Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150415


Dossier : T-548-12

Référence : 2015 CF 460

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

SHELDON BLANK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Monsieur Sheldon Blank n’a cessé, au cours des ans, de demander que lui soient communiqués des documents que détient le gouvernement du Canada concernant les poursuites engagées dans les années 1990 contre son entreprise pour une infraction réglementaire. En 2004, les poursuites en question ont été suspendues. M. Blank cherche à obtenir des preuves documentaires qui démontreraient, dans cette affaire, une conduite répréhensible de la part du ministère public.

[2]               M. Blank demande en l’espèce que lui soient communiquées 17 pages de la documentation détenue par le ministère de la Justice. Celui‑ci prétend que les documents en question sont protégés par le secret professionnel qui lie l’avocat à son client (au titre de l’article 23 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 – voir en annexe les dispositions invoquées). Le ministère retient certains documents dans leur intégralité, et sur d’autres a effectué des prélèvements (au titre de l’article 25).

[3]               Selon M. Blank, c’est à tort qu’on lui a refusé l’accès à ces documents qui, prétend‑il, ne sont pas couverts par le secret professionnel des avocats, ajoutant qu’en l’occurrence, c’est à mauvais escient, qu’est invoqué le pouvoir d’effectuer des prélèvements. Il me demande d’ordonner au ministère de la Justice de lui communiquer les documents en cause.

[4]               C’est d’après moi à bon droit que le ministère de la Justice invoque le secret professionnel et qu’il a effectué des prélèvements sur certains des documents réclamés par M. Blank. Je dois, par conséquent, rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[5]               Trois questions se posent en l’espèce :

1.      Le dossier de M. Blank contient‑il des documents qui ne sont pas visés par les Règles des Cours fédérales?

2.      Le ministère de la Justice a‑t‑il invoqué à mauvais escient le secret professionnel des avocats?

3.      Est-ce à tort que les documents en question ont fait l’objet de prélèvements?

[6]               M. Blank soutient qu’il est en droit d’obtenir une réparation plus large que la simple communication des dossiers en question, à savoir une ordonnance de la Cour enjoignant au ministère de la Justice d’approfondir ses recherches et de lui en communiquer les résultats (article 41). Il n’y a pas lieu pour moi de me pencher sur cet argument, étant donné qu’en tant que réparation, M. Blank ne réclame que la communication des documents en question.

II.                Contexte de l’affaire

[7]               En 2011, M. Blank a demandé que lui soient communiqués tous les documents rédigés par des personnes ayant pris part à la vidéoconférence qui a eu lieu en 2001, au cours de laquelle furent discutées cinq questions inscrites à l’ordre du jour. M. Blank s’est vu communiquer 338 pages de documents, dont certains avaient été expurgés, mais s’est vu refuser l’accès à des douzaines d’autres documents. En 2012, en réponse à une plainte de M. Blank, le commissaire à l’information a effectué des recherches complémentaires, et lui a communiqué plusieurs autres documents. M. Blank demande maintenant qu’on lui communique d’autres documents.

III.             Question no 1 – Le dossier de M. Blank contient‑il des documents qui ne sont pas visés par les Règles des Cours fédérales?

[8]               Selon le ministère de la Justice, c’est à tort que M. Blank a placé dans son dossier deux affidavits rédigés pour les besoins d’une procédure interlocutoire et non pour les besoins de la présente demande. Selon le ministère, il y a donc lieu de ne pas en tenir compte. Le ministère de la Justice fait par ailleurs valoir que le dossier de M. Blank contient de nombreuses pages de documents rédigés par des personnes non assermentées et qui n’auraient donc pas dû être produits devant la Cour.

[9]               J’estime, après examen des documents ainsi contestés, qu’ils sont sans rapport avec les questions que je suis appelé à trancher. Je n’ai donc pas à me prononcer à leur égard.

IV.             Question no 2 – Le ministère de la Justice a‑t‑il invoqué à mauvais escient le secret professionnel des avocats?

[10]           M. Blank ne conteste pas que les renseignements qu’il réclame sont couverts par le secret professionnel, mais il soutient que le ministère de la Justice a renoncé à s’en prévaloir, notamment dans les cas où des renseignements ont été supprimés de certains des documents qui lui ont été communiqués, alors que, dans d’autres documents, ces mêmes renseignements n’ont pas été soustraits. Il fait par ailleurs valoir qu’en commettant à son endroit un abus de procédure, le ministère a perdu le droit d’invoquer la protection qu’assure le secret professionnel qui lie l’avocat à son client.

[11]           Je ne suis pas de cet avis.

[12]           Il est évident que la communication de certains renseignements protégés n’entraîne pas la renonciation au privilège du secret professionnel. Pour qu’il y ait renonciation, il faut une intention explicite de renoncer à ce privilège. C’est ce qui ressort clairement d’autres affaires portées en justice par M. Blank : Blank c Canada (Justice), 2005 CF 1551, aux paragraphes 46 à 48; Canada (Ministre de la Justice) c Blank, 2007 CAF 147, au paragraphe 13; Blank c Canada (Environnement), 2006 CF 1253, à l’alinéa 33b).

[13]           Ajoutons que lorsque les renseignements en question ont déjà été fournis, la question de leur communication devient purement théorique : Blank c Canada (Environnement), 2007 CAF 289, au paragraphe 3; Blank c Canada (Justice), 2010 CAF 183, au paragraphe 24.

[14]           Et enfin, l’abus de procédure, même si un tel abus pouvait être démontré en l’espèce, ne constitue pas une exception au privilège du secret professionnel : Blank c Canada (Justice), 2010 CAF 183, au paragraphe 20. Je ne dispose d’ailleurs d’aucun élément me portant à conclure qu’il y aurait eu une inconduite justifiant la levée du secret professionnel.

[15]           Je ne saurais par conséquent conclure qu’en l’espèce, c’est à tort que le ministère de la Justice a invoqué le secret professionnel qui lie l’avocat à son client, ou qu’il aurait lieu d’en lever le privilège. Le ministère de la Justice a correctement désigné les renseignements protégés et a fait un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire qu’il a de ne pas les communiquer.

V.                Question no 3 – Est‑ce à tort que les documents en question ont fait l’objet de prélèvements?

[16]           M. Blank soutient que certains des renseignements prélevés auraient dû lui être communiqués. Dans certains cas, par exemple, M. Blank s’est vu communiquer la première page d’un mémo sur laquelle on avait biffé les intitulés.

[17]           M. Blank a également reçu copie de certains courriels dont on avait supprimé les passages concernant la décision de mettre sa compagnie en accusation. Selon lui, de tels renseignements ne doivent pas être tenus pour protégés, car ils concernent des comportements illicites (citant à l’appui de son argument, R c Campbell, [1999] 1 RCS 565).

[18]           Et enfin, M. Blank fait valoir qu’on aurait dû à tout le moins lui communiquer certaines parties du projet d’ordre du jour évoqué plus haut.

[19]           Ce n’est pas mon avis.

[20]           Les institutions gouvernementales sont tenues de communiquer les éléments de dossier qui ne contiennent aucun renseignement protégé (article 25). C’est ce que le ministère de la Justice a fait en l’occurrence – il a, en ce qui concerne les documents demandés par M. Blank, communiqué à celui‑ci les parties qui ne contenaient pas d’avis juridiques.

[21]           Après examen des documents dans leur version non expurgée, j’estime qu’ils contiennent en effet des avis fournis par les avocats du ministère et qu’ils sont par conséquent couverts par le secret professionnel des avocats. Le ministère de la Justice n’a donc commis aucune faute en effectuant des prélèvements sur les documents communiqués à M. Blank.

[22]           Ajoutons qu’il n’était pas, de la part du ministère de la Justice, déraisonnable de ne pas prélever certaines parties du projet d’ordre du jour. Des prélèvements ne peuvent être effectués que lorsque le document comporte des parties pouvant effectivement être prélevées sur le reste (article 25). Dans la mesure où les questions inscrites à l’ordre du jour avaient trait à des avis juridiques, les renseignements protégés ne pouvaient pas raisonnablement être retranchés du reste.

[23]           Je ne saurais donc conclure que c’est à tort que le ministère de la Justice a effectué des prélèvements parmi les documents remis à M. Blank.

VI.             Conclusion et décision

[24]           J’estime que le ministère de la Justice n’a pas invoqué à tort le secret professionnel des avocats, et n’a pas eu tort d’effectuer des prélèvements sur les documents en cause. Je dois donc rejeter avec dépens la demande de contrôle judiciaire. L’avocat du ministère de la Justice a remis une mémoire des frais s’élevant à 10 000 $, plus 500 $ au titre des dépens auxquels M. Blank avait été condamné à l’issue d’une précédente procédure interlocutoire. Je fixe à 3 500 $ le montant des dépens en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

2.      Le montant des dépens est fixé à 3 500 $.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


Annexe

Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1

Access to Information Act, RSC 1985, c A-1

Secret professionnel des avocats

Solicitor-client privilege

23. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

23. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information that is subject to solicitor-client privilege

Prélèvements

Severability

25. Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

Révision par la Cour fédérale

Review by Federal Court

41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

41. Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-548-12

 

INTITULÉ :

SHELDON BLANK c LE MINISTRE DE LA JUSTICE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 8 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 15 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Sheldon Blank

 

LE DEMANDEUR

 

John Faulhammer

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheldon Blank

Winnipeg (Manitoba)

 

LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.