]               Dans ses observations écrites, l’avocat du ministre donne l’aperçu suivant :

[traduction]

Leministre du Revenu national est en train de procéder à une vérification de BP Canada Energy Company et cherche à obtenir certains documents de travail de l’entreprise à cette fin. Ces documents de travail ont été rédigés par du personnel interne de l’entreprise et contiennent des positions fiscales incertaines, qui ciblent ainsi des secteurs exposés à un très grand risque de perte de recettes fiscales. Le ministre cherche à obtenir ces documents pour vérifier si BP a respecté les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Au même titre que tous les autres contribuables du Canada, BP est tenue de produire une déclaration d’impôt et de calculer les sommes qu’elle doit payer. Le ministre a l’obligation, en vertu de la loi, de vérifier si les calculs effectués par les contribuables sont exacts.

Pour aider le ministre à assumer ses responsabilités officielles, le Parlement lui a conféré des pouvoirs importants en matière de collecte de renseignements. Selon la Cour suprême du Canada, ces pouvoirs comprennent celui d’« inspecter, vérifier ou examiner une vaste gamme de documents qui va au‑delà de ceux que la Loi de l’impôt sur le revenu oblige par ailleurs le contribuable à préparer et à conserver ». La Cour a également conclu que le ministre a le droit de décider s’il procédera à une vérification et de déterminer la forme que prendra cette vérification.

Les documents en question dans la présente requête sont des documents comptables généralement désignés comme documents de travail sur l’impôt couru ou sur les provisions fiscales. Un contribuable qui adopte des positions fiscales incertaines doit créer les inscriptions comptables prescrites dites « provisions », qui représentent l’impôt et l’intérêt payables si cette position se révèle erronée. Une provision fiscale pour position fiscale incertaine n’est créée que s’il est probable, de l’avis du contribuable, que le ministre n’acceptera pas sa position.

Au cours de la vérification de BP et des sociétés apparentées, le ministre a demandé à BP de produire ses documents de travail sur l’impôt couru. Lesdits documents ont été produits avec la liste expurgée des positions fiscales incertaines. Le ministre dépose la présente requête pour obtenir une ordonnance exécutoire en vertu du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour exiger que BP produise des copies non expurgées des documents.

(Mémoire des faits et du droit déposé par le ministre, paragraphes 1 à 5 [notes de bas de page omises])

[4]               Voici des détails plus précis sur le contenu de la requête du ministre :

[traduction]

Les entreprises cotées en bourse comme BP p.l.c., la société mère ultime de la défenderesse, sont tenues, au regard de la reddition des comptes et d’autres dispositions de la réglementation, d’établir des états financiers consolidés conformes aux principes comptables généralement reconnus (les PCGR). Pour établir des états financiers conformes aux PCGR, l’entreprise et ses filiales doivent calculer des provisions en cas de dette fiscale imprévue. Ces calculs doivent prévoir une estimation du passif à combler par BP si le ministre devait contester des positions fiscales incertaines dans la déclaration d’impôt de BP.

Les documents de travail conservés par BP circonscrivent les questions [les listes de questions] dont BP sait qu’elles pourraient justifier un redressement. La liste des positions fiscales incertaines de BP permettrait de circonscrire les secteurs le plus exposés au risque de perte de recettes fiscales. Le ministre demande qu’on lui communique cette liste pour vérifier si les positions fiscales incertaines de BP respectent les dispositions de la Loi.

(Mémoire des faits et du droit déposé par le ministre, paragraphes 31 et 32 [notes de bas de page omises])

[5]               Le ministre estime que BP Canada est un « dossier important » et que, par conséquent, il est vérifié tous les ans. Plus précisément, Mme Temple, chargée du groupe de vérification de BP Canada au moment visé par la présente requête, explique la valeur vérifiée des documents de travail non expurgés dont la production est demandée :

[traduction]

L’analyse et l’évaluation des risques est une procédure de vérification normalisée aux termes de laquelle l’ARC examine les renseignements portant sur un contribuable dans le but de déterminer les secteurs susceptibles de donner lieu à la perte de recettes fiscales. Cette procédure est généralement appliquée au début et tout au long de la vérification. Il s’agit de déterminer les secteurs le plus exposés au risque de perte de recettes fiscales et de concentrer les ressources de l’ARC dans ces secteurs. C’est un moyen efficace et rentable de réduire la somme de travail à faire sur le terrain.

[…]

Les documents de travail non expurgés demandés par l’ARC au cours des vérifications de 2005, 2006 et 2007 [concernant spécifiquement les demandes 2005‑10.1, 2006‑10.1 et 2007‑10.1] aideront l’ARC à vérifier le revenu imposable de BP. Les documents de travail permettront de circonscrire les secteurs où il est le plus probable de constater des positions fiscales contestables au cours de ces exercices et des suivants. Ces renseignements permettront de circonscrire les secteurs les plus exposés au risque de perte de recettes fiscales et de concentrer les ressources de l’ARC dans ces secteurs.

[...]

La production des documents de travail non expurgés pour 2005, 2006 et 2007 permettra également de faciliter la vérification des exercices suivants.

[Non souligné dans l’original.]

(Affidavit de Dawn Temple en date du 30 mai 2012, paragraphes 5, 44 et 45)

[6]               Par ailleurs, au cours de son argumentation orale, l’avocat du ministre a expliqué ce qui justifiait la requête en ordonnance de production demandée :

[traduction]

Si l’ARC n’est pas informée des opérations au cours de la période normale de cotisation, il n’y a pas de vérification de la conformité fiscale à ces dispositions. Il n’y a pas de vérification de la part de l’ARC, et il n’y a pas de contrôle de la part de la Cour canadienne de l’impôt. Si l’ARC n’a pas connaissance des positions fiscales à temps, les actionnaires de BP sont gagnants et les contribuables canadiens sont perdants. Si la position fiscale est découverte et contestée par l’ARC, la question de son bien‑fondé peut, au final, être réglée par la Cour canadienne de l’impôt.

J’estime qu’en l’occurrence, ces questions doivent être examinées par l’ARC et, ultimement, par la Cour canadienne de l’impôt. Lorsque de grandes entreprises adoptent des positions limites et floues, ce sont les tribunaux qui doivent trancher.

(Transcription, p. 11)

[7]               Le ministre et BP Canada conviennent que les listes de questions constituent une « feuille de route » permettant de cibler les ressources de vérification sur les questions problématiques. 

II.                Les questions en litige

[8]               Les questions en litige eu égard à la portée et à l’applicabilité du paragraphe 231.1(1) et de l’article 231.7 de la Loi sont les suivantes :

1.                  Est‑ce que, comme l’affirme BP Canada, le ministre a le droit de contraindre l’entreprise à communiquer les listes de questions pour accélérer les vérifications comptables ultérieures?

Pour les motifs énoncés ci‑après, je réponds à cette question par l’affirmative.

2.                  La Cour devrait‑elle, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, interdire la production de ces listes?

Pour les motifs énoncés ci‑après, je réponds à cette question par la négative.

3.                  La demande du ministre concernant la production de ces listes est‑elle injuste envers BP Canada?

Pour les motifs énoncés ci‑après, je réponds à cette question par la négative.

[9]               Pour plus de commodité, les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) de la Loi sont cités à l’annexe A des présents motifs.

III.             Première question : la contraignabilité de BP Canada à l’égard des listes de questions

[10]           Il s’agit d’une question de droit. À cet égard, le ministre fait valoir que la politique de longue date du ministère n’a rien à voir avec la question de droit. Je suis d’accord. Je pense cependant que la politique a son importance en tant que contexte des arguments relatifs au pouvoir discrétionnaire avancés par BP Canada.

A.                La politique du ministère

[11]           Cela fait de nombreuses années que le ministère part du principe que les documents de travail sur l’impôt couru, comme ceux dont il est question dans la présente requête, peuvent faire l’objet d’une contrainte à produire, mais ce principe a été appliqué avec une retenue non contraignante. En 2004, la confirmation suivante a été communiquée :

[traduction]

Position du ministère

Il n’est pas dans les habitudes du ministère, en théorie ou en pratique, de demander aux comptables de fournir leurs dossiers de vérification pour inspection. En général, ce genre de demande ne se produit que lorsque les dossiers du vérificateur font partie des documents du contribuable et qu’il n’est pas possible de procéder à un examen en bonne et due forme sans accès à ces dossiers.

[…]

Il n’est pas dans les habitudes de l’ARC de demander un accès général aux documents de travail d’un comptable pour les examiner dans le cadre d’une vérification.

(Dossier de la demande conjointe, vol. III, affidavit de M. Ingram, pièce F, p. 433‑434)

[12]           Le 10 mai 2010, le ministre a publié un document intitulé « Obtention de renseignements de la part de contribuables, d’inscrits et de tiers », dans lequel il précise deux éléments qui ont leur importance dans la présente requête :

Les personnes autorisées de l’ARC ont le pouvoir de demander et de recevoir tous les documents nécessaires à la tenue d’une inspection, d’une vérification ou d’un examen approprié à moins que ces documents ne soient protégés par le privilège des communications entre client et avocat (…) ou le privilège relatif à un litige.

[…]

(…) « [T]out document » comprend les documents de travail des comptables et des vérificateurs qui se rapportent aux livres de comptes et registres du contribuable et qui peuvent être pertinents à l’administration ou à l’exécution de la LIR, la LTA et d’autres lois connexes. Les documents de travail des comptables et des vérificateurs comprennent les documents de travail préparés par ou pour un vérificateur ou un comptable indépendant en lien avec une mission de vérification ou d’examen, les documents contenant des conseils, les documents de travail sur les impôts courus (notamment ceux qui sont liés aux provisions pour dettes fiscales actuelles, à venir, possibles ou contingentes).

[…]

Bien que cela ne soit pas une exigence courante, les personnes autorisées peuvent demander les documents de travail sur l’impôt couru.

[Non souligné dans l’original.]

(Dossier de la demande conjointe, vol. III, affidavit de M. Ingram, pièce K, p. 499‑500 et 503)

[13]           Ainsi, en mai 2010, le ministre a clairement expliqué que les documents de travail sur l’impôt couru tels que ceux dont il est question dans la présente requête peuvent faire l’objet d’une contrainte à produire.

B.                 La position du ministre

[14]           Du point de vue du droit, le ministre fait valoir ce qui suit :

[traduction]

Le Canada est doté d’un système fiscal d’autocotisation et d’autodéclaration. Chaque contribuable tenu de faire une déclaration d’impôt doit évaluer le montant qu’il a à payer et le déclarer sans avis ou demande de la part du ministère. Les contribuables ont le droit d’organiser leurs activités de façon à réduire au minimum leur charge fiscale, mais certains d’entre eux ont recours à des plans et opérations complexes destinés à réduire au minimum, voire à éliminer, leurs responsabilités fiscales.

Le ministre a l’obligation, par le biais des fonctionnaires de l’ARC, de faire respecter la Loi de l’impôt sur le revenu. Il doit déterminer si l’autocotisation du contribuable est exacte ou s’il convient de corriger certains éléments de la déclaration d’impôt. Et il doit le faire dans un délai dit « période normale de nouvelle cotisation ».

Pour qu’il soit possible de vérifier les autocotisations des contribuables, le Parlement confère au ministre le pouvoir d’obtenir des renseignements et des documents auprès des contribuables faisant l’objet d’une vérification et auprès d’autres parties. L’exercice du pouvoir de veiller à ce que les contribuables paient le montant d’impôt qu’ils doivent relève de l’intérêt public. 

Le ministre a l’obligation, en vertu de la loi, d’évaluer le montant d’impôt à payer en fonction des faits qu’il constate conformément à la loi. Le contribuable faisant l’objet d’une vérification ne peut pas être autorisé à entraver l’aptitude du ministre à exercer cette fonction. Si le ministre procède à une vérification de bonne foi, ni la Cour ni personne ne peut prescrire la profondeur ou l’ampleur de ladite vérification. La décision en revient exclusivement au ministre, qui agit par le biais de ses fonctionnaires. Il entre dans ses prérogatives de retourner chaque pierre et d’employer les techniques d’évaluation des risques qu’il juge utiles pour circonscrire le risque fiscal.

Le contribuable dispose de tous les renseignements concernant ses responsabilités fiscales, mais ce n’est pas le cas du ministre. Lorsqu’il existe des documents de travail sur l’impôt couru, le contribuable est au courant des éléments qui justifieraient un redressement et il enregistre cette analyse dans ses documents de travail. En demandant ces documents, le ministre a pour but de remplir son obligation de vérifier l’autocotisation en dépit du déficit d’information propre à notre système fiscal d’auto‑évaluation.

Le paragraphe 231.1(1) de la Loi est le principal instrument dont dispose le ministre pour obtenir des documents auprès des contribuables faisant l’objet d’une vérification. […].

Le paragraphe 231.1(1) fait partie d’une série de dispositions conférant au ministre le pouvoir de demander et d’exiger la production de documents appartenant aux contribuables et à d’autres parties dans le but de procéder à une vérification et à d’autres fins relevant de l’exécution et de l’administration de la Loi.

Aux termes du paragraphe 230(1), les contribuables sont tenus de tenir des registres et dossiers contenant de l’information qui permettra de calculer l’impôt qu’ils doivent payer. Dans le cadre d’une vérification, le ministre n’est cependant pas limité au seul examen de ces documents. Dans Jarvis, la Cour suprême du Canada a rappelé que le pouvoir d’inspection conféré par l’article 231.1 permet à une personne autorisée par le ministre d’« inspecter, vérifier ou examiner » une gamme de documents « qui va au‑delà de ceux que la Loi de l’impôt sur le revenu oblige par ailleurs le contribuable à préparer et à conserver ».

Le ministre demande régulièrement à des contribuables et à des parties tierces de produire des documents créés et conservés par eux à d’autres fins, par exemple des états bancaires, des renseignements sur les cartes de crédit et des documents sur les réorganisations d’entreprise conservés par une banque, les états financiers établis et présentés à un autre organisme de réglementation, les états financiers d’une société mère étrangère du contribuable, les registres de vente tenus par une maison d’encan en ligne, les registres de procès‑verbaux et autres dossiers d’entreprise, les documents opérationnels confiés à un avocat, et les documents de planification fiscale non protégé par le secret professionnel.

On a demandé à BP de produire ses documents de travail sur l’impôt couru en vertu du paragraphe 231.1(l) de la Loi. Lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, le contribuable refuse de fournir les documents demandés dans le cadre d’une procédure de vérification, on peut le lui ordonner en faisant une demande en vertu de l’article 231.7 […].

(Mémoire des faits et du droit déposé par le ministre, paragraphes 21 à 30 [notes de bas de page omises])

C.                La position de BP Canada

[15]           Les arguments suivants ont été avancés par la défenderesse au sujet de la question de droit en litige :

[traduction]

BP Canada estime que la requête du ministre doit être rejetée. Les conditions applicables à la délivrance d’une ordonnance exécutoire ne sont pas remplies : le ministre n’a pas besoin des listes de questions pour remplir son obligation de faire respecter la Loi. Il a toute autorité pour avoir accès à l’information qui se trouve (ou devrait se trouver) dans les registres et les dossiers d’un contribuable ou documents sources qui témoignent des opérations et activités donnant lieu au revenu qui est (ou devrait être) déclaré. Mais la Loi n’impose pas aux contribuables d’établir des états financiers conformes aux PCGR ou de procéder à l’analyse des provisions que traduisent ces états financiers. Les listes de questions traduisent l’opinion subjective de BP Canada concernant le risque fiscal potentiel à l’égard d’années d’imposition désormais légalement prescrites. Ces listes ne sauraient être considérées comme pertinentes à l’égard du calcul du revenu imposable en vertu de la Loi. Par ailleurs, il est évident que le ministre n’en a pas besoin puisqu’il a pu jusqu’ici procéder à la vérification de chacun des exercices sans s’en servir.

Même lorsque les conditions applicables à la délivrance d’une ordonnance exécutoire sont remplies, la Cour doit par ailleurs conclure que les circonstances de la requête justifient l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à cet égard. BP Canada estime que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’est pas justifié en l’espèce. Premièrement, la communication des listes de questions constituerait une autovérification obligatoire de la part de BP Canada, ce qui aurait pour effet de distordre le fonctionnement du système fiscal canadien. Deuxièmement, la politique du ministère et ses habitudes elles‑mêmes attestent que ces listes ne sont pas nécessaires à l’application de la Loi. Troisièmement, les demandes du ministre concernant les listes de questions au cours des vérifications en cause ont été fallacieuses et opaques, à l’encontre de son obligation de procéder à des vérifications de bonne foi. Enfin, la contrainte à produire les listes de questions serait contraire à l’intérêt public eu égard à la communication franche et intégrale des risques fiscaux aux fins de la reddition des comptes sans crainte de répercussions. Chacun de ces facteurs pèse dans la balance contre l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de délivrer une ordonnance exécutoire de production des documents demandés par le ministre.

(Mémoire des faits et du droit déposé par BP Canada, paragraphes 7 et 8)

[16]           Par ailleurs, BP Canada fait plus précisément valoir que les listes de questions ne devraient pas faire l’objet d’une contrainte à produire parce que, sur le fond, cela porte atteinte aux principes du système d’autodéclaration que le ministre a la responsabilité légale d’administrer.

[traduction]

L’autovérification n’appartient pas à l’esprit de la Loi

En l’espèce, le ministre affirme être habilité sans réserve, en vertu de l’article 231.1, à avoir accès à tous les renseignements qu’il juge utiles sur les contribuables. Il est d’avis qu’il peut demander la communication de documents de travail sur les provisions fiscales en tout temps dans le but de circonscrire les problèmes de vérification. Il affirme plus particulièrement au paragraphe 32 de son mémoire que la liste des questions « permettrait de circonscrire les secteurs le plus exposés au risque de perte de recettes fiscales » et qu’il demande « qu’on lui communique cette liste pour vérifier si les positions fiscales incertaines de BP respectent les dispositions de la Loi ».

Autrement dit, le ministre affirme que l’article 231.1 doit être interprété comme visant la catégorie de contribuables qui, comme BP Canada, conservent des documents de travail sur l’impôt couru, et comme exigeant que ces contribuables assument une partie importante de la fonction de vérification de l’ARC et fournissent une liste de questions sur lesquelles l’ARC pourrait faire enquête. L’affirmation du ministre est incompatible avec une interprétation de l’article 231.1 dûment contextualisée dans la Loi. Son interprétation ne tient pas compte à la fois du contexte légal dans lequel s’inscrivent les droits que lui confère la Partie XV en termes d’enquête et de vérification et du contexte opérationnel du système fiscal canadien, qui est fondé sur l’autocotisation par le contribuable et la vérification par le ministère.

La portée de l’article 231.1 n’a pas jusqu’ici été analysée par les tribunaux dans les circonstances soulevées par la présente requête. Cependant, le contexte et l’objet de cette disposition facilitent son interprétation. En l’espèce, le point de départ, pour comprendre l’esprit de la loi, est le fait que le système fiscal canadien s’appuie sur l’autodéclaration. Ce n’est pas un système d’autovérification. Les contribuables sont tenus de déclarer intégralement et fidèlement leur revenu, et le ministère en assume la vérification. 

La façon habituelle de comprendre les rôles respectifs du contribuable et du ministère dans le système canadien est résumée de manière concise par Vern Krishna :

[traduction]

Le système d’imposition du revenu s’appuie principalement sur l’autocotisation et la déclaration « volontaire » de la dette fiscale. Le contribuable fait le calcul initial et présente sa déclaration à l’ARC.

[...]

Mais ce n’est pas tout. Bien que le système fiscal s’appuie sur l’autocotisation, l’ARC jouit de pouvoirs considérables en matière de vérification et d’enquête pour garantir le respect de la Loi. (…)

La vérification civile est un examen visant à vérifier l’exactitude du revenu imposable tel qu’il est déclaré par le contribuable. Cette vérification aux termes des pouvoirs de réglementation de l’ARC est une simple procédure routinière de vérification des renseignements financiers du contribuable et d’examen des documents étayant sa déclaration. La vérification a pour but de veiller au respect de la réglementation et de vérifier l’exactitude mathématique des calculs et la validité des données fournies à l’appui de la déclaration. Si l’Agence n’est pas d’accord avec le calcul du contribuable, elle impose une nouvelle cotisation à celui‑ci et lui facture des intérêts sur tout impôt couru.

[The Fundamentals of Canadian Income Tax, 9e édition, Thomson Carswell, Toronto, 2006, p. 956]

Ainsi, c’est le contribuable qui calcule sa cotisation et déclare son revenu sur le formulaire prévu, et c’est l’ARC qui se charge de la tâche souvent laborieuse de vérifier ces déclarations.

(Mémoire des faits et du droit déposé par BP Canada, paragraphes 49 à 52 [notes de bas de page omises])

[17]           Au cours de son argumentation orale, l’avocat de BP Canada a clairement et valablement illustré ce point de vue par l’analogie suivante :

[traduction]

Je ne sais combien de millions de contribuables canadiens ont envoyé leur déclaration d’impôt en avril. Beaucoup sont des gens d’affaires. Ils ont une entreprise. Leur déclaration n’est pas simple. Certains sont dans le secteur pétrolier et gazier, d’autres dans le secteur de la fabrication de widgets. Tous font leur déclaration d’impôt. Ils le font comme la loi les y enjoint : honnêtement. Ils remplissent tous les champs des formulaires, établissent tous les relevés, signent au bas du formulaire pour dire « Monsieur le ministre, en tant que citoyen et contribuable, je vous envoie ma déclaration d’impôt, merci beaucoup. »

Le lendemain, la vérificatrice s’annonce dans les locaux du contribuable : « Je vais commencer une vérification, mais avant, vous savez, je dois dire que les temps sont durs et nous devons économiser nos ressources. Votre déclaration est compliquée, il y a toutes sortes de questions là‑dedans, des déductions pour le pétrole et le gaz, des intérêts déductibles, des frais de financement, etc… Alors, avant que je commence, pourriez‑vous, s’il vous plaît, me fournir une note indiquant la partie de votre déclaration susceptible d’être controversée, c’est‑à‑dire la partie sur laquelle je devrais concentrer mon attention? Écrivez‑moi simplement une note avec les cinq principales questions à vérifier. Si vous faites ça pour moi, mon travail sera facilité, et ça me permettra de cibler les maigres ressources dont je dispose.

Le contribuable dit au ministre en souriant : « Écoutez, dans un système d’autocotisation, je dois préparer une déclaration d’impôt exacte et je dois remettre le montant d’impôt qui convient : c’est ce qu’on appelle un système d’autocotisation. Monsieur le ministre ou Madame la ministre, à votre tour. Une partie de votre travail consiste à décider ce que vous voulez vérifier. Je sais qu’il peut y avoir 50 questions à vérifier dans ma déclaration d’impôt. Vous pouvez les vérifier toutes. Vous pouvez en choisir deux. Ou en choisir 10. Le pouvoir de procéder à une vérification et la responsabilité – j’insiste – de procéder à une vérification vous incombent.  La responsabilité de la vérification ne m’appartient pas. »

« Nous avons un système d’autocotisation. Ce n’est pas un système d’autovérification. J’ai ici tous mes registres et dossiers. J’ai un chèque payé pour chaque dollar que l’entreprise a dépensé. J’ai une facture pour chaque paiement. J’ai des états bancaires indiquant chaque dollar encaissé. Je vous donnerai accès à tout sans exception, mais vous devez faire votre travail. Et votre travail consiste à décider de ce que vous voulez vérifier. Vous ne pouvez pas me contraindre à vous dire ce que vous devez vérifier. J’ai mon propre jugement sur ma déclaration d’impôt.

Mon jugement ne découle pas d’un point de vue malhonnête. Il découle du fait que votre système fiscal est compliqué. » 

(Transcription, p. 64 à 66)

D.                Conclusion

[18]           BP Canada est un contribuable aux termes de la Loi. Comme tous les autres contribuables, elle doit prendre de graves décisions dans le cadre de la déclaration de son revenu imposable. Comme tous les autres contribuables, elle doit décider de ce qui, dans son revenu, est imposable. En cas d’incertitude, elle peut décider de ne pas déclarer certaines recettes en espérant que le ministère, après examen, ne sera pas en désaccord.

[19]           Et pourtant, du seul fait qu’il s’agit d’une société cotée en bourse, en vertu d’une autre autorité que la Loi, BP Canada est tenue de procéder à des inscriptions comptables dites « provisions » représentant l’impôt et l’intérêt éventuellement payables si ses décisions se révèlent erronées. Les inscriptions comptables sont les documents de travail à conserver, qui comprennent les listes de questions fiscales concernant le revenu non déclaré.

[20]           Selon moi, l’objection de BP à l’égard de la communication des listes de questions est de l’ordre de l’imputabilité. Tous les contribuables ont des comptes à rendre au ministère. Cette imputabilité se concrétise par un examen des dossiers du contribuable au cours d’une procédure de vérification. Pour des raisons que l’on peut comprendre, les contribuables ne font pas tous l’objet d’une vérification : il y faudrait des ressources incommensurables. Certains contribuables font systématiquement l’objet de vérifications : BP Canada est dans ce lot avec beaucoup d’autres. Comme elle est constamment vérifiée, l’entreprise est concrètement plus imputable que d’autres contribuables. Cette différence est un simple fait et elle n’est pas contraire à l’esprit de la Loi.

[21]           BP Canada ne s’oppose pas au principe d’imputabilité, mais, par le biais des divers arguments qu’elle avance, elle s’oppose à la certitude de l’imputabilité qui découlerait de la communication des listes de questions.

[22]           Voici les conclusions que je tire des quatre arguments formulés.

[23]           Voyons tout d’abord l’argument selon lequel le ministre n’aurait pas besoin des listes de questions pour procéder à une vérification exhaustive et complète. C’est peut‑être tout à fait vrai, excepté que le ministre les veut, non seulement pour accélérer la procédure de vérification, mais aussi pour faciliter les vérifications ultérieures de l’entreprise. C’est au ministre de déterminer ce besoin, et c’est ce qu’il explique clairement dans la déclaration publiée le 10 mai 2010.

[24]           Passons à l’argument selon lequel l’usage que ferait la ministre des listes de questions porterait atteinte au système fiscal canadien d’autodéclaration en instituant un système d’autovérification. Je ne peux accorder aucun poids à cet argument. L’argument de la « contrainte imposée au contribuable » n’a rien à voir avec les faits de l’espèce. Les listes de questions existent et elles traduisent une opinion sur la dette fiscale compte tenu du choix de créer une provision. Le ministre ne fait que demander la communication de listes déjà existantes, il ne demande pas d’en créer. Cela n’institue pas, à mon avis, de système « d’autovérification » tel qu’il est illustré dans l’analogie.

[25]           Quant à dire qu’on ne peut pas contraindre la production des listes de questions tout simplement parce que la Loi n’exige pas de les créer, je ne suis pas d’accord. Le fait que ces listes sont exigibles en vertu d’une autre autorité que la Loi n’a rien à voir. Elles ont à voir avec le paiement de l’impôt en vertu de la Loi parce qu’elles constituent un dossier fiscal important que BP a en sa possession.

[26]           Il y a enfin l’argument selon lequel les listes de questions n’ont rien à voir avec le calcul du revenu imposable en vertu de la Loi. Compte tenu d’une interprétation littérale du paragraphe 231.1(1), je ne suis pas d’accord. Selon moi, les documents de travail qui contiennent les listes de questions sont des documents qui ont un objet lié à l’application de la Loi, à savoir l’imputabilité fiscale (voir Tower c MRR, 2003 CAF 307, paragraphe 29), qui ont trait aux renseignements contenus dans les dossiers de BP Canada et qui ont également trait à un montant payable par l’entreprise en vertu de la Loi. Quoi qu’il en soit du fait que les documents de travail sur l’impôt couru contiennent des analyses subjectives des risques fiscaux, ainsi que des renseignements factuels étayant la reddition des comptes, je conclus que les documents de travail en question sont assujettis au paragraphe 231.1(1) parce qu’ils sont liés à l’intention de BP Canada de prévoir des provisions (voir Tower, paragraphe 31).

[27]           Par conséquent, je suis d’avis, du point de vue du droit, que les listes de questions auxquelles renvoient les demandes 2005-10.1, 2006-10.1 et 2007-10.1 peuvent faire l’objet d’une contrainte à produire.

E.                 Ramifications

[28]           BP Canada formule l’argument suivant sous la rubrique intitulée La communication des documents de travail est préjudiciable et discriminatoire :

[traduction]

Concernant la décision discrétionnaire de délivrer une ordonnance exécutoire, BP Canada fait valoir que la Cour devrait tenir compte des conséquences sur la politique gouvernementale d’autoriser l’accès à des renseignements concernant des provisions fiscales. Nul ne conteste que les documents de travail sur l’impôt couru contiennent des renseignements permettant à des vérificateurs indépendants de remplir leur responsabilité de « s’interroger, de remettre en question et d’exercer son jugement professionnel dans le but de se faire une opinion sur les états financiers d’une entreprise ». L’accès à ces dossiers est important pour garantir la confiance de la population et la confiance internationale dans le fonctionnement des marchés de capitaux canadiens et américains.

C’est ce qu’a reconnu le groupe de travail convoqué par l’ICCA relativement à l’examen effectué par l’ARC de sa politique de divulgation des documents de travail. En novembre 2004, le groupe de travail a écrit au ministre pour exposer ses observations au sujet de la politique de l’ARC. Dans cette lettre, les auteurs rappellent qu’une inversion de la pratique habituelle de l’ARC de ne pas systématiquement demander l’accès à ces documents inciterait « les entreprises à invoquer le secret professionnel pour couvrir des procédures donnant lieu à une estimation de la dette fiscale » et mettaient en garde contre le fait que cela pourrait entraîner « un accès limité des vérificateurs à des renseignements cruciaux pour l’évaluation des états financiers et indispensables aux marchés de capitaux ».

Si l’on se mettait à demander systématiquement et sans justification les listes de questions contenues dans les documents de travail sur l’impôt couru, on placerait les entreprises publiques dans une situation intenable : elles seraient tenues, d’une part, de prévoir des provisions suffisantes et précises en raison de leurs positions fiscales incertaines et elles seraient contraintes, d’autre part, de révéler au ministre l’analyse interne des risques fiscaux. Ce genre de demande est contraire à l’esprit de la Loi concernant la fonction de vérification du ministère, qui occupe une position neutre parmi les diverses catégories de contribuables. À moins de circonstances exceptionnelles, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la communication de ces renseignements.

(Mémoire des faits et du droit déposé par BP Canada, paragraphes 79 à 81 [notes de bas de page omises])

[29]           En présentant cette requête, le ministre adhère à l’idée, et l’applique sans restriction, que les documents de travail peuvent faire l’objet d’une contrainte à produire en vertu de la Loi.   Dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de la conclusion déjà exprimée en faveur de la position du ministre, si le besoin se fait sentir à l’égard d’une entreprise, et BP Canada en est une, c’est au ministre d’en juger. Le ministre est censé connaître les ramifications d’une issue positive de la question juridique soulevée en l’espèce. L’intérêt public et celui des entreprises sont du ressort du ministre et non pas de la Cour.

IV.             Deuxième question : la Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire?

[30]           Selon BP Canada, les représentants du ministre se sont montrés de mauvaise foi au cours du scénario factuel ayant donné lieu à la présente requête. L’entreprise estime qu’en raison de ce comportement de mauvaise foi, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser l’octroi d’une ordonnance de production des listes de questions si celles‑ci peuvent en droit faire l’objet d’une contrainte à produire (voir MRN c Chambre immobilière du Grand Montréal, 2007 CAF 346, paragraphe 48). Le ministre ne conteste pas que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire de refuser une ordonnance demandée en vertu du paragraphe 231.7(1) de la Loi.

A.                Le point de vue du ministre

[31]           Les nombreux éléments distincts de la situation sont fournis dans les paragraphes ci‑dessous du mémoire des faits et du droit déposé par le ministre :

[traduction]

LA VÉRIFICATION DE BP ET LE REFUS DE BP DE PRODUIRE LES DOCUMENTS DE TRAVAIL

L’ARC procède à une vérification limitée ou complète de la conformité selon l’importance et le revenu du contribuable.  Dans le cas des grandes entreprises comme BP, elle procède généralement à des vérifications complètes annuelles. Ces vérifications font partie des « dossiers importants ».

Les dossiers importants sont pris en charge par des équipes de vérification. À partir de 2003, c’est Dawn Temple, responsable des dossiers importants, qui a été chargée des vérifications annuelles de BP. À l’automne 2009, l’équipe de vérification chargée de BP était composée d’agents du Bureau des services fiscaux de Calgary, dont plusieurs vérificateurs de l’impôt sur le revenu, un vérificateur de la TPS, un vérificateur de l’évasion fiscale, un vérificateur international et un spécialiste de la vérification du commerce électronique.  

À l’automne 2009, l’équipe vérifiait l’exercice de l’entreprise se terminant le 31 juillet 2005 et fournissait à BP un plan de vérification général (« plan de 2005 ») indiquant les questions et entités qui feraient l’objet d’une vérification, les procédures de vérification applicables, les questions ayant déjà fait l’objet de vérifications, les échéances et les aspects budgétaires. Il faut savoir que, tout au long du plan de 2005, des changements ont pu être apportés à l’un ou l’autre des éléments examinés, qu’il s’agisse de l’ajout d’entités ou de questions ou de la vérification de questions particulières circonscrites par le responsable de l’évasion fiscale ou celui de la vérification internationale. Le plan de 2005 fournit une liste très générale des dossiers à communiquer, dont « les registres de procès‑verbaux, les documents de travail du contribuable, les balances de vérification de fin d’exercice et les écritures de régularisation, les rapports annuels publiés, les contrats relatifs aux achats et aux ventes d’importance, les autorisations de dépenses et les factures, et les données informatisées pour la section spécialisée en vérification du commerce électronique ». On y précise également que l’équipe formulera des demandes d’information par écrit à l’occasion de chaque réunion de mise à jour mensuelle en vertu du paragraphe 231.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Il est courant, dans le cadre de l’élaboration de ces plans de vérification généraux, que l’ARC produise ses propres documents de travail sur l’évaluation des risques, où sont indiquées et décrites les questions de vérification et les sommes en cause. Lorsqu’il s’agit d’un dossier important, un état des redressements proposés est régulièrement mis à jour pour suivre l’évolution éventuelle de la dette fiscale du contribuable.

L’équipe de vérification a circonscrit des éléments jugés très risqués dans le secteur pétrolier et gazier, notamment en ce qui concerne BP. L’objet en a été expliqué par Mme Temple dans son affidavit :

L’analyse et l’évaluation des risques est une procédure de vérification normalisée aux termes de laquelle l’ARC examine les renseignements portant sur un contribuable dans le but de déterminer les secteurs susceptibles de donner lieu à la perte de recettes fiscales. Cette procédure est généralement appliquée au début et tout au long de la vérification. Il s’agit de déterminer les secteurs le plus exposés au risque de perte de recettes fiscales et de concentrer les ressources de l’ARC dans ces secteurs. C’est un moyen efficace et rentable de réduire la somme de travail à faire sur le terrain.  [Non souligné dans l’original.]

Le plan de 2005 relève 16 questions de vérification générales concernant BP, 12 au sujet de ses sociétés apparentées et 30 à l’échelle du secteur. On y trouve également une liste de 16 redressements importants au revenu de BP par rapport aux vérifications antérieures. Beaucoup de ces questions et éléments renvoyaient à des redressements récurrents par rapport aux années d’imposition antérieures.

[Expurgé]

Lorsque l’ARC a vérifié certains montants d’intérêts enregistrés par BP au cours de l’année d’imposition 2005, elle a fait remonter une somme de [expurgé] à un certain compte dans les documents de travail de BP. Cette somme faisait partie du calcul du revenu net, mais était exclue du calcul du revenu imposable. Elle était incluse dans un compte de dépenses intitulé [traduction] « Intérêts à courir contestés – Dépenses imposables à payer » (« Interest Expense Taxes Payable Disputed Accruals »). Le 22 mars 2010, un vérificateur a adressé la demande 2005‑10 à BP en rappelant que la banque de données électroniques de BP ne contenait aucun dossier concernant ce compte et invitant l’entreprise à fournir :

[…] tous les documents de travail originaux créés au moment où ces inscriptions ont été enregistrées ainsi que toute la documentation connexe. S’ils ne sont pas inclus dans les documents de travail originaux, veuillez également indiquer tous les calculs, les hypothèses éventuelles, l’entité concernée, l’année d’imposition, le type d’impôt, l’évaluation de l’impôt et le taux d’intérêt appliqué.

BP a refusé de produire les documents de travail demandés. Elle a commencé par fournir une explication sans documentation. Puis, en réponse à la demande supplémentaire 2005-10.1, elle a demandé à rencontrer l’équipe de vérification. Deux réunions ont eu lieu les 4 et 6 mai 2010, au cours desquelles BP a de nouveau exprimé son opposition. Une semaine après la deuxième réunion, BP a produit et envoyé une note indiquant sa position et y a joint certains documents de travail en version expurgée. Les documents de travail expurgés indiquent les montants de provision, mais dissimulent la description des questions fiscales justifiant ces provisions.

L’ARC a remarqué des différences importantes entre les montants de provision fiscale indiqués dans les documents de travail de BP et l’impôt en cause identifié par l’Agence au cours de la vérification. Au 30 juin 2005, BP avait des provisions fiscales s’élevant à [expurgé] alors que, en juillet 2010, l’ARC avait identifié un revenu supplémentaire de seulement [expurgé] pour l’année d’imposition 2005. Mme Temple « n’a pas été en mesure de confirmer si l’ARC avait identifié les questions fiscales relevées par BP pour 2005 », et, faute d’autres moyens de vérifier les provisions fiscales de BP, l’ARC a réitéré sa demande de documents de travail non expurgés. BP, une fois de plus, a refusé de les fournir.

Par la suite, l’équipe de vérification s’est attelée à la vérification des années d’imposition 2006 et 2007 de BP. Des plans de vérification généraux ont également été élaborés et proposés à l’égard de ces deux années. Ils étaient semblables pour l’essentiel à celui de 2005. Comme la question des documents de travail sur l’impôt couru était toujours en souffrance pour la vérification de 2005, des demandes distinctes ont été déposées à l’égard des mêmes documents pour les vérifications de 2006 et de 2007.

BP a refusé de fournir quoi que ce soit en dehors des documents de travail expurgés. Les éléments expurgés étaient les mêmes que dans les documents de 2005 : la description de la question fiscale justifiant la provision en était absente. Les montants d’impôt à risque n’ont pas été expurgés. Les provisions fiscales de BP au 30 juin 2006 s’élevaient à [expurgé], pour passer à [expurgé] au 30 juin 2007. Une fois de plus, Mme Temple n’a pas été en mesure de confirmer si l’ARC avait identifié, dans son évaluation des risques les mêmes questions fiscales que BP dans ses documents de travail.  

(Mémoire des faits et du droit déposé par le ministre paragraphes 6 à 17 [notes de bas de page omises])

[32]           L’avocat du ministre explique comme suit les demandes adressées à BP Canada :

[traduction]

OBJET DE LA DEMANDE ADRESSÉE À BP CONCERNANT LES DOCUMENTS DE TRAVAIL SUR L’IMPÔT COURU

Les documents de travail non expurgés demandés par l’ARC pour les vérifications de 2005, 2006 et 2007 permettront à l’Agence de vérifier le revenu imposable de l’entreprise. Ces documents permettront de circonscrire les secteurs où les positions fiscales sont le plus probablement contestables. Ces renseignements faciliteront le repérage des secteurs les plus exposés au risque de perte de recettes fiscales et permettront de concentrer les ressources de l’ARC dans ces secteurs.

Les documents de 2005 n’ont pas été tout d’abord demandés à cette fin au cours de la vérification de l’année d’imposition en question. On les avait alors demandés dans le but de vérifier si BP avait correctement exclu des intérêts s’élevant à [expurgé] du revenu imposable de 2005. Comme les années 2005 et 2006 ont déjà fait l’objet d’une nouvelle cotisation, ces renseignements ne sont plus demandés pour la vérification de ces années d’imposition, mais pour vérifier les années suivantes.

[Non souligné dans l’original.]

(Mémoire des faits et du droit déposé par le ministre, paragraphes 18 et 19 [notes de bas de page omises])

B.                 Le point de vue de BP Canada

[33]           BP Canada estime que les représentants du ministre se sont montrés de mauvaise foi. Cet argument est fondé sur une opinion selon laquelle les véritables intentions du ministre, telles qu’elles se sont manifestées dans le comportement de l’équipe de vérification, n’ont pas été révélées au cours des échanges avec les représentants de BP.

[34]           Si l’on s’en tient aux affidavits, il n’y a rien de malencontreux dans les échanges qui ont cependant porté sur un point de litige. Au cours d’un échange respectueux, dont découle la présente requête, on a demandé à plusieurs reprises à BP de fournir les listes de questions ayant fait l’objet de demandes en 2005, 2006, and 2007. Au cours de ce processus, BP a essayé de répondre à l'insistance du ministre en fournissant ce qu’elle estime pouvoir communiquer. Finalement, elle lui a remis une copie des documents de travail, mais sans les listes de questions.

[35]           BP Canada n’en affirme pas moins que la procédure s’est déroulée dans l’intention pernicieuse non avouée de tromper. Cette position est clairement énoncée dans les observations écrites de BP Canada : 

[traduction]

La Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’ordonnance exécutoire

Si la Cour vient à conclure que les listes de questions font partie des documents exigibles en vertu de l’article 231.1 (en dépit des observations ci‑dessus), elle doit également être convaincue que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est justifié dans les circonstances de l’espèce. Comme on le rappelle dans Chambre immobilière du Grand Montréal, dans le contexte analogue du pouvoir du ministre de recueillir des renseignements en vertu de l’article 231.2, la Cour doit être convaincue « que la fourniture des renseignements ou la production des documents sont exigées dans le cadre d’une vérification fiscale faite de bonne foi. Cette bonne foi est garante de l’exercice judicieux, par le MRN, de son pouvoir de vérification » [souligné dans l’original].

Selon BP Canada, la délivrance d’une ordonnance exécutoire en l’espèce ne serait ni juste ni appropriée. Le ministre n’a pas besoin des listes de questions pour effectuer sa vérification et il n’a pas fait preuve de bonne foi en les demandant au cours des vérifications en cause. En bref, il n’exerce pas judicieusement son pouvoir de vérification à cet égard compte tenu des renseignements qu’il a demandés et obtenus pour déterminer ce qu’il cherchait en fait (à savoir si le changement apporté dans le compte de BP Canada au titre de l’intérêt sur ses provisions fiscales avait été correctement exclu du revenu imposable).

La communication des listes de questions facilite une recherche aléatoire de renseignements non autorisée

Les éléments de preuve attestent en l’espèce que le ministre s’est engagée dans une recherche aléatoire de renseignements. En témoigne clairement le fait que l’objet de ses demandes de communication des listes de questions a continuellement changé d’une année à l’autre. Il n’a pas cessé de faire croire à BP Canada qu’il ne cherchait pas de détails concernant ses positions fiscales incertaines, et ce n’est qu’après que l’entreprise a communiqué ses documents de travail sur l’impôt couru que le ministre a reconnu qu’il ne cherchait plus à vérifier le revenu imposable de l’entreprise pour l’année d’imposition 2005, mais plutôt à obtenir une « feuille de route » pour la vérification des années d’imposition ultérieures.  

Contrairement au point de vue quelque peu cynique de BP Canada que traduit l’extrait du plan de vérification de 2005 cité au paragraphe 12 du mémoire du ministre, les éléments de preuve attestent en l’espèce que l’entreprise affiche un historique de conformité. Comme on peut le lire dans ledit plan de vérification,  BP Canada a procédé à des opérations étayées par des justifications économiques solides qui sont normales dans son secteur d’activité et qui « semblent raisonnables ».

BP Canada a collaboré avec le ministre tout au long de la procédure de vérification, pour chaque année d’imposition, et elle a pris des mesures proactives pour régler les problèmes en temps et lieu. Il est incontestable que BP Canada a fourni des copies de ses documents de travail au ministre pour tenter proactivement de répondre au souci professé par lui à l’égard des inscriptions du compte des provisions d’intérêt dont il se demandait si cela représentait effectivement un revenu d’intérêt imposable. L’entreprise ne l’a fait qu’après avoir obtenu l’assurance réitérée que le ministre ne cherchait pas de détails sur ses positions fiscales incertaines et qu’il n’était pas partie « à la chasse à d’autres problèmes fiscaux ». Malgré cela, comme Mme Temple l’a confirmé en contre‑interrogatoire, le ministre a ultérieurement exigé l’accès aux listes de questions relatives à l’année d’imposition 2005 parce qu’il voulait « prendre connaissance des questions que BP Canada considérait comme incertaines afin qu’elle [Mme Temple] puisse s’en servir comme d’une feuille de route pour cibler les ressources de vérification [...] applicables aux années d’imposition 2007 et suivantes ».

Comme les questions relatives à l’intérêt sur remboursement, au compte des provisions d’intérêt, à l’évaluation des risques par l’ARC et à la vérification de l’année d’imposition 2005 ont été réglées ou abandonnées l’une après l’autre, sans référence aux listes de questions, il est devenu évident pour BP Canada que l’ARC – et  notamment Mme Temple – avait demandé les « documents de travail originaux » dans le but de faciliter les vérifications ultérieures de l’entreprise. En contre‑interrogatoire, M. Ingram a décrit comme suit l’évolution des demandes :

Q         […] En fin de compte, il est devenu évident pour vous que la raison pour laquelle l’ARC demandait ces documents était de circonscrire ces questions, n’est‑ce pas?

A         En fin de compte, oui. […] Eh bien, je dois dire franchement que c’était décourageant d’entendre ça, parce que, tout au long de la procédure, on m’avait donné toutes sortes de raisons : ils voulaient  régler la question des intérêts, ils voulaient faire une évaluation des risques, et finalement c’était pour rien, parce qu’ils voulaient refaire tous les calculs de cotisation. Ils nous ont donné ces trois raisons, et nous avons essayé à chaque fois d’y répondre. C’est donc assez tard dans l’histoire que M. Shelton nous a finalement dit, et j’ai fini par le voir clairement, comme je l’ai dit dans mon affidavit, que toutes ces raisons n’avaient plus d’importance. Ce qu’ils voulaient, c’était juste les listes de questions.

Les éléments de preuve fournis par BP Canada attestent dans une mesure accablante que les listes de questions étaient l’objet principal sinon le seul objet des demandes de l’ARC dès la première demande de renseignement sur le compte des provisions d’intérêt. En contre‑interrogatoire, Mme Temple a prétendu ne pas connaître avec certitude la nature dudit compte, mais sa première demande de renseignements contenait une description détaillée des documents requis. Cette description appelait nécessairement la production des documents de travail sur l’impôt couru. De fait, Mme Temple n’a cessé de dire qu’elle avait, depuis le début, demandé des copies non expurgées des documents de travail (c’est‑à‑dire des listes de questions) :

Ce que je veux obtenir, ce sont les documents de travail que j’ai demandés au cours de la vérification pour la terminer et qui ont été expurgés. Je veux la version non expurgée de ces documents. Je veux les documents de travail dans leur forme originale parce que c’est ce que j’ai demandé la première fois, et c’est ce que je veux. 

Mme Temple a confirmé que ce but s’est cristallisé en mai 2010, lorsqu’elle a pour la première fois pris connaissance de la version expurgée des listes de questions, mais ce but n’a été communiqué à BP Canada que lorsque le ministre a déposé la présente requête, presque deux ans après le fait. Elle a déclaré que les mesures prises par BP Canada pour répondre à l’objet de ses recherches étaient « sans importance » parce qu’elle estimait qu’elle y avait droit « de toute façon ». Mme Temple a affirmé à M. Scott Shelton, agent de l’ARC qui lui donne des instructions, que « [l]a Loi de l’impôt sur le revenu me fournit – les contraint de me fournir le document original ». Elle a donc maintenu sa demande bien qu’ayant confirmé la politique et la pratique de longue date selon lesquelles l’ARC ne demande pas systématiquement les documents de travail sur l’impôt couru et malgré l’application de la déclaration de politique à l’information demandée en l’espèce.

La Cour pourrait tenir compte de l’historique des demandes liées aux listes de questions lorsqu’elle décidera s’il est juste et approprié – ou non – d’accorder à titre discrétionnaire l’ordonnance demandée en vertu de l’article 231.7. Au cours de la vérification de 2005, Mme Temple a présenté à BP Canada une série d’excuses à la fois trompeuses et mutuellement contradictoires pour expliquer la demande relative aux listes de questions. Son comportement donne à penser qu’elle savait parfaitement que cette demande outrepassait son pouvoir de vérification légitime en vertu de l’article 231.1. BP Canada estime que la Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire compte tenu de la mauvaise foi de la vérificatrice dans le cadre des demandes relatives aux listes de questions.

(Mémoire des faits et du droit déposé par BP Canada, pages 65 à 73) [notes de bas de page omises])

[36]           Au cours de son argumentation orale, l’avocat de BP Canada est allé plus loin dans sa description du comportement de Mme Temple, la taxant de « comédie » (transcription, page 118).

C.                Conclusion

[37]           Il m’est impossible d’accorder de poids aux arguments de BP Canada.

[38]           Premièrement, concernant l’argument selon lequel il s’agirait d’une recherche aléatoire de renseignements, j’estime qu’une vérification n’est pas une mission exploratoire. Notamment, au cours de la vérification de BP Canada, le ministre s’est intéressé à une question précise, à savoir le contenu des listes de questions contenues dans les documents de travail sur l’impôt couru. L’intérêt du ministre visait donc spécifiquement à obtenir une feuille de route utilisable dans le cadre des vérifications en cours et à venir. 

[39]           Deuxièmement, j’estime que l’argument de la mauvaise foi soulève une grave question justiciable non réglée : selon la prépondérance des probabilités, les fonctionnaires du ministre avaient‑ils l’intention de tromper les représentants de BP Canada? Au cours de leur argumentation, ni l’avocat du ministre ni celui de BP Canada n’ont attiré mon attention ni ne se sont appuyés sur des preuves étayant le fait qu’on aurait directement soulevé avec Mme Temple la question d’un motif dissimulé. L’argumentation de BP Canada s’appuie sur la conviction de la mauvaise foi de Mme Temple. J’estime qu’il n’est ni possible ni juste de conclure à cet égard sans avoir donné à l’intéressée la possibilité de s’expliquer. Faute de quoi, il y a grand risque de rendre une conclusion erronée.

[40]           Selon moi, le point de vue de BP Canada est fondé sur des conjectures. Je considère tout aussi spéculative la possibilité suivante fondée sur le contenu de l’affidavit de Mme Temple (dossier de la demande conjointe, vol. I, pages 5 à 17). La politique du ministère selon laquelle les documents de travail peuvent faire l’objet d’une contrainte à produire, sans restriction, est un élément majeur dans l’évolution de la situation. D’emblée, les vérificateurs ont exprimé des soucis légitimes à l’égard de la vérification et ils ont donc demandé d’autres renseignements. Ils se sont d’abord tenus à l’habitude de ne pas demander les documents de travail, mais, au milieu de la procédure, ces considérations ont fait place à la nécessité d’obtenir les renseignements contenus dans les documents de travail. Et, à la fin de la procédure, la politique du ministère a été appliquée sans restriction : on a demandé l’ensemble des listes de questions, non seulement aux fins de la vérification en cours, mais des vérifications ultérieures.

[41]           Interrogée par l’avocat de BP Canada, Mme Temple s’est montrée très franche : elle avait très tôt décidé qu’il fallait avoir accès aux listes de questions. Il n’y a rien de malveillant au fait de se faire cette opinion, de n’en rien dire et de continuer à essayer de réunir l’information nécessaire dans le respect des limites. Il n’y a rien non plus de malveillant au fait que la politique du ministère a finalement été appliquée et qu’une demande directe a été formulée pour l’accès aux listes. Peut‑être une certaine frustration s’est‑elle manifestée dans l’évolution de la façon de faire en raison du refus opposé par BP Canada. Il n’est pas possible, selon la prépondérance des probabilités, de déterminer l’hypothèse qui serait le plus près de la vérité à moins d’un interrogatoire et d’un contre­‑interrogatoire complets sur la question précise du motif.

[42]           Il convient de rappeler que la mauvaise foi présumée n’a eu aucun effet sur l’issue des échanges. Tout a commencé par une demande de renseignements supplémentaires, suivie d’une demande de production des listes de questions, pour finir par un échec à obtenir lesdites listes. Selon moi, le ministre n’a rien gagné, et BP n’a pas subi de préjudice dans le cadre de ce processus, qui a fini comme il a commencé.

[43]           Je ne suis pas en mesure de conclure que BP Canada ait de quelque façon été induit à produire les documents de travail expurgés. Selon moi, les éléments de preuve permettent de conclure que BP Canada a décidé de collaborer avec les représentants du ministre et de finalement fournir les documents de travail expurgés dans l’espoir que cela suffise à la ministre  et qu’elle renonce à obtenir les listes de questions. Les échanges ont été professionnels et menés avec sérieux sans déséquilibre de pouvoirs.

[44]           Je conclus donc qu’on ne peut conclure raisonnablement des éléments de preuve versés au dossier que les représentants du ministre ont eu un comportement de mauvaise foi en demandant les listes de questions. Je rejette donc la demande de BP Canada selon laquelle je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder l’ordonnance de production des listes de questions.

D.                Injustice envers BP Canada

[45]           L’argument est le suivant :

[traduction]

Par ailleurs, la demande du ministre concernant les listes de questions n’est pas, intrinsèquement, impartiale. L’impartialité suppose le traitement équitable de tous les contribuables. Le ministre ne peut demander de documents de travail sur l’impôt couru qu’aux entreprises assujetties à un degré de diligence supplémentaire applicable à celles qui décident ou sont tenues d’établir leurs états financiers conformément aux PCGR. En l’espèce, le ministre cherche à retourner la diligence appliquée par BP Canada contre elle‑même et à lui confier la tâche de se vérifier elle‑même en la contraignant à produire sa propre évaluation des risques fiscaux. BP Canada estime que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’y autoriser le ministre.

(Mémoire des faits et du droit déposé par BP Canada, paragraphe 78)

[46]           Je ne peux accorder de poids à cet argument. BP Canada est un contribuable placé dans une situation différente des autres contribuables, qui n’ont pas de provisions pour dette fiscale, mais elle est dans la même situation que les contribuables qui ont des provisions pour dette fiscale. Selon moi, ce type de distinction ne constitue pas un traitement inéquitable. Comme on l’a vu, la politique du ministère ne fait pas de discrimination : tous les contribuables sont assujettis au paragraphe 231.1(1) et à l’article 231.7.

[47]           Quant à la question de la justice, la question est : « justice pour qui? ». J’estime que l’argument le plus convaincant est celui de l’avocat du ministre, cité au paragraphe 6 des présents motifs : 

Si l’ARC n’est pas informée des opérations au cours de la période normale de cotisation, il n’y a pas de vérification de la conformité fiscale à ces dispositions. Il n’y a pas de vérification de la part de l’ARC, et il n’y a pas de contrôle de la part de la Cour canadienne de l’impôt. Si l’ARC n’a pas connaissance des positions fiscales à temps, les actionnaires de BP sont gagnants et les contribuables canadiens sont perdants. Si la position fiscale est découverte et contestée par l’ARC, la question de son bien‑fondé peut, au final, être réglée par la Cour canadienne de l’impôt.

J’estime que, en l’occurrence, ces questions doivent être examinées par l’ARC et, ultimement, par la Cour canadienne de l’impôt. Lorsque de grandes entreprises adoptent des positions limites et floues, ce sont les tribunaux qui doivent trancher.

V.                Résultat

[48]           Pour les motifs énoncés ici, je conclus que le ministre est habilité à contraindre BP Canada à lui communiquer les listes de questions pour accélérer les futures vérifications de l’entreprise.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

Une ordonnance exécutoire est accordée en vertu du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de la production des documents de travail de la défenderesse demandés par le ministre du Revenu national dans le cadre des demandes 2005‑10.1, 2006‑16 et 2007‑6 en vertu du paragraphe 231.1(1) de la Loi.

Les dépens sont réservés et seront déterminés dans le cadre d’une ordonnance distincte après examen des observations des avocats.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


ANNEXE A

Les dispositions suivantes de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), ch 1 (5e suppl.), modifiée, sont en cause dans la présente requête :

231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

231.1 (1) An authorized person may, at all reasonable times, for any purpose related to the administration or enforcement of this Act

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

(a) inspect, audit or examine the books and records of a taxpayer and any document of the taxpayer or of any other person that relates or may relate to the information that is or should be in the books or records of the taxpayer or to any amount payable by the taxpayer under this Act,  […]

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor-client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑908‑12

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c BP CANADA ENERGY COMPANY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE :

LE 5 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Henry Gluch

Margaret McCabe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Al Meghi

Edward Rowe

Pooja Samtani

Andrew Boyd

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Osler, Hoskin & Harcourt

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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