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Date : 20150325


Dossier : IMM-5459-14

Référence : 2015 CF 377

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

MAKHAN SINGH

demandeur

et

LE GOUVERNEMENT DU CANADA

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27, vise une décision (la décision) par laquelle une agente des visas a refusé, en date du 16 mai 2014, la demande de visa de résident temporaire présentée par le demandeur.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur a présenté une demande dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (PCIS) dans la catégorie des entrepreneurs agricoles. Pendant le traitement de sa demande, le demandeur a été invité à visiter la Saskatchewan dans le cadre du PCIS.

[3]               Le demandeur a présenté une demande de visa de résident permanent le 28 mars 2014.

[4]               Dans une lettre envoyée le 4 avril 2014, l’agente a informé le demandeur qu’elle n’était pas convaincue qu’il s’était conformé à l’article 16 de la Loi, qui exige des demandeurs qu’ils répondent honnêtement à toutes les questions. La lettre est formulée en ces termes :

[traduction]

En réponse à la question « Cochez la case appropriée si on vous a refusé l’entrée, un visa ou sommé de quitter le territoire canadien ou celui d’un autre pays », vous n’avez pas déclaré que vous avez déjà reçu l’ordre de quitter les États-Unis[.]

Veuillez noter que s’il est conclu que vous avez fait de fausses déclarations dans votre demande, vous pourriez être déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Une telle conclusion emporterait contre vous interdiction de territoire au Canada pour une période de deux ans, suivant l’alinéa 40(2)a) […].

[En caractère gras dans l’original.]

[5]               Un délai de trente jours a été accordé au demandeur pour qu’il présente des observations sur les préoccupations de l’agente.

[6]               En réponse, le demandeur a prié l’agente de tenir compte du fait que le renvoi était attribuable au fait qu’il avait prolongé indûment son séjour aux États-Unis à la suite du rejet de sa demande d’asile, et non à une interdiction de territoire pour criminalité ou pour motifs sanitaires. Le demandeur a également affirmé que, s’il avait déclaré le renvoi, il ne se serait pas vu refuser l’entrée au Canada.

III.             DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[7]               La demande de visa de résident temporaire a été refusée le 16 mai 2014. Voici un extrait de la décision :

[traduction]

Dans la demande que vous avez présentée le 31 mars 2014, vous avez fait une présentation erronée ou avez manifesté une réticence sur le fait important suivant : Renseignements généraux – demande d’asile présentée aux États-Unis et renvoi des États-Unis[.]

La présentation erronée ou la réticence sur ce fait important a entraîné ou aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi en donnant la fausse impression que vous étiez un véritable visiteur au Canada.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[8]               Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire :

  1. L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur a fait une fausse déclaration dans sa demande de visa de résident permanent?
  2. Dans l’affirmative, l’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la fausse déclaration portait sur des faits importants de la demande?
  3. L’agente a-t-elle contrevenu aux règles de l’équité procédurale?
  4. L’agente a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[9]               Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en jeu est bien établie en jurisprudence, la cour de révision pourra adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision entreprendra l’analyse des quatre éléments permettant d’établir la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[10]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle prévue à l’alinéa 40(1)a) est celle de la décision correcte : Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 22 [Khan]. Si l’alinéa 40(1)a) s’applique, la présente demande est alors susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Khan, précité; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 19 [Goburdhun]; Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 12. Le demandeur affirme que l’interprétation faite par l’agente de la question 2c) est une interprétation législative et qu’elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Khan, précité, au paragraphe 22. Le caractère suffisant des motifs est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Kotanyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 507, au paragraphe 26.

[11]           Le défendeur soutient qu’une conclusion tirée suivant l’article 40 de la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 19 [Jiang]. Le caractère suffisant des motifs est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa].

[12]           La décision rendue par l’agente en application de l’article 40 de la Loi porte sur des questions de fait et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Jiang, précité, au paragraphe 19. Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Exeter c Canada (Procureur général), 2014 CAF 251, au paragraphe 31. Le caractère suffisant des motifs sera évalué dans le cadre de l’examen du caractère raisonnable de la décision : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15 et 16 [Newfoundland Nurses].

[13]           À l’occasion d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi] qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier à l’égard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi étaient en vigueur au moment où la décision a été rendue et elles s’appliquent dans la présente instance :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

[…]

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1):

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

[…]

[…]

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

[15]           Le demandeur soutient qu’une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’article 40 de la Loi exige qu’il y ait eu présentation erronée sur un fait important : Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556, au paragraphe 24 [Dhatt]. Il n’y a pas de fausse déclaration lorsque le demandeur est honnête et croit avec raison qu’il ne fait pas de présentation erronée sur un fait important : Dhatt, précité, au paragraphe 27; Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, au paragraphe 33; Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126.

[16]           L’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur avait répondu « non » à la question 2b). Le demandeur a expliqué que son agent de voyage avait répondu « non » par erreur, mais qu’il a corrigé l’erreur et a présenté une nouvelle demande, dans laquelle il était indiqué « oui ».

[17]           Le demandeur a mentionné que l’agente a commis une erreur en concluant que la question 2c) était suffisamment claire et que le demandeur aurait dû fournir des renseignements sur le rejet de sa demande d’asile aux États-Unis, en 1995. À la question 2c), on informe les demandeurs de bien vouloir « fournir des détails », s’ils ont répondu « oui » à la question 2a) ou 2b). Le demandeur fait valoir que la question est vague, ambiguë et imprécise. Il souligne que les autres questions sont assez détaillées dans leur description du type de renseignements demandés. Il dit qu’il n’avait pas compris qu’on lui demandait de fournir des renseignements sur le rejet de la demande d’asile, parce qu’elle visait les États-Unis, que dix-neuf années s’étaient écoulées depuis et qu’il avait voyagé du Canada vers l’Inde à plusieurs reprises depuis 1995.

[18]           L’agente a commis une erreur en concluant que la présentation erronée du demandeur a entraîné ou aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, en donnant une fausse impression que le demandeur était un véritable visiteur au Canada. Une présentation erronée est importante si elle entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi : Dhatt, précité, au paragraphe 24. Le rejet de la demande d’asile n’est pas un fait important pour ce qui est de savoir si le demandeur est un véritable visiteur au Canada. Il s’est rendu au Canada, puis est retourné en Inde plusieurs fois depuis le rejet de sa demande d’asile. Il a aussi été invité au Canada dans le cadre du PCIS. De plus, l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant l’échange de renseignements sur les visas et l’immigration, Traité E105246 du 13 décembre 2012 (le Traité), prévoit que les États-Unis fournissent systématiquement des renseignements quant à savoir si le demandeur au Canada s’est déjà vu refuser un visa aux États‑Unis ou a déjà été renvoyé de ce pays. Par conséquent, aucune présentation erronée faite par le demandeur relativement au rejet de sa demande d’asile aux États‑Unis ne devrait entraîner d’erreurs dans l’application de la Loi.

[19]           Le demandeur soutient que l’agente a contrevenu aux règles de l’équité procédurale en concluant qu’il avait fait une présentation erronée sur un fait important. Il se fonde sur les faits suivants : la décision aura des répercussions importantes sur sa demande d’immigration au Canada; l’agente aurait dû tenir compte que 19 années se sont écoulées depuis le rejet de la demande d’asile; la formulation de la question 2c) est vague et ambiguë; le demandeur n’a pas dissimulé intentionnellement sa demande d’asile présentée aux États-Unis.

[20]           Le demandeur prétend que les motifs de la décision sont insuffisants : Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 176 (Sidhu). Les motifs ne fournissent aucune explication sur le fait que l’agente a conclu que la fausse déclaration du demandeur donne une « fausse impression » qu’il est un véritable visiteur au Canada. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) ne donnent pas plus d’explications que la conclusion susmentionnée et ne tiennent pas compte du fait que le demandeur s’est rendu au Canada et est retourné en Inde à plusieurs reprises et qu’il souhaite effectuer une visite dans le cadre de l’invitation lancée par le PCIS. Les notes consignées dans le SMGC sont également inexactes, car elles n’indiquent pas que le demandeur a répondu « non » à la question b).

B.                 Défendeur

[21]           Le défendeur soutient que les demandeurs de visa sont tenus à une obligation de franchise. Il existe une exception restreinte qui s’applique « aux circonstances véritablement exceptionnelles dans lesquelles le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important » : Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, au paragraphe 24 [Goudarzi]; Medel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 (C.A.); Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 CF 299, au paragraphe 41 (1re inst.) [Mohammed].

[22]           Selon le défendeur, la prétention du demandeur selon laquelle il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée n’était pas fondée vu la formulation imprécise de la question 2c). Cette question indique clairement que des renseignements doivent être fournis lorsqu’un demandeur s’est vu [traduction] «  refuser un visa, interdire l’entrée ou sommer de quitter le Canada ou un autre pays ». Selon une interprétation raisonnable de la question 2c), il est clair que le demandeur devait dévoiler qu’il avait été sommé de quitter les États-Unis. Il est possible que les détails exigés soient un point à débattre, mais il ne fait aucun doute que le demandeur était tenu de mentionner le rejet de sa demande d’asile et de son renvoi. Peu importe que le demandeur ait intentionnellement omis de procéder à la divulgation complète, il était déraisonnable d’agir ainsi, et la situation ne justifie pas une exception à son obligation de communiquer les faits importants.

[23]           L’agente a raisonnablement conclu que la présentation erronée du demandeur était importante. La question de savoir si un résident temporaire quittera le pays constitue un facteur dont il faut tenir compte, et une omission antérieure de quitter le pays est un facteur pertinent à considérer dans cette évaluation. Le défendeur soutient que le Traité est peu pertinent pour ce qui est de savoir si Citoyenneté et Immigration Canada est en mesure de découvrir la présentation erronée; la question est plutôt de savoir si cette présentation erronée a entraîné ou aurait pu entraîner une telle erreur : Goburdhun, précité, au paragraphe 43.

[24]           Le défendeur affirme que l’agente s’est conformée à son obligation d’équité procédurale. L’agente a envoyé une lettre au demandeur en lui donnant la possibilité de répondre à sa préoccupation relativement à la présentation erronée. La réponse du demandeur a été examinée par l’agente, et cela satisfaisait à l’obligation d’équité procédurale.

[25]           Le défendeur soutient qu’un demandeur a l’obligation d’exiger des motifs du tribunal avant de solliciter le contrôle judiciaire au motif que sa décision n’est pas motivée : Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] A.C.F. no 1301, au paragraphe 31 (1re inst.); Marine Atlantic Inc c Canadian Merchant Service Guild (2000), 258 NR 112 (CAF). Rien n’indique que le demandeur a demandé des motifs supplémentaires, et, par conséquent, il ne peut pas se prévaloir de ce motif de contrôle : Hayama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1305, au paragraphe 15; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 315, au paragraphe 23.

[26]           Subsidiairement, le défendeur affirme que les motifs fournis étaient suffisants. « Une décision bien motivée [...] permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide » : Sidhu, précité, au paragraphe 20, citant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, au paragraphe 17; voir aussi Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16. Les notes du SMGC font partie intégrante des motifs de l’agente et exposent clairement le motif selon lequel l’agente a conclu que la non-divulgation constituait une fausse déclaration importante : De Hoedt Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1391, au paragraphe 51 [De Hoedt Daniel].

C.                 Réponse du demandeur

[27]           En réponse, le demandeur affirme que rien ne l’oblige à demander à l’agente de lui fournir des motifs supplémentaires. L’agente a eu l’occasion de fournir des motifs suffisants dans les documents qu’elle a remis au demandeur. En outre, la Cour s’est penchée sur le caractère suffisant des motifs des agents des visas, sans exiger qu’un demandeur demande d’autres explications : voir Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083.

D.                Autres observations du demandeur

[28]           Le demandeur soutient également que l’objet de l’affidavit de Carol McKinney dans la présente instance est vague. L’affidavit ne permet pas d’obtenir des éclaircissements sur la décision du défendeur qui a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur un fait important. Cet affidavit ne fournit aucune explication ou presque sur l’erreur qu’a commise le défendeur lorsqu’il a déterminé que le demandeur avait répondu « non » à la question 2b. Mme McKinney reconnaît qu’un autre agent a inexactement noté que le demandeur avait répondu « non » à la question 2b. Mme McKinney n’indique cependant pas si cette erreur a amené l’agente à rendre la décision qu’elle a rendue.

[29]           Si l’affidavit est présenté pour laisser croire qu’il ne faudrait pas prendre en compte l’erreur parce qu’une décision définitive a été rendue par Mme McKinney, le demandeur reproche au défendeur de demander à la Cour de ne pas tenir compte de l’erreur commise par l’agente, tout en lui demandant de confirmer sa décision concernant l’erreur du demandeur.

E.                 Autres observations du défendeur

[30]           Le défendeur soutient en outre que l’affidavit vise à établir que l’erreur a été commise par un adjoint, et non par l’agente. Rien n’indique dans les notes de l’agente que cette dernière a mal compris la réponse du demandeur. L’erreur n’a pas été commise par le décideur, et n’est pas pertinente quant à la décision de l’agente concernant la fausse déclaration du demandeur : Mansoori c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 559, au paragraphe 6.

VIII.       ANALYSE

[31]           Du point de vue du demandeur, la décision paraît très difficile à accepter et déraisonnable, et l’avocat du demandeur a très bien expliqué pourquoi à l’audience. Je n’ai aucune raison de croire que le demandeur a agi malhonnêtement. Comme l’avocat l’a expliqué, il n’a simplement pas cru qu’un incident qui s’est produit aux États‑Unis il y a plus de 19 ans était un fait pertinent dans le cadre de sa demande de visa, compte du lien qu’il a établi dans l’intervalle avec le Canada.

[32]           Toutefois, la décision ne porte pas vraiment sur la culpabilité. Elle intéresse l’intégrité du processus de traitement des visas et ce qu’il faut pour maintenir cette intégrité. Pour dire les choses franchement, il n’appartient pas au demandeur, pas plus qu’à tout autre demandeur de visa, de décider de ce qui est pertinent. Les demandeurs sont tenus de faire une divulgation complète, et l’agent qui examine la demande a pour rôle de décider ce qui est pertinent et quel poids doit être accordé aux faits particuliers qui sont communiqués. Le système ne pourrait tout simplement pas fonctionner si les demandeurs, dignes de foi ou non, pouvaient décider de ce qui est pertinent dans leur demande. Si le demandeur a fait une divulgation complète et croit que le refus de sa demande de visa était déraisonnable, il bénéficie d’un recours devant la Cour. Toutefois, le problème que posent les présentations erronées est qu’elles empêchent les agents qui se sont vu conférer le pouvoir décisionnel par le Parlement de prendre des décisions tenant compte de tous les faits. C’est précisément le problème qui se pose dans la présente demande.

[33]           Il est manifeste qu’il y a eu présentation erronée en l’espèce. Le demandeur n’a pas divulgué dans sa demande qu’il avait prolongé indûment son séjour aux États‑Unis après le rejet de sa demande et qu’il avait été renvoyé en Inde. Le demandeur avait conscience de ces faits, mais il a choisi de ne pas les révéler, malgré les instructions claires à cet effet inscrites sur le formulaire qu’il a rempli et malgré aussi la déclaration sous serment selon laquelle il avait donné des réponses exactes et complètes aux questions du formulaire. Cela signifie que le demandeur avait décidé que l’information relative aux États‑Unis ne devrait pas être un facteur pris en considération dans sa demande de visa. Si cela était acceptable, le système ne fonctionnerait pas parce que les demandeurs ne divulgueraient pas ce qui, selon eux, ne devraient pas être pris en considération : les pouvoirs décisionnels que le Parlement a conférés aux agents des visas seraient sérieusement entravés. C’est pourquoi l’article 40 existe et c’est pourquoi il ressort clairement de la jurisprudence qu’une présentation erronée – même si elle est faite en toute honnêteté – ne peut être excusée que dans des circonstances véritablement exceptionnelles.

[34]           Je suis convaincu, en me fondant sur l’affidavit de Mme McKinney et sur le dossier en général, que l’inscription faite le 1er mai 2014 par Mme Kaur dans le SMGC était une erreur, qui n’a par ailleurs eu aucune incidence sur la décision de Mme McKinney de refuser la demande de visa. La décision de Mme McKinney, comme il ressort clairement des notes du SMGC, de la lettre d’équité et de la lettre de refus du 16 mai 2014, se fondait uniquement sur le défaut de divulguer, à la question 2c) du formulaire, des renseignements sur le rejet de sa demande d’asile présentée et rejetée antérieurement aux États‑Unis et sur son renvoi en Inde. Il ressort clairement de la lettre de refus et des notes du SMGC que l’agente a conclu que cette omission était importante et emportait interdiction de territoire en application du paragraphe 40(1) de la Loi parce qu’elle aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la loi en ce sens qu’elle aurait pu avoir une incidence sur l’évaluation de la véritable raison de la venue du demandeur au Canada et sur la question de savoir s’il était un véritable visiteur temporaire. Cette omission privait également l’agente de la possibilité d’examiner toute autre cause de non-admissibilité qu’il pourrait avoir acquise pendant son séjour aux États‑Unis.

[35]           Le demandeur fait état de la période de 19 ans qui s’est écoulée depuis qu’il a été renvoyé des États‑Unis et du nombre de fois qu’il est entré au Canada et en est sorti dans l’intervalle. Cela n’a toutefois rien à voir avec la question en litige. La question n’est pas de savoir si le visa aurait été refusé si une divulgation complète avait été faite, mais bien si cette situation risquait d’entraîner une erreur parce qu’elle pouvait avoir une incidence sur la décision de l’agente quant à savoir si le demandeur quitterait le pays à la fin de la période du visa et parce qu’il y avait eu d’autres causes d’interdiction de territoire. Je n’ai pas de raison de croire que le demandeur est autre chose qu’un homme tout à fait honnête qui a véritablement commis une erreur. Toutefois,  cela ne veut pas dire que le défaut de divulguer n’aurait pas pu entraîner une erreur. Le demandeur savait pertinemment que sa demande d’asile avait été refusée aux États‑Unis et qu’il en avait été renvoyé. Il ne peut donc pas être considéré comme faisant partie des quelques exceptions où les demandeurs ne sont pas véritablement et subjectivement au courant de ce que le formulaire exige qu’il divulgue. Voir l’arrêt Mohammed, précité.

[36]           Le demandeur a soulevé plusieurs points quant aux raisons pour lesquelles la décision devrait être considérée comme déraisonnable et renvoyée pour nouvel examen, mais aucun d’eux n’est convaincant, malgré les arguments solides que l’avocat a soulevés.

A.                Défaut de compréhension

[37]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas intentionnellement caché le rejet de sa demande d’asile et son renvoi des États‑Unis et qu’il ne croyait pas qu’il était tenu de divulguer ces renseignements à la question 2c) du formulaire. Compte tenu du fait que le formulaire comportait des questions et des instructions claires à cet effet ([traduction] « Vous a‑t-on déjà refusé un visa, interdit l’entrée ou sommé de quitter le Canada ou tout autre pays? » [non souligné dans l’original] et, dans l’affirmative, [traduction] « veuillez fournir des détails »), cet argument ne peut être retenu. Le fait que le demandeur n’ait pas compris les instructions claires du formulaire ne peut être utilisé pour éviter les conséquences de la présentation erronée. Il n’y a pas de raison pour expliquer pourquoi le demandeur n’aurait pas dû comprendre ces instructions claires. Le demandeur comprenait suffisamment pour mentionner qu’on lui avait déjà refusé une demande de visa au  Canada.

B.                 Présentation erronée innocente

[38]           Le demandeur était conscient de ce qui s’était produit aux États‑Unis, et les instructions du formulaire indiquent clairement que ces faits doivent être divulgués. Pourtant, le demandeur a décidé de ne pas les divulguer, même s’il a signé une déclaration selon laquelle « les renseignements fournis dans ce document sont complets, précis et conformes aux faits ». Pareille omission ne paraît pas particulièrement innocente, mais rien dans la preuve ne permet d’établir la malhonnêteté. Toutefois, cela importe peu. Une présentation erronée innocente est seulement exclue de l’article 40 de la Loi dans des cas exceptionnels. Le demandeur s’appuie sur l’arrêt Dhatt, précité, sauf que, dans cette affaire, le juge Mactavish a tranché qu’il n’y avait eu aucune présentation erronée.

[39]           Dans l’arrêt Mohammed, précité, le juge MacKay a bien circonscrit l’exception par l’explication suivante :

[41]      On peut également établir une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Medel, au motif que le renseignement que le requérant n’a pas communiqué n’était pas un renseignement dont il n’était véritablement et subjectivement pas au courant. En l’espèce, le requérant savait bien qu’il était marié. Et il ne s’agissait pas, comme dans l’affaire Medel, d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté. Il ne s’agissait pas d’un renseignement qu’on lui avait dissimulé ou au sujet duquel il avait été induit en erreur par les fonctionnaires de l’ambassade. La présumée ignorance du requérant en ce qui concerne l’obligation de signaler un tel changement important survenu dans son état matrimonial et son incapacité de communiquer ce renseignement à son arrivée à un agent d’immigration ne constituent pas, selon moi, une « ignorance subjective » de renseignements importants au sens de l’arrêt Medel.

[40]           En l’espèce, le demandeur n’a pas nié qu’il était parfaitement conscient du fait que sa demande d’asile avait été rejetée aux États‑Unis et qu’il avait été renvoyé en Inde. Il s’agissait de renseignements dont il était subjectivement au courant et dont la connaissance n’échappait pas à sa volonté.

[41]           La juge Tremblay-Lamer a fourni les éclaircissements pertinents suivants dans l’arrêt Goudarzi, précité :

[33]      Je conclus que la décision rendue dans Osisanwo n’est d’aucune utilité pour les demandeurs en l’espèce. Cette décision était subordonnée à un ensemble fort inusité de faits et on ne peut l’invoquer à l’appui de la thèse générale selon laquelle une fausse déclaration exige dans tous les cas un élément de connaissance subjective. La règle générale est plutôt la suivante : une fausse déclaration peut être faite à l’insu du demandeur, ainsi que l’a fait remarquer le juge Russell dans la décision Jiang, précitée, au paragraphe 35 :

[35]      En ce qui concerne l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, la Cour a déjà donné une interprétation libérale et solide de l’article 40. Dans Khan, précitée, le juge O’Keefe a statué que le libellé de la Loi doit être respecté et qu’il faut donner de l’article 40 l’interprétation large que son libellé exige. Il a dit aussi que l’article 40 s’applique lorsque le demandeur adopte une fausse déclaration, mais la clarifie ensuite avant qu’une décision soit rendue. Dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour a statué que l’article 40 s’applique à un demandeur lorsque la fausse déclaration a été faite par une autre partie à la demande et que le demandeur ignorait cette fausse déclaration. La Cour a affirmé qu’une lecture initiale de l’article 40 n’étayait pas cette interprétation, mais que la disposition devait être interprétée de cette façon pour éviter un résultat absurde. [Non souligné dans l’original.]

Quelques décisions prévoient une exception étroite à cette règle, mais cette exception ne s’appliquera qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles dans lesquelles le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important.

[34]      Dans la décision Osisanwo, le juge Hughes cite la décision rendue par le juge Harrington dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 378. Dans cette affaire, le demandeur avait été déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations, parce qu’il n’avait pas révélé l’existence d’un enfant qu’il aurait dû, comme la Commission l’avait conclu, soupçonner raisonnablement être le sien. (Il convient de souligner que, à l’instar des demandeurs en l’espèce, il a été conclu que ce demandeur n’était pas digne de foi.) Le juge Harrington a envisagé de certifier une question semblable à celle posée dans la décision Osisanwo, précitée, mais il a conclu que la décision était déraisonnable pour d’autres motifs.

[35]      Le passage de la décision Singh auquel le juge Hughes fait référence contient au paragraphe 20 un extrait souvent cité de la décision du juge O’Reilly dans Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299 :

[15] Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une personne est interdite de territoire au Canada si elle fait une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. De façon générale, un demandeur de la résidence permanente est soumis à une« obligation de franchise » qui l’oblige à révéler les faits importants. Ce devoir s’étend aux variations possibles de la situation personnelle du demandeur, y compris un changement d’état matrimonial : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (C.F. 1re inst.) (QL). Même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire; par exemple, la demanderesse qui omet d’inclure la totalité de ses enfants dans sa demande peut être interdite de territoire : Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1495 (C.F. 1re inst.) (QL). Il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants : Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (C.A.F.) (QL). [Non souligné dans l’original.]

[36]      Même si elle est souvent citée, l’« exception » dont il est question dans l’extrait qui précède est peu appliquée. L’affaire dont elle tire son origine, Medel, précitée, mettait en cause un ensemble inusité de faits : la demanderesse était parrainée par son époux, mais, à son insu, l’époux avait retiré son parrainage. Les fonctionnaires canadiens avaient ensuite induit la demanderesse en erreur en lui demandant de renvoyer le visa qui, disaient-ils, contenait une erreur. Ils avaient laissé entendre qu’il lui serait renvoyé, après avoir été rectifié. La demanderesse avait demandé à des membres de sa famille qui parlaient l’anglais d’examiner le visa et, après que ceux-ci lui avaient assuré qu’il était en ordre, elle s’en était servie pour entrer au Canada. La Commission d’appel de l’immigration a conclu qu’elle était une personne décrite à l’alinéa 27(1)e) de l’ancienne Loi sur l’immigration, 1976 LC 1976-77, c 52 [aujourd’hui LRC 1985, c I‑2], c’est-à-dire qu’elle avait « obtenu le droit d’établissement […] par des moyens frauduleux ou irréguliers ». Cette conclusion a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, parce que la demanderesse avait eu « des motifs raisonnables de croire » qu’elle ne cachait pas de renseignements connexes à son admission.

[37]      Quand on la considère dans son contexte factuel, l’exception formulée dans la décision Medelest donc assez étroite. Comme l’a fait remarquer le juge MacKay en faisant une distinction entre cette affaire-là et celle dont il était saisi, soit Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 CF 299 :

[41]      On peut également établir une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Medel, au motif que le renseignement que le requérant n’a pas communiqué n’était pas un renseignement dont il n’était véritablement et subjectivement pas au courant. En l’espèce, le requérant savait bien qu’il était marié. Et il ne s’agissait pas, comme dans l’affaire Medel, d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté. Il ne s’agissait pas d’un renseignement qu’on lui avait dissimulé ou au sujet duquel il avait été induit en erreur par les fonctionnaires de l’ambassade. La présumée ignorance du requérant en ce qui concerne l’obligation de signaler un tel changement important survenu dans son état matrimonial et son incapacité de communiquer ce renseignement à son arrivée à un agent d’immigration ne constituent pas, selon moi, une "ignorance subjective" de renseignements importants au sens de l’arrêt Medel. [Non souligné dans l’original.]

Par ailleurs, je souligne qu’il y avait, dans Medel, un facteur déterminant : la demanderesse avait eu des motifs raisonnables de croire qu’elle ne cachait pas de renseignements aux autorités canadiennes. Par contraste, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas agi de manière raisonnable– la demanderesse principale n’a pas examiné sa demande pour s’assurer de son exactitude.

[38]      Il convient de garder à l’esprit que les étrangers qui cherchent à entrer au Canada ont une obligation de franchise : Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15. Comme il est dit au paragraphe 16(1) de la Loi : « [l’]auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous les éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ».

[39]      Ainsi qu’il est indiqué dans la décision Bodine (au paragraphe 44) :

[…]L’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (voir De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, confirmée pour d’autres motifs dans l’arrêt 2006 CAF 345). Dans certains cas, même le silence peut constituer une fausse déclaration (voir Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299) et les faits en l’espèce constituaient bien plus qu’un simple silence.

[40]      De pair avec cette obligation de franchise, la demanderesse est tenue, selon moi, de s’assurer qu’au moment de présenter sa demande les documents sont complets et exacts. Il est trop facile de prétendre plus tard qu’on est innocent et de jeter le blâme sur une tierce partie quand, comme c’est le cas en l’espèce, le formulaire de demande indique clairement que les résultats du test de langue doivent y être joints et que les demandeurs l’ont signé. Ce n’est que dans les cas exceptionnels où un demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants « dont la connaissance échappait à sa volonté » qu’il peut se prévaloir d’une exception à l’application de l’alinéa 40(1)a). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[Soulignement dans l’original.]

[42]           En l’espèce, et compte tenu de la clarté des questions et des instructions du formulaire, il n’était pas raisonnable de la part du demandeur de croire qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important lorsqu’il a décidé d’omettre les renseignements sur sa demande d’asile aux États‑Unis et son renvoi de ce pays, des renseignements dont il avait parfaitement conscience. Il ne fait pas partie de l’exception restreinte à la règle générale.

C.                 Importance du fait

[43]           Le demandeur affirme que, s’il y a eu présentation erronée, cela n’avait pas d’importance pour sa demande de visa.

[44]           La signification de l’importance du fait dans le présent contexte a été définie dans l’arrêt Goburdhun, précité :

[37]      Comme nous l’avons déjà mentionné, pour décider si une fausse déclaration est importante, il faut tenir compte du libellé de la disposition et de son objectif sous‑jacent. Pour être importante, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante. Elle est importante si elle a une incidence sur le processus. Par son libellé, l’article 40 dispose que la fausse déclaration ne doit pas forcément entraîner une erreur, il suffit qu’elle risque d’en entraîner une (LIPR, alinéa 40(1)a); Oloumi, précité, aux paragraphes 22 et 25; Haque, précité, au paragraphe 11; Mai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2011 CF 101, au paragraphe 18; Nazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 471)).

[38]      Dans l’affaire Haque, précitée, le demandeur a omis de signaler qu’il avait déjà vécu et étudié aux États-Unis et il a omis ou faussement présenté des renseignements relatifs à son lieu de résidence, à ses études et à ses emplois. L’agent qui a pris la décision a découvert cette omission lors de l’examen des dossiers de CIC. Le tribunal a jugé que les renseignements non communiqués étaient importants pour l’issue de la demande car, sans eux, un visa aurait été délivré au demandeur sans qu’aient été obtenues des États‑Unis les attestations de police et de bonne conduite requises, ce qui aurait ainsi empêché la tenue d’une enquête et entraîné une erreur dans l’application de la LIPR.

[39]      Dans l’affaire Oloumi, précitée, les résultats frauduleux d’un examen de connaissance de la langue anglaise ont été fournis dans le cadre d’une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Le tribunal a maintenu que la fausse déclaration était importante parce que les travailleurs qualifiés au fédéral doivent faire preuve de leurs compétences linguistiques pour être admis. Le document frauduleux a occasionné une erreur dans l’application de la LIPR parce qu’un décideur aurait pu s’y fier pour conclure que le demandeur avait fait preuve de ses compétences linguistiques.

[45]           L’agente a expliqué l’importance de la présentation erronée en l’espèce dans les notes du SMGC (dossier certifié du tribunal, aux pages 2 et 3) :

[traduction]

[…] Si l’agente avait su que M. Singh se considérait comme une personne à protéger et avait déjà omis de se conformer aux lois sur l’immigration aux États‑Unis, sa demande aurait en effet été refusée. En ne fournissant pas des renseignements exacts dans les antécédents, le demandeur a caché un fait important quant à un objet pertinent, qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. […] Plus particulièrement, le demandeur présente une demande de visa au Canada. Si celui‑ci ne fournit pas des renseignements exacts sur ses antécédents, l’agente n’est pas en mesure d’évaluer le véritable objet du voyage et de déterminer si le demandeur est un véritable visiteur temporaire qui quittera le Canada avant la fin de la période autorisée pour le séjour. De plus, en omettant de divulguer son séjour indûment prolongé aux États‑Unis, il a privé l’agente de la possibilité d’examiner d’autres causes de non‑admissibilité qu’il pouvait avoir acquises pendant son séjour aux États‑Unis. Le demandeur est interdit de territoire en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR. Demande refusée pour des motifs liés à la bonne foi et à de fausses déclarations.

[46]           Même si le renvoi des États‑Unis s’est produit il y a plus de 19 ans et que le demandeur est venu au Canada et qu’il est retourné en Inde depuis ce temps, on ne peut pas dire que ces motifs comportent quelque chose de déraisonnable. La présentation erronée était manifestement importante pour la décision qui devait être prise.

[47]           Le demandeur souligne ce qui suit dans son argumentation écrite :

[traduction]

44. Le demandeur souligne de plus que le gouvernement du Canada et les États‑Unis d’Amérique ont signé, le 13 décembre 2012, un traité d’échange de renseignements en matière d’immigration. Dans son document d’information concernant ce traité, le gouvernement du Canada mentionne ce qui suit :

Lorsqu’un ressortissant d’un tiers pays présentera une demande de visa, de permis ou d’asile au Canada, ce dernier enverra une demande automatisée d’information aux États-Unis. La demande renfermera un nombre limité de renseignements, tels que le nom et la date de naissance du demandeur, dans le cas d’un échange de données biographiques, ou un fichier dactyloscopique anonyme, dans le cas d’un échange de données biométriques. Si une correspondance peut être établie entre l’identité du demandeur et une demande antérieure, il peut y avoir échange de renseignements en matière d’immigration (par exemple, si la personne s’est déjà fait refuser un visa ou a déjà été renvoyée des États-Unis).

45.       L’agente des visas a déterminé que le demandeur, en omettant de fournir des détails sur le rejet de sa demande d’asile aux États‑Unis, avait fait une présentation erronée sur un fait important, ce qui entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Nous affirmons que, compte tenu du traité sur l’échange de renseignements en matière d’immigration dans le cadre duquel le Canada envoie une demande automatisée d’information aux États‑Unis, une présentation erronée par le demandeur relativement au rejet de sa demande d’asile aux États‑Unis ne risquait pas d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. L’accord d’échange d’information prévient précisément ces erreurs dans l’application de la Loi.

[Notes de bas de page omises.]

[48]           La juge Strickland a déjà analysé cet argument dans l’arrêt Goburdhun, précité :

[43]      Je ne peux pas non plus accepter les observations qu’a faites le demandeur lorsqu’il a comparu devant moi et selon lesquelles, parce que CIC a accès à tous ses antécédents en matière d’immigration, la réponse incorrecte qui figure dans sa demande n’a pas d’importance. Il a fait observer que la réponse incorrecte n’a pas eu d’incidence sur le processus parce que l’erreur a été découverte par CIC avant qu’une décision soit rendue. Ce raisonnement va à l’encontre de l’objectif, de l’esprit et de la lettre de la LIPR selon lesquels les demandeurs de visas de résident temporaire doivent répondre à toutes les questions avec honnêteté. Tout manquement à cet égard peut entraîner l’interdiction de territoire au Canada si la fausse déclaration entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Peu importe que CIC ait la capacité de découvrir ou découvre la fausse déclaration. Ce qui compte, c’est que la fausse déclaration aurait entraîné ou risquait d’entraîner une telle erreur. En conséquence, les demandeurs qui font de fausses déclarations dans le cadre de leurs demandes en espérant ne pas se faire prendre ou, s’ils le sont, en espérant échapper à une sanction en raison du manque d’importance du renseignement non communiqué, le font à leurs risques et périls.

D.                Équité procédurale

[49]           Le demandeur allègue également que l’agente n’a pas respecté les règles de l’équité procédurale en déterminant qu’il avait fait une présentation erronée sur un fait important. Par cette affirmation, le demandeur semble vouloir dire que, compte tenu des circonstances, la décision est déraisonnable. Or, ce n’est pas une question d’équité procédurale, et rien dans la preuve dont disposait la Cour ne laisse croire à ce qui s’apparenterait à une iniquité importante.

E.                 Insuffisance des motifs

[50]           Le demandeur affirme que les motifs sont insuffisants. Toutefois, lorsque la décision est considérée en combinaison avec les notes du SMGC, on constate qu’il y a une appréciation claire et précise des faits et des questions et un raisonnement clair étayant une conclusion de présentation erronée. Le demandeur affirme qu’il n’est pas bien expliqué pourquoi la [traduction] « présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, a entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, en créant à tort l’impression que vous êtes un véritable visiteur au Canada ». Je pense que les notes du SMGC rendent très claire la signification de cette formulation. Les renseignements concernant le renvoi du demandeur des États‑Unis et le fait que l’agente ne pouvait examiner les autres causes de non‑admissibilité visant le demandeur aux États‑Unis pouvaient entraîner une erreur quant à savoir si le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de validité du visa.

[51]           Le critère applicable pour déterminer si les motifs sont suffisants a été exposé en ces termes par le juge Shore dans l’arrêt Sidhu, précité :

[20]      La Cour a énoncé de nombreuses fois le critère applicable au caractère suffisant des motifs, dont récemment dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jeizan, 2010 FC 323, 386 FTR 1 :

[17]      Une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide : voir Lakec. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, paragraphe  46; Mehterian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 545 (C.A.F.); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), paragraphe 22; décision Arastu, précitée, paragraphes 35 et 36.

[Non souligné dans l’original.]

[21]      S’il est certain que les motifs d’un agent peuvent être brefs, ceux-ci n’en doivent pas moins remplir les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée – ils doivent informer le demandeur du raisonnement sous-jacent de la décision (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports, [2001] 2 CF 25, aux paragraphes 21 et 22 (CA)).

[Soulignement dans l’original.]

[52]           Les notes du SMGC font partie des motifs (voir l’arrêt De Hoedt Daniel, précité, au paragraphe 51). L’extrait des notes cité précédemment explique clairement pourquoi la non‑divulgation a été jugée comme étant une présentation erronée sur un fait important.

IX.             Conclusion

[53]           Tout bien considéré, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agente. Le demandeur considère le résultat comme étant difficile à accepter et déraisonnable eu égard à toutes les circonstances, et il se peut qu’un autre agent n’aurait pas tenu compte de la présentation erronée. Cela ne veut toutefois pas dire que la décision de l’agente était déraisonnable, particulièrement si les exigences du régime d’octroi des visas sont prises en considération et si l’obligation d’une divulgation complète et précise est bien comprise.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5459-14

 

INTITULÉ :

MAKHAN SINGH c GOUVERNEMENT DU CANADA ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 FÉVRIER 2015

 

JUgement et motifs :

le juge RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Jacob Watters

POUR LE DEMANDEUR

Don Klaassen

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Watters Law Office

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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