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Date : 20150429


Dossier : IMM-1292-14

Référence : 2015 CF 546

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

DONA LEE MAHABIR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Donna Lee Mahabir (la demanderesse) a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a conclu que le mariage de la demanderesse à David Boodoo, un ressortissant de Trinité-et-Tobago, était authentique, mais visait néanmoins principalement des fins d’immigration.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué de la SAI.

II.                Historique

[3]               La demanderesse est une citoyenne canadienne. Elle avait 31 ans lorsque la SAI a rendu sa décision. Elle souffre de troubles cognitifs.

[4]               Monsieur Boodoo avait 41 ans lorsque la SAI a rendu sa décision. Il souffre également de troubles cognitifs.

[5]               M. Boodoo avait déjà tenté d’immigrer au Canada. En mai 1996, il est arrivé à la faveur d’un visa de visiteur et il a prolongé indûment la durée du séjour autorisée par ce visa. Il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée en novembre 2003, puis, en avril 2006, il ne s’est pas présenté à une entrevue préalable au renvoi. M. Boodoo a finalement été renvoyé en mars 2009.

[6]               La demanderesse et M. Boodoo se sont mariés à Trinité-et-Tobago en mai 2010. La demanderesse a par la suite présenté une demande de parrainage conjugal à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Un agent d’immigration a évalué l’authenticité du mariage et a conclu qu’il s’agissait d’un mariage de convenance et que la relation n’était pas authentique. La demande de parrainage conjugal a donc été rejetée. Cette décision a fait l’objet d’un appel à la SAI.

[7]               La SAI a conclu que le mariage était authentique. Toutefois, la SAI a également conclu que le mariage visait principalement des fins d’immigration et qu’il avait été arrangé par les parents de la demanderesse et les parents de M. Boodoo.

[8]               La conclusion de la SAI selon laquelle le mariage visait principalement des fins d’immigration reposait sur les facteurs suivants :

         Les troubles cognitifs dont souffraient les deux parties au mariage;

         Les efforts antérieurs déployés par la famille de M. Boodoo afin de le garder au Canada;

         Le moment où le mariage a eu lieu, soit 14 mois après le renvoi de M. Boodoo;

         Les documents de l’Agence du revenu du Canada qui indiquaient que la résidence de M. Boodoo était la même que celle de la demanderesse en 2006 et 2007, malgré leur prétention selon laquelle ils s’étaient rencontrés pour la première fois en juillet 2008;

         Tous les membres de la famille de M. Boodoo réside au Canada et la mère de celui-ci est retournée à Trinité‑et‑Tobago afin d’être avec lui jusqu’à ce qu’il puisse venir au Canada.

[9]               La SAI a donc rejeté l’appel de la demanderesse.

III.             Questions en litige

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question déterminante, à savoir s’il était raisonnable de la part de la SAI de fonder sa

IV.             Analyse

[11]           La norme de contrôle appliquée par la Cour aux décisions de la SAI concernant le but d’un mariage est celle de la raisonnabilité (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1522 [Gill 2012], au paragraphe 17; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

[12]           L’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 est ainsi libellé :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

 

[13]           Il convient de souligner que la version antérieure de cet article (en vigueur du 22 mars 2006 au 29 septembre 2010) était ainsi libellée :

Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

[Soulignement ajouté]

[Emphasis added.]

33        Il en est ainsi parce que, alors que le présent est utilisé dans l’énoncé du critère de l’article 4 du Règlement selon lequel il faut évaluer si le mariage contesté « n’est pas authentique », le second critère commande une évaluation visant à déterminer si le mariage « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (non souligné dans l’original). Par conséquent, pour déterminer si ce dernier critère est rempli, il faut s’attarder aux intentions des époux au moment du mariage. Je reconnais avec le défendeur que le témoignage de ces parties au sujet de ce qu’ils avaient en tête à l’époque constitue généralement l’élément de preuve le plus probant en ce qui concerne le but principal de leur mariage.

[16]           Dans la décision Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 902 [Gill 2014], le juge O’Reilly a conclu qu’il était déraisonnable de mettre l’accent sur les intentions de la famille :

11        […] Selon moi, la SAI a, de façon déraisonnable, mis l’accent sur les motivations de la famille de l’époux de Mme Gill ainsi que sur les antécédents de la famille en matière d’immigration. Ce faisant, la SAI a tiré une conclusion déraisonnable concernant l’objectif principal visé par le mariage.

12        La SAI a conclu que les parents de l’époux de Mme Gill voulaient que leur fils vienne les rejoindre au Canada et ils ont donc arrangé un mariage entre lui et une résidente permanente. Toutefois, elle a omis de tenir compte du fait que les parents passaient une grande partie de l’année en Inde, ce qui atténuait le soi-disant « facteur d’attraction » vers le Canada. De plus, le fils n’avait pas nécessairement les mêmes motifs que les parents.

13        De plus, la SAI a déduit des antécédents de la famille en matière d’immigration qui démontraient que d’autres membres de la famille tentaient d’immigrer au Canada, notamment au moyen de demandes de parrainage, que l’époux de Mme Gill avait les mêmes intentions que ceux-ci. Selon moi, il était injuste d’attribuer à l’époux de Mme Gill les présumées intentions d’autres personnes, surtout lorsqu’il y avait de forts indices que le mariage était bel et bien authentique. Le couple s’était peut-être réjoui des possibilités sur le plan de l’immigration qui découlaient du mariage, mais cela ne signifiait pas pour autant que c’était là sa principale motivation.

[17]           Le juge O’Reilly a conclu ce qui suit :

15        Il est évident que ce genre d’affaires comporte deux éléments d’appréciation distincts – l’authenticité du mariage et la raison principale pour laquelle il a été contracté. Un demandeur de résidence permanente n’est pas considéré comme un époux si le mariage n’est pas authentique ou si le mariage a été contracté en vue de faciliter l’immigration. Les deux éléments d’appréciation sont cependant reliés (Grabowski c Canada (MCI), 2011 CF 1488, au paragraphe 24). Cela signifie que plus la preuve concernant l’authenticité du mariage est forte (et lorsqu’il est question d’un enfant, cet élément constitue à lui seul une forte preuve), moins il sera probable que le mariage a été contracté principalement en vue d’acquérir un avantage en matière d’immigration (Gill c MCI, 2010 CF 122, aux paragraphes 6 à 8). Et vice versa. Plus la preuve que le couple visait l’acquisition d’un statut en matière d’immigration, plus il était probable que le mariage n’était pas authentique.

16        En l’espèce, la preuve démontrait clairement que le mariage était authentique – sa durée, le fait que le couple avait eu un enfant et la véritable compatibilité entre les époux. Par ailleurs, la preuve que le mariage avait été contracté en vue d‘acquérir le statut d’immigrant, ce qui était souhaité par les autres membres de la famille et non pas par le couple, était faible. À la lumière de ces conclusions, je conclus que la décision de la SAI était déraisonnable, puisqu'elle n'appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           En l’espèce, il est manifeste que l’accent mis par la SAI sur les intentions de la famille est motivé dans une large mesure par les troubles cognitifs dont souffraient les deux parties au mariage. Toutefois, la SAI n’a pas conclu que les parties étaient incapables d’avoir eu l’intention de se marier et les deux époux ont été acceptés comme témoins habiles à témoigner devant la SAI.

[19]           Après avoir conclu que le mariage était authentique, la SAI a mis l’accent sur les intentions des familles des époux pour établir si le mariage visait principalement des fins d’immigration, ce qui était déraisonnable. L’analyse faite par la Cour dans Gill 2012 et Gill 2014 est déterminante. La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué de la SAI. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1292-14

 

INTITULÉ :

DONA LEE MAHABIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT

ET MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

POUR La DEMANDEresse

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elyse Korman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR La DEMANDresse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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