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Date : 20150420


Dossier : T-733-13

Référence : 2015 CF 493

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2015

En présence de l’honorable juge Russell

ENTRE :

PFIZER PRODUCTS INC.

demanderesse

et

ASSOCIATION CANADIENNE DU MÉDICAMENT GÉNÉRIQUE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC, 1985, c T‑13 [la Loi], relativement à la décision datée du 23 janvier 2013 [la décision de la COMC], par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission] a refusé la demande de marque de commerce no 1244118 de Pfizer Products Inc. [Pfizer ou la demanderesse] en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

II.                LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse a demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Viagra Tablet Design » le 19 janvier 2005. L’enregistrement était fondé sur l’emploi de la marque de commerce au Canada par la demanderesse dès mars 1999, au moins, en liaison avec un produit pharmaceutique destiné au traitement de la dysfonction sexuelle.

[3]               Une décision officielle a été rendue le 29 avril 2005. L’examinateur a demandé que la demanderesse modifie le dessin afin de montrer le comprimé en lignes pointillées et de retirer l’énoncé « la couleur est revendiquée comme une caractéristique de la marque de commerce ». La demanderesse s’est conformée à cette demande. La marque de commerce modifiée – « Miscellaneous Three Dimensional Design » [la marque] - a été annoncée pour fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 5 octobre 2005. Un erratum a été publié le 17 mai 2006.

[4]               L’Association canadienne du médicament générique [l’ACMG ou la défenderesse] a produit une déclaration d’opposition à la demande le 6 mars 2006. Les parties ont produit des observations écrites, et une audience a eu lieu en mai 2012.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               Le 23 janvier 2013, la Commission a refusé la demande de marque de commerce de la demanderesse en application du paragraphe 38(8) de la Loi. Elle a conclu qu’elle n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la marque était distinctive, conformément à l’alinéa 38(2)d) de la Loi. Avant d’arriver à sa conclusion, elle a rejeté chacun des autres motifs d’opposition. Seules les questions que les parties ont soulevées seront analysées; celles-ci comprennent les conclusions de la Commission quant à la conformité de la demande et au caractère distinctif de la marque.

A.                La conformité de la demande

[6]               À l’audience sur l’opposition, l’ACMG a fait valoir que la demande n’était pas conforme à l’alinéa 30h) de la Loi car le dessin n’incluait pas les inscriptions apparaissant sur les comprimés et il était impossible de dire si la marque était bidimensionnelle ou tridimensionnelle et quelle variété de formes, de tailles et de couleurs elle comportait.

[7]               La Commission a déclaré qu’il n’était pas obligatoire que les inscriptions d’un comprimé soient incluses dans le dessin : Novopharm Ltd c Eli Lilly and Co. (2004), 45 CPR (4th) 254, à la page 282, [2004] COMC no 173 (QL) (COMC). Elle a conclu que, malgré l’absence de cette obligation, les inscriptions n’étaient que légèrement incrustées dans les comprimés et mineures.

[8]               La Commission a également déclaré qu’il n’était pas fatal à la demande que le dessin comporte des lignes à la fois pointillées et pleines : Novopharm Ltd c Pfizer Products Inc., [2009] COMC no 181 (QL), au paragraphe 27. Le dessin ne présentait aucune ambiguïté : « le dessin et la description indiquent clairement que la couleur revendiquée sera appliquée aux six côtés d’un comprimé tridimensionnel en forme de losange comportant une largeur, une hauteur et une profondeur contrairement à une figure bidimensionnelle ne comportant pas de profondeur » (décision de la COMC, au paragraphe 54). Elle a ajouté que la demande était conforme à l’Énoncé de pratique de l’Office de la propriété intellectuelle intitulé « Marques à trois dimensions » (6 décembre 2000) car la description indiquait que la marque s’appliquerait à « toute la surface visible du comprimé indiqué sur les dessins en pièces jointes » (décision de la COMC, au paragraphe 54). De plus, la demanderesse n’était pas tenue de joindre un avis au dessin car « les avis créent souvent de l’ambiguïté » (décision de la COMC, au paragraphe 56, citant la décision Novopharm Ltd c Pfizer Products Inc., précitée, au paragraphe 30).

[9]               La Commission a conclu que le dessin et la description étaient conformes à l’alinéa 30h) de la Loi parce que les limites de la marque étaient clairement définies.

B.                 Le caractère distinctif de la marque

[10]           La Commission a écrit que la date pertinente pour évaluer le caractère distinctif de la marque était le 6 mars 2006, soit la date de production de l’opposition.

[11]           À l’audience portant sur l’opposition, l’ACMG a fait valoir que la couleur et la forme de la marque ne distinguaient pas les marchandises. La Commission a conclu que l’ACMG s’était acquittée de son fardeau de preuve initial parce qu’il ressortait de la preuve qu’il y avait un nombre élevé de pilules bleues et/ou de pilules à côtés multiples sur le marché en 2005 et en 2006. Selon elle, cela menait à la conclusion qu’au moins certaines de ces pilules avaient été mises en marché de façon active au Canada à la date pertinente. La demanderesse avait donc le fardeau juridique d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la marque distinguait les marchandises de la demanderesse de celles des autres.

[12]           Aux dires de la Commission, il est nécessaire de satisfaire à trois conditions pour établir qu’une marque distingue des marchandises (Philip Morris Inc. c Imperial Tobacco Ltd (1985), 7 CPR (3d) 254, à la page 270, [1985] ACF no 1231 (QL) (CF 1re inst.) [Philip Morris], conf. par (1987) 17 CPR (3d) 289 (CAF) : « (1) une marque et un produit (ou une marchandise) doivent être associés; (2) le “propriétaire” doit utiliser cette association entre la marque et son produit et doit fabriquer et vendre son produit; (3) cette association doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui des autres. » Pour qu’une marque soit distinctive, il faut que les consommateurs la lient ou l’associent à la source des marchandises : Glaxo Group Limited c Apotex Inc., 2010 CAF 313, au paragraphe 7 [Apotex CAF]. Elle a ajouté que ce critère exigeait que la demanderesse montre que les médecins, les pharmaciens et les patients reconnaissaient la marque comme une marque de commerce et pas seulement comme un élément décoratif ou fonctionnel du produit : Novopharm Ltd c Bayer Inc., [2000] 2 RCF 553, au paragraphe 73, 179 FTR 260 [Novopharm], conf. par (2000) 264 NR 384, 9 CPR (4th) 304 (CAF) [Novopharm CAF]; Novopharm Ltd c Astra Aktiebolag (2000), 6 CPR (4th) 101, à la page 112, [2000] COMC no 35 (QL).

1)                  L’emploi de la marque par la demanderesse

[13]           À l’audience portant sur l’opposition, l’ACMG a fait valoir qu’aucune preuve n’étayait la conclusion selon laquelle l’emploi de la marque par Pfizer Canada Inc. s’appliquait à la demanderesse. La Commission a déclaré qu’elle était convaincue par la preuve qu’il existait à la fois un contrat de licence en 1986 et un contrat de licence en 2006, de sorte que l’emploi de la marque s’appliquait à la demanderesse en vertu de l’article 50 de la Loi. Elle n’a pas tiré d’inférence défavorable du fait que le contrat de licence de 2006 n’avait pas été produit, car il n’est pas obligatoire qu’un tel contrat soit mis par écrit. Elle a aussi fait remarquer que l’ACMG aurait pu confirmer d’autres détails sur le contrat de licence lors du contre-interrogatoire si elle croyait qu’il restait des questions en suspens.

[14]           La Commission a également accepté la preuve que le total des ventes de Viagra au Canada avait été de plus de 470 millions de dollars en 2006, et que plus de 850 000 ordonnances avaient été remplies pour le Viagra, tant en 2005 qu’en 2006. Elle a toutefois formulé la mise en garde suivante : « des chiffres de ventes impressionnants à eux seuls ne permettent pas à une requérante de s’acquitter de sa charge de prouver le caractère distinctif d’une marque de commerce » (décision de la COMC, au paragraphe 85, citant Novopharm Ltd c Astra Aktiebolag (2000), 187 FTR 119, 6 CPR (4th) 16, à la page 25 [Astra], conf. par 2001 CAF 296 [Astra CAF]). Elle s’est dite convaincue que la demanderesse avait employé la marque pour créer une association avec son produit.

2)                  Le caractère distinctif de la marque chez les patients

[15]           La Commission a indiqué que même s’il ne s’agissait pas d’un élément déterminant de l’emploi, la publicité et la réputation pouvaient donner lieu à une conclusion de caractère distinctif : Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657, au paragraphe 29. Elle a signalé que la seule preuve directe d’un patient ayant pris du Viagra émanait du gestionnaire de la marque du Viagra, monsieur Marc Charbonneau. Elle a déclaré que la preuve de M. Charbonneau, du fait de son poste, n’était pas représentative de celle des patients en général.

[16]           La Commission a examiné la preuve relative à la mise en marché et aux ventes du Viagra, ainsi que la preuve de médecins et de pharmaciens sur la manière dont les patients percevaient la marque. Elle a déclaré que la preuve étayait la conclusion selon laquelle de nombreux patients avaient été exposés à de la publicité sur le Viagra et que certains d’entre eux l’appelaient la « petite pilule bleue ». Cela l’a amenée à conclure que la marque avait une réputation auprès de certains consommateurs au moins. La marque avait donc un caractère distinctif parmi les patients car il ressortait de la preuve que ces derniers associaient la marque aux marchandises.

3)                  Le caractère distinctif de la marque parmi les pharmaciens

[17]           Selon la Commission, la demanderesse était tenue d’établir que la couleur et la forme étaient les « caractéristiques principales » qui permettaient aux pharmaciens de distinguer les marchandises des autres : Apotex Inc. c Registraire des marques de commerce, 2010 CF 291, au paragraphe 34 [Apotex], conf. par l’arrêt Apotex CAF, précité. Aucun pharmacien, a-t-elle admis, n’identifierait un médicament en se reportant uniquement à sa couleur, à sa forme et à sa taille, mais elle a ajouté que cela n’était pas fatal pour la demande : décision Novopharm, précitée, au paragraphe 79. Elle a ajouté que même si trois des pharmaciens ayant témoigné avaient déclaré qu’ils connaissaient bien l’apparence du Viagra et savaient qu’il était fabriqué par une seule et unique source, le fait qu’un dessin soit unique et reconnaissable n’était pas suffisant pour lui attribuer un caractère distinctif : décision Apotex, précitée, au paragraphe 13. La jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale a établi que les pharmaciens doivent relier la marque de commerce aux choix qu’ils font en matière de distribution : arrêt Apotex CAF, précité, au paragraphe 7. Elle a conclu que les pharmaciens employaient diverses caractéristiques pour distinguer les marchandises, dont : les numéros d’identification du médicament, le nom du médicament et la posologie, de même que le code universel des produits inscrit sur l’emballage.

[18]           Plus tôt dans sa décision, la Commission a traité de l’admissibilité du témoignage d’expert de Mme Ruth Corbin. Cette dernière est une spécialiste en sondages qui avait réalisé un sondage sur la manière dont les pharmaciens reconnaissaient la marque en 2002.

[19]           La Commission a pris en considération les quatre critères qui s’appliquent à l’admissibilité d’une preuve d’expert selon l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 : la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. Elle a conclu que le témoignage de Mme Corbin n’était pas pertinent pour l’évaluation du caractère distinctif du dessin en date du 6 mars 2006. Elle a reconnu que Mme Corbin a déclaré en contre-interrogatoire que les résultats de 2002 étaient pertinents pour 2006 parce que la connaissance que l’on a d’un produit mis en marché efficacement  augmente à mesure que le produit s’enracine. Mme Corbin a déclaré que même si l’on avait lancé une autre pilule bleue en forme de losange entre 2002 et 2006, le caractère distinctif de la marque aurait été le même ou aurait augmenté. Cependant, la Commission a conclu que les réponses de Mme Corbin ne concordaient pas avec la manière dont elle-même interprétait le sondage. Elle a conclu que le témoignage de Mme Corbin n’était pas pertinent à l’égard de la question du caractère distinctif et elle a refusé de traiter des autres objections de l’ACMG au témoignage de Mme Corbin.

[20]           La Commission a déclaré que si elle avait admis le sondage de Mme Corbin, celui-ci aurait appuyé le fait que les pharmaciens associaient la marque à des comprimés de Viagra fabriqués par une seule compagnie. Cependant, elle a conclu qu’elle n’était pas convaincue qu’il ressortait de la preuve que les pharmaciens se fondaient principalement sur la couleur et la forme pour leurs décisions en matière de distribution de médicaments. En fait, la preuve amenait à conclure que les pharmaciens avaient principalement recours à d’autres moyens pour distinguer les marchandises. Elle s’est dite non convaincue que la marque avait un caractère distinctif parmi les pharmaciens.

4)                  Le caractère distinctif de la marque parmi les médecins

[21]           La Commission a examiné le témoignage de trois médecins au sujet du caractère distinctif de la marque parmi les médecins. Elle a conclu que le témoignage du Dr Weiss ne s’appliquait pas aux médecins en général en raison du rôle qu’il avait joué en mettant au point et en présentant des exposés financés par Pfizer. Elle a également conclu que le témoignage de la Dre Perlin ne s’appliquait pas aux médecins en général parce qu’elle avait déclaré qu’elle ne regardait pas la télévision, qu’elle ne regardait pas la publicité dans les revues médicales et qu’elle n’avait jamais vu une annonce sur le Viagra dans un journal ou dans une revue. Le Dr Schiffman a déclaré qu’il connaissait l’apparence du Viagra et qu’il savait que ce produit était fabriqué par Pfizer. Il a toutefois déclaré qu’il n’associait pas la marque à une source unique parce que, a-t-il dit, il n’identifierait pas un comprimé en forme de losange comme étant du Viagra car « [i]l pourrait s’agir de n’importe quoi » (décision de la COMC, au paragraphe 98). La Commission a conclu qu’elle n’était pas convaincue qu’il ressortait de la preuve que la marque était distinctive parmi les médecins.

5)                  La conclusion sur le caractère distinctif de la marque

[22]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que, en date du 6 mars 2006, selon la prépondérance des probabilités, la marque présentait un caractère distinctif parmi les médecins et les pharmaciens. Elle a ajouté que la demanderesse avait omis d’établir qu’« un grand nombre de médecins et de pharmaciens associent la Marque au fait de prescrire et de distribuer les Marchandises » (décision de la COMC, au paragraphe 100). L’opposition a été retenue car la demanderesse n’était pas parvenue à établir le caractère distinctif de la marque parmi les patients, les médecins et les pharmaciens.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           La demanderesse soulève en l’espèce deux questions :

1.      Les nouveaux éléments de preuve en appel auraient-ils eu un effet marqué sur la décision de la Commission?

2.      Aurait-il fallu conclure que la marque présentait un caractère distinctif en vertu de l’alinéa 38(2)d) de la Loi.

V.                LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la Cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la Cour chargée du contrôle de l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[25]           La demanderesse soutient que la Cour est tenue d’évaluer les nouveaux éléments de preuve afin de décider s’ils auraient eu un effet marqué sur la décision. Elle dit que les éléments de preuve marquants sont ceux qui sont « importants » lorsqu’on les évalue sur le plan qualitatif et non quantitatif. La décision a droit à une certaine déférence si les nouveaux éléments de preuve n’ajoutent rien d’une importance probante, ne font que répéter des éléments de preuve existants, sont peu pertinents, formulent des présomptions sans corroboration précise ou n’ont été déposés que pour étayer la décision de la Commission : JTI-Macdonald TM Corp c Imperial Tobacco Products Limited, 2013 CF 608, aux paragraphes 23 et 24; Papiers Scott Limitée c Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478, aux paragraphes 41 à 49 [Papiers Scott]; Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, au paragraphe 27 [Vivat Holdings]. La demanderesse soutient également que dans les cas où la Commission a fait état d’un manque d’informations ou d’une lacune, les nouveaux éléments de preuve qui y répondent peuvent être pris en considération et donner lieu à un contrôle de la justesse de la décision : Mövenpick Holding AG c Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397, au paragraphe 54; Advance Magazine Publishers Inc. c Farleyco Marketing Inc., 2009 CF 153, aux paragraphes 93 à 95 et 98.

[26]           La demanderesse est d’avis que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit est la décision correcte, quelle que soit l’importance des nouveaux éléments de preuve : Ingénieurs Canada c Rem Chemicals, Inc., 2014 CF 644, aux paragraphes 27 et 58 [Ingénieurs Canada].

[27]           La défenderesse soutient que la décision relative au caractère distinctif devrait être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité : Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 10 [Mattel]; John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 36 FTR 70, 30 CPR (3d) 293, conf. par (1992), 144 NR 318, 42 CPR (3d) 495 (CAF). Elle ajoute que si les parties ont présenté des éléments de preuve nouveaux et importants, la Cour est tenue d’examiner le dossier dans son ensemble et de décider par elle-même si la demanderesse a montré qu’elle a droit à l’enregistrement : voir les arrêts suivants : Astrazeneca AB c Novopharm Ltd, 2003 CAF 57 [Astrazeneca]; Mattel, précité, au paragraphe 40; Novopharm CAF, précité, aux paragraphes 4 à 6.

[28]           Je traiterai de la norme de contrôle applicable au moment d’analyser les questions en litige.

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définitions

Definitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. In this Act,

[…]

[…]

« distinctive »

“distinctive”

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

[…]

[…]

« marque de commerce »

“trade-mark”

« marque de commerce » Selon le cas :

“trade-mark” means

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

[…]

[…]

« emploi » ou « usage »

“use”

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

“use”, in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

[…]

[…]

Déclaration d’opposition

Statement of opposition

38. (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

38. (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade-mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

Motifs

Grounds

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds :

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

(b) that the trade-mark is not registrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

(d) that the trade-mark is not distinctive.

[…]

[…]

Décision

Decision

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l’opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

(8) After considering the evidence and representations of the opponent and the applicant, the Registrar shall refuse the application or reject the opposition and notify the parties of the decision and the reasons for the decision.

Appel

Appeal

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

[…]

[…]

Preuve additionnelle

Additional evidence

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

VII.          LES PLAIDOIRIES

A.                La demanderesse

1)                  Les questions soumises à bon droit à la Cour

[30]           À titre de point préliminaire, la demanderesse fait valoir que la seule question soumise à bon droit à la Cour est la conclusion de la Commission sur le caractère distinctif de la marque. Elle dit que si la défenderesse voulait que la décision soit infirmée pour d’autres motifs, elle était tenue de soulever ces questions dans son avis de comparution ou en introduisant sa propre demande : Ministre du Revenu national c Larsson (1997), 216 NR 315, aux paragraphes 27 et 28 (CAF); Autodata Ltd c Autodata Solutions Co., 2004 CF 1361, aux paragraphes 23 à 27 [Autodata].

[31]           La demanderesse dit que les questions suivantes sont soulevées à tort dans la preuve de la défenderesse : la décision de la Commission au sujet d’une requête en récusation de l’agent d’audience, le bien-fondé du sondage de Mme Corbin, ainsi que l’effet de la publicité faite par Pfizer après 2006. Elle dit qu’il lui est impossible de répondre aux preuves et aux questions qu’elle soulève sans savoir comment la défenderesse a l’intention d’en traiter.

2)                  Le caractère distinctif

[32]           La demanderesse dit que la Commission a commis une erreur dans son application du critère de la distinctivité en exigeant que le caractère distinctif de la marque soit établi parmi les patients, les médecins et les pharmaciens. Elle ajoute qu’il devrait suffire de l’établir parmi les patients. La Commission a également commis une erreur dans son application de l’exigence relative à [traduction« [l’]utilisation faite par les consommateurs » en traitant des médecins et des pharmaciens. De plus, les nouveaux éléments de preuve établissent le caractère distinctif de la marque parmi les médecins et les pharmaciens.

[33]           La demanderesse soutient que le critère de la distinctivité [traduction« consiste à déterminer si l’on a clairement laissé entendre au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce est associée et avec lesquelles elle est employée sont les marchandises du propriétaire de la marque de commerce en question et non celles d’une autre partie » (dossier de la demanderesse, à la page 12 868). Le critère juridique de la distinctivité ne s’applique pas uniquement au milieu pharmaceutique et est le même que celui que l’on utilise dans toutes les autres industries : Ciba-Geigy Canada Ltd c Apotex Inc., [1992] 3 RCS 120, à la page 152 [Ciba‑Geigy]; arrêt Astrazeneca, précité, aux paragraphes 18 à 20; Smith Kline & French Canada Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 CF 633, aux pages 635 et 636, 9 FTR 129; décision Novopharm, précitée, au paragraphe 77, conf. par l’arrêt Novopharm CAF, précité. Pour établir le caractère distinctif d’une marque, il y a trois conditions à remplir : (i) la marque et la marchandise doivent être associées, (ii) le propriétaire de la marque doit utiliser l’association entre la marque et son produit, (iii) l’association doit permettre au propriétaire de distinguer son produit de celui des autres : Oxford Pendaflex Canada Ltd c Korr Marketing Ltd, [1982] 1 RCS 494, à la page 502 [Oxford Pendaflex]; décision Philip Morris, précitée, à la page 270; Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd c Skyway Cigar Store (1998), 147 FTR 54, 81 CPR (3d) 203, aux pages 222 et 223 [Havana House Cigar]; la Loi, à l’article 2. Le caractère distinctif n’exige pas une preuve d’utilisation exclusive : Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 RCF 145, 252 NR 91, au paragraphe 48 (CA) [Brasseries Molson].

[34]           La demanderesse reconnaît qu’il lui incombe d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, les consommateurs associaient l’apparence du médicament au fabricant, ou à une source unique de fabrication ou d’approvisionnement, le 6 mars 2006, soit la date du dépôt de l’opposition : décision Novopharm, précitée, au paragraphe 72. Il lui faut montrer, ajoute-t-elle, que la marque a un caractère distinctif parmi les produits pharmaceutiques servant à traiter la dysfonction érectile, même si l’ACMG a déplacé son fardeau de preuve par rapport au marché pertinent de l’ensemble des produits pharmaceutiques. Elle soutient que les nouveaux éléments de preuve montrent que la marque est distinctive, même si le marché inclut tous les produits pharmaceutiques, car il n’existe pas d’autres comprimés bleus en forme de losange.

[35]           La demanderesse soutient que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas eu d’effet marquant sur la décision de la Commission au sujet du caractère distinctif de la marque parmi les patients. Les éléments de preuve de la défenderesse répètent ceux que la Commission avait en main. Comme ces éléments ne font que confirmer les conclusions antérieures, celles que la Commission a tirées au sujet du caractère distinctif parmi les patients devraient avoir droit à une certaine déférence et être tenues pour raisonnables, ou confirmées comme correctes.

[36]           La demanderesse soutient qu’une conclusion de caractère distinctif de la marque parmi les patients aurait dû suffire pour établir que la marque est distinctive. La Commission a commis une erreur de droit en exigeant que la demanderesse démontre que la marque était distinctive parmi les patients, les médecins et les pharmaciens. Le critère juridique exige qu’une marque de commerce soit distinctive aux yeux des consommateurs ordinaires des marchandises. Dans le contexte des produits pharmaceutiques, ces consommateurs peuvent inclure les patients, les pharmaciens ou les médecins. La demanderesse dit également que les tribunaux ont formulé le critère de la distinctivité en considérant qu’il exige que les marchandises en question revêtent un caractère distinctif parmi les patients, les médecins ou les pharmaciens : arrêt Astra CAF, précité, aux paragraphes 45 et 46; Novopharm Ltd c Ciba-Geigy Canada Ltd, [2000] ACF no 508 (QL), au paragraphe 13 (1re inst.).

[37]           Selon la demanderesse, la Commission a tort de se fonder sur la décision Novopharm, précitée, où la Cour a non seulement conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves pour montrer l’existence du caractère distinctif de la marque dans aucune des trois catégories de consommateurs, mais elle a aussi laissé entendre qu’il aurait été possible d’établir ce caractère s’il y en avait eu des preuves suffisamment convaincantes parmi les pharmaciens seulement.

[38]           Exiger que l’on établisse le caractère distinctif de la marque parmi chacun des groupes qui font partie de la chaîne d’approvisionnement d’un produit pharmaceutique ne concorde pas avec l’application du critère de la distinctivité dans d’autres contextes : Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Limited c Hyundai Motor America, 2007 CF 580, au paragraphe 31, conf. par 2008 CAF 98. Une conclusion de distinctivité parmi les patients devrait suffire pour établir le caractère distinctif car la Loi vise à protéger les consommateurs ultimes.

[39]           D’après la demanderesse, si la Cour conclut qu’il est nécessaire d’établir le caractère distinctif de la marque parmi les trois catégories de consommateurs, il s’ensuit que les nouveaux éléments de preuve présentés dans le cadre de l’appel auraient eu un effet marqué sur la décision de la Commission. La Cour doit donc de contrôler les conclusions de la Commission sur le caractère distinctif de la marque parmi les médecins et les pharmaciens selon la norme de la décision correcte. D’après les preuves directes qu’ils ont fournies, les médecins et les pharmaciens associaient au Viagra le comprimé bleu en forme de losange et savaient que ce dernier venait d’une seule source.

[40]           La demanderesse dit aussi qu’il aurait fallu admettre le sondage de Mme Corbin en vue de démontrer l’existence du caractère distinctif de la marque parmi les pharmaciens. La Commission a dit que si le sondage de Mme Corbin avait été admissible, il aurait appuyé la conclusion selon laquelle les pharmaciens reconnaissaient que la marque était associée au Viagra et à un seul fabricant. La Commission n’était pas disposée à admettre que le sondage faisait état du caractère distinctif de la marque en 2006, mais il aurait quand même fallu l’admettre comme preuve de ce caractère distinctif en 2002. Les nouveaux éléments de preuve de la défenderesse au sujet du bien-fondé du sondage sont conjecturaux et n’établissent pas pourquoi ce dernier ne s’applique pas aux conditions du marché en 2006.

[41]           La demanderesse soutient par ailleurs que la Commission a commis une erreur en appliquant l’exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs » dans son analyse de la question de savoir si la marque était distinctive parmi les médecins et les pharmaciens. Ce critère exigeait que la demanderesse établisse que les médecins utilisent la marque au moment de faire leurs choix en matière d’ordonnances et que les pharmaciens utilisent la marque lorsqu’ils font leur choix en matière de distribution. La Loi exige seulement qu’un propriétaire utilise sa marque pour distinguer ses marchandises. Il n’est pas exigé qu’un consommateur l’utilise aussi. Ce critère crée un fardeau impossible à supporter dans le contexte pharmaceutique car les décisions que prennent les médecins et les pharmaciens sont fortement réglementées.

[42]           L’exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs » découle d’une interprétation et d’une application erronées de décisions jurisprudentielles antérieures. Dans un certain nombre d’affaires soumises à la Cour fédérale en 2000, le juge Rouleau s’est fondé sur la décision Novopharm, précitée, pour étayer l’exigence selon laquelle les consommateurs doivent « utiliser » la forme et la couleur d’un produit pharmaceutique au moment de prendre une décision : Apotex Inc. c Monsanto Canada Inc. (2000), 187 FTR 136, au paragraphe 14, 6 CPR (4th) 26; Novopharm Ltd c Ciba-Geigy Canada Ltd (2000), 6 CPR (4th) 224, à la page 232 (CF 1re inst.); décision Astra, précitée, au paragraphe 13; Apotex Inc. c Ciba-Geigy Canada Ltd, précitée, au paragraphe 13. Selon la demanderesse, il s’agit là d’une lecture erronée de la décision Novopharm, précitée, où la Cour a appliqué le critère habituel du caractère distinctif, lequel exige uniquement que les consommateurs ordinaires associent la marque à une source unique.

[43]           La demanderesse reconnaît que la Cour d’appel fédérale a confirmé des décisions dans lesquelles cette exigence était mentionnée, mais, dit-elle, la Cour d’appel fédérale n’a jamais souscrit expressément à l’exigence relative à l’utilisation faite par les consommateurs. En confirmant les affaires, la Cour d’appel fédérale a plutôt énoncé le même critère relatif au caractère distinctif : il s’agit de savoir si « les consommateurs concernés doivent distinguer le produit d’une source des marchandises d’autres personnes, et ce, en raison de la marque de la source » : arrêt Apotex CAF, précité, au paragraphe 7.

[44]           La demanderesse dit qu’il ressort de la preuve que les médecins et les pharmaciens utilisent la marque dans toute la mesure du possible, et ce, dans les limites de leurs obligations professionnelles. Il existe des preuves selon lesquelles les médecins comprenaient que lorsque des patients demandaient la « petite pilule bleue », ils parlaient du Viagra, ce qui pouvait donner lieu à des choix d’ordonnances. Il existe aussi des preuves que les pharmaciens se servent parfois de la marque pour vérifier si c’est le bon médicament qu’ils remettent aux patients.

B.                 La défenderesse

1)                  Les questions soumises à la Cour

[45]           La défenderesse soutient qu’elle n’était pas tenue de déposer un appel incident de la décision ou de faire part, dans son avis de comparution, de ses motifs pour contester la décision. Elle ajoute que l’appel a trait à la décision, et non aux motifs de cette dernière : la Loi, au paragraphe 38(8) et à l’article 56; Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, à l’article 301; Ratiopharm Inc. c Pfizer Canada Inc., 2007 CAF 261, au paragraphe 6. De plus, les Règles des Cours fédérales n’exigent pas que l’on énumère les motifs dans un avis de comparution : voir la formule 38A. Elle dit avoir le droit de déposer des éléments de preuve en vue de traiter de n’importe quelle question qui a été soumise à la Commission : Société anonyme des bains de mer et du cercle des étrangers à Monaco, société anonyme c Monte Carlo Holdings Corp, 2012 CF 1528, au paragraphe 14; décision Autodata, précitée, aux paragraphes 24 à 27; Perka c La Reine, [1984] 2 RCS 232, à la page 240.

2)                  La conformité à la Loi

[46]           La défenderesse soutient que la demande de marque de commerce de Pfizer n’était pas conforme à l’alinéa 30h) de la Loi. Les nouveaux éléments de preuve établissent que les inscriptions apparaissant sur les comprimés de Viagra ne sont pas mineures. Les témoignages de médecins et de pharmaciens ont confirmé que ces inscriptions servent à identifier le Viagra au moment de le prescrire, de le distribuer et de renseigner les patients.

[47]           La défenderesse soutient également que la Commission a commis une erreur dans la façon dont elle a déterminé le caractère suffisant du dessin. Ce dernier doit être suffisamment précis pour permettre au public d’en évaluer avec exactitude les limites : décision Astra, précitée, conf. par l’arrêt Astra CAF, précité; décision Novopharm Ltd c Ciba-Geigy Canada Ltd, précitée, conf. par l’arrêt Astra CAF, précité. Dans la demande de marque de commerce de Pfizer le dessin est ambigu car il comporte à la fois des lignes pleines et pointillées. Il n’est pas clair non plus si la forme fait partie de la marque. La défenderesse ajoute que la Commission a commis une erreur en se fondant sur des décisions dans lesquelles il a été décidé que les dessins n’étaient pas ambigus parce que, dans ces décisions, les demandes contenaient des avis qui réglaient l’ambiguïté : décision Novopharm Ltd c Pfizer Products Inc., précitée; décision Astra, précitée.

3)                  Le caractère distinctif

[48]           La défenderesse soutient que le critère de la distinctivité consiste à savoir si l’apparence transmet au consommateur, dans le cours normal des affaires, l’idée que le produit en question vient d’une seule source en particulier. Le caractère distinctif de la marque n’est pas établi si le consommateur perçoit que l’apparence évoque soit l’identité du médicament soit le fait qu’il s’agit d’un médicament contre la dysfonction érectile en générale.

[49]           Le critère de la distinctivité exige que la demanderesse démontre qu’une proportion importante de [traduction« médecins, pharmaciens et patients sont d’avis que l’aspect du médicament dénote la source de ce dernier lorsqu’ils choisissent la marque du médicament qu’ils prescrivent, qu’ils distribuent ou qu’ils consomment, respectivement » : voir Eli Lilly and Company c Novopharm Ltd, 2006 CF 843, aux paragraphes 92 à 94; décision Apotex, précitée, aux paragraphes 5 et 8 à 13, conf. par l’arrêt Apotex CAF, précité; décision Novopharm, précitée, aux paragraphes 72 et 73; Eli Lilly and Co c Novopharm Ltd (2000), [2001] 2 FC 502, au paragraphe 31, 195 DLR (4th) 547 (CA) [Eli Lilly CAF]; décision Ciba-Geigy, précitée, à la page 157. La demanderesse n’est pas parvenue à établir le caractère distinctif de la marque parmi une proportion importante de patients, de médecins et de pharmaciens parce qu’aucun des médecins et des pharmaciens qui ont témoigné ne s’exprimait pour quelqu’un d’autre que lui‑même.

[50]           La défenderesse soutient par ailleurs que le marché pertinent est l’ensemble des produits pharmaceutiques au Canada : voir la décision Novopharm, précitée, au paragraphe 78, la décision Astra, précitée, au paragraphe 14, ainsi que Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, 2003 CF 1212, aux paragraphes 8(4), 17 et 20. La nouveauté n’établit pas le caractère distinctif, et la demanderesse était tenue de montrer davantage que le fait que l’apparence du comprimé était différente de celle d’autres médicaments sur le marché : Royal Doulton Tableware Limited c Cassidy’s Ltd (1984), [1986] 1 CF 357, 1 CPR (3d) 214, aux pages 224 à 226 (1re inst.) [Royal Doulton]; Eli Lilly & Co c Novopharm Ltd (1997), 130 FTR 1, 147 DLR (4th) 673 [Eli Lilly], conf. par l’arrêt Eli Lilly CAF, précité; décision Novopharm, précitée. On n’établit pas le caractère distinctif en montrant qu’un médicament a fait l’objet d’une vaste promotion et est apparu dans des annonces publicitaires : décision Eli Lilly, précitée. Le fait de montrer que des médecins, des pharmaciens et des patients reconnaissent ou peuvent décrire l’apparence du médicament n’établit pas que ces consommateurs associent à cet apparence une source importante. On n’établit pas non plus le caractère distinctif en montrant que des consommateurs associent la forme au nom commercial du produit.

[51]           La défenderesse dit aussi que les arguments de la demanderesse au sujet de l’exigence de « l’utilisation faite par les consommateurs » ont déjà été rejetés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale : décision Apotex, précitée, aux paragraphes 8 à 13, conf. par l’arrêt Apotex CAF, précité, aux paragraphes 2, 3, 6 et 7. Il faut que la marque informe le consommateur de la source du produit pour pouvoir agir comme une marque de commerce distinctive. Le consommateur « utilise » l’apparence pour identifier la source d’un produit en associant cette apparence à une source unique.

[52]           La défenderesse est d’avis que les nouveaux éléments de preuve indiquent clairement que la demanderesse n’a pas établi que l’utilisation que faisait Pfizer Canada Inc. s’appliquait à elle. Les nouveaux éléments de preuve établissent que la preuve relative au contrat de licence que la demanderesse a soumise à la Commission était du ouï-dire inadmissible, non étayé par la preuve documentaire. La demanderesse a refusé de produire d’autres documents concernant le contrat de licence, ce qui amène à inférer qu’il n’y a pas de documents à l’appui de sa prétention selon laquelle la marque était l’objet d’un contrat de licence en 1986.

[53]           La défenderesse soutient par ailleurs qu’aucune preuve n’établit que les patients utilisent l’apparence du médicament pour distinguer les marchandises. Il ressort des témoignages de médecins et de pharmaciens que les patients emploient l’expression « petite pilule bleue » pour désigner un médicament contre la dysfonction érectile, et non une marque précise de médicament. De plus, les patients n’associent pas la marque à une source unique parce qu’ils savent que les médicaments génériques ressemblent souvent aux marques d’origine d’un médicament. Les patients étaient également au courant qu’il existait un comprimé contrefait qui ressemblait au comprimé de Viagra.

[54]           La défenderesse soutient qu’il n’existe aucune preuve nouvelle importante qui justifie que l’on revoie les conclusions de la Commission au sujet du caractère distinctif de la marque parmi les médecins. Les nouveaux éléments de preuve répètent simplement ceux qui ont été soumis à la Commission. De plus, ajoute-t-elle, il ressort clairement des éléments de preuve qu’aucun médecin compétent ne tiendrait compte de la source du médicament en décidant de prescrire ou non du Viagra. Les médecins établissent leurs ordonnances en fonction de préoccupations d’ordre thérapeutique et jamais ils n’identifieraient un comprimé par son apparence.

[55]           La défenderesse est d’avis par ailleurs que la demanderesse n’est pas parvenue à établir en quoi ses nouveaux éléments de preuve concernant le caractère distinctif de la marque parmi les pharmaciens diffèrent d’une manière significative de ceux qui ont été soumis à la Commission. Il n’y a donc pas lieu de revoir les conclusions de la Commission sur la question. La preuve indique clairement qu’aucun pharmacien compétent ne se servirait de la marque comme moyen de faire une distinction entre divers produits à des fins de distribution. Selon les pharmaciens, l’apparence d’un comprimé est révélatrice du médicament, pas de la source, parce que toutes les marques adoptent la même apparence pour un même médicament.

[56]           D’après la défenderesse, les nouveaux éléments de preuve étayent la conclusion de la Commission selon laquelle le sondage de Mme Corbin n’était pas pertinent pour ce qui était des conditions du marché en 2006. Les nouveaux éléments de preuve établissent encore plus clairement qu’il y a eu un changement au sein du marché entre 2002 et 2006 : cinq nouveaux comprimés bleus ont été lancés entre ces deux années, il était possible d’obtenir du Viagra contrefait d’une apparence semblable, Pfizer avait réduit ses efforts de mise en marché relatifs au Viagra, et les caractéristiques démographiques des pharmaciens avaient changé au cours de cette période. De plus, le sondage de Mme Corbin, même s’il aurait été admissible, est à ce point vicié que ses conclusions sont indéfendables.

VIII.       L’ANALYSE

A.                Qu’est-ce qui est soumis à la Cour?

1)                  L’importance cruciale du caractère distinctif

[57]           Les parties ne s’entendent pas sur ce qui est soumis à bon droit à la Cour dans le cadre du présent appel, interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi.

[58]           Le fait de déterminer si certaines des questions que la défenderesse a soulevées - et auxquelles s’oppose la demanderesse - sont indépendantes ou font simplement partie d’une réponse complète à la question cruciale du caractère distinctif, ou si elles ont été soulevées dans les propres preuves de la demanderesse, est d’une grande complexité. De plus, la jurisprudence applicable sur ce point n’est pas tout à fait claire. La Cour n’est pas rebutée par ces difficultés, mais il est impossible de les régler – si tant est qu’il faille le faire dans le cadre du présent appel – avant que la Cour se soit penchée sur la question cruciale du caractère distinctif. Les deux parties ont clairement indiqué dans leurs documents, ainsi que dans les exposés qu’elles ont faits  en ma présence à l’audience, que la question du caractère distinctif de la pilule bleue en forme de losange en 2006 est au cœur du présent appel.

2)                  Le litige entourant le caractère distinctif

[59]           Avant d’analyser la décision de la Commission ainsi que les éléments de preuve qui m’ont été soumis dans le cadre du présent appel, je crois qu’il serait utile d’énoncer de la manière la plus simple possible comment je conçois le différend qui oppose les parties quant à la façon dont la jurisprudence exige que l’on évalue le caractère distinctif de la pilule bleue en forme de losange que la demanderesse souhaite faire enregistrer en tant que marque de commerce.

[60]           Pour réduire les choses à l’essentiel, et je traiterai plus loin des subtilités, la demanderesse dit que l’on répond au critère de la distinctivité de la marque dont il est question en l’espèce si celle-ci peut démontrer, selon la prépondérance des probabilités et à une époque pertinente (soit 2006), l’existence d’une association entre cette marque et une source de fabrication unique dans l’esprit des médecins, des pharmaciens ou des patients. Cette association est la même pour toutes les marques de commerce, et ce n’est pas parce qu’il se trouve que la marque a l’apparence d’un produit pharmaceutique que le critère est plus strict. Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en : a) exigeant qu’il y ait une association dans l’esprit des trois groupes – les médecins, les pharmaciens et les patients – et b) en appliquant un critère plus strict selon lequel, s’agissant des médecins et des pharmaciens, la demanderesse était tenue de montrer que l’aspect de la pilule bleue en forme de losange était la « caractéristique principale » qu’utilisaient ces groupes dans leurs activités de prescription et de distribution.

[61]           Selon la défenderesse, le caractère distinctif exigeait que la demanderesse démontre que, d’après des médecins, des pharmaciens et des patients (c’est-à-dire, les trois groupes), sa marque proposée (la pilule bleue en forme de losange) dénotait que la pilule provenait d’une source unique de fabrication et que les médecins, les pharmaciens et les patients se fondaient sur cette apparence et sur son lien avec la source quand ils prescrivaient, distribuaient ou demandaient, respectivement, la pilule.

[62]           À ce niveau fondamental, je ne vois pas de différend entre les parties au sujet de la question selon laquelle, pour démontrer le caractère distinctif de la marque proposée, il incombait à la demanderesse d’établir : a) que la marque et le produit étaient associés, b) que le propriétaire de la marque (Pfizer) devait utiliser l’association entre la marque et le produit, et c) que l’association devait permettre au propriétaire (Pfizer) de distinguer son produit de celui des autres. Voir la Loi, à l’article 2; arrêt Oxford Pendaflex, précité; décision Philip Morris, précitée; arrêt Havana House Cigar, précité.

[63]           Je crois que les deux parties souscrivent également à un certain nombre de thèses générales que l’on retrouve dans la jurisprudence :

a)      les marques de commerce servent à indiquer la source d’un produit particulier, de sorte que « les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance » et que « seule une marque distinctive permet aux consommateurs de connaître la source des marchandises » Voir l’arrêt Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc., 2005 CSC 65, au paragraphe 39. Cependant, pour ce qui est des consommateurs, il suffit qu’ils sachent qu’ils achètent un produit d’une source unique. Il suffit que l’apparence transmette aux consommateurs, dans le cours normal du commerce, l’idée que le produit (en l’occurrence, la pilule bleue en forme de losange) vient d’une source en particulier plutôt que d’une autre. Voir la décision Novopharm, précitée, aux paragraphes 72 et 78;

b)      le caractère distinctif est la qualité qui permet aux consommateurs de se référer à la marque de commerce en vue de distinguer l’origine du produit, et il [traduction« est essentiel et constitue une exigence fondamentale » d’une marque de commerce. Voir l’arrêt Mattel, précité, au paragraphe 75, citant l’arrêt Western Clock Co v Oris Watch Co, [1931] RCÉ 64, à la page 67;

c)      la question cruciale est l’idée que transmet réellement la marque de commerce au consommateur. Voir les affaires Royal Doulton, précitée, aux pages 225 et 226; Apotex Inc. c Monsanto Canada, Inc., précitée, au paragraphe 12; Novopharm Ltd c Eli Lilly & Co, précitée, au paragraphe 81, conf. par Eli Lilly and Company c Novopharm Ltd, précité; Novopharm, précitée, aux paragraphes 70, 106 à 108 et 120; Astrazeneca, précité, aux paragraphes 22 à 24 et 26;

d)     pour que l’apparence du produit lui-même (en l’occurrence, la pilule bleue en forme de losange) soit distinctive, c’est elle qui doit transmettre les renseignements relatifs à la source. Voir les affaires Eli Lilly, précitée, conf. par Eli Lilly CAF, précité; Royal Doulton, précitée, aux pages 224 à 226; Astra, précitée, au paragraphe 11, conf. par Astra CAF, précité; Novopharm Ltd c Ciba‑Geigy Canada Ltd, précitée, au paragraphe 14, conf. par Astra CAF, précité; Apotex Inc. c Monsanto Canada Inc., précitée, aux paragraphes 12 et 13.

[64]           Les principaux points de désaccord conceptuel entre les parties à l’égard de la question du caractère distinctif, tels que je les conçois, sont les suivants :

a)      Pour démontrer le caractère distinctif de l’apparence de la pilule, la demanderesse doit-elle établir l’existence de ce caractère au sein des trois groupes (médecins, pharmaciens et patients), ou son existence au sein d’un ou deux groupes est‑elle suffisante?

b)      Que l’exigence s’applique à un, à deux ou à trois groupes ou pas, dans quelle mesure faut-il que l’association soit importante?

c)      La demanderesse doit-elle montrer que les médecins, les pharmaciens et les patients se fondent sur l’apparence de la marque proposée et son lien avec sa source quand ils prescrivent, distribuent et demandent, respectivement, la pilule et, dans l’affirmative, dans quelle mesure?

[65]           Pour étayer leurs positions conceptuelles respectives, les parties m’ont renvoyé à une jurisprudence abondante et complexe. La demanderesse dit qu’un examen détaillé de cette jurisprudence corroborera sa position et elle demande à la Cour de préciser les règles de droit qui s’appliquent aux points préoccupants. La défenderesse est d’avis que la jurisprudence applicable corrobore sa position sur ce que la demanderesse est tenue de faire pour établir le caractère distinctif en l’espèce et que la Cour est liée par les règles du stare decisis et de la courtoisie judiciaire et se doit d’appliquer cette jurisprudence et de rejeter l’appel.

[66]           Pour pouvoir examiner la décision de la Commission qui fait l’objet du présent appel, de même que l’ensemble des éléments de preuve qui me sont soumis, il me faut tout d’abord, je crois, décider ce que la demanderesse doit établir, selon la jurisprudence, pour prouver le caractère distinctif de la marque en l’espèce et, en particulier, ce que cette jurisprudence enseigne au sujet des principaux points de désaccord entre les parties que j’ai mentionnés plus tôt.

3)                  Les indications relevées dans la jurisprudence

[67]           Je crois que la meilleure façon de commencer est de reconnaître que mon collègue, le juge Barnes, a déjà examiné en détail un grand nombre des questions qui me sont soumises : voir la décision Apotex, précitée, et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale : voir l’arrêt Apotex CAF, précité.

[68]           Chaque affaire qui met en cause le facteur du caractère distinctif dépend des faits qui lui sont propres ainsi que des éléments de preuve produits. Cependant, un grand nombre des arguments qui reposent sur les principes qui me sont soumis l’ont également été devant le juge Barnes dans l’affaire Apotex. De plus, la manière dont ce dernier a évalué les éléments de preuve qui lui étaient soumis comporte d’importants parallèles avec ceux donc je suis saisi, et auxquels je me reporterai plus tard. Il serait donc utile à ce stade, selon moi, de citer un long extrait de la décision Apotex parce que cette dernière contient des sommaires des plus pertinents de la jurisprudence applicable en la matière, ainsi qu’une évaluation révélatrice des difficultés qui se présentent dans les cas où l’apparence d’un produit est revendiqué comme une marque de commerce à part entière.

[69]           Les passages pertinents de la décision du juge Barnes dans l’affaire Apotex sont les suivants :

Les principes juridiques applicables

[5]               J’accepte la position de GSK pour qui la marque GSK est présumée valide et pour qui les demanderesses ont la charge de prouver le contraire selon la prépondérance de la preuve à la date de la présente demande (le 21 décembre 2007). Une marque de commerce valide est une marque qui effectivement distingue les marchandises du propriétaire de celles fabriquées par d’autres. La question de savoir si une marque est distinctive est une question de fait, qui doit être tranchée par référence au message que la marque transmet aux consommateurs ordinaires : voir la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (1999), [2000] 2 C.F. 553, paragraphe 70, 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.), conf. par (2000), 9 C.P.R. (4th) 304, 264 N.R. 384 (C.A.F.). Le groupe pertinent de consommateurs, pour un produit comme celui-ci, comprend les médecins, les pharmaciens et les patients : voir l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. (1993), [1992] 3 R.C.S. 120, paragraphe 110, 44 C.P.R. (3d) 289 (C.S.C.). Aux fins de la présente affaire, la question est de savoir si, le 21 décembre 2007, tous ces consommateurs reconnaîtraient, d’une manière significative, la marque GSK d’après son apparence (à l’exclusion des étiquettes et de l’emballage) et associeraient cette habillage à une source unique : voir Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, paragraphes 78‑79.

[…]

À quel moment une marque présente-t-elle, en droit, un caractère distinctif?

[8]               GSK affirme que, pour établir le caractère distinctif, il suffit que les médecins, les pharmaciens et les patients fassent le lien entre l’apparence de la marque GSK et une origine commerciale unique. Elle dit qu’il n’est pas nécessaire que le lien soit assez solide pour conduire à la décision de délivrer le médicament ou à celle de l’acheter.

[9]               Au soutien de sa position, GSK affirme que le juge Paul Rouleau est allé trop loin dans les décisions qu’il a déjà rendues : Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 224, paragraphe 16, 97 A.C.W.S. (3d) 141 (C.F. 1re inst.), conf. par Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, 2001 CAF 296, [2002] 2 C.F. 148, et Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 187 F.T.R. 119, 6 C.P.R. (4th) 16, paragraphe 13 (C.F. 1re inst.), conf. par Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, 2001 CAF 296, [2002] 2 C.F. 148. Il avait jugé que, pour conclure au caractère distinctif d’une marque, il fallait « démontrer que les médecins, les pharmaciens ou les patients sont susceptibles d’employer la marque de commerce projetée en choisissant de prescrire, de préparer ou de demander le produit [diclofénac de Ciba ou oméprazole d’Astra] ».

[10]           Pour ce qui nous concerne, il suffit de noter que la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, précité, les décisions du juge Rouleau, en faisant explicitement référence à sa manière de considérer la question du caractère distinctif (voir paragraphe 46). Par ailleurs, le lien entre l’habillage d’un produit et le choix du consommateur a été clairement reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., précité, où, au paragraphe 111, elle concluait par l’ordonnance suivante, qui rappelle fortement les mots employés par le juge Rouleau :

NOTRE COUR DÉCLARE qu’en ce qui concerne la commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance, un demandeur, dans une action en prétendue commercialisation trompeuse d’un médicament délivré sur ordonnance, doit établir que la conduite reprochée risque de semer la confusion dans l’esprit des médecins ou des pharmaciens, ou dans celui des patients clients, lorsqu’ils doivent choisir de prescrire, de délivrer ou de demander soit le produit du demandeur, soit celui du défendeur.

Il s’agissait là d’un cas de commercialisation trompeuse, mais je ne crois pas que la question de savoir si l’habillage d’un produit a acquis une notoriété propre différerait le moindrement de la question de savoir si une marque fondée sur l’apparence du produit était distinctive.

[11]           Dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, la Cour suprême du Canada a reconnu à nouveau qu’une marque est un symbole du rapport entre la source d’un produit et le produit lui-même, « afin qu’idéalement les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance » (paragraphe 39).

[12]           J’ajouterais à cela que l’article 2 de la Loi définit une marque de commerce comme une marque employée par une personne pour distinguer des marchandises. Il faut voir dans les mots de cette définition davantage qu’une observation passive ou irrésolue de la provenance possible des marchandises.

[13]           À mon avis, il ne suffit pas de montrer que l’apparence d’un produit peut constituer une vérification secondaire de l’identité du produit ou qu’elle peut amener une personne à se demander si le produit attendu a été correctement délivré. Ce qu’il faut, c’est que les médecins, les pharmaciens et les patients rattachent la marque à une source unique et par là utilisent la marque pour manifester leurs décisions de prescrire, de délivrer ou d’acheter tel produit plutôt qu’un autre. Pour constituer le caractère distinctif, il ne suffit pas d’un jugement approximatif sur la provenance, ni d’ailleurs d’une conception qui est simplement sans équivalent sur le marché et est reconnue comme tel : voir la décision Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy’s Ltée (1985), [1986] 1 C.F. 357, pages 370 et 371, 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.). Le fait qu’un médecin ou un pharmacien puisse spontanément tenir pour acquise la provenance d’un inhalateur discoïdal de couleur violette à l’occasion d’un dialogue thérapeutique avec un patient ne suffit pas non plus à établir le caractère distinctif.

La couleur et la forme du produit en tant qu’aspects du caractère distinctif

[14]      Il ne fait aucun doute que la couleur et la forme peuvent aider à distinguer les produits d’un fabricant par rapport à ceux d’un autre. La forme et la couleur peuvent aussi influer considérablement sur le comportement du consommateur. Néanmoins, une marque qui est fondée sur la couleur et la forme d’un produit sera probablement une marque faible : voir la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, paragraphe 77. Il n’est pas non plus facile de prouver que l’apparence ou l’habillage d’un produit est devenu distinctif : voir l’arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd. (2003), 2003 CAF 57, au paragraphe 26, 24 C.P.R. (4th) 326. Contrairement aux marques qui tiennent lieu de symboles pour de grandes sociétés, une reconnaissance généralisée du caractère distinctif dans le domaine de la conception de produits non fonctionnels suscite à juste titre des questions d’intérêt public : voir l’arrêt Wal-Mart Stores, Inc. c. Samara Brothers, Inc. (2000), 529 U.S. 205 (C.S. É.‑U.).

[15]           S’agissant des médicaments d’ordonnance, l’importance de la couleur et de la forme pour les décisions d’achat et pour la notoriété de la marque est moins évidente parce que, comme le montre la preuve, les choix initiaux sont faits en connaissance de cause par les médecins et les pharmaciens. Cette intermédiation professionnelle est aussi un élément influent, mais non déterminant, des décisions des consommateurs. Après tout, on n’achète pas des médicaments d’ordonnance sur un coup de tête.

[16]           Je reconnais avec GSK qu’il n’y a rien de foncièrement répréhensible dans une marque qui consiste, pour un produit, en une association particulière de formes et de couleurs. Il existe évidemment des marques notoirement connues fondées sur des associations de formes et de couleurs. Cependant, s’agissant d’un marché où les décisions d’achat sont habituellement prises par des professionnels, ou sur l’avis de professionnels, le caractère distinctif d’une telle marque dans le commerce sera naturellement plus difficile à établir. S’il en est ainsi, c’est parce que, ainsi que l’établit le poids de la preuve que j’ai devant moi, les médecins et les pharmaciens ne sont pas fortement influencés par ces attributs et n’ont aucune raison évidente de les associer à une source commerciale unique ou à une provenance unique. Dans la mesure où le consommateur ultime trouve de l’agrément dans une décision d’achat, il sera largement influencé aussi par les conseils reçus du médecin et du pharmacien (sans oublier l’étiquette) et, sans aucun doute, par l’association du produit à telle ou telle appellation notoirement connue.

[17]           Il importe aussi de se rappeler que le consommateur ne verrait jamais la marque GSK qu’à la faveur d’une étiquette et compterait sans doute largement sur les renseignements imprimés avant de tirer des conclusions sur l’origine du produit. C’est là une observation qu’avait faite le juge Heery dans l’arrêt Cadbury Schweppes Ltd. v. Darrell Lea Chocolate Shops, [2008] F.C.A. 470 (C.F. Australie), paragraphes 64 et 65 :

64.       L’emploi du violet est inséparable du mot « Cadbury » – le violet n’est jamais employé isolément [100]. Le fait que le violet n’a jamais été employé sans le mot « Cadbury » ne semble pas être contesté; voir le jugement antérieur, paragraphes [82] à [87].

65.       Les témoins experts de Cadbury ont dit que cela ne présentait aucune pertinence. Je ne partage pas leur avis. Le témoin expert de Cadbury appelé à témoigner au procès antérieur, le professeur Roger Layton, professeur émérite de marketing à l’Université des Nouvelles-Galles du Sud, a clairement considéré l’association de la marque à la couleur comme un élément important de la perception du consommateur; voir le jugement antérieur, paragraphes [77] et [78]. Pour des raisons assez évidentes, le consommateur ne se voit jamais offrir, au point de vente, un produit Cadbury, de couleur violette ou non, sans que le nom Cadbury n’apparaisse bien en évidence. Le consommateur ordinaire et raisonnable doit certainement en avoir conscience lorsqu’on lui propose le produit Darrell Lea censément trompeur.

Si le consommateur de confiseries au chocolat est vu comme suffisamment intelligent pour prendre une décision sur l’identité d’un produit en se fiant à une étiquette, le consommateur de produits pharmaceutiques l’est certainement tout autant.

[18]           L’attribution d’un niveau modéré d’intelligence au consommateur a également été reconnue par la juge Barbara Reed dans la décision Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 130 F.T.R. 1, paragraphes 151 et 152, 73 C.P.R. (3d) 371 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001), [2001] 2 C.F. 502, 10 C.P.R. (4th) 10 (C.A.F.). Examinant la question de la confusion dans le contexte d’une action en commercialisation trompeuse, elle s’exprimait ainsi :

151      L’attention des consommateurs qui, bien que ne demandant pas une marque en particulier, s’attendent néanmoins à en recevoir une, peut être éveillée, quant à l’identité de marque qu’ils ont obtenue, par le reçu qui leur est remis au moment de l’achat, par l’étiquette sur le flacon, par les inscriptions apposées sur chaque capsule ou par la différence de prix dans les cas où ils passent d’un médicament d’origine à un médicament générique. Même si certaines de ces indications, comme la désignation du fabricant sur le reçu ou sur l’étiquette du flacon, n’attirent valablement l’attention du consommateur que si celui-ci a appris à les chercher, il est fort probable que le pharmacien, qui veut délivrer une marque différente de Prozac à un consommateur de ce produit, informera le client du changement.

152      La Cour ne peut conclure que les demanderesses ont prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le fait que les défenderesses vendent de la fluoxétine dans des capsules similaires aux leurs est susceptible d’entraîner un important risque de confusion.

[19]           Le caractère distinctif d’une marque fondé sur la couleur et la forme peut également être réduit par son association avec une appellation enregistrée. Lorsqu’un produit pharmaceutique est toujours employé en association directe avec une marque verbale notoirement connue, le risque de confusion dans l’esprit du consommateur sera réduit, sinon totalement absent, lorsqu’un produit analogue sera offert à la vente avec une marque différente. Le problème de l’association de marques a été examiné dans l’arrêt General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc. (2001), [2001] 1 C.F. 665, paragraphe 34, 9 C.P.R. (4th) 368 (C.A.F.). Selon la Cour d’appel fédérale, l’emploi constant de la marque verbale revendiquée « Décarie » en association avec les mots « Moteurs » et « Motors » indiquait que l’emploi du seul mot « Décarie » constituait un emploi « faible, voire inexistant », qui n’avait pas acquis une notoriété propre.

[20]           Je fais mien le point soulevé par le juge John Evans dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, au paragraphe 79, lorsqu’il écrivait qu’il n’est pas fatal à un enregistrement de marque de commerce que les consommateurs puissent avoir recours à d’autres moyens que la marque pour rattacher le produit à une source unique. Néanmoins, le juge Evans atténuait son propos en disant qu’il fallait quand même qu’il existe une preuve suffisante de l’aptitude de la marque à être ainsi reconnue par elle‑même. Autrement dit, une marque fondée sur l’habillage ne saurait acquérir son caractère distinctif du seul fait qu’elle est employée en association avec une marque verbale distinctive.

[21]           Dans la décision Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB (2004), 2003 CF 1212, au paragraphe 22, 28 C.P.R. (4th) 129, la juge Eleanor Dawson estimait que la couleur et la forme ne constituaient qu’une vérification secondaire pour l’identification d’un comprimé pharmaceutique. Elle énonçait la question ainsi : Que signifie pour un pharmacien une pilule rouge-brun? La réponse, selon elle, était que les pharmaciens ne portent que peu d’attention à la couleur et à la forme des médicaments qu’ils délivrent.

La preuve du caractère distinctif – Médecins, pharmaciens et patients

[22]           La principale difficulté que pose la majeure partie de la preuve de GSK portant sur le supposé caractère distinctif de la marque GSK est que l’inhalateur n’est jamais commercialisé sans une étiquette, de telle sorte que les témoins s’exprimaient sur une situation hypothétique qui ne s’est presque jamais présentée. Un bon exemple de cela est apparu dans le témoignage du Dr Robert Dales. Il a indiqué que l’inhalateur Advair Diskus [traduction] « semble très différent des autres inhalateurs » et que cela lui permettait [traduction] « de le distinguer des inhalateurs fabriqués par d’autres sociétés ». Néanmoins, durant son contre‑interrogatoire, il a reconnu qu’il s’en remettait aux étiquettes pour identifier le produit et, prié de dire ce qu’il ferait si on lui remettait un inhalateur sans étiquette, il a répondu ce qui suit :

[traduction

Q.        Et si cela arrivait, il vous faudrait regarder l’étiquette. N’est-ce pas exact?

R.        Je ne sais pas, je ne me suis jamais trouvé dans cette situation. C’est un peu comme… j’essaie d’imaginer, mais je ne suis pas sûr. Par exemple, je ne sais pas si l’on peut trouver des inhalateurs de couleur violette sur Internet. Je n’ai jamais vu un – comme un Diskus – un inhalateur qui ressemblait à l’Advair Diskus, qui n’était pas l’Advair Diskus, à ma connaissance, alors…

Q.        Avez-vous déjà fait une recherche sur Internet pour voir s’il en existe?

R.        Non.

Q.        J’imagine que vous ne donneriez jamais à un patient un inhalateur tel que celui qui est illustré dans la pièce A, si vous ne saviez pas ce qu’il y a à l’intérieur?

R.        Si je ne savais pas ce qu’il y a dans un inhalateur, je ne le donnerais pas au patient.

Q.        Et j’imagine que, si vous voyiez un inhalateur comme celui de la pièce A, vous pourriez faire un jugement approximatif et dire qu’il ressemble à un inhalateur Advair, mais jamais vous ne mettriez en péril la sécurité de votre patient en le lui remettant s’il ne portait aucune étiquette?

R.        Si je voyais un inhalateur comme celui-là, je ne le lui donnerais pas. Je veux dire, il ressemble à un Advair Diskus, mais s’il ne porte pas l’étiquette, pour moi cela voudrait dire, eh bien, ce n’est pas comme cela que je suis habitué à voir ces choses. Je serais donc certainement troublé et il faudrait que je voie ce qu’il en est.

[23]           Le témoignage du Dr John Axler a été beaucoup plus catégorique. Selon lui, parmi sa clientèle, la couleur et la forme sont les principaux attributs distinctifs de l’inhalateur Advair Diskus. Il y a toutefois dans ce témoignage un dogmatisme troublant, notamment une déclaration surprenante, faite en contre‑interrogatoire, lorsqu’il a dit qu’il se fiait principalement à la couleur et à la forme et que [traduction] « l’étiquette joue un rôle mineur. Je dois admettre que je ne lis pas l’étiquette ». Ce témoignage ne s’accorde pas avec le poids des autres témoignages de professionnels, et je ne l’accepte pas.

[24]           Le témoignage du Dr Richard Kennedy ne va pas plus loin que reconnaître que, parce que l’apparence des divers inhalateurs sur le marché varie, leur provenance varie sans doute elle aussi. Cette déduction offre un fondement très faible qui permet difficilement de conclure à l’existence d’un caractère distinctif sur le plan commercial, parce que, comme la Cour suprême des États‑Unis l’écrivait dans l’arrêt Wal-Mart Stores Inc., précité, page 1344, [traduction] « la conception du produit sert presque immanquablement des fins autres que l’indication de la provenance ». Le Dr Kennedy a admis aussi volontiers qu’il utilisait l’appellation Advair pour bien reconnaître les échantillons de produits et que, en l’absence d’une étiquette, il tiendrait pour suspect ce qu’il a entre les mains.

[25]           Le témoignage d’Ayman Eltookhy n’appuie pas la prétention de la marque GSK à un caractère distinctif. En tant que pharmacien habilité à délivrer des médicaments, le Dr Eltookhy utilise la couleur et la forme uniquement comme indices secondaires de l’identité du produit, et il ne délivrerait jamais un inhalateur dépourvu d’étiquette. Ce témoignage s’accorde aussi avec ceux de James Snowdon et de Janine Matte. Lorsqu’on a demandé à M. Snowdon s’il pouvait, en tant que pharmacien, reconnaître un inhalateur Advair Diskus dépourvu d’étiquette, il a répondu ce qui suit :

[traduction]

Q.        J’imagine que, si vous voyiez quelque chose comme votre pièce A, vous sauriez que quelque chose ne va pas?

R.        Oui. Au premier abord, cela ressemble à un Advair, mais les éclaircissements procurés par l’étiquette feraient défaut.

Q.        Et j’imagine que, en tant que pharmacien consciencieux, vous ne voudriez pas délivrer un objet ressemblant à la pièce A?

R.        Jusqu’à ce que j’en sache davantage, non.

Mme Matte, elle aussi pharmacienne, a été priée de dire ce qu’elle ferait d’un inhalateur identique portant le nom Apo-Fluticasone Salmeterol, et elle a répondu : [traduction] « Il s’agira d’Apotex ».

[26]           Gordon Hood s’est exprimé sur le rôle de la couleur et de la forme et il a lui aussi reconnu la grande importance des étiquettes dans son métier de pharmacien. Il a admis qu’un inhalateur analogue portant une étiquette Apotex le conduirait à supposer que l’inhalateur vient d’Apotex et non de GSK. Prié de dire ce que serait probablement sa réaction si on lui présentait un inhalateur portant une couleur inattendue, il a dit qu’il [TRADUCTION] « communiquerait avec le fabricant pour voir s’il y a eu un changement dans l’apparence du produit ». C’était là une réponse sensée, mais qui reconnaissait aussi que l’apparence constitue un fondement trop incertain pour autoriser des conclusions sur l’identité ou la provenance d’un produit et que, pour un professionnel, la marque et l’étiquette éclipseraient presque toujours l’apparence du produit comme indicateur de son origine.

[27]      Selon moi, la preuve anecdotique produite par les deux témoins consommateurs de GSK ne suffit pas à établir qu’un nombre important de consommateurs associerait l’apparence de l’inhalateur Advair Diskus à une source unique. Leur témoignage sur ce point était fondé sur une situation hypothétique qu’ils n’avaient pas connue (c’est-à-dire un inhalateur sans étiquette). Dans le cas de Mme McGee, l’endroit d’où provenait l’inhalateur qu’elle utilisait ne lui importait pas, ou bien elle l’ignorait. Elle ne savait pas non plus si Ventolin était une appellation se rapportant à une société, ni si d’autres inhalateurs de couleur violette existaient au Canada. Autrement dit, l’apparence du produit ne lui importait pas particulièrement.

[28]      M. Owens a témoigné qu’il s’inquiéterait s’il recevait un inhalateur analogue ne portant pas l’étiquette Advair et, manifestement, pour lui, c’est cette marque verbale qui faisait le caractère distinctif du produit. Ce témoignage s’accorde pour l’essentiel avec celui des médecins et pharmaciens qui ont admis que, lorsqu’ils prescrivent ou délivrent des médicaments, l’identité du produit est associée à l’information figurant sur les étiquettes, y compris à l’appellation Advair, et non à l’apparence de l’inhalateur.

[29]      Il me semble que cette preuve anecdotique, très limitée, ne suffit pas à supplanter la preuve des professionnels qui ont témoigné pour les demanderesses, preuve selon laquelle, en règle générale, les patients n’accordent pas beaucoup d’importance à l’apparence des produits pharmaceutiques, y compris des inhalateurs. Ce qui compte pour eux, c’est la fonctionnalité, la posologie et l’efficacité. La preuve par affidavit de la pharmacienne Heather Parker me semble refléter une vue plus exacte des perceptions du patient :

[traduction
66.       Les patients se préoccupent surtout de savoir si le médicament, par exemple l’inhalateur, qu’on leur a prescrit et/ou qu’ils ont acheté donnera des résultats, s’il produira des effets secondaires et combien il coûtera. La plupart des patients ne se soucient pas de savoir à quoi ressemble un médicament ou un inhalateur.

67.       Les patients se préoccupent rarement de savoir qui est le fabricant de leurs médicaments (ou de leurs inhalateurs). En fait, d’après mon expérience, la plupart d’entre eux ne pensent pas aux fabricants de leurs médicaments, et ils n’en ont aucune idée. Les patients ne savent pas non plus que, pour un produit pharmaceutique donné, il peut n’y avoir qu’un seul fabricant, ou bien plusieurs.

68.       Habituellement, dans mon officine, lorsque je conseille des patients, je ne leur mentionne pas le nom du fabricant. En général, la plupart des patients veulent simplement savoir ce que fait un médicament et comment se l’administrer.

69.       Quand des patients parlent de l’apparence de leurs médicaments, j’ai constaté, par expérience, que, pour eux, la couleur, la forme et/ou la taille du médicament sont des indicateurs de l’emploi qu’ils doivent en faire. Par exemple, ils vont dire : « mon somnifère bleu », « mon diurétique rose » ou « mon inhalateur bleu ». À mon avis, c’est à l’apparence du médicament que les patients attribuent en général un effet thérapeutique.

70.       Lorsque des patients utilisent plus d’un inhalateur en même temps et à diverses fins, ils utilisent souvent les couleurs de leurs inhalateurs pour faire la distinction entre eux. Par exemple, un patient dira qu’il utilise son inhalateur de secours « bleu » lorsqu’il a une crise d’asthme, ou qu’il utilise son inhalateur « violet » deux fois par jour pour combattre son asthme. Pareillement, alors que souvent les patients ne se souviennent pas du nom du principe actif de leurs inhalateurs, ils se souviennent souvent qu’un inhalateur est « bleu » et qu’il sert par exemple à enrayer les symptômes de l’asthme.

71.       Les patients savent en général que les inhalateurs peuvent se présenter dans une diversité de couleurs, de formes et de tailles, et que plusieurs peuvent avoir la même couleur, la même forme ou la même taille. Ils ne font pas en général le rapprochement entre la couleur ou la forme de l’inhalateur et son fabricant ou sa provenance.

[30]           Les témoignages du Dr Robert McIvor, du Dr Neil Marshall et du pharmacien Joseph Lum allaient dans le même sens :

Le Dr McIvor s’est exprimé ainsi :

[traduction
62.       D’après mon expérience, et à mon avis, les patients n’associent pas la forme et la couleur de leur inhalateur à tel ou tel fabricant ni même à une provenance unique. Ils associent la couleur de leur inhalateur à son usage thérapeutique. Ils parlent le plus souvent de leurs inhalateurs en indiquant leur couleur et, plus rarement, leur marque ou leur nom générique. Par ailleurs, lorsqu’ils utilisent leur marque ou leur nom générique, je crois qu’ils les utilisent pour dire ce qu’est le médicament (c’est-à-dire son usage thérapeutique), non pour dire d’où il vient (ainsi, « Advair » signifie leur inhalateur de contrôle).

Le Dr Marshall s’est exprimé ainsi :

[traduction
59        Lorsque des patients évoquent l’apparence de leurs médicaments (c’est-à-dire en indiquant la couleur, la forme et/ou la taille), ils associent l’apparence du médicament à son usage thérapeutique. Par exemple, les patients parleront de leurs somnifères « bleus ». Plus particulièrement, s’agissant de ceux de mes patients qui prennent le propionate de fluticasone/xinafoate de salmétérol (par exemple Advair) et un autre inhalateur (souvent le sulfate de salbutamol (par exemple Ventolin)), ils parleront souvent de l’inhalateur de secours « bleu » qu’ils utilisent lorsqu’ils ont une crise d’asthme, et de l’inhalateur « violet » qu’ils utilisent régulièrement comme inhalateur d’entretien. En fait, pour ceux de mes patients qui utilisent plusieurs inhalateurs, la plupart d’entre eux parlent de tel ou tel inhalateur en évoquant sa couleur.

60        L’association évoquée ci-dessus entre la couleur d’un inhalateur et son effet thérapeutique n’est pas propre à mes patients réguliers. Dans mes interventions en salle d’urgence, j’ai souvent affaire à des patients qui utilisent des inhalateurs, et ils me parlent de la même manière – ils identifient leurs inhalateurs d’après leur couleur et leur effet thérapeutique. Lorsque je m’occupe de ces patients en salle d’urgence, dont la plupart ont leur propre médecin de famille, je n’ai pas à modifier mon langage. Cela signifie que a) beaucoup d’autres médecins conseillent leurs patients à propos de leurs inhalateurs en se référant à la couleur et aux effets thérapeutiques de tel ou tel inhalateur, et b) les patients associent généralement l’apparence (c’est‑à-dire couleur, forme et/ou taille) de leurs inhalateurs à leurs usages thérapeutiques.

M. Lum s’est exprimé ainsi :

[traduction
63        Je crois que nombre de mes patients en sont venus à reconnaître leurs médicaments et leurs inhalateurs d’après leur apparence générale, en particulier lorsqu’ils prennent plusieurs médicaments ou se servent de plusieurs inhalateurs sur une base régulière. Par exemple, nombre de patients qui utilisent régulièrement l’inhalateur à poudre sèche contenant du propionate de fluticasone et du xinafoate de salmétérol (par exemple Advair Diskus) utilisent aussi l’inhalateur au sulfate de salbutamol (par exemple Ventolin) pour les crises d’asthme.

64        Si la couleur du médicament ou de l’inhalateur du patient était changée, le patient me demanderait s’il y a eu erreur. En de tels cas, j’ai constaté que les patients croient qu’une erreur a été commise et que l’ordonnance n’a pas été exécutée convenablement (le médicament qui a été délivré ne correspond pas à la bonne zone thérapeutique). Les patients veulent en général avoir l’assurance qu’ils ont bien reçu le médicament (le principe actif doit correspondre à la bonne zone thérapeutique) que leurs médecins leur ont prescrit. En temps normal, les patients ne sont pas inquiets d’avoir reçu un médicament de marque différente lorsque l’apparence (couleur, forme et/ou taille) de leur médicament a changé. Il est donc évident que, si les patients accordent une signification à l’apparence de leurs médicaments ou de leurs inhalateurs, c’est que cette apparence indique l’effet ou l’usage thérapeutique du médicament ou de l’inhalateur. Par exemple, les patients parlent de leur inhalateur « bleu » de secours ou d’urgence, ou de leur inhalateur « violet » de tous les jours.

[31]           Dans une certaine mesure, ces témoignages ont été confirmés par les témoins de GSK, notamment par une admission du Dr Dales, pour qui la couleur était [TRADUCTION] « cliniquement utile pour les patients et les médecins qui peuvent ainsi savoir ce qu’il y a à l’intérieur […] »

[32]      J’ajouterais que, contrairement aux marques verbales Advair et Diskus, aucun avis n’est donné de la marque GSK sur l’emballage du produit ou sur l’inhalateur lui-même pour renforcer la prétendue association dans l’esprit de l’acheteur au point de vente. Le raisonnement qui résulte des précédents susmentionnés s’applique à la marque GSK, parce que GSK ne l’utilise jamais comme marque autonome, mais toujours concurremment avec Advair et Diskus. L’appellation Advair est manifestement la marque dominante et elle est parfois utilisée par les médecins comme référence de prescription.

[33]      La preuve établit aussi d’une manière concluante qu’aucun médecin ou pharmacien prudent ne s’en remettrait à la couleur ou à la forme d’un inhalateur pour émettre une opinion professionnelle sur le produit, et peu de patients feraient un choix fondé uniquement sur l’apparence d’un inhalateur sans étiquette. Avec une étiquette, les patients sont suffisamment équipés pour distinguer un produit d’un autre et pour prendre des décisions d’achat en connaissance de cause.

[34]      Au vu de ces témoignages, je suis d’avis que la couleur et la forme ne sont pas les attributs principaux par lesquels GSK distingue l’inhalateur Advair Diskus des marchandises de ses concurrents ou, qui plus est, par lesquels les acheteurs de cet inhalateur exercent leurs choix.

[35]           Je suis arrivé à la conclusion, selon la prépondérance de la preuve, que, bien que quelques patients fassent parfois un rapprochement entre l’apparence de la marque GSK et une provenance unique, la preuve ne suffit pas à appuyer la prétention de GSK selon laquelle c’est un rapprochement que ferait la majorité des patients. S’agissant des médecins et pharmaciens, je ne crois pas qu’ils feraient un tel rapprochement dans l’exercice de leur profession.

La preuve touchant les ventes et la commercialisation

[36]           Il ne fait aucun doute que GSK a élaboré, pour son inhalateur Advair Diskus, une stratégie marketing qui fait appel à un thème de conception uniforme. Cela ressort de la publicité et du conditionnement du produit. Je reconnais aussi que GSK a dépensé des millions de dollars pour faire connaître son inhalateur Advair Diskus dans des campagnes de publicité et de promotion. Simultanément, la promotion de la marque GSK en tant qu’élément de cette stratégie d’image de marque n’est pas aussi universelle ni aussi importante que celle que GSK emploie pour ses marques verbales Advair et Diskus. En outre, dans sa publicité, la marque GSK n’est pas décrite comme une marque autonome (c’est-à-dire sans étiquette) telle que son caractère distinctif en sortirait renforcé dans l’esprit des acheteurs.

[37]      GSK fait aussi valoir que, s’agissant de l’apparence, l’inhalateur Advair Diskus est unique au Canada, et largement utilisé. Ce caractère unique et ce rayonnement, affirme GSK, sont à l’origine de la notoriété de la marque GSK et de sa reconnaissance par le public.

[38]      Tout cela constitue une preuve pertinente, mais ce n’est pas, en soi, une preuve convaincante. Dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.), le juge Marshall Rothstein, s’exprimant pour les juges majoritaires, a refusé d’admettre que des chiffres de vente importants et des dépenses publicitaires tout aussi importantes puissent attester un caractère distinctif alors que la marque verbale revendiquée « Export » n’avait jamais été employée seule (voir le paragraphe 79). Dans la décision Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 289, à la page 313, 83 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein avait aussi jugé que l’existence d’un monopole ne permettait pas à elle seule de dire que l’apparence d’un produit avait donné à ce produit une notoriété propre. Cette décision a été infirmée pour d’autres motifs : (1994), 83 F.T.R. 161, 56 C.P.R. (3d) 289, et (1994), 83 F.T.R. 233, 56 C.P.R. (3d) 344. Pareillement, dans l’arrêt Conseil canadien des ingénieurs c. Lubrication Engineers, Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 243, page 245, [1992] 2 C.F. 329 (C.A.F.), le juge James Hugessen avait estimé que l’emploi d’une marque en liaison avec les marchandises et dans leur publicité, sans rien de plus, ne suffisait pas à établir qu’elle avait acquis un caractère distinctif.

La couleur comme attribut fonctionnel

[39]      La prétention de la marque GSK à une notoriété propre du fait qu’elle utilise la couleur violette est encore affaiblie par le fait que, sur le marché, la couleur est reconnue comme un attribut fonctionnel des inhalateurs bronchiques. La preuve que j’ai devant moi donne à penser que la couleur des inhalateurs a acquis en partie un lien thérapeutique dont se servent les fabricants et les groupes d’intérêt public pour conseiller les patients. Par exemple, dans une publication de la Société canadienne de l’asthme destinée aux enfants asthmatiques, il est écrit que les inhalateurs contenant un médicament de soulagement sont généralement de couleur bleue et que les inhalateurs contenant un médicament d’entretien se présentent sous diverses couleurs. Cette distinction entre la couleur des inhalateurs de soulagement et celle des inhalateurs d’entretien est reflétée dans plusieurs autres exemples contenus dans le dossier, y compris dans des documents associés à GSK et à l’Association pulmonaire. Ce lien thérapeutique avec la couleur est également évoqué dans les passages suivants de l’affidavit de M. Lum, aux paragraphes 34 et 35 :

[traduction
34.       Pour tous les types d’inhalateurs, la couleur joue un rôle important, parce qu’elle indique aux patients l’usage thérapeutique de l’inhalateur. Souvent, les patients prennent conjointement a) un médicament d’entretien comme le propionate de fluticasone/ xinafoate de salmétérol (par exemple Advair), le propionate de fluticasone (par exemple Flovent), ou le xinafoate de salmétérol (par exemple Serevent), et b) un médicament de secours, tel que le sulfate de salbutamol (par exemple Ventolin). La couleur de l’inhalateur, associée aux étiquettes qui y sont apposées, devient alors fonctionnelle, car elle apporte une autre garantie de bonne administration des médicaments. Il est courant aussi que des patients utilisent l’inhalateur à poudre sèche avec propionate de fluticasone (par exemple Flovent Diskus) et/ou l’inhalateur à poudre sèche avec xinafoate de salmétérol (par exemple Serevent Diskus), pour passer ensuite à l’inhalateur à poudre sèche avec propionate de fluticasone/xinafoate de salmétérol (par exemple Advair Diskus), ou inversement. Les patients remarquent en général le changement de couleur et ils l’attribuent à une différence d’usage ou d’objet thérapeutique. Certains patients peuvent aussi attribuer le changement de couleur à la différence survenue dans les principes actifs de l’inhalateur.

35.       D’après mon expérience, les patients associent généralement les couleurs de leurs inhalateurs à leur usage thérapeutique. Les couleurs sont souvent utilisées par les patients comme moyen de faire la distinction entre l’inhalateur qu’ils utilisent pour un soulagement immédiat (c’est-à-dire l’inhalateur de secours) et l’inhalateur qu’ils utilisent pour une thérapie préventive (c’est-à-dire entretien ou usage prophylactique). Par exemple, la majorité de mes patients qui utilisent des inhalateurs parlent de leurs inhalateurs « bleus » pour évoquer leurs inhalateurs de secours. Les patients prennent donc généralement conscience que la couleur de leur inhalateur tient lieu d’indicateur des effets thérapeutiques de l’inhalateur.

[40]           J’admets la position de GSK pour qui, du moins s’agissant des inhalateurs d’entretien ou de contrôle, ce lien fonctionnel avec la couleur n’est pas un obstacle rédhibitoire à l’enregistrement d’une marque fondée sur une couleur particulière. Cependant, dans un marché qui a engendré certains liens thérapeutiques avec la couleur du produit considéré, il devient plus difficile d’établir le caractère distinctif fondé en partie sur la couleur, et l’argument en faveur d’une notoriété propre a moins de force.

[Souligné dans l’original; renvois omis.]

[70]           Les passages pertinents de la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Apotex sont les suivants :

[6]        Je ne suis pas convaincue non plus que le juge a appliqué le mauvais critère. Une marque de commerce est effectivement distinctive si la preuve montre qu’elle permet de distinguer un produit des autres produits sur le marché : Astrazeneca AB cNovopharm Ltd., 2003 CAF 57, 24 C.P.R. (4th) 326, par. 16. Le message véhiculé au public est un facteur crucial : Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.), conf. par (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). Le caractère distinctif s’établit du point de vue de l’utilisateur régulier, et la marque de commerce doit être considérée de façon globale et sous l’angle de la première impression : Molson Breweries c. John Labatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180, par. 83 (C.A.F.).

[7]        Selon Glaxo, le juge n’applique pas correctement le critère de la distinctivité lorsqu’il considère la façon dont les consommateurs « utilisent » la marque GSK. Le juge n’énonce ni n’applique un nouveau critère. La thèse contraire avancée par Glaxo se fonde sur une mauvaise interprétation du sens que le juge donne au terme « utiliser ». Il faut situer les propos du juge dans leur contexte, soit l’examen du processus au cours duquel un produit est associé à sa provenance. Pour qu’un produit soit jugé distinctif, les consommateurs concernés doivent distinguer le produit d’une source des marchandises d’autres personnes, et ce, en raison de la marque de la source. Si l’on tient compte du contexte, il ressort des propos du juge que c’est l’acte consistant à faire un lien entre une marque de commerce et sa source qui établit que le consommateur l’« utilise » comme il se doit. Si l’on substitue le terme « associe » au terme « utilise »,– qui est tout autant compatible avec le raisonnement du juge – l’argument de Glaxo ne tient plus. Il n’est donc pas fondé.

[8]        L’application du critère par le juge s’appuie sur son appréciation et son évaluation de la preuve ainsi que sur les conclusions factuelles qu’il en tire. Les motifs du juge reposent sur une revue et une analyse exhaustive de la preuve. Glaxo n’a établi l’existence d’aucune erreur manifeste et dominante à cet égard. En fait, elle cherche à plaider à nouveau l’affaire sans être en mesure de relever une erreur manifeste dans l’appréciation et l’évaluation que le juge a faite de la preuve. Étant donné que Glaxo n’a pas établi l’existence d’une erreur manifeste et dominante, son argument doit échouer.

[Souligné dans l’original.]

[71]           En ce qui concerne les points de désaccord importants qui me sont soumis, j’ai les observations suivantes à formuler au sujet de l’affaire Apotex :

a)      ni le juge Barnes ni la Cour d’appel fédérale ne traitent directement de la question de savoir si un demandeur doit établir le caractère distinctif de la marque dans les trois groupes (médecins, pharmaciens et patients), ou si le caractère distinctif dans un seul groupe suffira, même si les deux parties en l’espèce soulignent des passages et des inférences dans la décision Apotex qui étayent, selon elles, leurs positions respectives;

b)      la formule utilisée au paragraphe 35 de la décision du juge Barnes – « la majorité des patients » – donne à penser qu’il ne suffit pas d’établir que « quelques patients » ou, à vrai dire, les médecins et les pharmaciens, font le lien entre l’apparence et la source. Il n’existe aucune définition d’une « majorité des patients » et je ne pense pas qu’il serait possible d’en créer une. Cela dépendra toujours du produit et du marché auquel ce produit est destiné;

c)      les termes utilisés au paragraphe 5 – « d’une manière significative » –, au paragraphe 12 – « davantage qu’une observation passive ou irrésolue de la provenance possible » –, au paragraphe 21 – « qu’une vérification secondaire pour l’identification d’un comprimé pharmaceutique » –, au paragraphe 34 – « pas les attributs principaux » – donne à penser que même s’il peut exister un certain degré d’identification, il doit s’agir de plus qu’une observation passive ou irrésolue de la provenance possible. Le degré de lien avec une source unique, ainsi que les termes susmentionnés, sont à lire de pair avec la reconnaissance du juge Barnes, au paragraphe 20 de sa décision, que le juge Evans a conclu dans la décision Novopharm, précitée, qu’il n’est pas fatal pour l’enregistrement d’une marque de commerce que les consommateurs puissent recourir à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit venant d’une source unique. Mais, comme le dit le juge Barnes, il doit quand même y avoir « une preuve suffisante de l’aptitude de la marque à être ainsi reconnue par elle-même. Autrement dit, une marque fondée sur l’habillage ne saurait acquérir son caractère distinctif du seul fait qu’elle est employée en association avec une marque verbale distinctive ». Il est également nécessaire de lire les mêmes mots avec la réaffirmation des principes fondamentaux que la Cour d’appel fédérale a faite au paragraphe 6 de son arrêt : « [l]e caractère distinctif s’établit du point de vue de l’utilisateur régulier, et la marque de commerce doit être considérée de façon globale et sous l’angle de la première impression » [non souligné dans l’original].

[72]           Dans la présente affaire, la demanderesse a beaucoup insisté sur le fait que l’apparence bleue et en forme de losange de la pilule de Viagra n’est pas le principal moyen d’identifier une source unique et n’a pas à l’être. Je conviens que rien ne justifie que l’on abandonne le principe de la « première impression » juste parce que l’on a affaire à un produit pharmaceutique. Mais je ne pense pas non plus que le juge Barnes l’a abandonné dans la décision Apotex. Il ne dit pas que l’apparence doit être la « caractéristique principale » qui permet d’identifier une source unique pour le produit, et il ressort clairement de sa décision dans son ensemble que, sous l’angle de la première impression, il est tout de même nécessaire de montrer qu’il existe suffisamment de preuves pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’on reconnaît que l’apparence indique la source. Je crois qu’il s’agit là du principe qu’il y a lieu d’appliquer pour évaluer les éléments de preuve en l’espèce.

[73]           Pour ce qui est de la question de la « majorité » et de la mesure dans laquelle la pilule de Viagra bleue, en forme de losange, est reconnue comme un indicateur d’une source unique, soit au sein du groupe pertinent, soit au sein des groupes pertinents, j’examinerai tout d’abord ce que nous disent les éléments de preuve sur l’ampleur de la reconnaissance et je déciderai ensuite si, compte tenu de l’ampleur de la reconnaissance et du marché en question, on peut dire que cette reconnaissance existe « d’une manière significative », pour reprendre les mots du juge Barnes, au paragraphe 5 de la décision Apotex.

[74]           L’aspect le plus controversé du présent appel, sous l’angle des principes, est la question de savoir s’il est obligatoire qu’il y ait une reconnaissance marquée dans les trois groupes pertinents – les médecins, les pharmaciens et les patients – ou s’il suffit d’établir le caractère distinctif dans un seul, ou deux, des groupes. Dans la décision qui a été portée en appel, la Commission a admis que la demanderesse avait établi le caractère distinctif pour ce qui était des patients, mais elle a confirmé l’opposition au motif que l’on n’avait pas établi le caractère distinctif pour ce qui était des médecins et des pharmaciens. La Commission a clairement jugé qu’il était nécessaire de satisfaire au critère de la distinctivité dans les trois groupes. Au paragraphe 5 de la décision Apotex, le juge Barnes semble être d’avis que « [l]e groupe pertinent de consommateurs, pour un produit comme celui-ci, comprend les médecins, les pharmaciens et les patients » et qu’« [a]ux fins de la présente affaire, la question est de savoir si, [à la date pertinente], tous ces consommateurs reconnaîtraient, d’une manière significative, la [marque de commerce] d’après son apparence (à l’exclusion des étiquettes et de l’emballage) et associeraient cette habillage à une source unique ». Je ne considère pas que le juge Barnes dit que « tous ces consommateurs » signifie chaque consommateur, mais il me semble, d’après sa décision, qu’il est nécessaire d’examiner l’ensemble du « groupe » pour déterminer s’il existe une reconnaissance d’« une manière significative ».

[75]           Dans l’arrêt Apotex CAF, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’elle n’est « pas convaincue non plus que le juge a appliqué le mauvais critère » et elle a conclu que « [l]e juge n’énonce ni n’applique un nouveau critère ». Pour arriver à cette conclusion, la Cour d’appel fédérale s’était concentrée sur l’emploi, par Glaxo, du mot « utilisent » qui figure au paragraphe 13 de la décision du juge Barnes, et il ne semble pas que les mots « les médecins, les pharmaciens et les patients » qui figurent dans le même paragraphe et que le juge Barnes a considérés comme étant le « groupe » pertinent dans toute sa décision aient suscité une question quelconque.

[76]           La question du « groupe pertinent » qui m’est soumise (soit celle de savoir si la demanderesse est tenue d’établir le caractère distinctif de la marque dans les trois groupes pertinents, ou si un, ou deux, suffiront) n’a pas été directement examinée dans l’affaire Apotex, même si, en l’espèce, la Commission a manifestement tenu pour acquis dans sa décision que le critère est conjonctif et exige que le caractère distinctif s’applique aux trois groupes.

[77]           Comme l’indique clairement le paragraphe 35 de la décision Apotex, le juge Barnes a examiné les preuves relatives au caractère distinctif dans les trois groupes. Il a conclu que, dans le cas des médecins et des pharmaciens, il n’existait aucune preuve à l’appui d’« un tel rapprochement dans l’exercice de leur profession », et que, dans le cas des patients, « bien que quelques patients fassent parfois un rapprochement entre l’apparence de la marque GSK et une provenance unique, la preuve ne suffit pas à appuyer la prétention de GSK selon laquelle c’est un rapprochement que ferait la majorité des patients ». Autrement dit, dans la décision Apotex, la preuve n’étayait pas le caractère distinctif de la marque dans aucun des trois groupes. Le juge Barnes n’a pas eu à décider s’il aurait suffi que la marque ait un caractère distinctif dans un seul groupe, mais il n’est pas tout à fait clair s’il a examiné les trois groupes pour décider si le caractère distinctif était prouvé dans l’un quelconque d’entre eux, ou s’il exigeait que ce caractère distinctif s’applique aux trois, de sorte que même s’il avait conclu que la marque avait un caractère distinctif parmi les patients, cela n’aurait pas suffi. Cette question devient critique dans le cas présent car la Commission a conclu que le caractère distinctif avait été établi dans le cas des patients, mais non dans celui des médecins et des pharmaciens.

[78]           Les parties en l’espèce ont donc tenté, avec, l’une comme l’autre, une grande habileté et un flair convaincant, d’établir que la jurisprudence générale étaye leurs positions respectives sur ce point. La demanderesse dit que le critère est de nature disjonctive (« les médecins, les pharmaciens ou les patients »), et la défenderesse dit qu’il est de nature conjonctive (« les physiciens, les pharmaciens et les patients »).

[79]           L’examen que j’ai fait de la jurisprudence que les deux parties m’ont soumise sur cette question m’amène à conclure qu’il est erroné, dans le présent contexte, de voir les choses sous l’angle d’un critère disjonctif ou conjonctif. Par exemple, dans la décision Novopharm, précitée, le juge Evans a énoncé quelques principes de base qui sont utiles dans le présent litige :

a) Principes juridiques applicables

[71]      Avant d’aborder la preuve, il peut s’avérer utile d’exposer certains des principes juridiques qui serviront de cadre à son analyse.

[72]      Tout d’abord, il y a lieu d’indiquer que, tant au cours de la procédure d’opposition tenue devant le registraire que dans le cadre de la procédure d’appel qui se déroule devant cette Cour, le fardeau d’établir le caractère distinctif de la marque incombe à la requérante. Ainsi, Bayer doit établir selon la probabilité la plus forte qu’en 1992, lorsque Novopharm a déposé son opposition à la demande, les consommateurs ordinaires associaient les comprimés de 10 mg à libération progressive « Adalat » ronds et rose antique à Bayer ou à un seul fournisseur ou fabricant : voir Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106 (1re inst.), à la page 123; confirmé par [1976] 2 C.F. iv (C.A.).

[73]      Deuxièmement, pour répondre à cette question, les « consommateurs ordinaires » dont il faut tenir compte sont non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les « consommateurs ultimes », c’est-à-dire les patients pour lesquels les comprimés « Adalat » sont prescrits et à qui ils sont fournis, même si ceux-ci ne peuvent se procurer de la nifédipine que sur ordonnance médicale: voir l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.

[74]      Dans l’arrêt Ciba-Geigy, la Cour a statué que les éléments du délit de passing-off (ou commercialisation trompeuse) s’appliquaient aux produits pharmaceutiques comme à tout autre produit. Par conséquent, il convenait d’examiner si l’« apparence » des produits de la demanderesse avait acquis un caractère distinctif susceptible d’amener les patients à identifier cette « apparence » à une seule source, de sorte qu’ils risquent de croire à tort que le produit de quelqu’un d’autre, d’apparence similaire, émane de la même source que ceux de la demanderesse.

[75]      Il faut aussi remarquer que, bien que les actions engagées pour le délit de passing-off (ou de commercialisation trompeuse) et les procédures d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce se distinguent par des différences évidentes, elles ont aussi un lien important qui les unit. Le rejet de l’opposition de Novopharm permettra à Bayer d’empêcher ses concurrents de commercialiser un produit interchangeable avec « Adalat » sous forme de comprimés ayant une apparence similaire à ses comprimés de nifédipine.

[76]      Par conséquent, Bayer, dans toute poursuite qu’elle engagerait pour la contrefaçon de sa marque de commerce, ne serait pas tenue de prouver que la couleur, la forme et la taille de son produit ont une notoriété propre, comme elle devrait le faire dans une action en passing-off (commercialisation trompeuse) si elle n’était pas titulaire d’une marque de commerce valide. En vertu de la définition que la Loi donne d’une marque de commerce, l’enregistrement valide de la marque en litige dans la présente procédure établit effectivement, et de façon irréfutable, que les consommateurs relient la présentation des comprimés « Adalat » à une seule source.

[77]      Troisièmement, bien que j’accepte qu’en droit, la couleur, la forme et la taille d’un produit peuvent, ensemble, constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d’être faible: voir la décision Smith Kline & French Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerces), [1987] 2 C.F. 633 (1re inst.), aux pages 634 à 636.

[78]      En l’espèce, comme les petits comprimés ronds et roses sont courants sur le marché des produits pharmaceutiques, Bayer doit s’acquitter d’un lourd fardeau pour établir, selon la probabilité la plus forte, qu’en 1992, ces propriétés avaient une notoriété propre, de sorte que les consommateurs ordinaires associaient ces comprimés à une seule source: voir la décision Standard Coil, précitée, à la page 123. Le fait qu’à l’époque du dépôt de l’opposition de Novopharm, « Adalat » était le seul comprimé de nifédipine à libération progressive sur le marché n’est pas suffisant en soi pour établir une notoriété propre: voir les arrêts Cellular Clothing Company v. Maxton & Murray, [1899] A.C. 326 (H.L.), à la page 346; Canadian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C.S. 329.

[79]      Quatrièmement, il n’est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d’autres indices d’identification apparaissant sur les bouteilles et l’emballage contenant le produit, ou à l’inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

[80]           Les indications que je tire de la décision Novopharm pour les besoins de la présente affaire sont les suivantes :

a)      la demanderesse était tenue d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les « consommateurs ordinaires » associaient sa pilule bleue en forme de losange à Pfizer ou à une source unique de fabrication ou d’approvisionnement;

b)      les « consommateurs ordinaires » dont il faut tenir compte à cette fin comprennent non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les patients auxquels les comprimés de Viagra sont prescrits et distribués;

c)      bien que la couleur, la forme et la taille d’un produit soient, à elles trois, susceptibles en droit de constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d’être faible;

d)     les consommateurs peuvent avoir recours à d’autres moyens d’identifier les comprimés de Viagra à une source unique dans la mesure où « il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé […]) ».

[81]           Il est clair que, dans la décision Novopharm, le juge Evans n’a pas dit qu’il faut que le caractère distinctif soit établi dans chacun des trois groupes. L’exemple qu’il donne au paragraphe 79 donne à penser que si, selon certains éléments de preuve, les pharmaciens « reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque ». Le juge Evans ne dit pas que l’on ne peut établir le caractère distinctif que si la marque est également distinctive aux yeux des médecins et des patients.

[82]           Cela me fait penser que, pour examiner la question du caractère distinctif de l’apparence d’un comprimé pharmaceutique, la Commission ou la Cour doit déterminer si la preuve établit que la marque est reconnue « d’une manière significative » parmi un ou plusieurs groupes de « consommateurs ordinaires ». Compte tenu du principe de base selon lequel la question de savoir si une marque ou un signe en particulier est distinctif est une question de fait dans chaque cas, je ne vois pas comment on peut éviter ce principe en disant qu’il ne suffit pas qu’un demandeur puisse établir un « degré significatif » de distinctivité en faisant référence à un sous‑groupe de ce que le juge Barnes a appelé le « groupe pertinent de consommateurs » du produit. Selon moi, il ressort clairement de la jurisprudence citée que, pour décider si l’on a établi un degré significatif de distinctivité, il est nécessaire de considérer le groupe tout entier, mais je ne relève aucune indication claire dans les décisions et les arrêts que le mot « et », ou tout autre terme, exige que le caractère distinctif soit établi séparément pour chaque sous-groupe de ces consommateurs.

[83]           S’il est nécessaire de considérer le groupe dans son ensemble c’est que, selon moi, les patients, par exemple, ne prennent pas seuls une décision au sujet de leurs médicaments. Le caractère distinctif, sous l’angle des patients, est fortement lié à la manière dont ils identifient leurs médicaments d’ordonnance lors de leurs échanges avec leurs médecins et leurs pharmaciens. Mais cela ne veut pas dire qu’une marque qui n’acquiert pas un caractère distinctif parmi les médecins et les pharmaciens ne peut, pour cette raison, l’acquérir grâce à sa reconnaissance parmi les patients. Tout dépend des faits et des éléments de preuve que l’on produit à leur appui.

[84]           La demanderesse dit qu’il lui est possible de s’acquitter de son fardeau en établissant le caractère distinctif parmi les médecins, les pharmaciens ou les patients : décision Novopharm, précitée, aux paragraphes 73 et 123; arrêt Astra CAF, précité, aux paragraphes 45 et 46; décision Apotex Inc. c Ciba-Geigy Canada Ltd, précitée, au paragraphe 13. La défenderesse dit, quant à elle, qu’il est nécessaire d’établir le caractère distinctif parmi les médecins, les pharmaciens et les patients : décision Novopharm, précitée, aux paragraphes 73, 121 et 122; décision Eli Lilly and Company c Novopharm Ltd, précitée, aux paragraphes 48, 53 et 92 à 94; décision Apotex, précitée, au paragraphe 5, conf. par l’arrêt Apotex CAF, précité, aux paragraphes 2, 3 et 6.

[85]           L’argument initial selon lequel le caractère distinctif doit être établi parmi les médecins, les pharmaciens et les patients découle de la décision Ciba-Geigy. Avant cette dernière, les tribunaux considéraient uniquement les médecins et les pharmaciens comme les consommateurs pertinents dans les affaires de passing off [ou de commercialisation trompeuse] dans le secteur pharmaceutique. Les patients en étaient exclus, et ce, pour deux raisons : il leur était impossible d’acheter des produits pharmaceutiques sans l’intervention de médecins et de pharmaciens, et l’industrie pharmaceutique était strictement réglementée. La Cour suprême du Canada a rejeté ces arguments. Elle a déclaré que, dans notre économie moderne, il est rare que les consommateurs achètent quoi que ce soit directement auprès de la source. La plupart des industries comportent un intermédiaire, un cadre réglementaire, ou les deux. La Cour suprême du Canada a confirmé que dans les affaires de passing off [ou de commercialisation trompeuse] il est nécessaire de prendre en compte les consommateurs ultimes, soit les patients dans le secteur pharmaceutique. La conclusion tirée dans la décision Ciba-Geigy jette un peu de lumière sur le débat entourant la question du « groupe pertinent de consommateurs » (au paragraphe 157) :

Il n’y a aucune raison, en droit, de s’écarter du principe bien établi que le consommateur final du produit doit être pris en compte pour déterminer si un délit de passing-off est commis. Dans le domaine des médicaments délivrés sur ordonnance, la clientèle des laboratoires pharmaceutiques comprend donc les médecins, pharmaciens, dentistes et les patients.

Par conséquent, les pourvois doivent être accueillis avec dépens. Le deuxième paragraphe du dispositif du jugement rendu par le juge Fitzpatrick doit être remplacé par le paragraphe suivant :

2. NOTRE COUR DÉCLARE qu’en ce qui concerne la commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance, un demandeur, dans une action en prétendue commercialisation trompeuse d’un médicament délivré sur ordonnance, doit établir que la conduite reprochée risque de semer la confusion dans l’esprit des médecins ou des pharmaciens, ou dans celui des patients clients, lorsqu’ils doivent choisir de prescrire, de délivrer ou de demander soit le produit du demandeur, soit celui du défendeur.

[86]           À mon avis, la Cour suprême du Canada a simplement énuméré les consommateurs qu’il fallait prendre en compte au moment d’établir le caractère distinctif d’un produit pharmaceutique. Rien n’indique qu’elle créait un critère de nature conjonctive. Étaye ce fait l’opinion selon laquelle la Cour a retiré l’un des sous-groupes de la liste des consommateurs (les dentistes) dans son ordonnance concernant le produit pharmaceutique visé par l’affaire qui lui était soumise. Il me semble que si l’on peut retirer un sous-groupe sans discussion aucune, il doit être possible dans ce cas d’établir le caractère distinctif sans devoir conclure à son existence dans tous les autres sous-groupes.

[87]           L’arrêt Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, précité, en donne un exemple pratique dans un appel relatif au caractère distinctif d’une marque de commerce. La juge Dawson a déclaré qu’il n’y avait devant la Cour aucune preuve de la part de patients et qu’Astra avait concédé que les médecins n’accordaient pas beaucoup d’attention à la couleur et à la forme des comprimés. Malgré le manque de preuves liées à deux des groupes de consommateurs, la juge Dawson a examiné si le caractère distinctif de la marque avait été établi parmi les pharmaciens :

[11]      En appliquant les principes dégagés précédemment et en étudiant avec attention la preuve qui m’a été présentée, je suis incapable de conclure que la couleur et la forme des comprimés de félodipine d’Astra de 5 mg et de 10 mg ont un caractère distinctif inhérent, ou que la marque rouge-brun a acquis un caractère distinctif de manière à distinguer les marchandises de celles des autres.

[…]

[19]      Quant à la preuve, aucun élément de preuve n’a été produit par des patients et Astra a reconnu que les médecins ne portent que peu d’attention, sinon aucune, à la couleur et à la forme des pilules en prescrivant des médicaments. Astra a cependant invoqué la preuve selon laquelle des pharmaciens ont recours à la couleur et à la forme des pilules rouge-brun lorsqu’ils choisissent de délivrer les comprimés de félodipine de 10 mg d’Astra. Spécifiquement, Astra a invoqué la preuve voulant que les pharmaciens connaissent la couleur et la forme d’un produit et qu’ils s’appuient sur la couleur, la forme ou la taille pour s’assurer de délivrer la bonne marque. Par exemple, à la vue d’un comprimé vert, un pharmacien ou une pharmacienne saurait que ce comprimé ne peut pas être la félodipine d’Astra. Bien que les comprimés de félodipine d’Astra soient distribués dans une boîte sous plaquettes alvéolaires, le pharmacien doit vérifier le nombre de comprimés délivrés. La preuve démontre qu’en ce faisant, le pharmacien [traduction] « ne peut s’empêcher de voir de quelle couleur et de quelle forme sont les comprimés Plendil ».

[20]      À mon avis, la preuve déposée devant la Cour établit toutefois qu’il y avait, à la période pertinente, un grand nombre de pilules rouge-brun sur le marché. Un pharmacien a confirmé lors de son réinterrogatoire que la félodipine de 10 mg d’Astra est de la même couleur que le comprimé LOSEC de 20 mg, au point qu’il faisait la différence entre les deux pilules par leur marquage. Il y a d’autres pilules rouge-brun (ou rose foncé) sur le marché, notamment :

[…]

[21]      Bien qu’Astra se soit opposée à ce qu’on se reporte à cette preuve, je suis convaincue que la Cour en est régulièrement saisie. La déclaration d’opposition de Novopharm était explicite sur le fait que son opposition ne se limitait pas aux comprimés des trois fabricants qui y étaient spécifiquement nommés. Compte tenu de la preuve produite par Novopharm, Astra était en tout temps au fait de la nature de l’instance.

[22]      Selon la preuve, j’ai de plus la conviction que les pharmaciens ne délivrent pas la félodipine en se fondant dans une large mesure sur la couleur ou la forme. L’apparence de couleur et de forme n’est qu’un élément, une vérification secondaire, dont tiendra compte le pharmacien. J’accepte la preuve voulant que les pharmaciens identifient principalement les comprimés par l’identification numérique, le marquage et les étiquettes sur l’emballage. J’accepte l’argument de Novopharm qu’il ne suffit pas pour un pharmacien de savoir que les comprimés de félodipine d’Astra ne sont pas verts. La bonne question est celle de savoir ce que signifie pour un pharmacien une pilule rouge-brun.

[23]      Je conclus en somme que la preuve ne démontre pas, selon la prépondérance de la preuve, que la forme et la couleur du comprimé rouge-brun distinguent véritablement les comprimés d’Astra des comprimés d’autres fabricants.

CONCLUSION ET DÉPENS

[24]      Ayant conclu qu’Astra n’a pas réussi à établir que médecins, pharmaciens ou patients peuvent employer et emploient en fait les marques de commerce projetées pour choisir de prescrire, délivrer ou demander les comprimés de félodipine de 5 ou 10 mg d’Astra, il s’ensuit que les appels seront accueillis

[88]           Si le critère était de nature conjonctive, le manque de preuves concernant les patients et les médecins aurait porté un coup fatal à l’appel et il n’aurait pas fallu que la juge Dawson examine les preuves relatives au caractère distinctif de la marque parmi les pharmaciens. Nous voyons une application semblable dans la décision qu’a rendue le juge Evans dans l’affaire Novopharm.

[89]           Après avoir examiné les preuves concernant les médecins et les pharmaciens, le juge Evans a conclu : « [à] mon avis, la preuve n’établit pas que les médecins ou les pharmaciens se fient de façon importante à la couleur et à la forme pour identifier “Adalat”. » Malgré cette conclusion, il a ensuite examiné les preuves relatives aux patients pour déterminer si l’on avait établi le caractère distinctif de la marque parmi ces derniers et, a-t-il conclu :

[121]    […] Bayer n’a produit aucune preuve directe montrant que les patients associaient la couleur et la forme des comprimés « Adalat » à une seule source.

[122]    Même si une telle preuve peut ne pas être nécessaire, son absence est préjudiciable lorsque des éléments de preuve provenant de pharmaciens et de médecins indiquent qu’habituellement les patients n’associent pas l’apparence d’un médicament à une seule source. De plus, dans le présent cas, la preuve relative à l’emballage d’« Adalat » laisse croire qu’il est plus vraisemblable que les patients identifient le produit de Bayer par son nom de marque ou par son fabricant que par sa couleur, sa forme ou sa grosseur.

[123]    Compte tenu de cette conclusion, l’utilisation très limitée que les pharmaciens font de l’apparence du médicament pour l’identifier est loin d’être suffisante pour établir le caractère distinctif nécessaire pour qu’une marque de commerce valide

[90]           Là encore, il n’aurait pas été nécessaire que le juge Evans continue d’examiner les preuves relatives aux patients après avoir conclu que les preuves n’établissaient pas le caractère distinctif de la marque parmi les médecins et les pharmaciens.

[91]           En confirmant cette décision, la Cour d’appel fédérale n’a rien dit à propos de la manière dont le juge Evans avait formulé ou appliqué le critère juridique :

[6]        […] Étant donné que le caractère distinctif représente essentiellement une question de fait, le juge de première instance pouvait en arriver à sa propre conclusion sur la question de savoir si cette couleur vieux rose appliquée sur un comprimé avait acquis un caractère distinctif. En l’absence d’erreur manifeste et dominante touchant les conclusions de fait du juge de première instance, nous ne devrions pas intervenir. Nous sommes convaincus qu’aucune erreur de cette nature n’a été commise.

[Renvoi omis.]

[92]           Voici comment la juge Heneghan a contrôlé la manière dont la Commission avait évalué la question du caractère distinctif dans la décision Eli Lilly and Company c Novopharm Ltd :

[92]      Le registraire a évalué la question du caractère distinctif en fonction d’une large catégorie de consommateurs, à savoir les médecins, les pharmaciens et les patients. Il a accordé peu de valeur au témoignage des patients et a fait observer que les médecins et les pharmaciens se fient aux inscriptions qui apparaissent sur les capsules, et pas seulement à leur apparence, pour identifier le produit. Cette conclusion reposait sur les éléments de preuve présentés, y compris la transcription des contre-interrogatoires.

[93]      La décision du registraire de choisir une large catégorie de consommateurs est conforme à la jurisprudence (voir l’arrêt Ciba-Geigy).

[94]      À mon avis, le choix du registraire en ce qui concerne les produits visés et son appréciation des éléments de preuve contenus dans les sondages étaient raisonnables.

[93]           Selon moi, la juge Heneghan confirme simplement le vaste « groupe pertinent de consommateurs » qu’il est nécessaire de considérer et elle dit que la Commission a évalué les preuves de manière raisonnable. Elle n’emploie aucun terme qui donne à penser que le critère est de nature conjonctive.

[94]           Dans la décision Apotex, le juge Barnes emploie quelques termes qui, pourrait-on considérer, peuvent exiger que la marque ait un caractère distinctif parmi les médecins, les pharmaciens et les patients. Cependant, en confirmant sa décision, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le juge Barnes n’avait « [ni énoncé] ni [appliqué] un nouveau critère ». En conséquence, là où les propos du juge Barnes sont sujets à interprétation, c’est en accord avec la jurisprudence établie qu’il y a lieu de les interpréter.

[95]           Premièrement, le juge Barnes écrit, au paragraphe 5, que « [l]e groupe pertinent de consommateurs, pour un produit comme celui-ci [un produit pharmaceutique, lui aussi], comprend les médecins, les pharmaciens et les patients ». Et, ajoute-t-il, « [a]ux fins de la présente affaire, la question est de savoir si, le 21 décembre 2007, tous ces consommateurs reconnaîtraient, d’une manière significative, la marque GSK d’après son apparence (à l’exclusion des étiquettes et de l’emballage) et associeraient cette habillage à une source unique ». On ne saurait conclure que le juge Barnes a voulu dire qu’il est nécessaire d’établir le caractère distinctif de la marque pour chaque consommateur. Selon mon interprétation, le juge Barnes confirme plutôt qu’il est nécessaire de prendre en compte un vaste éventail de consommateurs pour déterminer si le caractère distinctif d’une marque est établi d’une manière significative. Conforte également cette conclusion le fait que le juge Barnes s’est fondé sur la décision Novopharm, où le juge Evans avait pris en considération les preuves relatives aux patients après avoir conclu que les preuves n’établissaient pas le caractère distinctif parmi les médecins et les pharmaciens.

[96]           Le juge Barnes avait affaire à des preuves et à des questions de droit semblables à celles dont il est question en l’espèce; pourtant, la Cour d’appel fédérale a simplement réitéré les principes fondamentaux du droit des marques de commerce et ne s’est pas lancée dans une analyse quelconque des points de désaccord que les parties soulèvent ici. Cela semble être une confirmation du principe selon lequel le droit des marques de commerce n’est pas différent dans le cas des produits pharmaceutiques et un rejet des complexités que l’on pourrait voir dans la jurisprudence. La Cour d’appel a dit très simplement :

[6]        Je ne suis pas convaincue non plus que le juge a appliqué le mauvais critère. Une marque de commerce est effectivement distinctive si la preuve montre qu’elle permet de distinguer un produit des autres produits sur le marché : Astrazeneca AB cNovopharm Ltd., 2003 CAF 57, 24 C.P.R. (4th) 326, par. 16. Le message véhiculé au public est un facteur crucial : Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.), conf. par (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). Le caractère distinctif s’établit du point de vue de l’utilisateur régulier, et la marque de commerce doit être considérée de façon globale et sous l’angle de la première impression : Molson Breweries c. John Labatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180, par. 83 (C.A.F.).

[7]        Selon Glaxo, le juge n’applique pas correctement le critère de la distinctivité lorsqu’il considère la façon dont les consommateurs « utilisent » la marque GSK. Le juge n’énonce ni n’applique un nouveau critère. La thèse contraire avancée par Glaxo se fonde sur une mauvaise interprétation du sens que le juge donne au terme « utiliser ». Il faut situer les propos du juge dans leur contexte, soit l’examen du processus au cours duquel un produit est associé à sa provenance. Pour qu’un produit soit jugé distinctif, les consommateurs concernés doivent distinguer le produit d’une source des marchandises d’autres personnes, et ce, en raison de la marque de la source. Si l’on tient compte du contexte, il ressort des propos du juge que c’est l’acte consistant à faire un lien entre une marque de commerce et sa source qui établit que le consommateur l’« utilise » comme il se doit. Si l’on substitue le terme « associe » au terme « utilise »,– qui est tout autant compatible avec le raisonnement du juge – l’argument de Glaxo ne tient plus. Il n’est donc pas fondé.

[97]           Ce résumé utile réitère le principe voulant que le droit des marques de commerce s’applique à l’industrie pharmaceutique de la même façon qu’à toutes les autres. La demanderesse est tenue de produire suffisamment d’éléments pour établir que, selon la prépondérance des probabilités, les consommateurs associent la marque, d’une manière significative, à une source de fabrication unique. Les consommateurs de Viagra sont les médecins, les pharmaciens et les patients. Si la demanderesse peut démontrer qu’il existe chez ces consommateurs un degré important de reconnaissance, elle aura établi que la marque est distinctive. À mon avis, rien dans la jurisprudence n’étaye la conclusion de la Commission et l’argument de la défenderesse, à savoir que la demanderesse se doit d’établir le caractère distinctif de la marque parmi les patients, les médecins et les pharmaciens.

4)                  La décision de la Commission

[98]           Je crois, de façon générale, que la Commission omet d’examiner s’il y a dans la présente affaire suffisamment de preuves pour établir que la pilule de Viagra bleue, en forme de losange (sans ses inscriptions et son emballage), est associée à une source unique.

[99]           La Commission a fondé sa décision sur les principales constatations et conclusions qui suivent :

a)      du point de vue juridique, la demanderesse devait établir que la marque est distinctive « parmi les patients, les médecins et les pharmaciens ». Ce que la Commission voulait dire par cela est révélé par la décision dans son ensemble, laquelle exigeait que la demanderesse établisse le caractère distinctif de la marque séparément pour les trois catégories. La Commission a admis que la demanderesse avait établi le caractère distinctif pour les patients, mais pas pour les médecins et les pharmaciens. Cela voulait dire que la demanderesse n’avait pas clairement établi qu’un nombre élevé de médecins et de pharmaciens font le lien avec la marque lorsqu’ils prescrivent et distribuent les marchandises. C’est donc sur ce fondement que le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif de la marque a été retenu (par. 100). La Commission a évalué séparément les éléments de preuve concernant à la fois les médecins et les pharmaciens, mais il ne ressort pas clairement de la conclusion si elle a traité les « médecins et pharmaciens » comme un seul groupe. Quoi qu’il en soit, il est manifeste que la demanderesse devait faire plus qu’établir le caractère distinctif parmi les patients;

b)      les éléments de preuve qui ont été invoqués à l’appui du caractère distinctif de la marque parmi les patients semblent être les suivants :

                                                              i.      de nombreux patients avaient été exposés à une vaste campagne de publicité sur la marque entre le moment du lancement du Viagra et 2006;

                                                            ii.      il semble qu’« il a été fait référence au Viagra ou que le Viagra a été compris comme une “petite pilule bleue” par au moins certains patients, suggérant ainsi que la Marque a une réputation au moins auprès de certains consommateurs »;

                                                          iii.      lorsque les patients font référence à la « petite pilule bleue », ils ne se réfèrent pas à la fonction du Viagra car il n’y a aucune preuve qu’ils ont été sensibilisés au fait que la « petite pilule bleue » désigne un médicament qui traite la dysfonction érectile en général, pas plus qu’il n’existe une indication quelconque qui explique pourquoi cela se produirait relativement à la marque;

                                                          iv.      la preuve d’une publicité et d’une réputation, « bien qu’elle ne constitue pas un emploi de la marque, peut résulter en une augmentation de son caractère distinctif »;

                                                            v.      pour ce qui est d’une association que ferait un consommateur entre « l’apparence du VIAGRA et la drogue même », la Commission a souscrit au témoignage de la Dre Perlin, qui montre que les patients associent la marque et les marchandises, car la Dre Perlin dit qu’ils l’associent à la marque Viagra, contrairement au fait de déclarer que les patients l’associent aux médicaments contre la dysfonction érectile en général. Le témoignage de la Dre Perlin à cet égard semble concorder avec celui de la pharmacienne Marie Berry (affidavit de Mme Berry, paragraphe 19) et celui du Dr Ronald Weiss (affidavit du Dr Weiss, paragraphe 19; contre‑interrogatoire du Dr Weiss, Q. 127).

[100]       Autrement dit, la justification semble être que la marque est distinctive parmi les patients parce que ceux-ci ont été exposés à une vaste campagne de publicité, et la référence faite à la « petite pilule bleue » par « au moins certains patients » donne à penser que la marque a une réputation « au moins auprès de certains consommateurs » et que l’utilisation de la « petite pilule bleue » par « au moins certains patients » est une référence à la marque Viagra, et non aux médicaments contre la dysfonction érectile en général.

[101]       Il me semble que cette analyse, quelles que soient les autres erreurs qu’elle puisse comporter compte tenu des éléments de preuve soumis à la Commission, omet d’examiner si la marque est devenue distinctive parmi les patients « d’une manière significative ». Le fait qu’« au moins certains patients » peuvent avoir employé les mots « petite pilule bleue » pour faire référence au Viagra n’établit pas le caractère distinctif de l’apparence de la pilule parmi les patients, et si une vaste campagne de publicité « peut résulter en une augmentation de son caractère distinctif », on ne nous dit pas à quel degré ce caractère a été établi en l’espèce.

[102]       Même si la Commission exige à tort que la marque ait un caractère distinctif parmi les médecins, les pharmaciens et les patients, il y a peu d’éléments dans les motifs qui permettraient de conclure raisonnablement à l’existence d’un caractère distinctif parmi les patients.

[103]       Cette conclusion est particulièrement difficile à comprendre car la Commission n’a pas souscrit au témoignage direct de M. Charbonneau en tant que patient consommateur de Viagra et elle semble accorder une faible valeur probante à ce que disent les pharmaciens et les médecins sur leurs patients :

[87]      Le seul témoin qui peut indiquer qu’il a pris du VIAGRA est Marc Charbonneau et comme il est le gestionnaire de la marque pour cette drogue, il n’est pas représentatif des patients en général.

[88]      La seule autre preuve dont je dispose en ce qui concerne les patients en général provient des pharmaciens et des médecins qui commentent sur leur perception de ce que pensent les patients. J’accorde un poids limité à la preuve de la Dre Perlin, de Cathy Conroy et de Laura Furdas en ce qui concerne leur perception de l’association que les patients font avec les médicaments en général (par exemple, le fait de les associer avec une fonction) (voir, à titre d’exemple, l’affidavit Perlin, paragr. 21; l’affidavit Conroy, paragr. 34, Q 49; l’affidavit Furdas, paragr. 27), puisque cette preuve concerne les médicaments en général et aucune preuve n’indique que les médicaments reçoivent en général la publicité ou ont la popularité que le VIAGRA a.

[104]       En ce qui concerne donc les patients en général, je conclus que la Commission a commis une erreur de droit en omettant d’examiner si le caractère distinctif de la marque parmi les patients répondait à l’exigence du caractère distinctif, indépendamment de la question de savoir si la marque était distinctive aux yeux des médecins et des pharmaciens, mais elle a également commis une erreur de droit en n’examinant pas si le caractère distinctif de la marque parmi les patients avait été établi « d’une manière significative », et a agi de façon déraisonnable en omettant de fournir une justification probante suffisante pour conclure à l’existence du caractère distinctif parmi les patients.

[105]       En ce qui concerne les pharmaciens, la Commission a conclu que même si ceux qui avaient témoigné reconnaissaient l’apparence du Viagra et savaient qu’il était fabriqué par une source unique, elle rejetait le caractère distinctif de la marque parmi les pharmaciens en se fondant sur son interprétation des motifs du juge Barnes dans la décision Apotex, précitée. La Commission renvoie à la conclusion du juge Barnes selon laquelle un dessin unique n’est pas suffisant pour établir le caractère distinctif; de plus, selon elle, l’apparence est un motif incertain pour tirer des conclusions à propos de l’identité ou de la source d’un produit et, comme l’a dit la Commission, « pour un professionnel, le nom de marque et l’étiquette auront presque toujours préséance sur l’apparence du produit pour en identifier la source ». La Commission opte ensuite pour ce qu’elle considère comme un critère relatif aux « caractéristiques principales » qui est énoncé dans la décision du juge Barnes :

[93]      Dans la présente opposition, je ne considère pas que la preuve est suffisante pour que la Requérante s’acquitte de son fardeau de preuve visant à démontrer que les pharmaciens emploient la Marque comme l’une des caractéristiques principales selon lesquelles les comprimés de VIAGRA se distinguent des Marchandises des autres. […]

[Non souligné dans l’original.]

[106]       À mon avis, le juge Barnes, dans la décision Apotex, n’a pas appliqué un critère relatif aux « caractéristiques principales ». Son énoncé concernant le critère approprié figure au paragraphe 13 de sa décision :

À mon avis, il ne suffit pas de montrer que l’apparence d’un produit peut constituer une vérification secondaire de l’identité du produit ou qu’elle peut amener une personne à se demander si le produit attendu a été correctement délivré. Ce qu’il faut, c’est que les médecins, les pharmaciens et les patients rattachent la marque à une source unique et par là utilisent la marque pour manifester leurs décisions de prescrire, de délivrer ou d’acheter tel produit plutôt qu’un autre. Pour constituer le caractère distinctif, il ne suffit pas d’un jugement approximatif sur la provenance, ni d’ailleurs d’une conception qui est simplement sans équivalent sur le marché et est reconnue comme tel : voir la décision Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy’s Ltée (1985), [1986] 1 C.F. 357, pages 370 et 371, 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.). Le fait qu’un médecin ou un pharmacien puisse spontanément tenir pour acquise la provenance d’un inhalateur discoïdal de couleur violette à l’occasion d’un dialogue thérapeutique avec un patient ne suffit pas non plus à établir le caractère distinctif.

[Renvoi omis.]

[107]       Dire que des [traduction« hypothèses informelles » n’étaient pas suffisantes au vu de la preuve dont le juge Barnes était saisi dans la décision Apotex pour établir le caractère distinctif ne veut pas dire que l’apparence doit être une « caractéristique principale ».

[108]       Les mots « caractéristiques principales » apparaissent au paragraphe 34 de la décision Apotex, mais il ne s’agit là que d’une conclusion et le fondement réel de la décision se trouve au paragraphe 35 :

Je suis arrivé à la conclusion, selon la prépondérance de la preuve, que, bien que quelques patients fassent parfois un rapprochement entre l’apparence de la marque GSK et une provenance unique, la preuve ne suffit pas à appuyer la prétention de GSK selon laquelle c’est un rapprochement que ferait la majorité des patients. S’agissant des médecins et pharmaciens, je ne crois pas qu’ils feraient un tel rapprochement dans l’exercice de leur profession.

[109]       En d’autres mots, le juge Barnes a conclu que, au vu des éléments de preuve qui lui étaient soumis, aucun médecin ou pharmacien ne ferait un lien entre l’apparence et une source unique. Je ne considère pas cela comme une conclusion selon laquelle il faut que l’apparence soit une « caractéristique principale » pour lier une marque de commerce à sa source. Faire remarquer, dans la décision Apotex, que « la couleur et la forme ne sont pas les [caractéristiques principales par lesquelles] les acheteurs […] exercent leurs choix », cela signifie simplement que, au vu des faits de cette affaire, aucune preuve ne permettait de lier l’apparence à la source dans l’esprit des pharmaciens et des médecins, et qu’il n’y avait pas assez de preuves pour confirmer qu’il s’agissait d’« un rapprochement que ferait la majorité des patients ».

[110]       Le fait que la Commission fasse ensuite référence au sondage de Mme Corbin complique davantage ses conclusions :

[94]      Si j’avais déclaré le sondage Corbin admissible, j’aurais conclu qu’il appuyait le fait que la Marque était reconnue comme étant unique et à ce titre, elle était reconnaissable par les pharmaciens comme étant associée aux comprimés de la marque VIAGRA fabriqués par une compagnie. Cependant, il n’est pas évident que cette preuve suffit à respecter les critères énoncés par le juge Barnes, puisque la preuve démontre que les pharmaciens utilisent principalement d’autres moyens pour distinguer les produits pharmaceutiques d’une source à une autre. À ce titre, un doute demeure dans mon esprit quant à décider si la Marque est distinctive parmi les pharmaciens.

[111]       Que l’on ait dû admettre ou non le sondage de Mme Corbin, il me semble que la Commission est encore obnubilée par le critère des « principales caractéristiques » dans ce paragraphe, même si, au paragraphe 92 de sa décision, elle se reporte à la décision Novopharm, où le juge Evans a déclaré :

[79]      Quatrièmement, il n’est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d’autres indices d’identification apparaissant sur les bouteilles et l’emballage contenant le produit, ou à l’inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

[112]       Selon moi, la décision du juge Barnes dans l’affaire Apotex n’exige rien de plus que le fait que la Commission doive examiner « s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque) » parce que « cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque ». À mon avis, la Commission omet de prendre cela en compte en appliquant un critère relatif aux « caractéristiques principales » que la décision Apotex n’établit pas.

[113]       Pour ce qui est des médecins, la Commission fait de nouveau référence à la décision Apotex quand elle traite du témoignage du Dr Weiss, soulevant ainsi les problèmes mentionnés plus tôt à propos des pharmaciens. Le témoignage du Dr Weiss est lui aussi rejeté à cause de son association étroite avec le Viagra et sa mise au point, de sorte que ce dernier a « pu avoir une connaissance de la Marque différente de celle des médecins en général ». En d’autres termes, le témoignage du Dr Weiss porte peut-être sur la propre connaissance qu’il a du caractère distinctif du comprimé bleu en forme de losange, mais il ne s’agit pas là d’une preuve que d’autres médecins reconnaissent eux aussi, d’une manière significative, que l’apparence du produit (à l’exclusion des inscriptions sur le comprimé) est distinctive d’une source unique.

[114]       Le témoignage de la Dre Perlin n’établit pas le caractère distinctif de la marque d’une manière significative du fait de son exposition restreinte à cette dernière. Elle dit ne pas se tenir au courant de l’aspect des produits pharmaceutiques, ne connaître l’apparence du Viagra que parce qu’elle a pris part à une instance antérieure en matière d’opposition d’une marque de commerce, ne pas être au courant de la publicité télévisée sur le Viagra, ne pas regarder la publicité dans les revues médicales et ne pas avoir vu d’annonces sur le Viagra dans des journaux et des revues.

[115]       Le témoignage du Dr Shiffman n’établit pas le caractère distinctif de la marque d’une manière significative parce qu’« il n’associe pas l’apparence du Viagra à une seule source en raison de la nature du marché pharmaceutique ».

[116]       Indépendamment de la référence faite à la décision du juge Barnes dans l’affaire Apotex, il me semble évident que, en l’espèce, la Commission traite des éléments de preuve concernant les médecins d’une manière conforme aux principes juridiques établis; ces éléments de preuve ne donnent tout simplement pas à penser, dans une mesure significative, que le comprimé de Viagra bleu, en forme de losange, sans ses inscriptions, est distinctif d’une source unique parmi les médecins.

[117]       Cela même à la conclusion générale que la Commission a tirée sur les médecins et les pharmaciens, au paragraphe 100 de la décision :

La preuve ne me permet pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque était distinctive aux yeux des médecins et des pharmaciens au 6 mars 2006. La raison de ma conclusion est que la Requérante n’a pas établi clairement qu’un grand nombre de médecins et de pharmaciens associent la Marque au fait de prescrire et de distribuer les Marchandises. Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est accueilli sur cette base.

5)                  L’exigence de l’utilisation faite par les consommateurs

[118]       La demanderesse se plaint que, par rapport aux trois groupes, la Commission a imposé une exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs » que la jurisprudence ne justifie pas. En d’autres termes, elle fait valoir qu’au lieu de se demander si les patients, les médecins ou les pharmaciens reconnaissent simplement la pilule bleue en forme de losange, d’une manière significative, comme une indication de l’existence d’une source unique, la Commission va plus loin et exige une preuve que les patients, les médecins et les pharmaciens « utilisent » en fait l’apparence de la pilule quand ils font leur choix en matière d’achat, de prescription et de distribution, respectivement. La demanderesse admet que les médecins et les pharmaciens ne se fonderaient jamais sur l’apparence du Viagra lorsqu’ils le prescrivent ou le distribuent, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne reconnaissent pas que la couleur et la forme de la pilule sont un indicateur de sa source.

[119]       Le fondement de l’argument de la demanderesse est le paragraphe 79 de la décision que le juge Evans a rendue dans l’affaire Novopharm, et je le cite ici une fois de plus par souci de commodité :

Quatrièmement, il n’est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d’autres indices d’identification apparaissant sur les bouteilles et l’emballage contenant le produit, ou à l’inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

[120]       J’ai déjà conclu qu’une exigence de « caractéristique principale » ne concorde pas avec les principes de base du caractère distinctif, et qu’elle n’est pas conforme, selon moi, à l’énoncé du droit que fait le juge Evans dans la décision Novopharm. L’exigence de l’« utilisation » est un peu plus problématique car elle a été employée dans un certain nombre d’affaires auxquelles la Cour d’appel fédérale a souscrit. Voir, par exemple, la série de décisions que le juge Rouleau a tranchées en 2000 : décision Novopharm Ltd c Ciba Geigy Canada Ltd, précitée, au paragraphe 16, conf. par l’arrêt Astra CAF, précité; décision Astra, précitée, au paragraphe 13, conf. par l’arrêt Astra CAF, précité; Apotex Inc. c Ciba-Geigy Canada Ltd, précitée, au paragraphe 13, conf. par l’arrêt Astra CAF, précité.

[121]       Pour en citer un exemple, voici l’analyse que fait le juge Rouleau dans la décision Astra :

[13]      Dans la présente affaire, étant donné que la marque de commerce proposée se compose de la couleur et de la forme des marchandises, Astra doit prouver que l’« apparence », du comprimé est reconnue par le public comme une caractéristique distinctive de ses produits. Dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précité, le juge Evans a formulé les remarques suivantes :

Tout d’abord, il y a lieu d’indiquer que, tant au cours de la procédure d’opposition tenue devant le registraire que dans le cadre de la procédure d’appel qui se déroule devant la présente Cour, le fardeau d’établir le caractère distinctif de la marque incombe à la requérante. Ainsi, Bayer doit établir selon la prépondérance de la preuve qu’en 1992, lorsque Novopharm a déposé son opposition à la demande, les consommateurs ordinaires associaient les comprimés de 10 mg à libération progressive ADALAT ronds et rose antique avec Bayer ou avec un seul fournisseur ou fabricant […]

Deuxièmement, pour répondre à cette question, les « consommateurs ordinaires » dont il faut tenir compte sont non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les « consommateurs ultimes », c’est-à-dire les patients pour lesquels les comprimés ADALAT sont prescrits et à qui ils sont fournis, même si ceux-ci ne peuvent se procurer de la nifédipine que sur ordonnance médicale : voir l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Limited, [1992] 3 R.C.S. 120.

Dans l’arrêt Ciba-Geigy, la Cour a statué que les éléments du délit de passing-off (ou commercialisation trompeuse) s’appliquaient aux produits pharmaceutiques comme à tout autre produit. Par conséquent, il convenait d’examiner si l’« apparence » des produits de la demanderesse avait acquis un caractère distinctif susceptible d’amener les patients à identifier cette « apparence » à une seule source, de sorte qu’ils risquent de croire à tort que le produit de quelqu’un d’autre, d’apparence similaire, émane de la même source que ceux de la demanderesse.

[…]

Troisièmement, bien que j’accepte qu’en droit, la couleur, la forme et la taille d’un produit peuvent, ensemble, constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d’être faible : voir la décision Smith Kline & French Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerces (1987),9 F.T.R. 129, à la page 131 (C.F. 1re inst.).

En l’espèce, comme les petits comprimés ronds et roses sont courants sur le marché des produits pharmaceutiques, Bayer doit s’acquitter d’un lourd fardeau pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’en 1992, ces propriétés avaient une notoriété propre, de sorte que les consommateurs ordinaires associaient ces comprimés avec une seule source. Le fait qu’à l’époque du dépôt de l’opposition de Novopharm, ADALAT était le seul comprimé de nifédipine à libération progressive sur le marché n’est pas suffisant en soi pour établir une notoriété propre.

Quatrièmement, il n’est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit avec une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d’autres indices d’identification apparaissant sur les bouteilles et l’emballage contenant le produit, ou à l’inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

[14]      Lorsque j’applique ces principes à la preuve dont je suis actuellement saisi, je ne puis conclure que la couleur et la forme du comprimé d’oméprazole d’Astra sont des caractéristiques distinctives du produit. Il appert clairement de la preuve que, tant à la date de l’opposition qu’avant celle-ci, un certain nombre de capsules à deux tons bien connues étaient vendues et distribuées dans l’industrie pharmaceutique, y compris des capsules de tons rose et brun. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve indiquant selon la probabilité la plus forte qu’un nombre important de consommateurs associent l’apparence de son produit à une seule source. Par conséquent, elle n’a pas réussi à prouver le caractère distinctif que la marque de commerce doit comporter pour être valable.

[Formatage conforme à l’original]

[122]       Ceci étant dit avec égards, je ne relève pas une exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs » dans l’énoncé que fait le juge Evans des principes juridiques applicables, dans la décision Novopharm.

[123]       En confirmant la décision du juge Rouleau, la Cour d’appel fédérale a simplement traité de la manière dont ce dernier avait apprécié les éléments de preuve (arrêt Astra CAF, précité) :

[45]      Le juge de première instance a conclu qu’en se fondant uniquement sur la preuve selon laquelle les produits des appelantes étaient populaires et connaissaient du succès dans le marché pharmaceutique et qu’aucun autre produit n’était interchangeable, le registraire a omis d’appliquer les principes de droit reconnus en matière de caractère distinctif. Il a estimé que les appelantes n’avaient présenté aucune preuve provenant de consommateurs (médecins, pharmaciens ou patients) pour établir que la couleur et la forme des produits des appelantes avaient servi à les distinguer dans n’importe quel marché. Il a conclu que le registraire en était venu à des conclusions abusives lorsqu’il a jugé que les marques de commerce de l’appelante étaient, en fait, distinctives.

[46]      À notre avis, le juge de première instance n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la preuve dont il disposait relativement à la question du caractère distinctif. Son appréciation nous paraît exacte.

[124]       Indépendamment de cette jurisprudence, il est difficile de déterminer si dans le présent contexte la Cour d’appel fédérale a déjà souscrit à une exigence en matière d’« utilisation ». Il vaut la peine de rappeler que la Cour d’appel fédérale a examiné de près le fait que le juge Barnes s’était fondé sur le mot « utiliser », au paragraphe 13 de la décision Apotex. La Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 7, qu’« [i]l faut situer les propos du juge dans leur contexte, soit l’examen du processus au cours duquel un produit est associé à sa provenance » :

Pour qu’un produit soit jugé distinctif, les consommateurs concernés doivent distinguer le produit d’une source des marchandises d’autres personnes, et ce, en raison de la marque de la source. Si l’on tient compte du contexte, il ressort des propos du juge que c’est l’acte consistant à faire un lien entre une marque de commerce et sa source qui établit que le consommateur l’« utilise » comme il se doit. Si l’on substitue le terme « associe » au terme « utilise »,– qui est tout autant compatible avec le raisonnement du juge – l’argument de Glaxo ne tient plus. Il n’est donc pas fondé.

[Non souligné dans l’original.]

[125]       Il y a deux indications que je retire du raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Apotex. En premier lieu, il n’y a aucune exigence en matière d’utilisation faite par les consommateurs, de sorte que les principes de base que le juge Evans a énoncés dans la décision Novopharm s’appliquent toujours. En second lieu, l’emploi du mot « utilisation » dans une décision ne veut pas dire que l’on applique une exigence relative à l’utilisation faite par les consommateurs qui va au-delà du mot « associé ». Il est toujours nécessaire d’examiner le contexte entier d’une décision.

[126]       La demanderesse soutient que l’exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs » découle d’une interprétation erronée dans la jurisprudence (dossier de la demanderesse, à la page 12 882) :

[traduction
86. Origines de l’exigence relative à l’utilisation faite par les consommateurs. Cette exigence découle d’une interprétation et d’une application erronées de la jurisprudence. La notion d’utilisation faite par les consommateurs dans le contexte pharmaceutique tire son origine d’un certain nombre d’affaires que le juge Rouleau a tranchées en 2000. Ce dernier a invoqué un énoncé du juge Evans (nommé plus tard à la Cour d’appel fédérale) dans la décision Novopharm c. Bayer comme fondement de l’exigence selon laquelle les consommateurs doivent « utiliser » la forme et la couleur d’un produit pharmaceutique quand ils font des choix. Cependant, la décision Novopharm c. Bayer ne contient aucun critère de cette nature. En fait, le critère relatif au caractère distinctif que le juge Evans a énoncé est le même que celui qu’on applique systématiquement dans d’autres affaires de marque de commerce, soit le fait de savoir si les consommateurs ordinaires associent la marque à une source unique.

[Renvoi omis.]

[127]       La demanderesse dit de plus que l’exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs » a été rejetée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex CAF, précité, au paragraphe 7. Par contraste, la défenderesse dit que la Cour d’appel fédérale a confirmé dans l’arrêt Apotex que les médecins et les pharmaciens doivent utiliser la marque pour faire une distinction quand ils prennent des décisions en matière de prescription ou de distribution.

[128]       Le juge Rouleau a effectivement dit que la demanderesse était tenue de montrer que « les médecins, les pharmaciens ou les patients sont susceptibles d’employer la marque de commerce projetée en choisissant de prescrire, de préparer ou de demander » le produit (voir la décision Novopharm Ltd c Ciba-Geigy Canada Ltd, précitée) :

[16]      En l’espèce la couleur et la forme des marchandises constituent la marque de commerce projetée, Ciba a le fardeau de prouver que la présentation, c’est-à-dire l’apparence du comprimé, est reconnue par le public comme distinctive de ses marchandises. Par conséquent, il incombe à l’intimée de démontrer que la couleur rose, appliquée à un comprimé rond, distingue son comprimé des autres comprimés roses et ronds vendus au Canada. À cet égard, l’intimée ne peut pas uniquement établir que les Canadiens savent que le produit diclofénac de Ciba est vendu sous la forme d’un comprimé rose ou d’un comprimé rose et rond; elle doit également démontrer que les médecins, les pharmaciens ou les patients sont susceptibles d’employer la marque de commerce projetée en choisissant de prescrire, de préparer ou de demander le produit diclofénac de Ciba. Dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, le juge Evans a dit ce qui suit : […]

[129]       Ces propos font écho à ceux formulés dans l’affaire Ciba-Geigy, précitée. L’arrêt Ciba‑Geigy était une affaire de passing off et la Cour suprême du Canada a conclu qu’« en ce qui concerne la commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance, un demandeur, dans une action en prétendue commercialisation trompeuse d’un médicament délivré sur ordonnance, doit établir que la conduite reprochée risque de semer la confusion dans l’esprit des médecins et des pharmaciens lorsqu’ils doivent choisir de prescrire ou de délivrer soit le produit du demandeur, soit celui du défendeur ». Évidemment, il ne s’agit pas là du critère à appliquer pour établir le caractère distinctif. Comme l’a récemment confirmé la Cour d’appel fédérale : « [p]our qu’un produit soit jugé distinctif, les consommateurs concernés doivent distinguer le produit d’une source des marchandises d’autres personnes, et ce, en raison de la marque de la source » (Apotex CAF, précité, au paragraphe 7).

[130]       Le juge Rouleau, malgré ses propos, qui donnent à penser qu’il a peut-être rehaussé le critère de façon à y inclure une exigence relative à l’« utilisation faite par les consommateurs », a appliqué en fin de compte le même critère que celui qu’on applique dans toutes les affaires portant sur le caractère distinctif d’une marque (Novopharm Ltd c Ciba-Geigy Canada Ltd, précitée) :

[18]      Je suis donc convaincu que l’intimée Ciba n’a pas apporté d’éléments de preuve établissant clairement, selon la probabilité la plus forte, qu’un nombre important de consommateurs associent la présentation de son produit avec une seule source. Par conséquent, il n’a pas réussi à établir le caractère distinctif requis pour une marque de commerce valide.

[131]       Comme le fait remarquer la demanderesse, la Cour d’appel fédérale, en confirmant la décision du juge Rouleau, a simplement dit que celui-ci n’avait pas commis d’erreur en évaluant la preuve et en concluant qu’on n’avait pas établi le caractère distinctif parce qu’il n’y avait aucune preuve émanant d’un consommateur (médecin, pharmacien ou patient) : arrêt Astra CAF, précité, aux paragraphes 45 et 46.

[132]       Dans la décision Apotex, le juge Barnes emploie des propos semblables à ceux du juge Rouleau :

[8]        GSK affirme que, pour établir le caractère distinctif, il suffit que les médecins, les pharmaciens et les patients fassent le lien entre l’apparence de la marque GSK et une origine commerciale unique. Elle dit qu’il n’est pas nécessaire que le lien soit assez solide pour conduire à la décision de délivrer le médicament ou à celle de l’acheter.

[9]        Au soutien de sa position, GSK affirme que le juge Paul Rouleau est allé trop loin dans les décisions qu’il a déjà rendues : Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 224, paragraphe 16, 97 A.C.W.S. (3d) 141 (C.F. 1re inst.), conf. par Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, 2001 CAF 296, [2002] 2 C.F. 148, et Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 187 F.T.R. 119, 6 C.P.R. (4th) 16, paragraphe 13 (C.F. 1re inst.), conf. par Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, 2001 CAF 296, [2002] 2 C.F. 148. Il avait jugé que, pour conclure au caractère distinctif d’une marque, il fallait « démontrer que les médecins, les pharmaciens ou les patients sont susceptibles d’employer la marque de commerce projetée en choisissant de prescrire, de préparer ou de demander le produit [diclofénac de Ciba ou oméprazole d’Astra] ».

[10]      Pour ce qui nous concerne, il suffit de noter que la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, précité, les décisions du juge Rouleau, en faisant explicitement référence à sa manière de considérer la question du caractère distinctif (voir paragraphe 46). Par ailleurs, le lien entre l’habillage d’un produit et le choix du consommateur a été clairement reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., précité, où, au paragraphe 111, elle concluait par l’ordonnance suivante, qui rappelle fortement les mots employés par le juge Rouleau :

NOTRE COUR DÉCLARE qu’en ce qui concerne la commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance, un demandeur, dans une action en prétendue commercialisation trompeuse d’un médicament délivré sur ordonnance, doit établir que la conduite reprochée risque de semer la confusion dans l’esprit des médecins ou des pharmaciens, ou dans celui des patients clients, lorsqu’ils doivent choisir de prescrire, de délivrer ou de demander soit le produit du demandeur, soit celui du défendeur.

Il s’agissait là d’un cas de commercialisation trompeuse, mais je ne crois pas que la question de savoir si l’habillage d’un produit a acquis une notoriété propre différerait le moindrement de la question de savoir si une marque fondée sur l’apparence du produit était distinctive.

[11]      Dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, la Cour suprême du Canada a reconnu à nouveau qu’une marque est un symbole du rapport entre la source d’un produite et le produit lui-même, « afin qu’idéalement les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance » (paragraphe 39).

[12]      J’ajouterais à cela que l’article 2 de la Loi définit une marque de commerce comme une marque employée par une personne pour distinguer des marchandises. Il faut voir dans les mots de cette définition davantage qu’une observation passive ou irrésolue de la provenance possible des marchandises.

[13]      À mon avis, il ne suffit pas de montrer que l’apparence d’un produit peut constituer une vérification secondaire de l’identité du produit ou qu’elle peut amener une personne à se demander si le produit attendu a été correctement délivré. Ce qu’il faut, c’est que les médecins, les pharmaciens et les patients rattachent la marque à une source unique et par là utilisent la marque pour manifester leurs décisions de prescrire, de délivrer ou d’acheter tel produit plutôt qu’un autre. Pour constituer le caractère distinctif, il ne suffit pas d’un jugement approximatif sur la provenance, ni d’ailleurs d’une conception qui est simplement sans équivalent sur le marché et est reconnue comme tel : voir la décision Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy’s Ltée (1985), [1986] 1 C.F. 357, pages 370 et 371, 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.). Le fait qu’un médecin ou un pharmacien puisse spontanément tenir pour acquise la provenance d’un inhalateur discoïdal de couleur violette à l’occasion d’un dialogue thérapeutique avec un patient ne suffit pas non plus à établir le caractère distinctif.

[Souligné dans l’original.]

[133]       Même si certains de ces extraits donnent à penser que le juge Barnes peut avoir exigé un élément lié à l’« utilisation faite par les consommateurs », il a, en définitive, appliqué le critère de distinctivité habituel :

[35]      Je suis arrivé à la conclusion, selon la prépondérance de la preuve, que, bien que quelques patients fassent parfois un rapprochement entre l’apparence de la marque GSK et une provenance unique, la preuve ne suffit pas à appuyer la prétention de GSK selon laquelle c’est un rapprochement que ferait la majorité des patients. S’agissant des médecins et pharmaciens, je ne crois pas qu’ils feraient un tel rapprochement dans l’exercice de leur profession.

[134]       La Cour d’appel fédérale a traité expressément de l’emploi du verbe « utiliser » que fait le juge Barnes :

[7]        Selon Glaxo, le juge n’applique pas correctement le critère de la distinctivité lorsqu’il considère la façon dont les consommateurs « utilisent » la marque GSK. Le juge n’énonce ni n’applique un nouveau critère. La thèse contraire avancée par Glaxo se fonde sur une mauvaise interprétation du sens que le juge donne au terme « utiliser ». Il faut situer les propos du juge dans leur contexte, soit l’examen du processus au cours duquel un produit est associé à sa provenance. Pour qu’un produit soit jugé distinctif, les consommateurs concernés doivent distinguer le produit d’une source des marchandises d’autres personnes, et ce, en raison de la marque de la source. Si l’on tient compte du contexte, il ressort des propos du juge que c’est l’acte consistant à faire un lien entre une marque de commerce et sa source qui établit que le consommateur l’« utilise » comme il se doit. Si l’on substitue le terme « associe » au terme « utilise »,– qui est tout autant compatible avec le raisonnement du juge – l’argument de Glaxo ne tient plus. Il n’est donc pas fondé.

[Non souligné dans l’original.]

[135]       Selon moi, la Cour d’appel fédérale a déjà rejeté l’exigence de l’« utilisation faite par les consommateurs » et a clairement indiqué qu’il suffit que ces derniers associent le produit à sa source. Vu la nature des produits pharmaceutiques, il se trouve que les médecins n’auront l’occasion d’associer le comprimé à sa source que lorsqu’ils le prescriront (peut-être au moment de décrire le comprimé aux patients ou de leur remettre des échantillons ou des documents éducatifs), que les pharmaciens n’auront l’occasion d’associer le comprimé à sa source qu’au moment de le distribuer, et que les patients n’auront l’occasion d’associer le comprimé à sa source qu’au moment d’en faire la demande ou de l’acheter. Les consommateurs n’ont pas d’autres occasions d’interagir avec les produits pharmaceutiques. Pour ceux qui ont d’autres occasions d’interagir avec des produits pharmaceutiques, par exemple, les médecins qui prennent part à la préparation de produits de marque, leur témoignage aura moins d’importance sur le plan probatoire parce que, du fait de leur participation, ils ne sont pas représentatifs des consommateurs en général.

[136]       Quand je lis le mot « utiliser » dans le contexte de la décision de la Commission qui m’est soumise, je ne suis pas convaincu que celle-ci a appliqué une exigence liée à l’utilisation faite par les consommateurs. Je ne crois pas que la commissaire exigeait davantage qu’une association entre la marque et la source. Cela ne me fait pas changer d’avis sur l’introduction irrégulière de l’exigence des « caractéristiques principales » là où la Commission traite des éléments de preuve concernant les pharmaciens.

B.                 Le rôle de la Cour en appel

[137]       Le rôle que joue la Cour dans un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi est quelque peu incongru. Dans l’arrêt Brasseries Molson, précité, la Cour d’appel fédérale a donné les indications générales qui suivent :

[46]      Du fait qu’il offre l’opportunité de produire une nouvelle preuve, l’appel prévu à l’article 56 n’est pas une disposition d’appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l’objet de l’appel. Un appel régulier n’est pas interdit si aucune preuve additionnelle n’est produite, mais il n’y a aucune obligation de procéder ainsi. L’appel prévu n’est pas non plus un « procès de novo » au sens strict du terme. Ce terme renvoie habituellement à un procès qui requiert la création d’un tout nouveau dossier, comme s’il n’y avait pas eu de procès en première instance. Ainsi, dans un procès de novo, la cause doit être jugée uniquement sur la base du nouveau dossier et sans égard à la preuve présentée dans les procédures antérieures.

[47]      Lors de l’appel sous le régime de l’article 56, le dossier constitué devant le registraire forme la base de la preuve devant le juge de la Section de première instance qui est saisi de l’appel; les parties peuvent ajouter à cette preuve. Bien que le terme procès de novo soit devenu d’utilisation courante pour décrire l’appel de l’article 56, il n’est pas tout à fait approprié pour décrire la nature de cet appel. Le fait que l’appel de l’article 56 n’est pas un procès de novo au sens strict a déjà été signalé par le juge McNair dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (no 1).

[48]      Un appel sous le régime l’article 56 implique, du moins en partie, une révision des conclusions du registraire. Du fait que les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues, ses décisions méritent une certaine déférence. Dans l’affaire Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, le juge Ritchie a déclaré ceci à la page 200 :

[traduction] À mon avis la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion doit être considérée comme étant d’un grand poids et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais comme l’a déclaré le juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited c. The Registrar of Trade Marks et al :

[…] le fait de se fonder sur la décision du registraire portant que deux marques se ressemblent au point de créer de la confusion ne doit pas aller jusqu’à décharger le juge qui entend l’appel de cette décision de l’obligation de trancher la question en tenant compte des circonstances de l’espèce.

[49]      Dans l’affaire McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd., le juge Strayer (alors juge puiné), commentant cette citation du juge Ritchie, a expliqué que, bien que la Cour doive demeurer libre de revoir la décision du registraire, cette décision ne doit pas être rejetée à la légère.

Il semble clair qu’en matière d’oppositions, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s’il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d’examiner les faits afin d’établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles : voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1 à la p. 8, 1 D.L.R. (3e) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu’à diverses reprises, la Cour d’appel fédérale ait jugé qu’en appel, la Cour avait l’obligation d’établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s’il avait simplement « eu tort », il semble que le juge saisi d’un appel semblable à l’espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l’exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l’expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui.

[50]      La décision McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd., rendue en 1989, est bien antérieure à la jurisprudence récente de la Cour suprême établissant le continuum moderne des critères de contrôle, à savoir la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable; voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. Du fait que le juge Strayer était disposé à faire preuve d’une certaine déférence à l’égard du registraire, je ne considère pas que l’utilisation qu’il fait du terme "correct" reflète la norme de contrôle sans retenue et rigoureuse qui est de nos jours associée aux termes "correct" ou "décision correcte".

[51]      Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[Renvois omis.]

[138]       Dans l’arrêt Mattel, précité, la Cour suprême du Canada a donné d’autres indications, au paragraphe 40 :

Compte tenu, en particulier, de l’expertise de la Commission et du rôle d’« appréciation » que lui impose l’art. 6 de la Loi, je suis d’avis que, malgré l’octroi d’un droit d’appel absolu, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission ne commande pas la grande retenue dont il faut faire preuve, par exemple, à l’égard de l’exercice ministériel d’un pouvoir discrétionnaire, auquel s’applique habituellement la norme du caractère manifestement déraisonnable (p. ex. S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, par. 157), mais la Commission n’est pas tenue non plus de satisfaire à la norme de la décision correcte, comme si elle tranchait une question de droit de portée générale qui peut être isolée (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 26). Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans Ryan, par. 46, la norme intermédiaire (celle du caractère raisonnable) signifie qu’« [u]ne cour sera souvent obligée d’accepter qu’une décision est raisonnable même s’il est peu probable qu’elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal. » La question est de savoir si la décision de la Commission est étayée par des motifs qui peuvent résister « à un examen assez poussé » et si elle n’est pas « manifestement erronée » : Southam, par. 56 et 60.

[139]       Ainsi que l’a fait remarquer le juge O’Keefe, au paragraphe 49 de la décision Papiers Scott, précitée, après avoir cité et suivi l’arrêt Brasseries Molson, précité :

[49]      À mon avis, il n’est pas indispensable à ce stade de supposer que la preuve nouvelle aurait conduit l’agente d’audience à changer d’avis. Il suffit qu’elle ait pu influer sur sa décision. Je souscris aux propos de Madame la juge Layden-Stevenson, dans la décision Vivat Holdings Ltd., précitée, pour qui une preuve qui simplement complète ou répète la preuve existante ne dépassera pas le seuil requis

[140]       Je souscris à l’analyse générale concernant la norme de contrôle applicable que la demanderesse a fournie, de même qu’à la jurisprudence invoquée (dossier de la demanderesse, aux pages 12 867 et 12 868) :

[traduction
38        Norme de contrôle. Le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que, en appel, « il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi ».

Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, c. T‑13, par. 56(5), recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet A1

39.       La norme de contrôle doit être déterminée point par point. Lorsque le dossier est complété par des éléments de preuve supplémentaires, la norme de contrôle à appliquer dépend de l’importance des nouveaux éléments. S’ils ne font que répéter ceux qui ont été produits devant le registraire, la déférence s’impose et la norme appropriée est la raisonnabilité (cela veut dire que si le résultat obtenu à l’instance inférieure appartient à une gamme d’issues possibles ou n’est pas « manifestement erroné », il y a lieu de faire preuve de déférence). Cependant, si les éléments de preuve auraient eu une incidence marquée sur la conclusion de fait que le registraire a tirée ou sur le pouvoir discrétionnaire qu’il a exercé, la Cour se doit de tirer ses propres conclusions à propos de la justesse de la décision.

Brasseries Molson, Société en nom collectif c. John Labatt Ltée. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 [Brasseries Molson] aux par. 11 et 24 à 29 (C.A.F..), recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B5

Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22 [Mattel] aux par. 40 et 41, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B6

JTI Macdonald TM Corp. c. Imperial Tobacco Products, Ltd., 2013 CF 608 [JTI] au par. 18, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B7

Rothmans, Benson & Hedges, Inc. c. Imperial Tobacco Products, Ltd., 2014 CF 300 [RBH] aux par. 33, 34 et 85, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B8

London Drugs Limited c. International Clothiers Inc., 2014 CF 223 aux par. 33, 34 et 41, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B9

P & G c. Colgate, précité aux par. 22 et23, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B2

40.       Importance des nouveaux éléments de preuve. La Cour doit évaluer si les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence marquée sur la décision. Pour avoir un tel effet, les nouveaux éléments de preuve doivent être importants et significatifs, et le critère est de nature qualitative, et non quantitative. Si les éléments de preuve supplémentaires n’ajoutent aucune importance probante, ne font que répéter les éléments de preuve existants, sont peu pertinents, formulent des hypothèses qui ne s’appuient sur rien de précis ou ont été produits uniquement pour « soutenir la décision du registraire », c’est dans un tel cas une norme de contrôle faisant appel à un plus grand degré de retenue qui s’applique.

JTI, précité, aux par. 33 et 34, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B7

Papiers Scott Ltée c. Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 FC 478, aux par. 41 à 49, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B10

Vivat Holdings Ltd., c. Levi Strauss & Co., 2005 CF707, au par. 27, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B11

41.       Si le registraire a fait état d’une absence d’informations ou d’une lacune, de nouveaux éléments de preuve qui y répondent peuvent être pris en compte (ce qui peut mener, le cas échéant, à un examen empreint de moins de déférence à propos de la justesse de la décision).

Movenpick Holding AG c. Exxon Mobil Corp., 2011 CF 1397, au par. 54, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B12

Advance Magazine Publishers Inc. c. Farleyco Marketing Inc., 2009 CF 53, aux par. 93 à 95 et 98, recueil de jurisprudence et de doctrine, onglet B13

[141]       Je ne crois pas que cette approche ait changé à la suite de récentes directives de la Cour suprême du Canada et d’autres tribunaux d’appel au sujet des questions générales de norme de contrôle, sauf à un égard.

[142]       La demanderesse invoque la décision Ingénieurs Canada, précitée, pour faire valoir qu’il y a lieu de contrôler les conclusions de droit de la Commission selon la norme de la décision correcte. Dans cette décision, je me suis fondé sur l’arrêt Rogers Communications Inc. c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35 [Rogers] pour réfuter la présomption selon laquelle l’interprétation que fait un tribunal administratif de sa loi habilitante est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. J’ai conclu que les mêmes incongruités qui s’étaient produites sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur dans l’affaire Rogers survenaient sous le régime de l’article 56 de la loi :

[24]      L’arrêt Rogers, précité, portait sur une décision de la Commission du droit d’auteur. Dans cet arrêt, la Cour suprême a indiqué que lorsqu’elle administre des redevances sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, la Commission du droit d’auteur interprète et applique sa loi constitutive, de sorte qu’on devrait normalement faire preuve de déférence à l’égard de ses décisions, conformément à l’approche en matière de normes de contrôle adoptée depuis l’arrêt Dunsmuir. Toutefois, étant donné la structure de la Loi sur le droit d’auteur, les tribunaux sont aussi appelés à examiner des interprétations faites en première instance de certaines des mêmes dispositions de cette loi où le litige n’est pas le règlement ou l’administration de redevances, mais plutôt la violation du droit d’auteur.

[25]      La Cour suprême a jugé que des incongruités pouvaient se produire si la norme de la décision raisonnable était appliquée à des questions juridiques lors du contrôle des décisions de la Commission du droit d’auteur. Non seulement la cour saisie de la demande de contrôle judiciaire serait tenue de faire preuve de déférence envers les interprétations juridiques faites par la Commission du droit d’auteur, interprétations qui pourraient différer de sa propre jurisprudence concernant la violation, mais les cours d’appel seraient elles aussi placées dans une position difficile. Pour dire les choses concrètement, la Cour d’appel fédérale contrôlerait les interprétations juridiques de notre Cour concernant les questions de violation selon la norme de la décision correcte, sans déférence aucune envers l’interprétation que fait notre Cour de la Loi sur le droit d’auteur. Toutefois, si un jugement de notre Cour contrôlant une décision de la Commission du droit d’auteur était porté en appel, la Cour d’appel fédérale serait tenue de faire preuve de déférence envers l’interprétation juridique que fait la Commission de la Loi sur le droit d’auteur. La Cour suprême s’est dite d’avis que ce résultat incongru aurait pour effet d’écarter la présomption selon laquelle les interprétations que fait la Commission du droit d’auteur de sa loi constitutive sont assujetties à la norme de la raisonnabilité :

[14]      Il serait illogique de contrôler la décision de la Commission sur un point de droit selon une norme déférente, mais d’examiner de novo la décision d’une cour de justice rendue en première instance sur le même point de droit dans le cadre d’une action pour violation du droit d’auteur. Il serait tout aussi incohérent que, saisie d’un appel visant un contrôle judiciaire, la cour d’appel fasse preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur un point de droit, mais applique la norme de la décision correcte à la décision d’une cour de justice en première instance sur le même point de droit.

[15]      Étant donné le caractère particulier du régime législatif en vertu duquel la Commission et une cour de justice peuvent être respectivement appelées à statuer en première instance sur un même point de droit, il faut inférer que le législateur n’a pas voulu reconnaître à la Commission une expertise supérieure à celle de la cour de justice en la matière. Cette compétence concurrente conférée à la Commission et à la cour de justice pour interpréter en première instance la Loi sur le droit d’auteur a pour effet d’écarter la présomption selon laquelle la décision de la Commission sur un point de droit rendue sous le régime de sa loi constitutive est assujettie à la norme de la raisonnabilité. Cette conclusion est conforme à l’arrêt Dunsmuir dans lequel notre Cour dit que l’existence d’« [u]n régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale » constitue un « élément [qui permet] de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité » (au paragraphe 55). Étant donné la compétence qu’elle partage avec la cour de justice en première instance, on ne peut dire de la Commission qu’elle exerce ses fonctions dans le cadre d’un tel « régime administratif distinct ». Je ne peux donc pas convenir avec la juge Abella que le fait que la cour de justice exerce couramment les mêmes activités d’interprétation que l’organisme administratif en première instance « n’enlève pas à la Commission sa connaissance approfondie de la Loi sur le droit d’auteur ni son expertise dans l’application de celle‑ci » (au paragraphe 11). Dès lors, il faut supposer que la cour de justice et l’organisme administratif ont, à l’égard du texte législatif, une même connaissance approfondie et une même expertise. Je suis donc d’avis que, dans l’arrêt SOCAN c. ACFI, le juge Binnie statue de manière satisfaisante que la norme de la décision correcte est celle qui convient au contrôle judiciaire de la décision de la Commission sur un point de droit (Dunsmuir, au paragraphe 62).

[26]      Selon le demandeur, il existe une situation semblable de [traduction] « compétence concurrente » ou [traduction] « partagée » pour l’interprétation des dispositions législatives prévues à la Loi sur les marques de commerce et, par conséquent, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer lors du contrôle des interprétations juridiques de cette loi faites par la COMC. Dans l’arrêt Rogers, après avoir fait observer qu’il « semble n’y avoir de compétence concurrente en première instance que sous le régime des lois sur la propriété intellectuelle, le législateur ayant conservé la compétence de la cour de justice malgré celle accordée au tribunal administratif », le juge Rothstein a refusé de se prononcer sur la norme de contrôle à laquelle il conviendrait d’assujettir les décisions rendues en application d’autres lois sur la propriété intellectuelle, laissant de côté cette question, « car ce n’est pas l’objet du présent pourvoi » (arrêt Rogers, précité, au paragraphe 19).

[27]      Dans mes motifs, j’explique pourquoi j’estime que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer en l’espèce, mais il n’était pas absolument nécessaire que je le fasse pour rendre ma décision. Je suis en effet d’accord avec le demandeur pour dire que si la Commission a omis un élément obligatoire du critère juridique visé à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, cette erreur rendrait la décision déraisonnable à moins qu’elle n’ait été sans importance, en ce sens que l’issue n’aurait pu être différente si l’élément omis du critère avait été considéré.

[…]

[58]      Je suis d’avis que l’omission par la Commission d’appliquer correctement l’alinéa 12(1)b) devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Certes, la Cour suprême du Canada n’a pas voulu se prononcer dans l’arrêt Rogers, précité, au paragraphe 19, sur « la norme de contrôle à laquelle il convient d’assujettir la décision d’un tribunal administratif rendue en application d’autres lois sur la propriété intellectuelle », mais je ne vois pas pourquoi le raisonnement de la Cour suprême dans Rogers ne s’appliquerait pas au cas présent, où une décision de la Commission a été portée en appel. Toutefois, dans l’éventualité où j’aurais tort à cet égard, j’ajoute que je suis tout autant convaincu que cette décision devrait également être annulée si elle était contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

[143]       La Cour doit maintenant décider si l’on peut dire que la décision Ingénieurs Canada a déterminé de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable ou s’il est nécessaire de prendre en compte les quatre facteurs qui s’y rattachent.

[144]       À mon avis, la décision Ingénieurs Canada n’a pas déterminé de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable. Selon les directives de la Cour d’appel fédérale, il ne suffit pas de faire une analogie directe avec l’arrêt Rogers, et la Cour doit également prendre en compte les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir pour déterminer si la présomption de raisonnabilité a été réfutée dans ce contexte (Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187 [Atkinson]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85 [Kandola]; Canada (Procureur général) c Johnstone, 2014 CAF 110 [Johnstone]).

[145]       Par exemple, dans l’arrêt Atkinson, précité, la Cour d’appel fédérale procédait au contrôle d’une décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. La décision dont la Cour était saisie était du genre de celle que l’on aurait portée en appel devant la Commission d’appel des pensions dans le cadre du régime législatif précédent. La Cour a déclaré que la jurisprudence concernant les décisions de la Commission d’appel des pensions était établie mais que, comme il s’agissait d’une décision d’un tribunal administratif différent, la jurisprudence n’établissait pas de manière appropriée la norme qui s’y appliquait. Il était donc nécessaire de prendre en compte les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir.

[146]       Ces indications signifient, selon moi, que l’on ne peut pas appliquer l’arrêt Rogers directement, par analogie, car les décisions émanent de tribunaux administratifs différents et ont été rendues sous le régime de lois différentes. Il faut donc prendre en compte les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir.

[147]       L’analyse commence par la présomption suivante : l’interprétation que fait la Commission de la Loi sera contrôlée selon la norme de la raisonnabilité parce qu’il s’agit de sa loi habilitante; voir les arrêts Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 34 et 39; McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, aux paragraphes 21 et 22; Kandola, précité, au paragraphe 35; Atkinson, précité, au paragraphe 25; Johnstone, précité, aux paragraphes 40 et 41. Ensuite, on examine les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir pour déterminer si la présomption est réfutée. Ces facteurs exigent que l’on vérifie l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, la raison d’être du tribunal administratif au regard de sa loi habilitante, l’expertise du tribunal administratif, de même que la nature de la question en cause (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 61).

[148]       Le juge Gleason a récemment traité de la nature interdépendante des facteurs, dans la décision Pfizer Canada Inc. c Canada (Procureur général), 2014 CF 1243 :

[110]    Le premier facteur qui, d’après la jurisprudence, se révèle pertinent pour l’analyse contextuelle est la présence ou l’absence d’une clause privative. […] Même si la présence d’une telle clause est peut-être bien un signe de l’intention du législateur qu’il convient de faire preuve de déférence ou de retenue envers un décideur administratif, l’absence d’une telle clause est nettement moins pertinente car, dans bien des affaires, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique en l’absence d’une clause privative (voir, par exemple, Khosa, aux paragraphes 25 et 26, Mowat, au paragraphe 17, et les décisions autres qu’en matière de travail de la Cour suprême qui datent d’après l’arrêt Dunsmuir et où l’on applique la norme de la raisonnabilité, et dans un grand nombre desquelles les lois pertinentes étaient dénuées de clauses privatives).

[111]    Les trois autres facteurs contextuels relevés dans la jurisprudence sont la raison d’être du tribunal administratif, la nature de la question en cause et l’expertise du tribunal administratif. Ces facteurs sont interreliés et visent à déterminer si la nature de la question prise en considération est telle que le législateur entendait que ce soit le décideur administratif qui y réponde plutôt que la Cour. Parmi les indices d’une telle intention figurent le rôle attribué par la loi au décideur administratif ainsi que la relation entre la question tranchée et l’expertise institutionnelle du décideur, par rapport à l’expertise institutionnelle d’un tribunal judiciaire.

[149]       L’examen des facteurs m’amène à conclure que la présomption a été réfutée. La Loi prévoit explicitement la tenue d’un appel devant la Cour fédérale dans le cadre duquel de nouveaux éléments de preuve peuvent être entendus et la Cour est autorisée à exercer les pouvoirs discrétionnaires qui sont conférés au registraire. À mon avis, ces dispositions réfutent toute présomption selon laquelle le législateur s’attendait à ce que la Commission ait plus d’expertise que la Cour fédérale en matière de marques de commerce. De plus, la nature de la question en cause est l’interprétation du « caractère distinctif » de la marque. La Commission a interprété ce facteur en se reportant à la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. La Commission n’a pas plus d’expertise que la Cour fédérale pour ce qui est d’interpréter la jurisprudence. Les conclusions en matière de droit de la Commission seront donc contrôlées selon la norme de la décision correcte.

C.                 La décision dans le dossier soumis à la Commission

1)                  Les patients

[150]       Comme la Commission le fait remarquer dans sa décision, il n’y a eu aucune preuve de la part d’une personne qui représentait censément un patient général intéressé à prendre du Viagra. Cela veut dire que la Commission s’est entièrement appuyée sur une combinaison de preuves : les nombreuses annonces publicitaires ainsi que des preuves anecdotiques de la part de médecins et de pharmaciens sur leurs interactions avec des patients.

[151]       Il est possible de résumer comme suit les conclusions que la Commission a tirées au sujet de ces éléments de preuve :

a)      le poids accordé aux éléments de preuve de la défenderesse qui émanaient de médecins et de pharmaciens (la Dre Perlin, Mme Conroy et Mme Furdas) était moindre parce que « cette preuve concerne les médicaments en général et aucune preuve n’indique que les médicaments reçoivent en général la publicité ou ont la popularité que le VIAGRA a »;

b)      le témoignage de M. Charbonneau, témoin de la demanderesse, a montré que des patients avaient été exposés aux promotions faites par elle en faveur du Viagra entre le lancement de ce produit et la date pertinente, en 2006. Cela voulait dire que « [l]a preuve de M. Charbonneau, en combinaison avec les ventes considérables de VIAGRA, indique que les patients ont été grandement exposés à la Marque ou aux représentations de la Marque »;

c)      le lien entre l’abondante publicité et les patients est le suivant :

                                                              i.      « il semble qu’il a été fait référence au VIAGRA ou que le VIAGRA a été compris comme une petite pilule bleue par au moins certains patients, suggérant ainsi que la Marque a une réputation au moins auprès de certains consommateurs »;

                                                            ii.      interrogée sur le lien que feraient les consommateurs prenant du Viagra, la Dre Perlin a déclaré : « [j]e crois qu’ils associent la pilule avec “Super, c’est du Viagra et je vais prendre ce comprimé et grâce à lui, j’aurai une érection et j’aurai du bon sexe” ».

D’où la conclusion de la Commission :

« Je constate que la preuve de la Dre Perlin sur ce point démontre que les patients associent la Marque et les Marchandises, car la Dre Perlin déclare qu’ils les associent à la marque VIAGRA contrairement au fait de déclarer que les patients les associent également aux médicaments contre la dysfonction érectile en général ».

[152]       Je note plusieurs problèmes immédiats dans ce raisonnement :

a)      le terme « petite pilule bleue » ne décrit pas la marque proposée. Cette dernière est une combinaison de couleur (bleue) et de forme (losange). La petite taille du produit n’est pas revendiquée comme une caractéristique de la marque. Si les patients associent la petite taille et la couleur bleue au Viagra, cela ne veut pas dire qu’ils associent la marque proposée à une source unique. Et s’ils associent n’importe quelle petite pilule bleue au Viagra, il y a dans ce cas une certaine confusion dans leur esprit;

b)      l’importance accordée à l’extrait fictif de la Dre Perlin est injustifié. Elle dit que les patients font le lien entre l’apparence et le « Viagra » mais elle ajoute que ce lien signifie une association avec du « bon sexe » et non avec la source;

c)      aucun examen n’est fait de la question fondamentale qu’a posée la juge Dawson dans la décision Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, précitée, et à laquelle le juge Barnes a fait référence dans la décision Apotex, précitée : « [q]ue signifie pour un pharmacien une pilule rouge-brun? ». Dans le présent contexte, la question est la suivante : « que signifie pour un patient une pilule bleue, en forme de losange? ». Selon le témoignage de la Dre Perlin, sur laquelle la demanderesse s’appuie fortement, cela signifie le Viagra et cela signifie du bon sexe. Le lien avec la source n’est pas fait;

d)     la Commission omet également de traiter du problème essentiel qu’a relevé le juge Barnes au paragraphe 22 de la décision Apotex, où il a dit, à propos des éléments de preuve qui lui avaient été soumis : « [l]a principale difficulté que pose la majeure partie de la preuve de GSK portant sur le supposé caractère distinctif de la marque GSK est que l’inhalateur n’est jamais commercialisé sans une étiquette, de telle sorte que les témoins s’exprimaient sur une situation hypothétique qui ne s’est presque jamais présentée ». Dans le cas présent, la preuve indirecte et anecdotique sur ce que pensent peut-être des témoins ne traite aucunement de cette question. Il n’y a aucune preuve qu’un patient quelconque a déjà vu une pilule bleue en forme de losange sans son empaquetage et/ou sans inscriptions sur la pilule. Le Viagra n’est jamais présenté sans ses inscriptions sur la pilule elle-même, y compris le mot « Pfizer ». Si des patients parlent d’une « petite pilule bleue », ils doivent parler de pilules qu’ils ont vues eux-mêmes ou que l’on voit dans des annonces. Toute mention d’une « petite pilule bleue » ou d’une « pilule en forme de losange » n’amène pas à faire une association entre une hypothétique pilule sans inscriptions et non identifiée et une source unique. Elle mène à une association au Viagra, dans laquelle il est fait largement référence à la source par des marques verbales et des noms commerciaux qui n’ont rien à voir avec l’apparence. Comme le fait remarquer le juge Barnes dans la décision Apotex, précitée, au paragraphe 20 :

[20]           Je fais mien le point soulevé par le juge John Evans dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, au paragraphe 79, lorsqu’il écrivait qu’il n’est pas fatal à un enregistrement de marque de commerce que les consommateurs puissent avoir recours à d’autres moyens que la marque pour rattacher le produit à une source unique. Néanmoins, le juge Evans atténuait son propos en disant qu’il fallait quand même qu’il existe une preuve suffisante de l’aptitude de la marque à être ainsi reconnue par elle-même. Autrement dit, une marque fondée sur l’habillage ne saurait acquérir son caractère distinctif du seul fait qu’elle est employée en association avec une marque verbale distinctive.

e)      la Commission omet d’examiner en quoi les preuves produites montrent « d’une manière significative » que les patients reconnaissent le produit par son apparence (exclusion faite des inscriptions sur le comprimé) et qu’ils associent cette apparence à une source unique. La Commission semble satisfaite du fait que la marque est reconnue « par au moins certains patients » ou « au moins auprès de certains consommateurs »;

f)       la Commission omet également d’examiner comment il se peut que des médecins et des pharmaciens fournissent des informations ressemblant à une preuve fiable sur ce que des patients disaient ou pensaient, ou ce à quoi ils faisaient référence, en 2006. Aucun dossier de patient n’a été produit, et les témoins n’en ont pas consulté ou n’ont fait référence à aucun.

[153]       De ce fait, la conclusion que je tire, en me fondant sur les motifs, est que la Commission a soit commis une erreur de droit (en omettant d’examiner si des patients avaient associé « d’une manière significative » l’apparence à une source en 2006), soit décidé de manière raisonnable, pour les motifs susmentionnés, qu’il existait un caractère distinctif parmi les patients. L’examen que j’ai fait moi-même des éléments de preuve soumis à la Commission ne vient pas à bout des difficultés que j’ai mentionnées plus tôt ou n’établit pas d’une manière significative l’association qui est nécessaire entre l’apparence et la source.

[154]       Par exemple, la pharmacienne Marie Berry dit que ses patients ont vu la marque décrite dans des annonces publicitaires :

[traduction
19.       Beaucoup de mes clients ont indiqué avoir vu des annonces ou des articles sur le VIAGRA dans lesquels on montrait le comprimé. Comme il a été mentionné plus tôt, je suis au courant de publicités que Pfizer a faites sur le VIAGRA et qui montrent les comprimés bleus en forme de losange. Ce fait associe davantage les comprimés bleus en forme de losange à la source du produit.

[155]       Le Dr Weiss dit que ses patients reconnaissent et connaissent bien le Viagra en raison de leur exposition aux médias :

[traduction
19.       Mes patients reconnaissent et connaissent bien le Viagra. C’est principalement par les médias qu’ils en ont pris connaissance et, deuxièmement, lors de conversations avec des amis. Quand ils me consultent pour un problème de dysfonction érectile, ils ont déjà beaucoup entendu parler du VIAGRA et ils ont vu des images du comprimé bleu en forme de losange. Mes patients ont donc en tête une image d’une petite pilule bleue et ils veulent spécifiquement du VIAGRA. La connaissance qu’ont mes patients de l’apparence du VIAGRA s’est intensifiée au fil du temps.

[156]       Mon examen de la preuve fondée sur les « médias » et les « annonces publicitaires » m’amène à conclure que la reconnaissance et la connaissance qu’ont du Viagra les patients du Dr Weiss et de Mme Berry grâce aux médias et à la publicité comprennent les inscriptions figurant sur les comprimés. La grande majorité des annonces et des brochures d’information jointes en tant que pièces à l’affidavit de M. Charbonneau présentent le produit avec l’inscription « Pfizer ». À l’occasion, une publicité ou une brochure montre le produit avec l’inscription « VIAGRA ». Le reste des documents n’est pas assez clair pour que je puisse distinguer s’il y a des inscriptions sur le produit. Cette preuve m’amène à conclure que quand des médecins et des pharmaciens disent que leurs patients connaissent l’apparence du Viagra grâce à la publicité, ils font référence à des annonces dans lesquelles le produit apparaît toujours avec des inscriptions.

[157]       En contre-interrogatoire, on a demandé au Dr Weiss ce qu’il savait sur les images que ses patients avaient en tête :

[traduction

Q234 : Vous savez généralement ce que pensent vos patients, n’est-ce pas?

R :       Selon le contexte, il y a des fois où je comprends la référence qu’ils font. Mais je ne peux pas dire que je sais en tout temps ce qu’ils pensent.

Q235 : Au paragraphe 19 de votre affidavit, à l’avant-dernière phrase, vous dites :

« Mes patients ont en tête une image d’une petite pilule bleue. »

R :       Comme je l’ai dit, selon le contexte, je peux deviner ce qu’ils disent. Dans le contexte d’une discussion sur des questions de nature sexuelle, je maintiendrais ce que j’ai dit. Vous savez, si…

[…]

Q238 : Vous comprendriez qu’ils ont en tête une image d’une petite pilule bleue?

R :       Je comprendrais ce qu’ils veulent dire par une petite pilule bleue.

[158]       Si l’on fait abstraction du fait que le Dr Weiss a admis ne pas être représentatif des médecins en général parce qu’il avait travaillé à la mise au point de divers documents de présentation de Pfizer, parce qu’il avait siégé à un comité de Pfizer et parce qu’il s’était particulièrement spécialisé en vasectomies, il s’agit là d’un seul exemple des déclarations vagues et non attribuées que l’on a soumises à la Commission et qui visent à décrire les perceptions qu’avaient des patients au sujet de la marque en 2006.

[159]       Il me reste donc à passer en revue et à examiner les preuves additionnelles sur les patients qui m’ont été soumises dans le cadre du présent appel afin de déterminer si ces preuves auraient pu avoir une incidence marquée sur les conclusions de fait ou sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission, et à arriver ensuite à mes propres conclusions sur la justesse de la décision. Voir la décision Brasseries Molson, précitée. Il faut garder à l’esprit que mes conclusions dépendent des preuves que la demanderesse en particulier a décidé de soumettre à la Cour. Je ne dis pas que la marque dont il est question en l’espèce ne pourrait jamais être distinctive sur le fondement d’une preuve quelconque. La même mise en garde s’applique à mon analyse de la preuve émanant de pharmaciens et de médecins.

[160]       En général, ma conclusion est semblable à celle qu’a tirée le juge Barnes dans la décision Apotex, précitée, au paragraphe 29, à savoir que la preuve anecdotique qui a été produite en l’espèce donne à penser que les patients atteints de dysfonction érectile en général n’attribuent pas beaucoup d’importance à l’apparence du comprimé de Viagra, et que ce qui les préoccupe c’est la fonctionnalité, la posologie et l’efficacité.

[161]       Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse comportent, une fois de plus, des preuves anecdotiques non documentées de la part de patients qui appellent le Viagra la [traduction] « petite pilule bleue » ou le [traduction] « comprimé bleu en forme de losange ». Voir, par exemple, les passages suivants, extraits du témoignage du Dr Carrier :

[traduction
23.       Selon mon expérience, mes patients connaissent bien l’apparence bleue, en forme de losange, du comprimé de VIAGRA. J’ai reçu des commandes et des demandes de renseignements de patients au sujet du comprimé « bleu en forme de losange », tant en 2006 que dans les années antérieures. J’ai compris que ces patients demandaient du VIAGRA. Selon mon expérience, aucun patient n’a jamais fait référence à un comprimé « bleu en forme de losange » qui n’était pas du VIAGRA.

24.       […] Selon mon expérience, en 2006 et avant cette année-là, le VIAGRA est le seul produit urologique qu’un patient ait jamais demandé en se basant sur son apparence. Lorsqu’ils demandent du VIAGRA, les patients demandent le « losange bleu », le « petit losange bleu » ou la « petite pilule bleue », ou en anglais : la « blue pill, la « little blue pill » ou la « blue diamond pill », ou alors ils demanderont du « VIAGRA ». Le comprimé de VIAGRA est unique en ce sens que, même lorsque des patients ne veulent pas parler de la dysfonction érectile en général, ils font quand même référence au traitement qu’ils veulent obtenir en disant la « pilule bleue », le « losange bleu » ou la « petite pilule bleue » […].

[162]       Selon le Dr Jablonski : [traduction« [j]usqu’en 2006 inclusivement, une majorité de mes patients (et pas seulement des patients atteints de DE) reconnaissaient le VIAGRA si je le leur montrais ou si je le décrivais » (affidavit du Dr Jablonski, paragraphe 23). Le Dr Jablonski ne dit pas pourquoi il lui est arrivé de montrer ou de décrire le Viagra à ceux de ses patients qui ne demandaient pas un traitement contre la dysfonction érectile.

[163]       Quelques patients semblent aussi savoir que le Viagra est un nom de marque (et certains même le rattachent à Pfizer). Par exemple, le Dr Carrier déclare : [traduction« un grand nombre de mes patients étaient au courant, avant 2006 inclusivement, que le Viagra était un nom de marque et qu’il était fabriqué par Pfizer à cause d’annonces publicitaires et de campagnes menées dans les médias » (affidavit du Dr Carrier, paragraphe 27). Le Dr Jablonski dit aussi : [traduction« presque tous les patients que j’ai vus pour un problème de DE savaient que le Viagra était un nom de marque et que celui-ci désignait un médicament très précis qui traite la DE » (affidavit du Dr Jablonski, paragraphe 25). Dans le même ordre d’idées, Mme Krawchenko dit que les patients reconnaissaient que le Viagra était un nom de marque [traduction« parce qu’il s’agissait d’un produit novateur et fortement publicisé. Un grand nombre de patients qui prennent régulièrement du VIAGRA, ou qui sont des utilisateurs réguliers de médicaments de marque, auraient su, avant 2006 inclusivement, que ce produit était fabriqué par Pfizer » (affidavit de Mme Krawchenko, paragraphe 21).

[164]       Il semble aussi que l’on remet souvent aux patients des échantillons, de pair avec la marque Pfizer. Par exemple, selon le Dr Brock, ses patients savaient que Pfizer était la source du Viagra parce qu’il avait [traduction« pour pratique, avant 2006 inclusivement, de remettre des paquets-échantillons et une trousse de départ contenant une brochure et un vidéo sur le VIAGRA, sur lesquels étaient clairement inscrits les mots VIAGRA et Pfizer » (affidavit du Dr Brock, paragraphe 30).

[165]       À mon avis, rien de ce qui précède n’établit que les patients associent l’apparence du produit à sa source. Aucune de ces preuves ne répond à la question : que signifie aux yeux d’un patient un comprimé bleu, en forme de losange (sans inscription aucune et sans le nom de marque Pfizer bien en évidence qui l’accompagne toujours)? Pas plus que cela n’établit que l’apparence de ce comprimé est rattaché à sa source « d’une manière significative ».

[166]       Il y a peu de preuves nouvelles sur les activités de promotion et de publicité concernant le Viagra. M. Charbonneau ne fait que « compléter » les preuves qu’il avait fournies à la Commission en ajoutant des statistiques sur le nombre estimatif de personnes qui avaient vu quatre annonces publicitaires sur le Viagra. Il ajoute une annonce publicitaire qui n’était pas jointe à son dernier affidavit. Quoi qu’il en soit, on ne sait pas avec certitude quelles sont les informations que les statistiques démontrent, et M. Charbonneau n’a pas pu l’expliquer en contre-interrogatoire (contre-interrogatoire de M. Charbonneau, questions 420 à 424).

[167]       La publicité n’établit pas en soi le caractère distinctif de l’apparence du comprimé. Il est nécessaire de prouver que les patients rattachent l’apparence à la source d’une manière significative et, à mon avis, cette preuve n’est pas là. Par exemple, le Dr Brock dit que [traduction« à cause de la vaste publicité, des médias imprimés, des médias télévisés et des médias Internet, la plupart de mes patients savaient, avant 2006 inclusivement, que le VIAGRA était fabriqué par Pfizer » (affidavit du Dr Brock, au paragraphe 29). Le Dr Carrier dit pareillement : [traduction« [j]e sais qu’un grand nombre de mes patients étaient au courant, avant 2006 inclusivement, que le VIAGRA était un nom de marque et était fabriqué par Pfizer à cause de la publicité et des campagnes dans les médias » (affidavit du Dr Carrier, au paragraphe 27). À mon avis, cela dénote qu’il y a une association avec le nom de marque et une source unique, mais il ne s’agit pas là d’une preuve que la marque était associée à une source unique. Je ne crois donc pas que les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse sur les patients pourraient avoir un effet marqué sur la décision, au chapitre du caractère distinctif de la marque parmi les patients.

[168]       En revanche, les nouveaux éléments de preuve de la défenderesse sont très importants et, à mon avis, ils auraient eu, dans le contexte des patients, une incidence sur la décision favorable de la Commission. Ces éléments de preuve sont liés aux façons dont les patients obtiennent leurs médicaments et les identifient à la longue.

[169]       Par exemple, nous relevons ce qui suit dans l’affidavit du Dr Carmel :

[traduction
36.       Deuxièmement, dans le cas d’un patient dont ce serait la première consultation, ce dernier ne saurait généralement rien de l’apparence du Viagra avant de recevoir son ordonnance. Je ne me souviens pas d’un patient disant qu’il connaissait l’apparence de son médicament contre la DE, ou qu’il s’y intéressait, et cela inclut le Viagra, avant qu’il reçoive une ordonnance. Les médecins n’ont habituellement aucune raison pour discuter de cette apparence avec les patients au cours de leurs entretiens.

37.       Troisièmement, une fois qu’un patient reçoit du Viagra et en voit l’apparence, il remarque qu’il s’agit d’un comprimé bleu. Cependant, rien dans l’apparence elle-même, ou rien sur la boîte d’ordonnance ne dénoterait au patient que l’apparence est spéciale ou n’indiquerait la marque du fabricant d’une certaine façon. Il s’agit simplement de l’aspect du comprimé. À mon avis, il y aurait eu nettement plus de chances que le patient associe l’apparence du Viagra au médicament contre la DE qu’il prenait plutôt qu’à la marque précise du médicament contre la DE.

[170]       Dans son affidavit, le Dr Erlick fait une remarque semblable :

[traduction
58.       À mon avis, quand un patient pose des questions sur le Viagra, il indique qu’il a des problèmes d’érection et qu’il voudrait recevoir un médicament. Le Viagra, dans l’esprit du patient, est un médicament contre la DE dont il a entendu parler. Il ne parle pas d’une marque précise; il ne pense peut-être même pas à un ingrédient actif en particulier. Il emploie simplement le nom du médicament qu’il connaît. S’il dit la « pilule bleue » parce qu’il a vu les annonces de Pfizer, le sens des mots « pilule bleue » serait le même. Le patient ferait un lien entre l’apparence du Viagra et un médicament efficace contre la DE, plutôt qu’à une marque en particulier. Essentiellement, il utiliserait l’apparence du Viagra de manière synonymique avec le sildénafil, mais le patient ne connaîtrait pas ce nom. Donc, ce que les témoins de Pfizer appellent l’« adhésion » des patients ne serait pas lié à une marque ou à un fabricant en particulier – il s’agirait d’une « adhésion » à l’idée selon laquelle le médicament (le sildénafil) sera utile.

[171]       L’affidavit du Dr Aquino traite de ce que cela signifie quand les patients en viennent à connaître l’apparence du Viagra qu’ils prennent :

[traduction
19.       Les patients ne considèrent pas que l’identité du fabricant de leurs médicaments est pertinente dans la décision qu’ils prennent de demander un traitement à un médecin ou de prendre un médicament en particulier, y compris le Viagra. Les patients n’associent pas l’apparence d’un médicament à la marque d’une compagnie, mais ils ont plutôt tendance à associer uniquement l’apparence physique d’un médicament au problème médical qui est traitée et/ou à l’effet thérapeutique que le médicament est censé leur procurer. Tout cela s’applique au Viagra, de même qu’aux autres médicaments.

[…]

40.       Une fois qu’un patient prend un médicament pendant un certain temps, il est possible, à de rares occasions, qu’il y fasse référence par sa couleur. Dans ces discussions, il est évident que le patient a associé la couleur au médicament ou à ses propriétés thérapeutiques. Les patients ne considèrent jamais que la couleur ou l’apparence générale du médicament indique de manière précise la source de fabrication en particulier. Dans ces circonstances, les médecins doivent consulter les dossiers de leurs patients et examiner ce qui leur a été prescrit avant qu’ils puissent comprendre de quel médicament les patients leur parle. Et même là, le médecin orientera la conversation vers une description plus précise des médicaments (p. ex., leur nom) avant qu’il puisse donner une réponse appropriée. Le médecin n’agira pas ou ne donnera pas de conseils en se fondant uniquement sur une description physique que donnent les patients de l’apparence d’un produit.

41.       J’estime donc que les patients sont enclins à associer uniquement l’apparence physique d’un médicament au problème médical qui est traité et/ou à l’effet thérapeutique qu’il est censé avoir sur leur problème. J’estime que les patients n’associent pas l’apparence d’un médicament à la marque d’une entreprise.

[172]       À mon avis, ces points de vue sont corroborés par les documents publicitaires et promotionnels que la demanderesse a publiés sur le Viagra, lesquels font ressortir les effets bénéfiques de ce produit en tant que médicament et n’attirent pas l’attention sur l’apparence du comprimé en tant qu’indicateur de sa source. La demanderesse ne revendique pas l’apparence en tant que marque de commerce comme l’a fait, par exemple, Lilly pour le Prozac; dans tous les cas où le comprimé de Viagra est illustré, le mot « Pfizer » est présent et visible.

[173]       Somme toute, je ne crois pas qu’il ressorte de la preuve qu’un nombre important de patients associent à une source unique le comprimé de Viagra sans inscriptions, en forme de losange et de couleur bleue.

2)                  Les médecins

[174]       Dans sa décision, la Commission conclut que la demanderesse n’a pas établi clairement qu’un nombre important de médecins font un lien entre la marque et la prescription des marchandises. La demanderesse a concédé devant moi : [traduction« [a]ucun médecin ne pourrait décider un jour de prescrire un médicament particulier à cause de sa couleur ou de sa forme ». Indépendamment de cette concession, la demanderesse fait valoir que les [traduction« médecins peuvent faire une association entre le Viagra de Pfizer et son apparence bleue, en forme de losange, et ils se servent en fait de cette apparence comme raccourci pour désigner le Viagra dans les échanges qu’ils ont avec des patients ».

[175]       Je conviens que même si les médecins ne se servent pas de l’apparence du produit dans leurs pratiques en matière d’ordonnances, cela ne veut pas forcément dire que ce facteur n’a, pour eux, aucun caractère distinctif. Conformément à ce qu’a déclaré au sujet des pharmaciens le juge Evans dans la décision Novopharm, précitée, il est possible de faire valoir que, même si les médecins et les pharmaciens sont des professionnels réglementés qui doivent prendre leurs décisions en matière de prescription et de distribution en respectant les limites de leurs obligations professionnelles, et qu’ils se fondent de ce fait sur d’autres indices identificateurs, [traduction« s’il existe une preuve qu’ils reconnaissaient aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (exclusion faite des inscriptions faites sur le comprimé […]), cela peut suffire pour établir le caractère distinctif de la marque ».

[176]       Dans la mesure où la Commission a omis d’examiner si, à part les habitudes de prescription, il existait une preuve que, d’une manière significative, les médecins reconnaissaient le Viagra par son apparence seulement, il s’ensuit que la décision est déraisonnable, ou peut-être inexacte, car on n’y a pas appliqué le bon critère de distinctivité. La décision elle-même n’indique pas clairement si la Commission s’est limitée aux habitudes de prescription au moment d’examiner les éléments de preuve concernant les médecins.

[177]       La preuve du Dr Weiss a été rejetée en raison de l’association de ce dernier avec Pfizer et la mise au point et la promotion du Viagra, ce qui veut dire qu’il « aurait pu avoir une connaissance de la Marque différente de celle des médecins en général » (décision de la COMC, au paragraphe 96). Ce point de vue différent serait lui aussi valable, selon moi, en dehors du strict contexte des prescriptions.

[178]       La Dre Perlin a déclaré qu’elle n’accordait pas beaucoup d’attention à l’aspect qu’avaient les produits pharmaceutiques et, dans le cas du Viagra en particulier, il n’était « cependant pas évident que l’exposition limitée de la Dre Perlin à la publicité sur le VIAGRA à la télévision, dans les journaux ou les revues médicales [était] représentative des médecins en général » (décision de la COMC, au paragraphe 97). Là encore, il me semble que la position « non représentative » de la Dre Perlin s’appliquerait également au caractère distinctif de la marque en dehors des strictes habitudes de prescription.

[179]       Quant au Dr Shiffman, il a déclaré qu’« il n’associe pas l’apparence du VIAGRA à une seule source en raison de la nature du marché pharmaceutique » (décision de la COMC, au paragraphe 98). Ce médecin a en fait répondu à la question cruciale que la juge Dawson avait relevée dans la décision Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, précitée. La Commission a trouvé très révélateur l’échange suivant, survenu au cours de son contre-interrogatoire (questions 85 et 86) :

[traduction

Q85 :   Si quelqu’un vous apportait un comprimé bleu en forme de losange, sous l’angle de la première impression, penseriez‑vous qu’il s’agit de Viagra?

R :       Pas nécessairement.

Q86 :   Qu’est-ce que cela pourrait être d’autre?

R :       Il pourrait s’agir de n’importe quoi puisque je ne connais pas l’apparence de tous les comprimés.

[180]       Comme il a été mentionné plus tôt, le problème que pose cette question est qu’elle est purement hypothétique. Il n’existe aucune preuve que l’on a jamais montré à un médecin, ou à qui que ce soit d’autre, un comprimé bleu, en forme de losange, sans inscriptions et sans le mot « Pfizer » gravé dessus. Et, en gardant à l’esprit les obligations professionnelles et les informations véhiculées par les activités de promotion et de publicité, aucun médecin ne rattacherait un comprimé bleu, en losange et dénué d’inscriptions à sa source. Je conclus que les arguments de la demanderesse sur ce point sont à la fois contre-intuitifs et non corroborés. Si les comprimés de Viagra comportent toujours des inscriptions et la mention « Pfizer », il est donc certain qu’un comprimé bleu, en losange et dénué de toute inscription de ce genre ne pourrait pas être une pilule de Pfizer et ne saurait être associé à une source unique.

[181]       Quoi qu’il en soit, il me semble que les raisons pour lesquelles la Commission a rejeté la preuve du Dr Shiffman sur les habitudes de prescription s’appliqueraient également dans n’importe quel contexte plus général dans lequel des médecins ont affaire au Viagra. La preuve soumise à la Commission n’a pas établi que, d’une manière significative, les médecins reconnaissent le produit par son apparence, exclusion faite des inscriptions qui y figurent.

[182]       Indépendamment de la référence faite au mot « prescrire » au paragraphe 100 de la décision, la Commission applique un critère plus étendu au paragraphe 99. Je conclus toutefois que, compte tenu des éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission au sujet des médecins, sa conclusion selon laquelle le caractère distinctif de la marque parmi les médecins n’a pas été établi est raisonnable, que ce soit dans le cadre des habitudes de prescription ou autrement. Comme l’a fait remarquer le juge Barnes dans la décision Apotex, précitée, au paragraphe 13, « il ne suffit pas de montrer que l’apparence d’un produit peut constituer une vérification secondaire de l’identité du produit ou qu’elle peut amener une personne à se demander si le produit attendu a été correctement délivré ». De plus, une supposition fondée à l’égard de la source ne suffit pas pour constituer le caractère distinctif de la marque, pas plus que ne le fait un dessin qui est simplement unique sur le marché et reconnu comme tel : « [l]e fait qu’un médecin ou un pharmacien puisse spontanément tenir pour acquise la provenance d’un [comprimé bleu en losange] à l’occasion d’un dialogue thérapeutique avec un patient ne suffit pas non plus à établir le caractère distinctif » (Apotex, précitée, au paragraphe 13).

[183]       Je suis également d’avis que les nouveaux éléments de preuve qui m’ont été présentés dans le cadre du présent appel ne remédient pas aux problèmes de la demanderesse que la Commission ou la Cour, dans le présent appel, a relevés.

[184]       La Commission a déposé de nouveaux éléments de preuve venant de quatre autres médecins (les Drs Brock, Bénard, Carrier et Jablonski), qui exercent leur profession et enseignent dans tout le Canada. Ces éléments ont trait à la manière dont ils reconnaissent personnellement le comprimé bleu en forme de losange, de même qu’à ce que d’autres médecins, soutiennent-ils, leur ont dit lors de leurs échanges.

[185]       Après avoir examiné ces éléments de preuve, je souscris à plusieurs points que la défenderesse a soulevés :

a)      en ce qui concerne leur propre preuve de reconnaissance, les quatre nouveaux témoins semblent avoir été liés de plus près encore à Pfizer et au Viagra que ne l’a été le Dr Weiss, dont la preuve a été exclue de manière raisonnable par la Commission parce que ce dernier avait, au sujet de l’apparence du comprimé, une connaissance différente de celle qu’auraient les médecins en général. On ne peut pas dire que ces quatre nouveaux médecins, compte tenu de leur lien particulier avec Pfizer et le Viagra, ont prouvé d’une manière significative que l’apparence du comprimé est distinctive parmi les médecins qui n’ont pas ce même lien étroit. Sous cet angle, on ne peut pas dire que la demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve qui auraient eu une incidence marquée sur la décision de la Commission. La preuve ne montre tout simplement pas que la pilule bleue en forme de losange a un caractère distinctif parmi un nombre suffisamment élevé de médecins;

b)      une fois de plus, la demanderesse n’a présenté aucune preuve directe venant d’un groupe vaste ou représentatif de médecins, mais elle se fonde sur des comptes rendus anecdotiques de ces quatre médecins sur ce que leurs collègues non nommés disaient et pensaient en 2006. Leurs comptes rendus anecdotiques ne peuvent pas être vraiment vérifiés et leur valeur est des plus restreintes si la Cour ignore, comme le fait valoir la défenderesse, [traduction« quelles questions ont été soumises à quelles personnes et dans quelle circonstance ». On demande à la Cour d’accepter ce qui équivaut à du ouï-dire qui n’est attribué à personne, et ce, dans des circonstances où la demanderesse n’a pas établi la nécessité ou la fiabilité;

c)      la preuve est également douteuse parce que, dans une mesure significative, les quatre déposants s’expriment de manière très semblable, ce qui amène la Cour à se demander si ce qui est dit est tiré de l’expérience réelle de chacun (aucune note ou aucun document justificatif datant de 2006 n’ont été produits ou consultés) ou si les témoins s’inspirent d’un scénario commun. À cet égard, on ne peut pas faire abstraction de leur lien étroit avec Pfizer et le Viagra. Voir, par exemple, Imperial Dax Co. Inc. c Mascoll Corp Ltd (1978), 42 CPR (2d) 62, à la page 66 (CF 1re inst.); Ciba-Geigy Canada Ltd c Laboratories Opti-Centre Inc. (1997), 76 CPR (3d) 87, à la page 91 (COMC);

d)     la preuve est, une fois de plus, tout à fait hypothétique. La demanderesse tente de lier la « petite pilule bleue » et le « losange bleu » au Viagra, mais elle ne fournit aucune preuve sur ce qu’une pilule bleue, en forme de losange, sans inscriptions et non étiquetée signifierait pour un groupe important de médecins représentatifs. De manière quelque peu incongrue, le Dr Brock affirme qu’un médecin qui verrait la pilule bleue en forme de losange penserait, sous l’angle de la première impression, que le produit est du Viagra, mais il nuance ensuite ces propos :

[traduction
23. Je sais qu’il y a des inscriptions sur le comprimé de VIAGRA. Il se pourrait que je me fie à ces dernières pour identifier de manière absolue le comprimé, mais si, en 2006, on m’avait montré un comprimé bleu en forme de losange, sans inscription aucune, ma première impression serait qu’il s’agit du VIAGRA.

Ce que cela n’explique pas c’est comment, si le Viagra est toujours assorti d’inscriptions et du mot « Pfizer », le Dr Brock pourrait, même sous l’angle de la première impression, identifier le comprimé comme étant du Viagra qui provient d’une même source qui ne fabrique que des comprimés clairement identifiés. Ce que dit ici le Dr Brock en réalité, selon moi, c’est qu’un comprimé sans inscriptions ne peut pas être lié à une même source sans autre identification. Comme l’a honnêtement admis le Dr Shiffman, un comprimé bleu en forme de losange et dénué d’inscriptions pourrait être n’importe quoi, et ce, parce que Pfizer ne fabrique ou ne commercialise pas de comprimés ou de Viagra sans inscriptions. Sur ce point, M. Charbonneau a témoigné en fait sur les efforts faits par Pfizer pour sensibiliser les consommateurs au fait qu’ils peuvent se fier aux inscriptions gravées sur le comprimé pour faire une distinction entre le Viagra et des comprimés contrefaits (contre-interrogatoire de M. Charbonneau, questions 297 à 301). Le Dr Brock formule peut-être une supposition fondée mais, comme l’a fait remarquer le juge Barnes dans la décision Apotex, cela n’est pas suffisant pour établir le caractère distinctif.

[186]       Je conclus de façon générale que les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse, qui émanent de médecins, n’auraient pas eu d’incidence marquée sur la décision de la Commission, et même si j’en tiens compte dans un contexte plus général, distinct des habitudes de prescription (où, admet la demanderesse, il n’y a pas de lien entre l’apparence et la source), je ne suis pas convaincu qu’il ressort de ces éléments de preuve que, même sous l’angle de la première impression, les médecins lieraient dans une mesure significative une pilule bleue en forme de losange (sans inscriptions et autres indices) à une source unique.

[187]       J’ai également examiné les nouveaux éléments de preuve que la défenderesse a produits sur l’identification que font les médecins et je n’y vois rien qui aiderait la demanderesse à surmonter les difficultés que posent ses éléments de preuve. Ceux de la défenderesse dénotent, de manière prépondérante, que les médecins ne prescrivent pas de médicaments en se reportant à leur apparence (ce que, selon moi, la demanderesse ne conteste pas), mais ces éléments de preuve vont plus loin et expliquent que les médecins n’identifieraient jamais un produit médical par sa seule apparence, et ne lieraient pas l’apparence à une source particulière. Le Dr Carmel dit que l’apparence d’un médicament (y compris le Viagra) [traduction« n’a pas de sens particulier, sinon qu’il s’agit de l’apparence du médicament » (affidavit du Dr Carmel, paragraphe 28). Le Dr Grober indique : [traduction« [j]e ne me sers aucunement de l’apparence du Viagra pour identifier un fournisseur particulier, et je ne crois pas non plus que d’autres médecins le fassent » (affidavit du Dr Grober, paragraphe 49). Le Dr Grober ajoute également :

[traduction
53.       Les témoins de Pfizer indiquent qu’étant donné que les médecins connaissent l’apparence du Viagra ils savent que les mots « petite pilule bleue » désignent le Viagra (Dr Brock, paragraphe 25; Dr Jablonski, paragraphe 24; Dr Carrier, paragraphes 23, 24 et 26). À mon avis, ce fait est très contextuel et ne peut pas être présumé. Je connais l’apparence du Viagra, et il est certainement bleu, mais cela ne signifie nullement que je saurais que les mots « petite pilule bleue » désignent un produit venant d’un fabricant particulier. Ces mots ne distinguent pas le Viagra d’autres pilules bleues que prennent régulièrement mes patients, et cela est donc insuffisant comme moyen d’identifier le médicament.

[…]

63.       Les témoins de Pfizer indiquent aussi que la publicité de Pfizer mettait fortement l’accent sur l’apparence (Dr Jablonski, paragraphes 15 et 16; Dr Bénard, paragraphes 15 et 22). Aucune des publicités de Pfizer que je me souviens d’avoir vues n’indiquait que l’apparence du comprimé était un identificateur du fabricant ou n’identifiait le Viagra comme la « petite pilule bleue » ou le « petit losange bleu ».

[188]       Il me semble que ces propos ne se limitent pas aux habitudes de prescription. Rien n’étaye l’argument de la première impression qu’invoque la demanderesse. Les témoins de la défenderesse n’ont pas été contestés par voie de contre-interrogatoire.

3)                  Les pharmaciens

[189]       La Commission s’est fondée sur une interprétation de la décision du juge Barnes dans l’affaire Apotex, à savoir que la couleur et la forme étaient les « caractéristiques principales » qui permettaient de distinguer des marchandises, et cela concernait les pharmaciens. Comme je l’ai déjà fait remarquer, ce n’est pas ainsi que j’interprète la décision du juge Barnes. Au paragraphe 20 de la décision Apotex, ce dernier suit la décision du juge Evans dans l’affaire Novopharm, précitée, mais il souligne néanmoins que le juge Evans a aussi dit clairement qu’« il fallait quand même qu’il existe une preuve suffisante de l’aptitude de la marque à être ainsi reconnue par elle-même. Autrement dit, une marque fondée sur l’habillage ne saurait acquérir son caractère distinctif du seul fait qu’elle est employée en association avec une marque verbale ». Faire la simple remarque que les « caractéristiques principales » grâce auxquelles un produit en particulier est lié à sa source n’a pas pour effet de diluer le critère de base que le juge Evans a formulé. Cela signifie simplement que, en l’espèce, la demanderesse se doit de produire des preuves suffisantes pour établir que, indépendamment d’autres indices principaux de la source, l’apparence du comprimé de Viagra est reconnue d’une manière significative comme étant distinctive d’une source unique. Par souci de commodité, je citerai de nouveau les propos du juge Evans car, dans la décision Novopharm, il avait affaire à des pharmaciens :

[79]      Quatrièmement, il n’est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d’autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d’autres indices d’identification apparaissant sur les bouteilles et l’emballage contenant le produit, ou à l’inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s’il ressort, selon certains éléments de preuve, qu’ils reconnaissent aussi, d’une manière significative, le produit par son apparence (à l’exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu’elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

[190]       Dans sa décision, au paragraphe 92, la Commission dit aussi : « [e]n confirmant cette décision [c’est-à-dire, la décision du juge Barnes dans Apotex], la Cour d’appel fédérale a confirmé que ce qui importe, c’est que les pharmaciens relient la marque de commerce à leurs choix de distribution ». Là encore, selon moi, il s’agit là d’une interprétation erronée de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale qui, au paragraphe 7 et nulle part ailleurs que je puisse voir, limite l’association de l’apparence et de la source aux choix de distribution.

[191]       En fait, comme la demanderesse le concède, [traduction« aucun pharmacien ne pourrait jamais se fier à l’apparence d’un produit pharmaceutique quelconque, même celle d’un produit aussi reconnaissable que le Viagra, en tant que caractéristique principale lui permettant de prendre une décision sur ce qu’il faut prescrire à un patient ». Elle fait néanmoins valoir qu’il y a suffisamment de preuves d’identification fondée sur la première impression et de confiance secondaire pour répondre au critère de base de la distinctivité.

[192]       Il me semble donc que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a appliqué le critère des « caractéristiques principales » et a strictement restreint le processus d’identification à des « choix de distribution ». Pour cette raison, j’ai examiné l’ensemble des éléments de preuve relatifs aux pharmaciens et j’ai tiré mes propres conclusions.

[193]       La demanderesse a soumis à la Commission l’affidavit de la pharmacienne Marie Berry, ainsi que le sondage de 2002 de Mme Corbin.

[194]       C’est l’affidavit de Mme Marie Berry qui va le plus loin en disant que d’autres pharmaciens et elle se servent de l’apparence du Viagra pour en identifier la source :

[traduction
[9]        Je me souviens d’avoir pris connaissance de la couleur, de la forme et de la taille du VIAGRA avant même que ce produit soit approuvé au Canada. Ma première impression du comprimé bleu en forme de losange était qu’il s’agissait d’un produit unique, non seulement parmi les formes posologiques orales utilisées pour le traitement de la dysfonction érectile, mais aussi parmi l’ensemble des produits pharmaceutiques. Même aujourd’hui, je ne connais aucun autre produit pharmaceutique qui a la même apparence que le VIAGRA. Je ne connais certainement aucun produit destiné au traitement de la dysfonction sexuelle qui a la même apparence que le VIAGRA.

[10]      Le VIAGRA est maintenant sur le marché depuis de nombreuses années. Pendant ce temps, le comprimé bleu en forme de losange est devenu encore plus connu chez mes clients et mes collègues. Je suis également au courant d’annonces télévisées et de publicités faites dans des revues où le comprimé bleu en forme de losange est illustré. Le VIAGRA a toujours fait l’objet d’une attention médiatique constante.

[…]

[23]      Cependant, quand un produit a une apparence unique, comme le VIAGRA, cela joue un rôle important. Premièrement, à cause de cette apparence unique, les pharmaciens peuvent identifier le produit uniquement grâce à son apparence distinctive. Ils peuvent se servir de cette apparence unique pour différencier non seulement d’autres produits aux indications semblables, mais aussi d’autres produits aux indications différentes. C’est donc dire que l’apparence unique du produit désigne une source, mais aussi d’autres produits aux yeux d’un pharmacien. Cela est particulièrement vrai pour le VIAGRA, un produit dont l’apparence est non seulement unique, mais aussi très notoire aujourd’hui.

[…]

[25]      Comme il a été indiqué plus tôt, dans le cas du VIAGRA, comme l’apparence du produit est unique et très notoire, les pharmaciens et les patients utilisent cette apparence distinctive pour lier le produit à une source unique ainsi que pour différencier ce produit d’autres produits présents sur le marché.

[195]       Contre-interrogée sur les éléments de preuve de la défenderesse se rapportant aux pharmaciens, Mme Laura Furdas a admis qu’elle était au courant de l’apparence du Viagra et qu’elle savait que Pfizer fabrique ce produit (questions 193, 194, 217 et 220).

[196]       En contre-interrogtoire, la pharmacienne Cathy Conroy a admis elle aussi qu’elle connaissait l’apparence du comprimé de Viagra, et on lui a également demandé ce qu’elle ferait face à un comprimé sans inscriptions :

[traduction

Q97 :   Donc, si quelqu’un se présentait à vous avec un comprimé bleu en forme de losange et vous disait : « [c]eci est mon médicament contre la dysfonction érectile », votre première impression serait-elle qu’il s’agit du Viagra?

R :       C’est ce que je pourrais penser, mais je voudrais tout d’abord obtenir quelques informations. Si une personne se présentait simplement avec le produit et si nous n’avions aucun dossier sur elle, je voudrais savoir où elle l’a obtenu parce qu’il est possible de l’acheter sur la rue. Je voudrais savoir si la personne l’a acheté sur Internet. Je voudrais savoir si elle l’a obtenu d’un ami ou d’un médecin. Si elle a l’emballage original dans lequel il est présenté. Si des personnes se présentaient avec des médicaments de source inconnue, ce serait un peu inquiétant.

Q98 :   Vous voudriez vous en assurer, pour des raisons de sécurité, mais votre première impression serait-elle qu’il s’agit du Viagra?

R :       Pas seulement par… Il faudrait que j’examine le comprimé de près et que je voie s’il comporte des inscriptions identificatrices appropriées et peut-être bien qu’ensuite je pencherais vers cette réponse mais je n’aime pas jeter simplement un coup d’œil à quelque chose et donner un… un médicament d’origine inconnue, que quelqu’un nous présente. Parce que, en pharmacie, il faut absolument être sûr à 100 %. C’est ce qui explique que nous n’aimons même pas dire 100 % pour un médicament qu’on nous présente et qui vient d’on ne sait où.

[197]       La Commission a conclu, à partir des témoignages des pharmaciens, « [qu’il est] évident, à partir de la preuve, que les pharmaciens n’identifieraient pas le médicament par référence à la couleur, la forme et la taille uniquement ». Mon propre avis est que cette preuve indique juste que les pharmaciens savent de quoi a l’air un comprimé de Viagra, et rien de plus. Et ils savent tous qu’un comprimé de Viagra comporte toujours des inscriptions et un emballage. C’est pour cela qu’il a fallu leur demander ce qu’ils feraient d’un comprimé dénué d’inscriptions. Mme Berry n’a pas dit ce qu’elle présumerait en voyant un comprimé dénué d’inscriptions, et elle n’a donc pas répondu à la question posée par la juge Dawson dans la décision Novopharm, précitée; de ce fait, comme le dit le juge Barnes dans la décision Apotex, au paragraphe 20, il n’existe pas de « preuve suffisante de l’aptitude de la marque à être ainsi reconnue par elle-même ». Il ne suffit pas de dire que les pharmaciens savent de quoi le Viagra a l’air. Il faut prouver que les pharmaciens lient d’une manière significative l’apparence du produit (sans les inscriptions) à une source unique. Il me semble que, dans l’ensemble, cette preuve confirme ce que dit le Dr Shiffman, à savoir que si on lui montrait un comprimé bleu en forme de losange et dénué d’inscriptions, il ne saurait pas de quoi il s’agit. Comme l’a déclaré le juge Barnes dans la décision Apotex, au paragraphe 13, un jugement approximatif sur ce que peut être un comprimé ne suffit pas pour établir que la marque est distinctive. À mon avis, si l’on ignore ce qu’est un produit, on ne peut pas le rattacher à une source unique.

[198]       De plus, je ne pense pas que cette preuve confirme de quelque manière que, d’une manière significative, l’apparence du Viagra (sans inscriptions) est associée à une seule source en dehors du contexte de la distribution.

[199]       La demanderesse a également produit le sondage de 2002 de Mme Corbin, que la Commission a jugé inadmissible. La Commission l’a toutefois exclu parce qu’elle a conclu que cette preuve n’était pas « pertinente à l’évaluation du caractère distinctif à la date pertinente du 6 mars 2006 ». Devant moi, la demanderesse a fait valoir qu’il aurait fallu admettre le sondage pour déterminer quelles extrapolations faites à partir de 2002 pourraient encore s’appliquer en 2006. Cependant, elle n’a pas plaidé ce point avec acharnement et elle dit que, de toute façon, elle dispose dans le cadre du présent appel de preuves suffisantes pour pouvoir établir le bien‑fondé de sa thèse sans le sondage de Mme Corbin. Compte tenu des éléments de preuve qui m’ont été présentés sur l’évolution du marché entre les années 2002 et 2006 (c’est-à-dire, de nouveaux comprimés bleus sur le marché, du Viagra contrefait sur le marché, la diminution de la notoriété du Viagra et des ventes de ce produit), je ne pense pas que la Commission a exclu de manière déraisonnable le sondage de Mme Corbin et, en appel, je souscris à cette position ainsi qu’aux motifs de la Commission.

[200]       En appel, la demanderesse a fourni des éléments de preuve additionnels de la part de M. Douglas Brown et de Mme Iris Krawchenko, qui exerçaient tous deux comme pharmaciens à l’époque pertinente, en 2006. Tous deux disent qu’ils ont une vaste expérience des rapports avec les patients dans un contexte pharmaceutique et qu’ils ont tous deux participé à des programmes de sensibilisation et de formation destinés à d’autres pharmaciens.

[201]       M. Brown dit qu’en 2006 il connaissait bien l’apparence du Viagra et que ce produit était fabriqué par Pfizer. Il dit aussi que, en 2006, il croyait que l’apparence du Viagra était unique et que, sous l’angle de la première impression, un comprimé bleu en forme de losange permettait de distinguer le Viagra. Les éléments importants de son témoignage sont les suivants :

[traduction
6.         Je suis au courant, et je l’étais en 2006, que le VIAGRA (du citrate de sildénafil) est fabriqué sous la forme d’un comprimé bleu en forme de losange, en trois concentrations (25 mg, 50 mg et 100 mg). Je sais aussi, et je le savais en 2006, que le VIAGRA est fabriqué par Pfizer.

7.         J’ai pris connaissance de l’apparence du VIAGRA lorsque ce produit a été lancé au Canada en 1999. L’impression que m’a donnée le comprimé bleu en forme de losange à l’époque de son lancement était qu’il s’agissait d’un produit unique, différent des autres comprimés pharmaceutiques. Comparativement aux comprimés ronds et blancs qui étaient, et qui sont toujours, les plus courants sur le marché, l’apparence bleue, en forme de losange, du VIAGRA, était singulière. Avant 2006 inclusivement, si l’on m’avait montré un comprimé bleu en forme de losange, j’aurais su, d’après sa forme et sa couleur, qu’il s’agissait du VIAGRA.

8.         À ma connaissance, avant 2006 inclusivement, il n’y avait jamais eu d’autre médicament qui avait la même forme et la même couleur que celles du VIAGRA. Je ne connais aucun autre médicament destiné au traitement de la dysfonction sexuelle qui a la même forme et la même couleur que celles du VIAGRA.

[…]

14.       À plusieurs occasions, avant 2006 inclusivement, les patients qui fréquentaient ma pharmacie appelaient le VIAGRA la « petite pilule bleue » ou « ma pilule bleue ». Pour certains, il est plus discret de demander de renouveler la « petite pilule bleue » que de demander que l’on renouvelle le VIAGRA.

[…]

21.       J’avais habituellement pour pratique, avant 2006 inclusivement, de préserver l’intégrité (c’est-à-dire, le sceau) de la boîte. Cela garantissait aux patients que le produit était authentique et qu’on n’y avait pas touché. Cependant, il arrivait parfois que je sorte l’emballage en aluminium de la boîte lorsque je donnais des conseils à un patient. Dans le cas des patients âgés surtout, il peut être utile d’ouvrir la boîte pour montrer comment ouvrir l’emballage. Dans ces cas-là, j’ouvrais la boîte devant le patient, afin de lui assurer que la boîte était scellée jusqu’à ce qu’il la voie et constate la couleur bleue et la forme en losange du comprimé de VIAGRA.

22.       En 2006, les comprimés de VIAGRA comportaient des inscriptions, dont un timbre de Pfizer gravé sur une face. Il se pouvait que les pharmaciens se servent de ces timbres pour vérifier s’ils avaient les bons comprimés. Cependant, dans le cas du VIAGRA, je n’aurais pas eu pour pratique d’examiner les timbres gravés dans comprimé pour déterminer qu’il s’agissait du VIAGRA, car sa forme et sa couleur étaient suffisantes pour l’identifier. Avant 2006 inclusivement, même si toutes les inscriptions étaient retirées, je pouvais facilement déterminer, sous l’angle de la première impression, qu’un comprimé bleu en forme de losange était du VIAGRA.

[202]       À mon avis, cette preuve nous dit simplement que M. Brown savait en 2006 de quoi avait l’air un comprimé de Viagra, qu’il pensait que sa forme était unique et que son apparence jouait un certain rôle dans les rapports qu’il avait avec ses clients. Ces faits n’établissent pas que l’apparence du comprimé à elle seule, sans les inscriptions et l’emballage, était utilisée ou reconnue, d’une manière significative, par M. Brown ou d’autres pharmaciens comme étant une indication de sa source.

[203]       Mme Krawchenko abonde dans le même sens que M. Brown. Elle dit qu’elle savait de quoi le Viagra avait l’air en 2006 et qu’elle avait le sentiment que le comprimé bleu en forme de losange était unique. Voici les passages importants de son témoignage :

[traduction
13.       À ma connaissance, avant 2006 inclusivement, il n’y avait jamais eu au Canada d’autres médicaments ayant la même forme et la même couleur que le VIAGRA. Il n’y a pas eu d’autre médicament pour le traitement de la dysfonction sexuelle ayant la même forme et la même couleur que le VIAGRA au Canada.

[…]

17.       En ma qualité de pharmacienne gestionnaire, j’ai distribué un large éventail de médicaments dans ma pratique quotidienne. Avant 2006 inclusivement, comme d’autres pharmaciens, je pouvais décrire l’apparence du VIAGRA. C’était parce qu’il s’agissait d’un médicament innovateur et nouveau, le premier dans sa catégorie, et que, de ce fait, le produit et son apparence bleue, en forme de losange, ont été l’objet d’une vaste publicité et d’une grande attention dans les médias. L’apparence unique du VIAGRA était également bien connue des pharmaciens à cause des informations que leur avaient fournies les représentants pharmaceutiques dès son lancement.

[…]

32.       Pour les pharmaciens, l’exactitude et la sécurité sont d’une importance capitale. Il est donc crucial de s’assurer que l’on remet au bon patient le bon médicament. Dans mon métier, aujourd’hui comme en 2006, pour m’assurer qu’il n’y a aucune erreur de distribution, je vérifie non seulement le numéro d’identification du médicament par rapport à l’ordonnance que j’exécute, mais j’examine aussi visuellement le médicament. Cet examen visuel est une habitude que j’ai prise pour me protéger contre les erreurs que peuvent commettre des techniciens, en mettant peut-être le mauvais médicament dans une fiole ou dans un emballage, et c’est l’un des moyens que j’emploie pour être sûre de me conformer à mon obligation de veiller à ce que les médicaments soient distribués de manière exacte. Une vérification visuelle est donc cruciale. J’inscris les lettres « VV » dans mes dossiers pour indiquer qu’une vérification visuelle a été faite. Ce n’est pas une formalité type que l’on exige des pharmaciens, mais c’est ce que je fais pour tous les médicaments que je distribue, y compris le VIAGRA, afin de consigner que je me suis conformée aux normes de pratique.

33.       Quand un produit pharmaceutique a une apparence unique, comme le comprimé de VIAGRA en 2006, la vérification visuelle peut consister à confirmer que la forme et la couleur du comprimé sont bien celles du produit.

34.       Si un produit pharmaceutique se trouvait dans une boîte scellée, il me serait impossible de confirmer visuellement la forme et la couleur d’un comprimé, mais je tiendrais pour acquis que l’emballage contient exactement ce qui est indiqué sur l’étiquette. Cependant, si j’ouvrais la boîte devant un client au moment de remettre le produit, j’effectuerais à ce moment à une vérification visuelle du comprimé.

35.       En Ontario, avant 2006 inclusivement, et pour autant que je m’en souvienne, le VIAGRA était distribué dans une boîte scellée portant la mention VIAGRA. La boîte affichait également le nom Pfizer. Les comprimés de VIAGRA étaient mis dans la boîte dans un emballage-coque. Si la boîte n’était pas scellée, parce que, par exemple, on l’avait déjà ouverte pour exécuter une ordonnance dont la quantité ne correspondait pas à celle que contenait la boîte, j’avais pour pratique, avant 2006 inclusivement, d’ouvrir la boîte et d’en retirer l’emballage-coque pour vérifier l’exactitude du médicament et en confirmer la quantité.

36.       Si, au moment de distribuer du VIAGRA avant 2006 inclusivement, une vérification visuelle révélait que les comprimés n’étaient pas bleus et en forme de losange, j’aurais eu comme première impression que les comprimés n’étaient pas du VIAGRA et qu’une erreur avait été commise. J’aurais dans ce cas été tenue d’exécuter d’autres contrôles d’exactitude afin de m’assurer que l’on remettait le bon médicament.

37.       Le mot Pfizer était inscrit sur les comprimés de VIAGRA. Avant 2006 inclusivement, cette inscription n’était généralement pas nécessaire pour que j’identifie un comprimé bleu en forme de losange comme étant du VIAGRA. Même si l’on retirait cette inscription, la combinaison unique de forme et de couleur aurait été suffisante pour identifier le comprimé de VIAGRA, sous l’angle de la première impression.

38.       Comme les comprimés se trouvent dans un emballage‑coque, je ne suis pas au courant de la texture, de l’odeur ou des autres qualités sensorielles du comprimé, comme cela peut être le cas pour d’autres médicaments. Le comprimé de VIAGRA est un médicament qui, avant son ingestion, est reconnu par son apparence visuelle, un losange bleu, plutôt que par ses autres qualités sensorielles.

[204]       Détail important, Mme Krawchenko nous dit que [traduction« [m]ême si l’on retirait cette inscription, la combinaison unique de forme et de couleur aurait été suffisante pour identifier le comprimé de VIAGRA, sous l’angle de la première impression ». Mme Krawchenko émet ici une hypothèse. Si elle dit qu’elle distribuerait un comprimé bleu en forme de losange et dénué d’inscriptions comme étant du Viagra, cela ne concorde guère avec les règles professionnelles auxquelles elle est soumise, et la demanderesse concède que les pharmaciens ne distribuent pas de produits en se basant sur leur apparence. Elle n’explique pas comment ou quand elle a vu un comprimé bleu en forme de losange et dénué d’inscriptions, ni pourquoi – si elle n’a jamais vu un tel comprimé – elle l’identifierait au Viagra. Je crois qu’elle dit que si elle voyait un comprimé bleu en forme de losange et dénué d’inscriptions, elle l’associerait au Viagra à cause de son apparence, mais cela ne veut pas dire qu’elle ferait quoi que ce soit en se basant sur cette association et que, selon moi, c’est parce qu’un comprimé sans inscriptions n’en identifie pas la source d’une manière suffisamment fiable pour pouvoir en faire quoi que ce soit. Tout ce qu’elle peut dire, sous l’angle de la première impression, c’est : [traduction« voici un comprimé dénué d’inscriptions, qui a la même couleur et la même forme que celles du Viagra ». Comme l’a déclaré le juge Barnes dans la décision Apotex, précitée, au paragraphe 13 :

À mon avis, il ne suffit pas de montrer que l’apparence d’un produit peut constituer une vérification secondaire de l’identité du produit ou qu’elle peut amener une personne à se demander si le produit attendu a été correctement délivré. […] Le fait qu’un médecin ou un pharmacien puisse spontanément tenir pour acquise la provenance d’un inhalateur discoïdal de couleur violette à l’occasion d’un dialogue thérapeutique avec un patient ne suffit pas non plus à établir le caractère distinctif.

Cette position a été endossée par la Cour d’appel fédérale.

[205]       Il vaut la peine de mentionner que lorsqu’ils ont été contre-interrogés, tant M. Brown que Mme Krawchenko ont dit n’avoir jamais vu un comprimé de Viagra sans inscriptions et que, si cela avait été le cas, ils auraient su qu’il ne s’agissait pas de Viagra (contre-interrogatoire de Mme Krawchenko, questions 325 et 326; contre-interrogatoire de M. Brown, questions 381 et 382). Voir, par exemple, l’échange suivant, lors du contre-interrogatoire sur l’affidavit de Mme Krawchenko :

[traduction

Q322 : Si, en 2006, on vous avait montré un comprimé bleu, arrondi, en forme de losange, un comprimé jaune en forme de goutte d’eau et un comprimé rond de couleur orange, auriez-vous pu déterminer lequel était du sildénafil par opposition à d’autres médicaments contre la DE?

R :       Oui, celui d’entre eux qui était le Viagra en 2006.

Q323 : Très bien. Le Viagra comporte-t-il des inscriptions?

R :       Oui.

Q324 : Savez-vous que depuis l’arrivée du Viagra générique, Pfizer fait l’annonce suivante aux pharmaciens et aux patients : « Si ce n’est pas écrit Pfizer, ce n’est pas Viagra »?

R :       Oui.

Q325 : Avez-vous déjà vu un comprimé de Viagra sans inscriptions?

R :       Non.

Q326 : Si vous en voyiez un sans inscriptions, vous sauriez qu’il ne s’agit pas de Viagra?

R :       Oui.

[206]       À mon avis, tout ce que Mme Krawchenko dit c’est que, sous l’angle de la première impression, elle [traduction] « présumerait de façon informelle » qu’un comprimé bleu en forme de losange était du Viagra et venait de Pfizer. Cela n’est pas suffisant. En fait, les preuves qui me sont soumises en général (qu’elles se rapportent aux médecins, aux pharmaciens ou aux patients) montrent que, même dans son acception la plus forte, l’apparence du Viagra, sans ses inscriptions et sans autres indices d’origine, permet juste de [traduction] « présumer de façon informelle » qu’il pourrait s’agir du Viagra. Et, à mon avis, cela concorde tout à fait avec les preuves de commercialisation qui m’ont été soumises et la façon dont Pfizer a décidé de commercialiser le Viagra (voir le contre-interrogatoire de M. Charbonneau, questions 297 à 301).

[207]       Quoi qu’il en soit, Mme Krawchenko ne peut parler que pour elle-même à propos de cette question d’apparence et d’identification. Il ne s’agit pas d’une preuve que l’on peut assimiler, « d’une manière significative », à une reconnaissance de la part des pharmaciens. Dans la mesure où M. Brown et Mme Krawchenko disent censément quoi que ce soit à propos d’autres pharmaciens, la Cour n’a pas les mesures de contrôle dont elle aurait besoin (c’est-à-dire, quelles questions ont été posées à quelles personnes, et dans quelles circonstances?) pour accorder un poids quelconque à de telles preuves. En fait, avant de témoigner, M. Brown et Mme Krawchenko n’ont examiné aucun document ou aucune note datant de 2006, et ils semblent s’être appuyés exclusivement sur leurs souvenirs d’il y a sept ans.

[208]       J’ai passé en revue les nouveaux éléments de preuve que la défenderesse a déposés au sujet des pharmaciens. Je n’y vois rien qui puisse aider la demanderesse à surmonter les difficultés que j’ai mentionnées plus tôt. Par exemple, le pharmacien Kenny Tan n’est pas d’accord avec ce que Mme Krawchenko et M. Brown ont déclaré (affidavit de Mme Krawchenko, paragraphe 37; affidavit de M. Brown, paragraphe 22), à savoir que, sans les inscriptions, un pharmacien serait en mesure d’identifier la marque comme étant du Viagra :

[traduction
93.       Sans les inscriptions, un pharmacien n’essaierait pas de faire cette identification. Si l’on remettait à un pharmacien un comprimé dénué de toute inscription, il saurait tout de suite que le comprimé n’est pas du Viagra (la marque) parce que le Viagra (la marque) comporte les inscriptions « Pfizer » et « VGR ». Quoi qu’il en soit, dans le domaine pharmaceutique, l’identification appropriée des médicaments est une tâche professionnelle importante. Comme il en a été question plus tôt, les pharmaciens sont des professionnels qui n’identifient pas les médicaments sous l’angle de la « première impression » à des fins professionnelles quelconques.

D.                Les conclusions sur le caractère distinctif de la marque

[209]       Pour les motifs qui précèdent, je me dois de conclure que l’on ne peut pas accueillir le présent appel à l’égard de la question du caractère distinctif. Les éléments de preuve qui ont été produits dans le cadre de cet appel – lesquels n’ont pas tous été soumis à la Commission – ne me permettent pas de conclure que la marque proposée (c’est-à-dire, la couleur et la forme du comprimé de Viagra) était distinctive du produit à la date pertinente.

[210]       Les preuves que l’on m’a présentées me donnent à penser que l’utilisation restreinte que les médecins, les pharmaciens et les patients peuvent faire de l’apparence du comprimé de Viagra à des fins d’identification ne suffit pas pour établir la distinctivité que requiert une marque de commerce valide ou, comme l’a dit la juge Dawson dans la décision Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, précitée : que signifie pour un médecin, un pharmacien ou un patient une pilule bleue en forme de losange, dénuée de toute inscription? Pas assez pour tirer une conclusion de distinctivité.

E.                 Les autres questions soumises

[211]       Du point de vue de la demanderesse, la distinctivité est la seule question qui est en cause dans le présent appel. La défenderesse fait état d’autres points qui sont contestés ou qui, de l’avis de la demanderesse, n’ont pas été soumis à bon droit à la Cour. Toutefois, compte tenu des conclusions que j’ai tirées sur la question de la distinctivité, il n’est nul besoin que je traite de ces autres questions.

[212]       La défenderesse a droit à ce que la demanderesse paie ses dépens. Je laisserai aux parties le soin de régler cette question, à défaut de quoi les avocats me feront part d’observations écrites, d’une longueur maximale de dix (10) pages dans chaque cas.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’appel est rejeté.

2.      La demanderesse (Pfizer Products Inc.) paiera les dépens de la défenderesse (Association canadienne du médicament générique), et la question du montant, s’il est nécessaire de la trancher, est remise à plus tard.

« James Russell »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-733-13

 

INTITULÉ :

PFIZER PRODUCTS INC. c ASSOCIATION CANADIENNE DU MÉDICAMENT GÉNÉRIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 24, 25, 26 ET 27 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELl

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Andrew Shaughnessy

Nicole Mantini

Laura Redekop

POUR LA demanderesse

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

Michel Shneer

POUR LA défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA défenderesse

 

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