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Date : 20150223


Dossier : IMM-8426-13

Référence : 2015 CF 237

Montréal (Québec), le 23 février 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ABOUBACAR LASSIDY TOURE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Est-ce que la Cour a été induite en erreur par la partie demanderesse ? Et, de quelle façon ?

[2]               De plus, il est primordial que la main gauche sache ce que fait la main droite, afin d’assurer une cohérence au sein de chaque branche de l’appareil gouvernemental.

[3]               Il s’agit d’une requête en annulation par la partie défenderesse, conformément au paragraphe 399(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], d’un jugement rendu par la Cour le 18 novembre 2014.

[4]               La présente requête découle d’une demande entachée de fraude où la Cour a été induite en erreur par la partie demanderesse.

[5]               Le demandeur, un citoyen de la République de Guinée, âgé de 21 ans, est arrivé au Canada en décembre 2010 à titre d’étudiant étranger. Le 25 avril 2014, la demande de rétablissement du permis d’études du demandeur a été rejetée par Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] pour cause d’avoir été présentée hors délai.

[6]               La demande de contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion émise à l’encontre de la partie demanderesse a été accueillie par la Cour le 18 novembre 2014.

[7]               La partie demanderesse n’a pas communiqué, ni à la Cour, ni à la partie défenderesse, la décision de CIC afférant à sa demande de rétablissement.

[8]               Suite à des vérifications plus approfondies, la partie défenderesse a pris connaissance de la décision de CIC, contredisant les représentations orales et écrites du procureur de la partie demanderesse.

[9]               Le paragraphe 399(2) des Règles autorise la Cour, sur requête, à annuler ou à modifier une ordonnance lorsque des faits nouveaux surviennent ou sont découverts après qu’une ordonnance soit rendue, ou qui découlent d’un comportement frauduleux de l’une des parties.

[10]           L’annulation ou la modification d’une ordonnance conformément au paragraphe 399(2) est une exception restreinte au principe du caractère définitif des décisions judiciaires. La jurisprudence énonce trois conditions pouvant donner droit à une requête en annulation ou modification d’une ordonnance (Ayangma c Canada, 2003 CAF 382 au para 3; Smith c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 1 RCF 694 [Smith]; Evans c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 654 au para 19) :

1.                  Les éléments découverts doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a);

2.                  Les « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé (la partie défenderesse) aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable;

3.                  Les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question.

[11]           La partie demanderesse a induit la Cour en erreur quant à un aspect déterminant et central de la demande de contrôle judiciaire de la partie demanderesse et du jugement rendu par la Cour le 18 novembre 2014 (Smith, ci-dessus au para 20).

[12]           L’importance manifeste accordée à la Cour aux prétentions de la partie demanderesse voulant que sa demande de rétablissement ait été déposée dans les délais doit être étudiée d’une façon très approfondie compte tenu des circonstances.

[13]           Au regard de ce qui précède, la Cour considère que les trois facteurs énoncés dans la jurisprudence interprétant le paragraphe 399(2) sont réunis, justifiant l’annulation du jugement du 18 novembre 2014.

[14]           La partie défenderesse demande à la Cour de certifier les deux questions suivantes :

1.                  « L’existence d’une demande de rétablissement pendante fondée sur l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés constitue-t-elle un facteur pertinent dont le ministre doit tenir compte lorsqu’il examine l’opportunité de prendre une mesure d’exclusion à l’encontre d’un étranger cherchant à entrer au Canada ? »; et,

2.                  « Avant d’émettre une mesure d’exclusion à l’encontre d’un étranger qui cherche à entrer au Canada, appartient-il au ministre de vérifier si sa demande de rétablissement pendante est dûment conforme aux prescriptions prévues à l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ? ».

[15]           Chaque demande doit être examinée selon les faits individuels émanant de chaque cas et la nécessité de la communication est toujours primordiale dans chaque dossier, la Cour considère que la certification des questions proposées est de mise.

[16]           En matière d’immigration, l’octroi de dépens n’est accordé qu’en présence de « raisons spéciales », notamment lorsqu’il y a eu une conduite « répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties », ou lorsqu’une partie a agi de mauvaise foi (Smith, ci-dessus au para 49; Dhaliwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 201 aux para 29-33; Manivannan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1392). Ceci est le cas en l’espèce.

[17]           Les circonstances justifient l’octroi de dépens.

[18]           Eu égard à l’ensemble de la preuve nouvellement découverte, la Cour est d’accord avec la partie défenderesse qu’il y a lieu en l’espèce pour cette Cour d’annuler les ordonnances respectives du 19 août et du 18 novembre 2014, ayant chacune été obtenue sur la foi de fausses allégations.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La requête en annulation de jugements de la partie défenderesse soit accueillie;

2.                  L’ordonnance du 19 août 2014 accueillant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la partie demanderesse et le jugement du 18 novembre 2014 accueillant la demande de contrôle judiciaire de la partie demanderesse soient annulés;

3.                  La demande d’autorisation et de contrôle judicaire de la partie demanderesse soit annulée;

4.                  Les questions quant à savoir si : 1) « L’existence d’une demande de rétablissement pendante fondée sur l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés constitue-t-elle un facteur pertinent dont le ministre doit tenir compte lorsqu’il examine l’opportunité de prendre une mesure d’exclusion à l’encontre d’un étranger cherchant à entrer au Canada? » et; 2) « Avant d’émettre une mesure d’exclusion à l’encontre d’un étranger qui cherche à entrer au Canada, appartient-il au ministre de vérifier si sa demande de rétablissement pendante est dûment conforme aux prescriptions prévues à l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés? » soient certifiées;

5.                  Le tout avec dépens.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8426-13

 

INTITULÉ :

ABOUBACAR LASSIDY TOURE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Salif Sangare

 

Pour la partie demanderesse

 

Mario Blanchard

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Salif Sangare

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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