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Date : 20150413


Dossier : IMM-6681-14

Référence : 2015 CF 450

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

AB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rejetant la demande d’asile présentée par le demandeur au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Le contexte factuel

[2]               Le demandeur est un Tamoul du nord du Sri Lanka et il demande l’asile parce qu’il craint d’être persécuté par l’armée et les forces de sécurité sri-lankaises (SLA), des groupes paramilitaires sri-lankais et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[3]               En janvier 2006, dans le contexte de l’érosion progressive de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le gouvernement sri-lankais et les TLET, et dans le cadre des efforts déployés par les TLET pour recruter de nouveaux membres, le demandeur a été conduit de force dans un camp des TLET, où il a été torturé.

[4]               Le troisième jour de sa détention par les TLET, le demandeur a réussi à s’échapper et est entré dans la clandestinité. Peu après, au motif que le demandeur était soupçonné d’être un membre des TLET en raison de son origine tamoule, la SLA et des groupes paramilitaires l’ont conduit dans un camp, où il a été torturé. Il a été battu, et des chocs électriques lui ont été administrés aux doigts.

[5]               En février 2006, l’oncle du demandeur s’est présenté au camp où le demandeur était détenu, et il a soudoyé la SLA en échange de la libération du demandeur.

[6]               Avec l’aide de son oncle, le demandeur a fui le Sri Lanka est allé travailler dans un pays tiers grâce à un faux permis de travail.

[7]               Avec l’aide d’un agent, le demandeur est venu au Canada à bord du Sun Sea (le Sun Sea) le 13 août 2010, et il a demandé l’asile le 7 octobre 2010.

[8]               Une audience a été tenue devant la SPR le 13 mars 2014.

III.             La décision attaquée

[9]               Par décision motivée datée du 21 août 2014, la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens de la LIPR.

[10]           La SPR a opiné que les éléments de preuve présentés par le demandeur étaient problématiques à certains égards, mais elle a conclu que, dans l’ensemble, le témoignage du demandeur était crédible; toutefois, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’un fondement objectif à sa crainte, comme il devait le faire pour l’application des articles 96 et 97 de la LIPR.

[11]           Plus précisément, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, « le profil du demandeur d’asile ne l’exposerait pas au risque d’être associé aux TLET, qu’il n’avait « aucun lien avec les TLET et qu’il n’était pas, ou ne serait pas, ciblé par le gouvernement à titre de partisan des TLET » (décision de la SPR, au paragraphe 29).

[12]           En ce qui concerne la demande d’asile du demandeur sur place, en tant que passager du Sun Sea, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque plus grand en raison de la manière dont il était venu au Canada et qu’il ne serait pas exposé aux risques visés à l’article 97 en tant que demandeur d’asile tamoul débouté retournant dans son pays.

IV.             Dispositions législatives

[13]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont applicables à la décision de la SPR statuant sur la question du statut de réfugié :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

V.                La norme de contrôle

[14]           L’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SPR et son appréciation de la question de savoir si le demandeur serait en danger s’il retournait au Sri Lanka sont des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, qui sont susceptibles de contrôle selon la norme déférente de la raisonnabilité (S.A. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 146, au paragraphe 21; Sivanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 184, aux paragraphes 6 et 7 (Sivanathan); Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa); Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir)).

[15]           Par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour substituer la solution qui serait à son avis préférable à celle qui a été retenue ni pour réévaluer les éléments de preuve (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59).

VI.             Arguments et analyse

[16]           Au soutien de sa demande, le demandeur formule cinq arguments principaux, que la Cour examinera tour à tour.

A.                La norme de preuve

[17]           Premièrement, le demandeur soutient que la SPR n’a pas appliqué le bon fardeau de preuve lorsqu’elle a décidé si le demandeur était visé par les articles 96 et 97 de la LIPR. Selon le demandeur, cette erreur doit être contrôlée selon la norme non déférente de la décision correcte. En particulier, le demandeur soutient que la SPR a appliqué un fardeau de preuve plus exigeant au demandeur en exigeant qu’il prouve une probabilité de persécution, comme on peut l’inférer de l’emploi par la SPR d’expressions telles « personnellement ciblé », « ne serait pas », « serait » et « sérieusement soupçonné ».

[18]           La Cour souscrit au point de vue du défendeur selon lequel la SPR a relevé et appliqué de façon raisonnable le critère juridique adéquat, en conformité avec la jurisprudence.

[19]           Premièrement, les mots employés par la SPR, pris en contexte, ne traduisent pas une compréhension ou une application erronée du cadre analytique applicable à l’interprétation des articles 96 et 97 de la LIPR (Thanapalasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 830, aux paragraphes 19 et 20).

[20]           Deuxièmement, la Cour fonde son avis sur la distinction entre la norme de preuve applicable et le critère juridique auquel il doit être satisfait. Comme la Cour l’a résumé dans Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 420, au paragraphe 184; conf. par Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 :

[184] Il convient de faire une distinction entre le critère juridique applicable à l’appréciation du risque de persécution futur et la norme de preuve applicable aux faits sous‑jacents à la demande d’asile. Le critère juridique en matière de persécution exige simplement que l’intéressé établisse davantage qu’une simple possibilité qu’il fasse l’objet de persécution à l’avenir, mais la norme de preuve applicable aux faits sous‑jacents à la demande est celle de la prépondérance de la preuve : Adjei, à la page 682. Voir également Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 239 (C.A.F.), aux paragraphes 9 à 14 et 29.

B.                 L’évaluation de la crédibilité faite par la SPR

[21]           Troisièmement, le demandeur reproche à la SPR d’avoir tiré une conclusion générale favorable quant à la crédibilité du témoignage du demandeur – dans lequel celui-ci relatait notamment son arrestation, sa détention et sa torture arbitraires –, puis d’avoir conclu en dernière analyse que le demandeur ne courait pas le risque d’être persécuté ou tué ou de subir un préjudice ou un traitement inusité au sens de la LIPR.

[22]           Le demandeur soutient que la SPR était tenue d’énoncer clairement les motifs pour lesquels elle estimait que le demandeur n’était pas crédible à ces égards.

[23]           Le défendeur soutient que la présomption de véracité du témoignage du demandeur ne s’étend pas aux inférences que la SPR peut tirer de ces faits. Il était donc raisonnable que la SPR conclue que le témoignage du demandeur était crédible, mais qu’au moment de l’audience, il n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

[24]           La Cour fait remarquer que les motifs de la SPR sont ambigus à première vue, dans la mesure où la SPR évoque la crédibilité comme une des « questions déterminantes à trancher en l’espèce » (décision de la SPR, au paragraphe 11), tout en soutenant que le témoignage du demandeur était crédible dans l’ensemble et que les lacunes dans les documents du demandeur « ne suffis[aient] pas, selon la prépondérance des probabilités, pour conclure que le demandeur d’asile n’[était] pas crédible » (décision de la SPR, au paragraphe 33).

[25]           Un examen soigneux des motifs de la SPR révèle que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité sont cohérentes, qu’elles sont intrinsèquement logiques, et qu’elles sont ancrées dans la preuve.

[26]           Il n’était pas déraisonnable que la SPR conclue, d’une part, que le témoignage du demandeur était crédible, et conclue, d’autre part, que le demandeur n’avait pas établi l’existence de plus qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à une menace à sa vie à son retour au Sri Lanka, au sens de l’article 97.

[27]           Les conclusions favorables de la SPR concernant la crédibilité relativement à la détention et à l’arrestation du demandeur n’emportent pas d’emblée à elles seules la conclusion que le demandeur serait victime de persécution pour le même motif aujourd’hui, ni qu’il serait exposé à un risque à son retour au Sri Lanka du fait d’avoir été soupçonné dans le passé d’appuyer les TLET ou d’y appartenir.

C.                 Les allégations de torture du demandeur

[28]           Quatrièmement, le demandeur critique la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur a été torturé, mais ce « traitement n’était pas horrible au point d’étayer des allégations de motifs impérieux » et le « fait que ces actes de torture n’ont pas duré et que le demandeur d’asile a été libéré moyennant le versement d’un pot-de-vin […] porte à croire qu’il ne serait pas exposé à un risque élevé de torture à l’avenir » (décision de la SPR, aux paragraphes 41 et 60). Selon le demandeur, les conclusions de la SPR impliquent qu’il était nécessaire que le demandeur ait subi de la torture pour pouvoir démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté au Sri Lanka. Le demandeur soutient que la SPR a de façon déraisonnable assimilé la torture et la persécution, et que sa conclusion à cet égard est non seulement hypothétique, mais elle constitue également une erreur en droit.

[29]           La Cour convient avec le défendeur que les critères juridiques applicables pour déterminer le statut de réfugié s’apprécient de manière prospective et il incombe au demandeur de démontrer qu’au moment de l’audience, il satisfait aux exigences de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR. Par conséquent, comme je l’ai déjà mentionné, des incidents passés de persécution alléguée sont des indicateurs possibles d’un risque de persécution future, mais la preuve d’une persécution passée n’est pas suffisante, en elle-même, pour justifier d’accorder le droit d’asile en vertu de la LIPR. De plus, il a été statué que le simple fait qu’un demandeur d’asile ait été à bord du Sun Sea n’était pas suffisant, en soi, pour justifier d’accueillir une demande d’asile sur place (Sivanathan, précité, au paragraphe 12). En outre, « la crainte de persécution doit être évaluée de manière prospective et le risque doit être personnalisé » (Thavachchelvam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 83, au paragraphe 16).

[30]           La Cour ne peut pas retenir l’argument du demandeur selon lequel les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur risquerait peut-être d’être arrêté et détenu à son retour au Sri Lanka équivalent à une admission du bien-fondé de la crainte objective du demandeur.

[31]           Enfin, la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de « raisons impérieuses » au sens du paragraphe 108(4) de la LIPR n’était pas déraisonnable. Il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une évaluation des raisons impérieuses au sens du paragraphe 108(4), qui devrait plutôt être entreprise, par exemple, dans le cas où le demandeur d’asile s’est vu reconnaître la qualité de réfugié, mais que ce statut lui a été refusé en raison d’un changement des conditions dans le pays d’origine (Contreras Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 343, au paragraphe 19; Kalumba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [2005] ACF no 879, aux paragraphes 18 et 19).

D.                L’appartenance du demandeur aux TLET

[32]           Quatrièmement, le demandeur soutient que la SPR a opéré une distinction déraisonnable entre les personnes soupçonnées d’appartenir aux TLET qui sont « vraiment » soupçonnées d’appuyer les TLET et celles qui « ne sont pas vraiment » soupçonnées d’appuyer les TLET. Selon le demandeur, la SPR opère cette distinction en reconnaissant, d’une part, que le demandeur a été interrogé par la SLA en raison de ses possibles liens avec les TLET, mais que d’autre part, qu’il n’était pas « vraiment » soupçonné d’avoir de tels liens, parce qu’il aurait été invraisemblable qu’un pot-de-vin permette sa libération. Le demandeur soutient en outre que la SPR a créé une nouvelle catégorie de personnes » vraiment » soupçonnées d’appartenir aux TLET, ce qui tend à indiquer que des liens plus étroits sont nécessaires pour que le demandeur puisse démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté.

[33]           Le défendeur soutient que le demandeur exprime un désaccord avec la manière dont la SPR a évalué la preuve, ce qui est insuffisant pour justifier l’intervention de la Cour; il était loisible à la SPR d’accorder plus de poids à certaines parties de son témoignage, avec motifs à l’appui.

[34]           La Cour estime que la lecture des conclusions de la SPR par le demandeur omet d’apprécier les conclusions de la SPR dans le cadre de leur logique inhérente ou de leur contexte.

[35]           En conformité avec les lignes directrices du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR] concernant l’évaluation du droit à la protection internationale des demandeurs d’asile sri lankais, publiées le 5 juillet 2014,la Cour a affirmé que chaque demande d’asile devait être examinée selon la situation qui lui est propre (B198 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1106, aux paragraphes 17 et 51; P.M. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 77, au paragraphe 16 [P.M.]).

[36]           La SPR a examiné le témoignage et les éléments de preuve présentés par le demandeur ainsi que les éléments de preuve documentaire qui tendent à indiquer que les Tamouls qui retournent au Sri Lanka sont assujettis à la même procédure de contrôle applicable à toutes les personnes qui retournent au Sri Lanka, peu importe qu’ils retournent au Sri Lanka volontairement ou après avoir été déboutés d’une demande d’asile, et des éléments de preuve attestant de programmes et d’initiatives qui ont été mis en œuvre depuis la fin du conflit armé en avril 2009, dans le cadre desquels :

[…] d’anciens combattants et membres des TLET ainsi que de nombreuses autres personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec les TLET ont été démobilisés et ont participé à un programme de « réadaptation ». Cette initiative a été mise en œuvre par le ministère de la réforme de la réadaptation et des prisons, sous la supervision générale du ministère de la Défense. Un total de plus de 11 000 personnes ayant de présumés liens avec les TLET — pour la plupart des anciens combattants, mais aussi des chauffeurs, des cuisiniers et d’autres assistants — ont subi ce processus (décision de la SPR au paragraphe 44).

[37]           La SPR ajoute, au sujet de la situation personnelle du demandeur :

Le demandeur d’asile n’a pas prétendu avoir été sérieusement soupçonné par le passé d’entretenir des liens avec les TLET. Il a réussi à quitter le pays muni de son propre passeport, et il n’a pas été détenu aux points de sécurité à l’aéroport à titre de personne recherchée par le gouvernement. Je conclus que le demandeur d’asile n’était pas soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET.

Le demandeur d’asile s’est absenté du Sri Lanka pendant plus de huit ans. Rien ne permet de penser qu’il a joué un rôle au sein des TLET pendant son séjour hors du pays. Les personnes qui retournent au Sri Lanka font l’objet d’une inspection à leur arrivée. Certains groupes ont laissé entendre que des demandeurs d’asile déboutés sont torturés lorsqu’ils sont interrogés à leur retour. Le même document fournit des éléments de preuve tout aussi crédibles selon lesquels cela ne se produit pas, et le HCR a des programmes de suivi à long terme du retour des réfugiés. Tout compte fait, j’estime que le demandeur d’asile ne serait pas exposé au risque de peines cruelles et inusitées ou de subir un autre préjudice à son retour (décision de la SPR aux paragraphes 44 et 45).

[38]           La SPR procède ensuite à une évaluation du risque auquel serait exposé le demandeur à son retour au Sri Lanka, en tant que passager arrivé au Canada à bord du Sun Sea. À la suite d’un examen équilibré des éléments de preuve documentaire et de plusieurs facteurs, la SPR conclut que le demandeur n’a pas le profil d’une personne qui serait soupçonnée d’avoir des liens avec les TLET au motif qu’il a voyagé à bord du Sun Sea.

[39]           Il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas soupçonné d’appartenir aux TLET ni d’avoir quelque lien que ce soit avec les TLET, et il manquait donc un fondement objectif à sa crainte alléguée et au risque auquel il prétendait qu’il serait exposé à son retour, ce qui, dans sa situation personnelle, minait sa demande d’asile.

[40]           La juge Catherine M. Kane a affirmé ce qui suit dans Yathavarajan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 297, au paragraphe 64 :

[64]      La Commission n’a ignoré aucune preuve; elle a plutôt accordé plus d’importance à certains éléments, et indiqué ceux qu’elle a écartés en expliquant ses motifs. La Commission a évalué individuellement le cas du demandeur et a conclu qu’à son retour au Sri Lanka, il serait interrogé, sans toutefois être exposé à une menace à sa vie, ou à un risque de traitement ou de peine cruels et inusités ou de torture, parce qu’il ne serait pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET, ou considéré comme tel. La décision de la Commission est raisonnable.

E.                 L’évaluation des éléments de preuve documentaire par la SPR et l’obligation de communication du défendeur

[41]           Enfin, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve documentaire.

[42]           Après avoir examiné le dossier certifié du tribunal (DCT), la Cour est d’avis que les motifs de la SPR traduisent une pondération soigneuse d’éléments de preuve contradictoires, notamment des éléments de preuve qui démontraient que des Sri-lankais tamouls qui étaient retournés dans leur pays avaient été torturés à leur retour, ainsi que des éléments de preuve qui tendaient à indiquer une faible probabilité que le demandeur soit exposé au risque de subir un préjudice à son retour. La SPR a également reconnu que la situation actuelle au Sri Lanka n’était pas parfaite pour les Tamouls, en particulier pour ceux qui étaient soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET.

[43]           La Cour conclut que les conclusions de la SPR sont nuancées et sont ancrées dans les éléments de preuve, en conformité avec les principes de transparence, d’intelligibilité et de justification. La Cour adopte le raisonnement exposé par la juge Snider dans la décision P.M., précitée, au paragraphe 17 :

[17] En outre, et il s’agit d’un facteur encore plus important, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Il est possible de parvenir à des conclusions différentes à partir de faits similaires. Je reconnais que le demandeur a mis de l’avant un raisonnement logique à l’appui de la conclusion qu’il était exposé à un risque, en raison de son arrivée au pays à bord du NM Sun Sea. Cela ne signifie toutefois pas que le raisonnement adopté par la Commission était déraisonnable. L’existence d’un éventail d’issues possibles est la caractéristique principale de la norme de la raisonnabilité et elle constitue la fondation de la déférence envers les décideurs. La question de savoir si le demandeur en l’espèce serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution était une question factuelle qui relevait de la Commission. Malgré le fait qu’il soit possible que moi, ou qu’un autre commissaire, ayons pu parvenir à une conclusion différente, il était raisonnablement loisible à ce tribunal de la Commission d’en arriver à cette décision, au vu du dossier de preuve en l’espèce. La Cour ne devrait pas intervenir.

[Non souligné dans l’original.]

[44]           Enfin, la Cour rejette la prétention du demandeur selon laquelle le défendeur ne s’est pas acquitté de son obligation de communication de la preuve, en particulier de la déclaration d’un autre passager du Sun Sea (B016), qui avait été détenu et torturé à son retour au Sri Lanka. Toutes et chacune des affaires doivent être appréciées en fonction des faits qui leur sont propres, et donc, en fonction de leurs propres éléments de preuve et de tout élément de preuve qui pourrait être pertinents au regard de l’affaire, mais l’affidavit du passager B016 est inclus dans la pièce C-5 du DCT et n’a donc pas été omis de l’ensemble des éléments de preuve communiqués.

VII.          Conclusion

[45]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question sérieuse de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6681-14

 

INTITULÉ :

AB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 13 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Dan M. Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gretchen Timmins

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan M. Bohbot,

avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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