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Date : 20150225


Dossier : IMM-5088-14

Référence : 2015 CF 241

Ottawa (Ontario), le 25 février 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JULIETA RAMIREZ

IVAN MARTINEZ RAMIREZ

ESTHEFANY PRIMERO RAMIREZ

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[28]      Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l'audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s'il l'a perdu, ou s'il pouvait obtenir ce statut et qu'il ne l'a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n'est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d'origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[29]      Il appartiendra à la SPR de soupeser les facteurs et de déterminer si l'exclusion s'appliquera dans les circonstances.

(Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CAF 118 [Zeng]).

II.                Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], selon laquelle les demandeurs sont visés par l’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Convention].

III.             Faits

[2]               Madame Julieta Ramirez [la demanderesse] et ses deux enfants, Ivan et Esthefany, sont citoyens de la Colombie. Les 15 et 23 avril 1997 respectivement, le frère ainsi que le premier mari de la demanderesse ont été abattus par des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC]. Craignant pour sa vie et pour celle de ses enfants, la demanderesse a déménagé dans une autre ville, où elle a fait connaissance d’Ivan Martinez Toro [M. Toro], son mari.

[3]               Le 15 septembre 2005, des membres des FARC ont contacté M. Toro par téléphone afin de lui demander une rançon. Craignant pour leurs vies, la demanderesse, ses enfants et M. Toro ont fui la Colombie et ont obtenu le statut de réfugié au Costa Rica. Or, ils ont continué à faire l’objet de menaces des FARC au Costa Rica.

[4]               Le 14 novembre 2007, les demandeurs ont obtenu le statut de réfugié aux États-Unis menant à l’obtention de leur statut de résident permanent états-unien. De son côté, M. Toro a perdu son statut de réfugié pour le motif qu’il avait omis de déclarer aux autorités une condamnation pour trafic de cocaïne aux États-Unis en avril 1989, pour laquelle il a purgé une peine de dix ans.

[5]               Le 8 février 2010, les demandeurs ont réclamé le statut de réfugié au Canada à l’aéroport Montréal-Trudeau, tandis que M. Toro a revendiqué le statut de réfugié au Canada le 15 février 2010. M. Toro a déclaré à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] ne jamais avoir été arrêté ni condamné aux États-Unis. Le statut de réfugié au Canada lui a été refusé puisque l’ASFC a découvert, suite à une vérification, que M. Toro avait été condamné aux États-Unis sous le nom d’Herman Nunez.

[6]               Le ministre de la Sécurité publique du Canada est intervenu afin de demander l’exclusion des demandeurs au motif qu’ils sont détenteurs d’un statut de résident permanent aux États-Unis, expirant respectivement le 17 mars 2019, le 13 octobre 2019 et le 20 août 2019 (Dossier du Tribunal, aux pp 436-438).

IV.             Décision contrôlée

[7]               Dans une décision datée du 26 mai 2014, la SPR conclut que les demandeurs sont résidents permanents des États-Unis et qu’ils sont visés par l’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention.

[8]               S’appuyant sur la preuve documentaire et orale dont elle était saisie, la SPR conclut que les demandeurs n’ont pas établi de façon crédible la perte de leur statut de résident permanent aux États-Unis. La SPR conclut :

[26]      Il est raisonnable de croire que si les demandeurs sont venus au Canada, c’est parce qu’Ivan Martinez TORO fait face à une déportation imminente par les autorités américaines vers la Colombie et que les demandeurs ne voulaient pas être séparés de lui.

(Décision de la SPR, au para 26).

V.                Dispositions législatives

[9]               Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes à la demande :

Définition de réfugié

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion – Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[10]           En outre, l’article 1E de la Convention énonce :

1E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

1E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

VI.             Points en litige

[11]           La décision de la SPR selon laquelle les demandeurs sont visés par l’article 1E de la Convention est-elle raisonnable?

VII.          Norme de contrôle

[12]           La question à savoir si les demandeurs sont visés par l’article 1E de la Convention est une détermination mixte de fait et de droit qui attire la norme de la décision raisonnable (Zeng, ci-dessus au para 11; Ramirez-Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 461; Fonnoll c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1461 au para 18; K.K.G. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 202 au para 28 [K.K.G.]).

VIII.       Analyse

[13]           Conformément au rôle supplétif du mécanisme de protection internationale des réfugiés, « [l]a section 1E de la Convention et l’article 98 de la LIPR ont pour objet de faire obstacle à une demande d’asile dans cet autre pays » (Mai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 192 au para 1; voir aussi : Canada (Procureur Général) c Ward, [1993] 2 SCR 689 à la p 726). Tel qu’énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Zeng, ci-dessus au para 19 : « la recherche du meilleur pays d'asile est incompatible avec l'aspect auxiliaire de la protection internationale des réfugiés ».

[14]           Selon la jurisprudence, puisqu’il existe une preuve prima facie de leur possession du statut de résident permanent aux États-Unis, il incombe aux demandeurs de présenter des éléments de preuve fiables et suffisants afin de démontrer qu’ils ne détiennent pas un tel statut (K.K.G., ci-dessus au para 3; Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 397 au para 27; Therqaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 209 au para 1).

[15]           Aux fins d’analyse en vertu de l’article 1E de la Convention, il incombe à la SPR de considérer et de soupeser l’ensemble des faits pertinents jusqu’à la date de l’audience (Zeng, ci-dessus au para 16).

[16]           Suite à une analyse du dossier et du témoignage de la demanderesse à l’audience, la SPR conclut qu’aucun élément de preuve ne permettait de soutenir la prétention selon laquelle les demandeurs auraient perdu leur statut de résident permanent avant leur arrivée au Canada.

[17]           Notamment, à l’audience devant la SPR, la demanderesse a témoigné qu’elle avait pris connaissance de la perte de son statut et de celui de ses enfants par voie d’une lettre émise par les autorités états-uniennes. Cependant, la demanderesse a été incapable de produire la lettre ou une quelconque preuve pouvant corroborer la réception d’une telle lettre.

[18]           D’abord, la SPR conclut au manque de crédibilité de la demanderesse quant au contenu de cette lettre. La demanderesse a témoigné que cette lettre n’incluait aucune information quant aux recours judiciaires disponibles permettant de contester la perte de son statut de résident permanent. Selon la demanderesse, aucune date d’audience et aucune information quant à la possibilité de soumettre des observations n’y étaient indiquées. Lorsque confrontée à l’invraisemblance de cette allégation par la SPR, la demanderesse a réaffirmé que la lettre énonçait uniquement que les demandeurs avaient perdu leur statut de résident permanent pour le motif que M. Toro avait omis de déclarer son dossier criminel aux autorités.

[19]           La SPR s’est ensuite enquise auprès de la demanderesse quant à ses démarches afin de contester sa perte de statut aux États-Unis. La demanderesse a admis qu’elle n’avait pas pensé à obtenir des services juridiques et n’avait fait aucune démarche à cet égard. La SPR conclut qu’il est raisonnable de croire qu’une personne qui craint pour sa vie aurait, à tout le moins, consulté un avocat afin de contester sa perte de résidence permanente, ce que la demanderesse n’a pas fait.

[20]           De plus, à l’audience, lorsque la SPR a voulu examiner la lettre en question afin de dissiper ses doutes quant aux invraisemblances soulevées, la demanderesse a déclaré avoir égaré la lettre et n’avoir fait aucune démarche afin d’en obtenir une copie.

[21]           La SPR constate que la preuve au dossier démontre que les demandeurs sont titulaires d’un statut de résident permanent aux États-Unis. D’abord, les notes d’entrevue de l’ASFC, datées du 17 février 2010, révèlent que M. Toro a déclaré à l’ASFC que les demandeurs étaient alors détenteurs du statut de résident permanent aux États-Unis (Dossier du Tribunal, aux pp 466-467). Ensuite, un document, émis par les autorités états-uniennes et daté du 10 mai 2012, confirme que les demandeurs étaient résidents permanents aux États-Unis à cette date. Le document ne fait aucune mention d’une perte de statut à l’égard des demandeurs.

[22]           Au regard de la preuve établissant que les demandeurs sont titulaires d’un statut de résident permanent et en l’absence de preuve pouvant soutenir une prétention contraire, il était entièrement loisible à la SPR de conclure au manque de crédibilité des demandeurs.

[23]           La Cour considère que la SPR a examiné la preuve dans son ensemble, incluant la preuve orale et les explications fournies par la demanderesse à l’audience, afin de conclure que les demandeurs sont visés par l’article 1E de la Convention.

[24]           Au regard des principes étayés ci-dessus et du dossier contrôlé, dans son ensemble, la Cour conclut que la décision de la SPR appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; voir aussi : Zeng, ci-dessus au para 36).

IX.             Conclusion

[25]           Il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir. La demande est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5088-14

 

INTITULÉ :

JULIETA RAMIREZ, IVAN MARTINEZ RAMIREZ, ESTHEFANY PRIMERO RAMIREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Camille Clamens

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Jocelyne Murphy

 

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Camille Clamens

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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