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Date : 20150123


Dossier : T‑1321‑97

Référence : 2014 CF 1254

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY

et ELI LILLY CANADA, INC.

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

(Motifs confidentiels rendus le 23 décembre 2014)


TABLE DES MATIÈRES

 

 

Par.

I.

Introduction ……………………………………………………………………..

1

II.

Le contexte …………………………………..…....……………………………

5

III.

Dommages-intérêts pour contrefaçon de brevet …..……..……………………..

10

IV.

La solution n’emportant pas contrefaçon ..………….......………………..

23

 

         1. Lien de causalité ……….........………………………………………...

27

 

         2. Comptabilisation des profits ……….....……………………………….

36

 

         3. Article 8 ……………………………………………………………….

42

 

         4. La jurisprudence américaine……………………………………………

46

 

         5. La jurisprudence canadienne…......…………………………………….

51

V.

Quand Apotex aurait‑elle fait son entrée sur le marché? .....................................

58

VI.

À quelles dates Apotex aurait‑elle été inscrite aux formulaires provinciaux?.....

72

VII.

La taille du marché…………………………………………………………......

78

 

         1. Données ………………….....…………………………………………

80

 

         2. Période visée et part de marché …………………….............................

94

VIII.

Redevances ...…………………………………………………………………...

97

IX.

Intérêts avant jugement ...……………………………………………………….

104

X.

Dépens ………………………………………………………………………….

126

XI.

Résumé ..………………………………………………………………………..

127

XII.

Addenda

131


I.                   Introduction

[1]               Au cours de la phase de la présente action consacrée à la détermination de la responsabilité, la Cour a jugé qu’Apotex Inc. [Apotex] avait contrefait au moins une revendication valide dans chacun des huit brevets distincts[1] appartenant à Eli Lilly and Company [Lilly US] en important, fabriquant, exportant, vendant et offrant en vente l’antibiotique Cefaclor au Canada (Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2009 CF 991; conf. par 2010 CAF 240; autorisation de pourvoi à la CSC refusée à [2010] SCCA no 434).

[2]               Les brevets de Lilly et les brevets de Shionogi sont des brevets de procédé concernant la fabrication d’un composé intermédiaire clé nécessaire pour produire le Cefaclor.

[3]               Apotex avait deux fournisseurs de Cefaclor : Kyong Bo Chemical Ltd., de la Corée du Sud [Kyong Bo], et Lupin Laboratories Ltd. de l’Inde [Lupin]. La Cour a conclu que le Cefaclor contrefait d’Apotex avait été fabriqué par Kyong Bo et par Lupin et qu’Apotex l’avait reçu avant le 3 juin 1998 [le Cefaclor Kyong Bo et le Cefaclor Lupin 1].

[4]               Par suite de la conclusion de contrefaçon de la Cour, Lilly US et Eli Lilly Canada Inc. [Lilly Canada], dénommées collectivement « Lilly », avaient la possibilité de choisir entre des dommages‑intérêts et la comptabilisation des profits. Lilly a choisi de recouvrer des dommages‑intérêts et les présents motifs font suite à la décision de la Cour en ce qui concerne les dommages‑intérêts recouvrables par Lilly.

II.                Le contexte

[5]               Le différend qui oppose Lilly et Apotex en ce qui a trait au Cefaclor remonte à 1993, quoique la présente action soit plus récente, puisqu’elle a été introduite en 1997. Chaque partie reproche à l’autre d’avoir retardé le dénouement du procès. Comme il sera expliqué plus loin, la Cour estime que chacune partie est responsable dans la même mesure que l’autre des retards qui ont été causés.

[6]               En 1993, Apotex a soumis à Santé Canada une d’avis de conformité pour le Cefaclor. Lilly a introduit une demande sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, qui venait d’être adopté, en vue d’obtenir une ordonnance interdisant à Apotex de vendre son produit Cefaclor au Canada. Cette demande a été rejetée parce que les brevets ne respectaient pas les critères énoncés à l’époque dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Eli Lilly and Co c Apotex Inc, [1995] ACF no 1185). Malgré le rejet de cette demande, la juge Simpson a formulé l’observation suivante, au paragraphe 9 des motifs de son ordonnance du 12 septembre 1995 :

Suivant la preuve d’expert non contredite qui m’a été présentée, il n’existe aucun moyen commercialement viable de produire le Cefaclor sans utiliser au moins deux des intermédiaires. Les brevets canadiens 1,097,611 et 1,146,536 comportent les revendications relatives à ces substances cruciales. Apotex n’a pas laissé entendre qu’elle avait mis au point un procédé non contrefait. Il est donc raisonnable de conclure qu’elle projette de contrefaire les brevets en copiant la méthode de production de Lilly s’il ne lui est pas interdit de fabriquer les substances intermédiaires par une ordonnance de prohibition délivrée par suite de la présente requête. Dans ce cas, il sera loisible à Lilly d’intenter un recours en contrefaçon en vertu de la common law. [Non souligné dans l’original]

[7]               Le 17 janvier 1997, Apotex a obtenu un avis de conformité pour son Apo‑Cefaclor et a commencé peu de temps après à vendre son produit au Canada. Lilly a ensuite introduit la présente action en contrefaçon.

[8]               En mars 2001, Apotex a déposé une demande reconventionnelle fondée sur la Loi sur la concurrence dans laquelle elle alléguait que Lilly s’était livrée à des activités anticoncurrentielles en acquérant les brevets de Shionogi. En novembre 2002, Apotex a modifié de nouveau sa défense et demande reconventionnelle en ajoutant Shionogi et Co. Ltd. comme partie à l’instance.

[9]               La phase du procès consacrée à la détermination de la responsabilité s’est déroulée devant madame la juge Gauthier à compter du 21 avril 2008 et a duré 67 jours. Apotex contestait la validité des huit brevets en cause et elle niait toute contrefaçon. La Cour a rendu ses motifs de jugement et son jugement le 1er octobre 2009. Madame la juge Gauthier a conclu que les brevets étaient valides et qu’ils avaient été contrefaits par Apotex par suite de son importation et de son utilisation du Cefaclor Kyong Bo et du Cefaclor Lupin 1 reçus avant le 3 juin 1998. La demande reconventionnelle fondée sur la Loi sur la concurrence a été rejetée.

III.             Dommages‑intérêts pour contrefaçon de brevet

[10]           [traduction« La contrefaçon d’un brevet est un délit créé par la loi » (Gerber Garment Technology c Lectra Systems Ltd, [1997] RPC 443 (CA), à la page 452).

[11]           Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, LRC, ch P‑4, crée ce délit : « Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui‑ci du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir après l’octroi du brevet » [Non souligné dans l’original].

[12]           Dans les motifs de son jugement, au paragraphe 652, la juge Gauthier écrit ce qui suit : « Lilly doit cependant bien comprendre que, si elle opte pour les dommages‑intérêts, il lui faudra établir la quantité du manque à gagner directement attribuable aux actes contrefaisants d’Apotex » [Non souligné dans l’original]. Apotex affirme que ces propos et le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets ne sont pas synonymes. Elle soutient que le fait de limiter l’obtention de dommages‑intérêts à ceux qui sont « directement attribuables » à la contrefaçon implique, par exemple, que Lilly US est irrecevable à obtenir quelque dommage‑intérêt que ce soit [traduction« étant donné qu’il n’existe aucun lien de causalité et certainement aucun lien de causalité direct entre le manque à gagner de Lilly US attribuable à la contrefaçon d’Apotex ».

[13]           Il est incontestable que, lorsque le juge de première instance conclut à la contrefaçon, il a le pouvoir discrétionnaire d’accorder au demandeur la possibilité d’obtenir comme mesure de réparation une comptabilisation des profits (Merck & Co c Apotex Inc, 2006 CAF 323 [Merck & Co (CAF)]). Le juge de première instance ne dispose pas de ce pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la réparation que constituent les dommages‑intérêts parce que le législateur a prévu comme réparation l’octroi de dommages‑intérêts, au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, dans le cas du brevet, et que seul le législateur peut modifier ce droit.

[14]           Lorsque, comme en l’espèce, le breveté se voit accorder la possibilité de demander une comptabilisation des profits, le demandeur doit choisir ou bien les dommages‑intérêts ou bien la comptabilisation des profits réalisés par le contrefacteur. Lorsque le demandeur opte pour les dommages‑intérêts plutôt que pour la comptabilisation des profits du contrefacteur, les dommages‑intérêts auxquels il a droit en vertu de la Loi sont précisément ceux prévus au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, en l’occurrence, le « dommage que cette contrefaçon leur a fait subir ». Le juge n’a pas compétence pour limiter le montant des dommages‑intérêts du demandeur à une somme moins élevée. Je ne partage pas l’avis d’Apotex suivant lequel la juge Gauthier tentait de limiter le montant des dommages‑intérêts de Lilly à un montant moindre que celui auquel elle avait droit en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets.

[15]           Les propos de la juge Gauthier doivent être situés dans le contexte du procès et des motifs détaillés qu’elle a exposés. Suivant la preuve administrée au procès, Apotex avait vendu du Cefaclor qui avait été fabriqué selon deux procédés de Lupin différents. Le premier procédé, le Cefaclor Lupin 1, contrefaisait les brevets pertinents. Lilly n’avait pas démontré que le second procédé, le Cefaclor Lupin 2, contrefaisait les brevets pertinents. L’emploi, par la juge Gauthier, du mot « directement » doit donc être interprété dans ce contexte. Lilly a le droit d’obtenir des dommages‑intérêts uniquement en ce qui concerne le manque à gagner résultant des procédés contrefaits Kyong Bo ou Lupin 1. Elle n’a pas le droit de recouvrer des dommages-intérêts pour le manque à gagner découlant du procédé Lupin 2 dont elle n’a pas réussi à démontrer qu’il s’agissait d’un procédé contrefait. La juge de première instance a expliqué qu’il s’agissait d’un « manque à gagner directement attribuable aux actes contrefaisant d’Apotex », établissant ainsi une distinction entre ce manque à gagner et tout autre manque à gagner que Lilly avait pu subir à cause d’Apotex.

[16]           Lilly a droit aux dommages‑intérêts prévus au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, un point c’est tout.

[17]           On trouve dans un arrêt de la Chambre des lords datant d’un siècle, l’arrêt Watson, Laidlaw & Co c Pott, Cassels & Williamson (1914), 31 RPC 104 (CL) [Watson, Laidlaw & Co], l’une des meilleures analyses de la question des dommages‑intérêts pour contrefaçon de brevet. Dans cette affaire, le brevet en litige concernait des améliorations apportées à la fabrication d’une machine centrifuge. Le contrefacteur avait vendu 252 machines qui contrefaisaient le brevet; toutefois, le contrefacteur alléguait que le breveté n’aurait pas vendu le nombre équivalent de machines s’il n’y avait pas eu de contrefaçon et faisait valoir, pour cette raison que le profit (les dommages‑intérêts) du breveté devait être limité en fonction du nombre de machines qu’il aurait effectivement vendues et que ce profit ne devait pas être calculé en fonction du nombre de machines effectivement vendues par le contrefacteur.

[18]           La Chambre des lords a fait observer que chaque contrefaçon, chaque vente d’un article breveté, constituait une faute donnant ouverture à action qui causait un préjudice au breveté. Elle reprenait ainsi à son compte l’observation formulée par lord Watson dans l’arrêt United Horse‑Shoe & Nail Company c Stewart & Co (1888), 5 RPC 260 [United Horse‑Shoe & Nail] à la page 267, [traduction« Toute vente sans licence de produits fabriqués à l’aide d’une machine brevetée est traitée et doit l’être comme une opération illicite à l’égard du breveté ».

[19]           Lord Shaw a fait observer dans l’arrêt Watson, Laidlaw & Co que le principe fondamental en matière de dommages-intérêts était celui de la réparation : [traduction« Il s’agit de remettre la personne qui a subi un préjudice ou une perte dans l’état dans lequel elle aurait été si elle n’avait pas subi ce préjudice ou cette perte ». Appliquant ce principe à la contrefaçon des brevets, lord Shaw a fait observer qu’il y avait deux scénarios possibles et que les deux pouvaient coexister. Suivant le premier scénario, le breveté pouvait établir que c’était lui qui aurait conclu les ventes réalisées par le contrefacteur et qu’il avait le droit d’être remis dans la situation dans laquelle il aurait été en pareil cas. Dans le second scénario, le breveté n’était pas en mesure de démontrer qu’il aurait obtenu les ventes conclues par le contrefacteur, mais il pouvait établir qu’il y avait eu violation de son droit de propriété (le brevet). Le breveté avait alors droit à une réparation pour cette violation. Il a été jugé que, pour cette violation, il avait droit à une redevance raisonnable, qui était assimilable à une rente, pour l’indemniser de l’usage non autorisé de son bien.

[20]           Pour déterminer comment réparer le préjudice subi par le breveté de manière à le remettre dans la situation dans laquelle il aurait été s’il n’avait pas subi ce préjudice, les tribunaux ont souvent répété qu’il fallait créer un monde hypothétique. Ce monde hypothétique est une fiction juridique à laquelle on recourt en se posant la question suivante : [traduction« Sans la présence du produit contrefait sur le marché, qu’aurait été la situation du breveté? » La réponse à cette question permet de calculer les dommages selon le premier scénario, en l’occurrence le manque à gagner subi par le breveté en raison de la contrefaçon.

[21]           Les parties ont d’importantes divergences d’opinions au sujet d’une des caractéristiques spécifiques du monde hypothétique. Apotex exhorte la Cour à conclure que, si le contrefacteur disposait d’une solution n’emportant pas contrefaçon à la place du produit ou du procédé contrefait, il faut alors examiner la solution n’emportant pas contrefaçon dans le monde hypothétique, et ce, même si le contrefacteur ne l’a pas utilisé dans le monde réel. Je vais désormais qualifier cet argument de moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon.

[22]           Apotex a fait entendre plusieurs experts pour tenter de démontrer qu’elle pouvait invoquer le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon. Je me propose d’examiner cette question en premier lieu parce que la question de savoir si un contrefacteur peut invoquer le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon influencera l’analyse des autres questions.

IV.             La solution n’emportant pas contrefaçon

[23]           Le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon en réponse à une demande de dommages-intérêts pour contrefaçon de brevet peut être invoqué aux États‑Unis (voir, par exemple, Panduit Corp c Stahlin Bros Fibre Works, Inc, 575 F 2d 1152 (6th Cir 1978) [Panduit] et Grain Processing, Corporation c American Maize‑Products Company, 185 F 3d 1341 (US App 1999) [Grain Processing]). Les tribunaux américains ont jugé que, pour obtenir, à titre de dommages‑intérêts, la restitution des profits provenant des ventes qu’il aurait réalisées s’il n’y avait pas eu contrefaçon, le breveté doit démontrer : 1) qu’il existe, pour le produit breveté, une demande, 2) qu’il n’existait aucune autre solution acceptable n’emportant pas contrefaçon, 3) qu’il avait la capacité de répondre à la demande, et 4) le montant des profits qu’il aurait réalisés. C’est le second critère qui correspond au moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon.

[24]           Le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon prévoit que, si le contrefacteur peut démontrer qu’il existait une solution de remplacement au produit breveté qui ne contrefaisait pas le brevet, le breveté ne peut alors prouver qu’il aurait conclu les ventes que le contrefacteur a réalisées parce que le contrefacteur aurait pu effectuer ces ventes à l’aide de la solution n’emportant pas contrefaçon. À défaut de prouver que le breveté aurait réalisé les ventes faites en contrefaçon dans le monde hypothétique, le breveté ne peut démontrer qu’il a subi un manque à gagner sur les ventes en question.

[25]           Apotex admet que la jurisprudence canadienne, suivant en cela celle du Royaume-Uni, prévoit que « l’existence d’une solution non contrefaisante n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de quantifier les dommages‑intérêts » (Merck & Co c Apotex Inc, 2013 CF 751 [Lovastatin FC], au paragraphe 57). Néanmoins, Apotex affirme que [traduction« il existe de bonnes raisons de ne pas suivre la jurisprudence du Canada » à cet égard. Elle invoque les cinq arguments suivants à l’appui de cette proposition :

1.                  La jurisprudence canadienne sur l’irrecevabilité du moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon [traduction« ne peut être conciliée avec les principes de la causalité énoncés par la Cour suprême et par d’autres tribunaux »;

2.                  Lorsque le breveté choisit la comptabilisation des profits, la jurisprudence canadienne reconnaît que les profits réalisés par le contrefacteur correspondent à la différence entre les profits provenant du produit contrefait et ceux qu’il auraient pu obtenir avec le produit fabriqué avec un procédé n’emportant pas contrefaçon (voir, par exemple, Monsanto Canada Inc c Rivett, 2010 CAF 207; [2012] FCR 473 [Rivett]) et qu’il n’existe aucune raison logique de ne pas tenir compte d’une solution n’emportant pas contrefaçon lorsque le breveté choisit de réclamer des dommages‑intérêts.

3.                  Les tribunaux canadiens tiennent compte des solutions de remplacement dont disposait l’auteur de l’acte fautif dans un monde hypothétique pour évaluer les dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (voir, par exemple, Sanofi‑Aventis c Teva, 2012 CF 552, modifié, mais pas sur ce point, par 2014 CAF 67), et il n’y a aucune raison pour laquelle on ne devrait pas également tenir compte de ces solutions de remplacement dans un monde hypothétique dans le cadre d’un renvoi portant sur des dommages‑intérêts pour contrefaçon;

4.                  La jurisprudence américaine, bien qu’elle ne lie pas les tribunaux canadiens, est instructive;

5.                  La Cour n’est pas liée par le jugement Lovastatin CF et ses conclusions sur la possibilité d’invoquer le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon au Canada devraient être réexaminées en raison du premier argument susmentionné, parce que cette décision est présentement en appel et qu’[traduction] « au moins un auteur de doctrine a sérieusement attaqué le raisonnement de cette décision sur le plan juridique» (Cotter, Thomas F., « Canadian Court Rejects the Argument that Noninfringing Alternatives Are Relevant to Lost Profits, », Comparative Patent Remedies, 18 juillet 2013).

[26]           Malgré les arguments de l’avocat d’Apotex et l’opinion de ses témoins experts, qui se sont exprimés du point de vue de l’économie et de la comptabilité, j’estime que le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon ne peut être invoqué par un contrefacteur au Canada dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts pour contrefaçon de brevet.

1.         Lien de causalité

[27]           Apotex affirme qu’[traduction« à moins que le lien de causalité ne soit démontré en ce qui concerne chacune des pertes alléguées, il n’existe aucune raison de principe d’ordonner à la défenderesse de compenser la perte en question ». Se fondant sur l’arrêt Clements c Clements, 2012 CSC 32 [Clements], au paragraphe 8, Apotex affirme que le critère à appliquer pour établir la causalité est celui du « facteur déterminant » (parfois désigné aussi au moyen de l’expression « n’eût été »). Les faits de l’affaire Clements, une action en responsabilité délictuelle pour négligence, étaient les suivants.

[28]           M. Clements conduisait une motocyclette. Son épouse était assise à l’arrière, sur le siège du passager. La moto avait une surcharge d’environ 100 livres et, alors qu’il roulait dans une zone de 100 km/h, M. Clements a accéléré à une vitesse de 120 km pour dépasser un camion. À son insu, un clou avait perforé le pneu arrière de sa moto. Alors qu’il dépassait le camion, le clou est tombé, le pneu arrière s’est dégonflé et la moto s’est mise à vaciller. M. Clements a perdu la maîtrise de sa moto, qui s’est renversée. Mme Clements a subi un traumatisme cérébral et a poursuivi M. Clements en affirmant que ses blessures étaient avaient été causées par la négligence de ce dernier. Il n’était pas contesté que M. Clements avait fait preuve de négligence en conduisant trop rapidement une moto surchargée. La question à laquelle la Cour devait répondre était celle de savoir si, n’eût été cette négligence, Mme Clements aurait subi ses blessures.

[29]           Pour infirmer la conclusion de la Cour d’appel et ordonner la tenue d’un nouveau procès, la Cour suprême du Canada a fait observer, au paragraphe 8, que le critère à appliquer pour établir la causalité était celui du facteur déterminant :

Le critère à appliquer pour établir la causalité est celui du « facteur déterminant » (parfois désigné aussi au moyen de l’expression « n’eût été »). Le demandeur doit démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que « n’eût été » la négligence du défendeur, il n’y aurait pas eu préjudice. Par définition, le terme « n’eût été » suppose que la négligence du défendeur était nécessaire pour que survienne le préjudice — en d’autres mots, le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur. Il s’agit d’une question de fait. Si la partie demanderesse n’établit pas ce lien nécessaire selon la prépondérance des probabilités, eu égard à l’ensemble de la preuve, son action contre le défendeur échoue.

[30]           Se fondant sur ce précédent, Apotex affirme que Lilly doit démontrer que ses ventes de produits contrefaits lui ont causé un manque à gagner. Elle affirme que Lilly ne peut démontrer qu’elle aurait réalisé la totalité ou une partie des ventes de produits contrefaits conclues par Apotex parce que cette dernière aurait pu fabriquer et vendre du Cefaclor sans contrefaire les brevets. Suivant ce scénario, les produits vendus auraient quand même été des produits vendus par Apotex et non par Lilly. Elle affirme donc qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le manque à gagner et la contrefaçon des brevets.

[31]           La faille que comporte l’argument d’Apotex est que le lien de causalité doit être établi en se fondant sur les faits tels qu’ils existaient à l’époque pertinente et non d’après les faits qui auraient pu exister. Tout comme M. Clements ne pouvait arguer en défense que le clou aurait pu tomber du pneu avant qu’il n’accélère et dans l’hypothèse où il aurait conduit une motocyclette qui n’aurait pas été surchargée, de sorte qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre sa négligence et les blessures subies par sa femme, Apotex ne peut arguer en défense qu’elle aurait pu fabriquer et vendre du Cefaclor non contrefait et qu’il n’y a donc pas de lien de causalité entre sa vente du produit contrefait et le manque à gagner subi par Lilly.

[32]           J’abonde dans le sens de M. Creber lorsqu’il dit : [traduction« Je ne connais aucune décision canadienne qui aurait permis à l’auteur d’un délit de prétendre qu’il aurait pu agir différemment, et ce, qu’il s’agisse de lésions corporelles, de négligence ou de contrefaçon de brevet [...] Si j’étais au volant de ma voiture sur la rue Elgin et que je frappais quelqu’un, il ne me serait pas loisible de dire : “j’aurais pu emprunter la rue Metcalfe à la place et éviter de frapper cette personne” ».

[33]           Apotex a raison d’affirmer que Lilly doit démontrer l’existence d’un lien de causalité entre son manque à gagner et la vente de produits contrefaits par Apotex. Elle doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que n’eût été les ventes du produit contrefait, elle aurait réalisé d’autres ventes et elle doit démontrer le nombre de ventes additionnelles ainsi que le profit qu’elle aurait réalisé sur ces ventes. Je souscris également à l’argument d’Apotex suivant lequel les tribunaux ont refusé d’accorder des dommages‑intérêts pour manque à gagner lorsque le demandeur n’avait pas établi de lien de causalité entre la contrefaçon et son manque à gagner. Apotex a porté à l’attention de la Cour des exemples de causes dans lesquelles le breveté s’était vu refuser toute indemnité pour son présumé manque à gagner sur les ventes réalisées par le contrefacteur parce qu’il n’était pas en mesure de démontrer qu’il aurait réalisé les ventes en question n’eût été la présence du produit contrefait sur le marché. Je résume comme suit les exemples en question : (1) lorsque les brevets contrefaits font habituellement l’objet d’une licence du breveté, la perte subie par le breveté se limite aux redevances qu’il demande normalement (AlliedSignal Inc c Du Pont Canada Inc (1998), 78 CPR (3d) 129 [AlliedSignal] et Meters Ltd c Metropolitan Gas Meters Ltd (1911), 28 RPC 157 (CA)); (2) lorsque les produits contrefaits ont été vendus dans des marchés où le breveté n’exerce aucune activité, le breveté ne peut recouvrer qu’une redevance raisonnable (United Horse‑Shoe & Nail); (3) lorsque le breveté n’aurait pas vendu les produits contrefaits parce qu’il ne disposait pas de méthodes de distribution ou de commercialisation efficaces (Hamilton c Featherweight Aluminum (1965), 47 CPR 40 (C. de l’Éch.)); (4) lorsque le demandeur n’aurait pas vendu les produits contrefaits en raison de l’insatisfaction d’un client ou de son refus de faire affaire avec le breveté (AlliedSignal); et (5) lorsqu’il existe un marché concurrentiel et qu’il est démontré qu’une partie des ventes des produits contrefaits aurait été réalisée par un tiers concurrent (Jay‑Lor International Inc c Penta Farm Systems Ltd, 2007 CF 358; 59 CPR (4th) 228 [Jay‑Lor]).

[34]           Chacun de ces exemples repose sur un fait concernant la conduite du breveté ou d’un tiers et non sur un comportement hypothétique et encore moins sur un comportement hypothétique du contrefacteur. Dans les exemples précités, le breveté n’avait pas été en mesure d’obtenir une pleine indemnisation soit en raison de son comportement habituel en matière d’octroi de ses brevets, soit à cause des marchés dans lesquels il vendait ses produits, de ses systèmes de distribution et de commercialisation, de la volonté de ses clients d’acheter ses produits ou du fait qu’il existait des compétiteurs sur le marché réel.

[35]           En bref, le lien de causalité doit être examiné dans le monde réel. Lilly peut obtenir des dommages‑intérêts si elle démontre, dans le monde réel, que si Apotex n’avait pas vendu le produit contrefait, elle aurait pu réaliser une partie ou la totalité des ventes en question. Le lien de causalité n’est pas examiné dans un monde hypothétique dans lequel le contrefacteur se livre à des actes différends de ceux auxquels il s’est effectivement livré. Le scénario hypothétique permettrait à l’auteur du tort d’échapper complètement à la responsabilité de ses actes. Elle permettrait au contrefacteur qui est au courant qu’il existe deux procédés de fabrication, l’un qui constitue une contrefaçon et l’autre non, de choisir le procédé qui constitue une contrefaçon, soulagé de savoir que le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon lui permettra de se soustraire à la plupart, sinon à la totalité, des conséquences de son acte fautif. Bien que les dommages‑intérêts accordés pour une contrefaçon de brevet ne soient pas censés punir les contrefacteurs, ils ne sont pas censés non plus les récompenser.

2.         Comptabilisation des profits

[36]           Si la demanderesse opte pour la comptabilisation des profits plutôt que pour les dommages‑intérêts, il faut alors tenir compte de l’existence de produits de remplacement aux produits contrefaits. Apotex affirme que [traduction« il n’y a, à première vue, aucune raison pour laquelle on pourrait tenir compte de l’existence de produits de remplacement pour réduire le montant de l’indemnité que peut obtenir le breveté lorsqu’il réclame une comptabilisation des profits, mais qu’on ne le pourrait pas lorsqu’il réclame des dommages‑intérêts ».

[37]           Il existe une différence fondamentale entre la comptabilisation des profits et l’évaluation des dommages‑intérêts et cette différence fait ressortir la raison pour laquelle on peut tenir compte de l’existence d’un produit de remplacement dans le premier cas, mais pas dans le second. En effet, dans le premier cas, on évalue les profits réalisés par le contrefacteur du fait de son utilisation du brevet, tandis que dans le second, on calcule les profits que le breveté aurait réalisés n’eût été les agissements du contrefacteur.

[38]           Dans l’affaire Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 [Schmeiser], le breveté avait choisi une comptabilisation des profits réalisés par le contrefacteur qui avait semé des graines de canola contenant le gène breveté. Cette invention permettait à un agriculteur d’obtenir un rendement supérieur en pulvérisant de l’herbicide sur ses cultures pour l’élimination des mauvaises herbes sans nuire au canola breveté. La Cour suprême a fait observer que rien ne permettait de penser que M. Schmeiser avait pulvérisé les cultures qu’il avait plantées et que rien ne permettait de penser qu’il avait profité de la contrefaçon du brevet. En bref, il avait obtenu le même résultat que celui qu’il aurait obtenu s’il avait planté des graines non brevetées. Par conséquent, aucun profit n’était attribuable à l’utilisation des graines brevetées.

[39]           Dans l’affaire Rivett, le défendeur avait admis avoir contrefait l’invention de Monsanto en plantant du soja qui contenait le gène breveté, mais, à la différence de l’affaire Schmeiser, il avait pulvérisé de l’herbicide sur ses champs. Il avait donc tiré profit du brevet. Là encore, Monsanto avait opté pour une comptabilisation des profits réalisés par le défendeur de l’utilisation de son invention. Comme dans l’affaire Schmeiser, il s’agissait de calculer les profits réalisés par le contrefacteur grâce à l’utilisation de l’invention. La Cour a estimé que ce profit correspondait à la différence entre les profits que l’agriculteur aurait réalisés s’il avait planté une graine non brevetée et ceux qu’il aurait obtenus s’il avait planté la graine brevetée. Cette formule permet de ne retenir que la partie des profits réalisés par un contrefacteur qui sont directement attribuables à l’invention, en l’occurrence, ceux qui sont imputables à sa capacité de pulvériser ses récoltes avec de l’herbicide sans les endommager.

[40]           On tient compte de la solution n’emportant pas contrefaçon lorsque l’on comptabilise les profits réalisés par le contrefacteur parce qu’on doit calculer la partie des profits qui sont directement attribuables à l’utilisation de l’invention. Lorsqu’il est démontré qu’il n’aurait réalisé aucun profit s’il n’avait pas utilisé l’invention, le contrefacteur doit alors restituer tous les profits qu’il a réalisés (voir, par exemple, l’affaire Reading & Bates Construction Co c Baker Energy Resources Corp, [1995] 1 CF 483, dans laquelle le brevet englobait la totalité de ce qui avait été vendu et dans laquelle le contrat conclu par le contrefacteur pour l’installation d’un pipeline exigeait cette méthode particulière). En revanche, s’il est démontré qu’il existe un autre produit ou une autre méthode que le contrefacteur aurait pu utiliser, le profit réalisé grâce à l’utilisation de l’invention correspond à la différence entre ces deux éléments et les profits à restituer correspondent à cette différence. C’était le cas de l’affaire Rivett. Au procès, malgré des éléments de preuve démontrant que le défendeur disposait d’un approvisionnement limité en graines conventionnelles, la Cour a jugé que « [s]i l’on recourait uniquement à un produit de comparaison qui soit véritablement disponible au plan matériel pour être exploité, mais qu’on ne le fasse pas lorsqu’il existe, mais qu’il n’est pas ainsi disponible, l’on ferait abstraction du fait que la récolte obtenue a une valeur indépendante de celle de l’invention » (Monsanto Canada Inc c Rivett, 2009 CF 317, au paragraphe 62). Cette conclusion s’expliquait par le fait que le tribunal devait calculer le profit réalisé qui était directement attribuable à l’utilisation illégitime du brevet.

[41]           Lorsqu’on évalue les dommages (le manque à gagner) que le breveté a subis raison de la contrefaçon, il importe peu que la perte ait pu être évitée complètement si le contrefacteur avait agi autrement, pour la simple raison que la perte n’a pas été évitée. Le dommage a été causé précisément en raison de la contrefaçon. Agir comme le suggère Apotex fait porter les conséquences subies par le breveté à celles subies par le contrefacteur. Or, les dommages subis par le breveté consistent en chaque vente perdue dans le monde réel par suite des activités emportant contrefaçon de la défenderesse. Contrairement à ce que prétend Apotex et comme l’a déclaré son expert, le docteur Aidan Hollis, ces dommages ne se limitent pas à la valeur du brevet, c’est‑à‑dire à la valeur que le brevet confère par ailleurs à un produit qui peut être fabriqué au moyen d’une autre méthode n’emportant pas contrefaçon. En l’espèce, Lilly a perdu, non pas une différence quelconque, mais le profit entier sur chaque vente perdue.

3.         Article 8

[42]           Apotex affirme qu’il n’y a aucune raison pour laquelle, si, pour calculer les dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), l’on tient compte des solutions de remplacement dont disposait l’auteur de l’acte fautif, on ne devrait également en tenir compte pour calculer les dommages‑intérêts pour contrefaçon.

[43]           Cet argument avait également été invoqué par Apotex dans l’affaire Lovastatin CF, et a été rejeté par la juge Snider, aux paragraphes 107 à 112. Je le rejette également.

[44]           Ainsi que la juge Snider l’a fait observer, le monde hypothétique de l’article 8 fait partie d’un régime législatif spécialisé et exhaustif distinct de celui relatif à l’évaluation des dommages‑intérêts que l’on trouve à l’article 55 de la Loi sur les brevets. En tout état de cause, la conduite probable du « breveté fautif » si l’avis de conformité lui avait permis d’utiliser des produits génériques repose sur des éléments de preuve de ce qui a été fait dans le passé. Si le breveté a plus fréquemment octroyé par le passé une licence à un fabricant de produits génériques autorisé, alors qu’un avis de conformité avait été accordé à un fabricant de produits génériques, il est alors probable qu’il l’aurait fait si le ministre n’avait pas interdit la délivrance d’un avis de conformité au fabricant de produits génériques demandeur. Les tribunaux verront d’un très mauvais œil l’argument suivant lequel le breveté aurait accordé une licence à un fabricant de médicaments génériques autorisé à défaut de preuve qu’il l’avait fait auparavant.

[45]           À mon avis, il existe une différence de principe marquée entre le fait de décider ce qu’un breveté aurait fait si un avis de conformité avait été délivré (la situation visée par l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)) et le fait de déterminer ce que le breveté aurait fait n’eût été l’action du contrefacteur (la situation visée par l’article 55 de la Loi sur les brevets). Je n’accepte pas l’argument d’Apotex suivant lequel, dans la situation envisagée par l’article 55, on doit considérer qu’il était loisible au contrefacteur d’agir d’une manière qui n’emporte pas contrefaçon. On pose ainsi la mauvaise question. On se demande : « N’eût été la contrefaçon, qu’est‑ce que le contrefacteur aurait fait? », alors que la bonne question à se poser est la suivante : « N’eût été la contrefaçon, qu’est‑ce que le breveté aurait fait? » Seule cette dernière question permet de savoir quel dommage le breveté a subi en raison de la contrefaçon.

4.         La jurisprudence américaine

[46]           Apotex affirme que bien qu’elle ne soit pas obligatoire, la jurisprudence américaine est « instructive ». Je ne partage pas son opinion à ce sujet.

[47]           Il existe une différence importante et significative entre la législation canadienne et la législation américaine en ce qui concerne les dommages‑intérêts recouvrables.

[48]           Aux termes de l’article 284 du 35 USC, [traduction« le tribunal qui donne gain de cause au demandeur lui accorde des dommages‑intérêts suffisants pour l’indemniser de la contrefaçon, mais en aucun cas inférieurs à une redevance raisonnable au titre de l’utilisation de l’invention par le contrefacteur, plus les intérêts et dépens fixés par le tribunal » [Non souligné dans l’original]. Dans le jugement Grain Processing, le juge Rader, qui citait la jurisprudence de la Cour suprême, explique que [traduction« cette conception législative des “dommages‑intérêts” correspond à la “différence entre la situation pécuniaire du titulaire du brevet après la contrefaçon et ce qu’aurait été sa situation si la contrefaçon n’avait pas eu lieu” », ce qui [traduction] « nécessite une reconstitution du marché tel qu’il aurait évolué sans la présence du produit contrefait pour déterminer ce que le breveté “aurait réalisé” ». Selon lui, cette conclusion nécessite une analyse de ce que le breveté aurait probablement fait et également de ce que, sans le produit contrefait, le contrefacteur aurait probablement fait :

[traduction] [A] une reconstitution équitable et exacte du « marché hypothétique » doit également prendre en compte, lorsqu’il est pertinent de le faire, les autres mesures prévisibles que le contrefacteur aurait prises s’il n’avait pas commis la contrefaçon. Sans le produit contrefait, un éventuel contrefacteur logique offrira vraisemblablement une autre solution acceptable qui n’entraîne pas contrefaçon, si elle existe, pour concurrencer le titulaire du brevet plutôt que de quitter le marché purement et simplement. Il est peu vraisemblable que le concurrent sur le marché « hypothétique » abandonne la totalité de sa part de marché en présence d’un brevet, s’il pratiquait une concurrence d’une autre manière légitime.

[49]           L’article 55 de la Loi sur les brevets n’oblige pas le tribunal à évaluer les « dommages‑intérêts suffisants pour indemniser » le breveté pour la contrefaçon; il l’oblige plutôt à évaluer « tout dommage‑intérêt que cette violation a fait subir au breveté ». Une évaluation du « caractère suffisant » du montant des dommages‑intérêts accordés peut fort bien impliquer l’examen de facteurs qui n’entrent pas en jeu lorsqu’on s’en tient à la question de savoir si les dommages ont effectivement été causés par les agissements du contrefacteur.

[50]           Les tribunaux américains ont jugé que, selon le premier mode d’évaluation, l’examen des autres solutions dont disposait le contrefacteur constitue un des facteurs qui entrent en ligne de compte pour déterminer si les dommages‑intérêts accordés sont suffisants. Toutefois, pour les motifs déjà exposés, il est évident que les autres mesures qu’aurait pu prendre le contrefacteur, mais qu’il n’a pas prises, n’ont absolument aucune incidence sur le préjudice effectivement subi en raison des actes qu’il a effectivement accomplis. C’est pourquoi la jurisprudence américaine n’a aucune valeur devant les tribunaux canadiens lorsqu’il s’agit d’évaluer les dommages‑intérêts pour contrefaçon en matière de brevets.

5.         La jurisprudence canadienne

[51]           Je suis d’accord pour dire que je ne suis pas lié par le jugement Lovastatin CF. Toutefois, le principe de la courtoisie judiciaire s’applique aux juges de la Cour. On ne doit pas écarter les conclusions de droit tirées par un autre juge de la Cour fédérale à moins d’être convaincu qu’il est nécessaire de le faire et de pouvoir exposer des motifs convaincants à l’appui (Apotex Inc c Allergan Inc, 2012 CAF 308).

[52]           Je rejette les trois raisons invoquées par Apotex pour m’exhorter de refuser de suivre la décision Lovastatin CF. Elles ne m’ont pas convaincu que la juge Snider avait commis une erreur. Au contraire, et pour les motifs que j’ai déjà exposés, je partage l’opinion de la juge Snider sur l’inapplicabilité du moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon.

[53]           La première raison avancée par Apotex, l’argument tiré de la causalité, a déjà été examinée et a été écartée. La seconde raison, en l’occurrence le fait qu'Apotex a interjeté appel de la décision Lovastatin CF, n’est pas pertinente. La règle de la courtoisie judiciaire s’applique tant que la décision antérieure de la Cour fédérale n’est pas infirmée sur le point pertinent.

[54]           Enfin, je ne considère pas que les vues du professeur Cotter constituent une [traduction] « attaque sérieuse sur le plan juridique » du raisonnement suivi dans la décision Lovastatin CF et je ne crois pas que son bref article de deux pages sur son blogue soit convaincant ou utile pour le débat canadien auquel Apotex souhaite contribuer.

[55]           Le désaccord exprimé par le professeur Cotter avec le jugement rendu par notre Cour dans l’affaire Lovastatin CF en ce qui a trait au recours à une solution n’emportant pas contrefaçon repose sur la [traduction« logique économique » comme le passage suivant l’illustre bien :

[traduction] Comme je l’explique nombre de fois dans mon ouvrage, j’estime personnellement que la décision United Horse‑Shoe et les décisions rendues dans sa foulée sont fondamentalement erronées sur le plan de la logique économique. Si, n’eût été la contrefaçon, le défendeur avait recouru à un procédé n’emportant pas contrefaçon qui lui aurait permis de réaliser toutes les ventes qu’il a conclues avec le produit contrefait, le breveté n’a littéralement subi aucune perte de profit imputable à la contrefaçon. Autrement dit, les profits réalisés par le breveté sur les ventes de ses produits brevetés dans le scénario hypothétique où il n’y aurait pas eu de contrefaçon n’auraient pas été différents des profits qu’il a réalisés sur les ventes effectivement conclues dans le scénario réel de la contrefaçon. Indemniser le breveté pour les profits qu’il a perdus en partant du principe qu’il doit récupérer la totalité des ventes effectuées par le défendeur en raison de la contrefaçon donne par conséquent lieu à un dédommagement excessif. La réparation qu’il convient d’accorder au breveté pour le remettre dans la situation dans laquelle il se trouverait n’eût été la contrefaçon consiste à lui accorder une redevance raisonnable calculée en fonction de celle sur laquelle les parties se seraient entendues dans le cadre de négociations sans lien de dépendance avant la contrefaçon (par ex., une partie des coûts que la défenderesse se serait attendue à épargner en utilisant le procédé contrefait, par opposition à la meilleure solution de remplacement n’emportant pas contrefaçon). [Non souligné dans l’original]

[56]           Si la Cour était en mesure d’ignorer les dispositions légales applicables édictées par le législateur et d’appliquer une logique économique, c’est peut‑être alors le professeur Cotter et non le soussigné qui trancherait la présente affaire. Mais il s’agit d’une cour de justice et non d’un tribunal économique. Du point de vue économique, il peut être logique de considérer que « n’eût été la contrefaçon, la défenderesse aurait recouru à un procédé n’emportant pas contrefaçon », mais cela ne convient pas lorsqu’il s’agit d’évaluer les dommages‑intérêts en vertu de l'article 55 de la Loi sur les brevets, pour tous les motifs qui ont déjà été exposés. La thèse préconisée par le professeur Cotter exigerait que le législateur canadien modifie la Loi sur les brevets. La Cour n’a pas compétence pour sacrifier sur l’autel de la logique économique les lois édictées par le législateur.

[57]           Pour tous ces motifs, je rejette complètement l’argument d’Apotex suivant lequel elle a droit d’invoquer le moyen de défense fondé sur l’existence d’une solution n’emportant pas contrefaçon.

V.                Quand Apotex aurait‑elle fait son entrée sur le marché?

[58]           Apotex a déposé une demande d’avis de conformité en juin 1995 et l’a obtenu le 17 janvier 1997. Peu de temps après, Apotex a commencé à importer et à commercialiser le Cefaclor contrefait; cependant, dans le monde réel, la société a cessé d’importer le Cefaclor en vrac contrefait après le 3 juin 1998. Elle a par la suite commencé à importer le Lupin 2, dont Lilly n’a pas prouvé qu’il fût contrefait.

 

[59]           Apotex soutient que l’évaluation des dommages‑intérêts de Lilly que réalise la Cour doit tenir compte du fait qu’Apotex aurait eu sur le marché une version générique et légale de Cefaclor à compter du 3 juin 1998, ce qui aurait substantiellement fait chuter les ventes de Cefaclor de Lilly.

[60]           Quant à Lilly, elle fait plutôt valoir qu’Apotex n’a pas réussi à établir que cette société aurait commercialisé un Cefaclor légal avant l’expiration des brevets contrefaits et que Lilly aurait ainsi dominé un marché exclusif jusqu’à l’expiration de tous les brevets pertinents, le 26 juillet 2000.

[61]           Pour soutenir son observation, Lilly a soulevé la question de savoir si Apotex disposait d’un procédé non contrefait avant le 26 juillet 2000. Elle soutient que la juge Gautier a conclu uniquement que Lilly n’avait pas réussi à prouver que la matière entrant dans la composition du Lupin 2 était contrefaite, mais pas qu’il s’agissait d’un procédé non contrefait. J’adhère plutôt à l’observation d’Apotex selon laquelle [traduction« une partie qui s’est opposée, avec succès, à une allégation de contrefaçon d’une matière précise à l’étape du procès portant sur la question de la responsabilité n’est pas tenue de présenter d’autres éléments de preuve dans la phase de référence » pour prouver que cette matière n’est pas contrefaite. [traduction] « Imposer cette exigence à deux reprises minerait principe du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités en droit civil, vexerait deux fois une partie et ferait de l’étape sur la responsabilité un processus judiciaire inutile. »

[62]           Cependant, le fardeau de la preuve incombe toujours à Apotex de prouver, selon la prépondérance de la probabilité, qu’elle serait entrée sur le marché avec un Cefaclor non contrefait avant l’expiration des brevets. Pour les motifs ci‑dessous, je conclus qu’Apotex n’a pas réussi à prouver que si elle n’avait pas eu accès à de la matière contrefaite, elle aurait accédé au marché avec une matière non contrefaite.

[63]           Selon Apotex, la preuve de ce qu’elle aurait fait dans le monde hypothétique est étayée par ce qu’elle a fait dans le monde réel. Dans le monde réel, lorsqu’elle a déterminé que le procédé utilisé contrefaisait les brevets, elle a cherché un procédé non contrefait et a poursuivi ses activités sur le marché. Bien que cela soit véridique, je suis d’accord avec Lilly pour dire qu’il existe une différence fondamentale entre les points à considérer et les actions que l’on prend pour entrer sur le marché et les points à considérer et les actions que l’on prend pour y rester.

[64]           Dans le cas présent, Apotex menait des activités sur le marché du Cefaclor depuis janvier 1997 lorsqu’elle a cessé d’importer la matière contrefaite 18 mois plus tard, en juin 1998. Elle s’était bâti une clientèle et son produit avait été inscrit aux formulaires – l’ensemble de ces activités aurait été mis sur la glace pendant deux ans jusqu’à l’expiration des brevets si elle n’avait pas trouvé un autre procédé de fabrication. Bref, elle avait tout intérêt à utiliser un procédé qui ne contrefaisait pas un brevet afin de conserver sa position sur le marché.

[65]           D’un autre côté, il faut se demander s’il y a des éléments de preuve convaincants selon lesquels, si cela n’avait été qu’elle a utilisé un procédé contrefait en 1998, Apotex aurait cherché à obtenir un procédé non contrefait?

[66]           Bien que cela ne soit pas concluant, notons que seulement trois années auparavant la juge Simpson a conclu qu’« il n’existe aucun moyen commercialement viable de produire le Cefaclor sans utiliser au moins deux des intermédiaires. Les brevets canadiens 1,097,611 et 1,146,536 comportent les revendications relatives à ces substances cruciales ».

[67]           Plus pertinent encore est le fait que, dans son jugement sur la responsabilité, la juge Gauthier a conclu qu’« aucun élément de preuve non plus ne donne à penser qu’Apotex se souciât même vraiment de trouver une source licite de céfaclor en vrac » [non souligné dans l’original]. À cet égard, M. Sherman montre aux paragraphes 827 à 834 de son exposé des éléments de preuve qu’Apotex était déterminée à entrer sur le marché du Cefaclor, mais seulement, il appert, avec un produit contrefait. Compte tenu de cette conclusion, il faudrait présenter à la Cour des éléments de preuve non contredits et explicites à cet égard pour qu’elle conclue qu’Apotex aurait cherché un produit de remplacement licite pour pénétrer le marché avant l’expiration des brevets.

[68]           Bien que j’accepte qu’Apotex ait manifesté le désir de percer le marché du Cefaclor, je ne vois aucun élément de preuve qu’elle souhaitait entrer sur le marché, non pas d’y rester, de façon légale. Apotex a produit des éléments de preuve indiquant qu’elle ne réalisait pas d’analyse de rentabilité pour des produits individuels avant de les commercialiser, c’est pourquoi l’entrée sur le marché avec un Cefaclor légitime ne peut pas avoir été motivée par un avantage financier direct. Mis à part son désir général d’avoir sur le marché le plus grand nombre de produits pharmaceutiques possibles, la société n’a présenté aucun élément de preuve établissant que sa volonté d’ajouter le Cefaclor à son catalogue l’aurait incité à chercher une méthode non contrefaite avant l’expiration du brevet.

[69]           À cet égard, même si Lilly a demandé à la Cour de conclure qu’Apotex ne serait pas entrée sur le marché avant l’expiration du dernier brevet – appartenant à Lilly – le 26 juillet 2000, elle a reconnu en plaidoirie qu’Apotex aurait pu produire du Cefaclor non contrefait au moyen du procédé de Kyong Bo après l’expiration du dernier brevet de Shionogi le 19 avril 2000.

[70]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’Apotex ne serait pas entrée sur le marché du Cefaclor avant le 19 avril 2000, date d’expiration du dernier brevet de Shionogi. À compter de cette date, Apotex pouvait entrer sur le marché avec un Cefaclor non contrefait, et je conclus que c’est ce qu’elle aurait fait.

[71]           De plus, j’estime que Lilly n’aurait pas autorisé la mise en marché d’une version générique du Cefaclor si Apotex n’avait pas été présente sur le marché. Tous les éléments de preuve tendent à démontrer que Lilly autorise la vente d’une version générique de ses produits pharmaceutiques brevetés uniquement lorsqu’une autre version générique est déjà sur le marché ou est sur le point d’arriver sur le marché. Par conséquent, je conclus que Lilly aurait exercé un monopole sur le marché du Cefaclor au moins jusqu’au 19 avril 2000. J’accepte qu’Apotex aurait pris toutes les mesures nécessaires pour mettre sur le marché sa version générique du Cefaclor le 19 avril 2000 ou le plus tôt possible après cette date. Elle aurait été motivée par l’avantage d’être première sur le marché.

VI.             À quelles dates Apotex aurait‑elle été inscrite aux formulaires provinciaux?

[72]           Seule une experte a été appelée à témoigner sur la question de l’inscription aux formulaires provinciaux : Rosemary Bacovsky. Sans objection de Lilly, elle était qualifiée à titre de [traduction« consultante de l’industrie pharmaceutique et pharmacienne, détenant une expertise en inscription aux formulaires provinciaux, en accès au marché, en politiques de remboursement, en fixation des prix et en interchangeabilité des régimes sur le marché pharmaceutique canadien ».

[73]           Elle a donné son avis quant aux dates d’inscription aux formulaires provinciaux en fonction d’un nombre d’hypothèses et de scénarios divers portant sur le moment où Apotex aurait lancé son produit sur le marché du Cefaclor. Malheureusement, elle n’a pas envisagé une mise en marché le 19 avril 2000, les dates estimées les plus proches sont le 1er juillet 1999 et le 26 juillet 2000.

[74]           L’avis de Mme Bacovsky repose sur l’hypothèse selon laquelle Apotex ferait une demande d’inscription aussitôt que possible en tirant parti de tout processus accéléré disponible. Elle aurait été ainsi inscrite aux formulaires à la date de lancement du Cefaclor ou le plus rapidement possible après cette date.

[75]           Lilly a encouragé la Cour à utiliser les inscriptions du monde réel et à ne pas accepter l’[traduction« approche optimiste » de Mme Bacovsky. Je reconnais que ses arguments ont été quelque peu ébranlés en contre‑interrogatoire et que son opinion se fonde sur un scénario idéal en matière d’inscription. Je souscris également au point de vue de Lilly, selon lequel les dates d’inscription probables sont sans doute optimistes comparativement à la date d’inscription du Cefaclor d’Apotex dans le monde réel. D’un autre côté, dans le contexte où le brevet allait expirer prochainement et où Apotex savait que Lilly avait une version générique autorisée en attente, je conviens qu’Apotex aurait déployé tous les efforts pour commercialiser son produit le plus rapidement possible après l’expiration du brevet.

[76]           Dans le cas présent, Mme Bacovsky est le seul témoin qui a émis une opinion sur les dates d’inscription probables. Lilly n’a appelé aucun témoin, et j’estime que les éléments de preuve présentés par Mme Bacovsky à cet égard sont persuasifs. Elle a examiné tous les faits importants, soit les politiques et les procédures provinciales en place, et les bulletins du Provincial Reimbursement Advisor joint à la pièce C de son affidavit. Aux paragraphes 31 et 32 de son rapport, elle explique qu’elle [traduction« présume qu’au Manitoba, en Ontario et au Québec, où les formulaires sont révisés en vertu d’une loi, les dates de changements apportés aux formulaires demeurent les mêmes dans les scénarios de lancement hypothétiques ». Dans les autres provinces, où la révision des formulaires est plus flexible, elle a présumé que les provinces seraient désireuses de profiter des médicaments génériques le plus tôt possible. Cette approche, dit‑elle, [traduction« cadre avec mon expérience personnelle ». Selon moi, ces hypothèses sont raisonnables et, en l’absence de tout élément de preuve du contraire, je les fais miennes.

[77]           Selon ces hypothèses et les données présentées dans le rapport de Mme Bacovsky, je conclus que les dates d’inscription du Cefaclor d’Apotex aux formulaires provinciaux sont les suivantes, tenant compte que le médicament serait lancé le 19 avril 2000 :

Colombie‑Britannique

19 avril  2000

Alberta

19 avril 2000

Saskatchewan

1er mai 2000

Manitoba

15 mai 2000

Ontario

17 juillet 2000

Québec

17 mai 2000

Nouveau‑Brunswick

19 avril 2000

Nouvelle‑Écosse

1er mai 2000

Terre‑Neuve‑et‑Labrador

19 avril 2000

Je conclus que Lilly aurait exercé un monopole sur le marché dans toutes les provinces jusqu’à la date d’inscription respective dans chaque province, comme il est illustré ci‑dessus.

VII.          La taille du marché

[78]           Tous les experts conviennent que la taille du marché du Cefaclor est la même dans le monde hypothétique et dans le monde réel. Par conséquent, si la taille du marché dans le monde réel équivaut à la somme des ventes de Cefaclor au cours de la période visée, alors ces ventes correspondent également au total des ventes dans le monde hypothétique.

[79]           Cette approche plutôt directe comporte toutefois deux difficultés. La première a trait aux données utilisées pour déterminer le volume de ventes de Cefaclor, et la deuxième concerne la période visée et la part de marché qu’aurait détenue chacune des sociétés pharmaceutiques s’il n’y avait pas eu contrefaçon.

1.         Données

[80]           Les ventes de produits pharmaceutiques peuvent être examinées à trois points différents dans la chaîne de distribution.

[81]           Les données à la sortie de l’usine reflètent les ventes des fabricants pharmaceutiques aux grossistes et aux grandes chaînes de produits pharmaceutiques qui n’ont pas recours aux grossistes. Selon M. Harington, un expert appelé par Apotex, ces données sont les plus utiles pour évaluer la perte de ventes de Lilly parce qu’elles renseignent sur les ventes réalisées par les deux fabricants : [traduction« Selon moi, si l’on veut mesurer les résultats économiques qu’aurait obtenus Lilly, c’est‑à‑dire. la rembourser pour les ventes additionnelles qu’elle aurait réalisées, c’est à ce niveau de données que doit être menée l’analyse. » Je souscris à cette opinion.

[82]           Lorsque l’on veut établir le nombre de ventes à la sortie de l’usine au cours de la période visée, l’absence de données directes à cet égard d’IMS Health, une source indépendante de données sur les ventes pharmaceutiques, est la principale difficulté. Il faut mesurer les ventes à partir d’autres données de cette entreprise.

[83]           IMS Health recueille des données sur les volumes d’achats des pharmacies et des hôpitaux (données P‑H d’IMS) ainsi que des données sur les médicaments d’ordonnance achetés par les patients et les consommateurs (données Rx d’IMS).

[84]           Les données P‑H d’IMS ne tiennent pas compte des produits offerts gratuitement par les fabricants pharmaceutiques pour encourager l’achat de leurs produits. Cette caractéristique revêt dans le cas présent une importance particulière du fait que le volume de Cefaclor offert gratuitement était largement supérieur aux quantités normalement distribuées, ce qui est accepté par les deux parties. Si l’on utilise les données P‑H d’IMS pour calculer les ventes à la sortie de l’usine, il faut par conséquent ajouter à ces ventes la quantité de produits offerts gratuitement par le fabricant pour obtenir le volume de produits réel sur le marché.

[85]           La seconde difficulté que présente l’utilisation des données P‑H d’IMS pour évaluer la part du marché d’un fabricant de médicaments génériques à compter de la date de mise en marché de son produit tient au fait que le volume de produits vendus par le fabricant de médicaments génériques ne correspond pas au volume de produits qu’aurait vendus un fabricant de médicaments de marque si un équivalent générique n’avait pas été sur le marché. Cet écart s’explique par l’excédent de stocks qu’achètent les grossistes et les chaînes en vue de répondre à la demande rapidement. Par conséquent, lorsqu’un fabricant de médicaments génériques lance un médicament, les grossistes et les chaînes achètent davantage de produits qu’ils n’en ont besoin au moment de l’achat pour se constituer des stocks qui serviront à remplir les prescriptions futures. Selon M. Harington, les stocks en question équivalent généralement à une période d’approvisionnement de six à huit semaines. Cette stratégie s’appelle le « garnissage ». Les données P‑H d’IMS surévaluent les ventes qu’aurait faites un fabricant de médicaments de marque lorsqu’un médicament est mis en marché; c’est pourquoi il faut ajuster ces données.

[86]           L’autre ensemble de données disponibles contient les données Rx d’IMS portant sur le nombre de prescriptions exécutées. À ce stade, ces données incluent les produits offerts gratuitement par les grossistes et les chaînes, mais vendus aux consommateurs. Par contre, elles ne tiennent pas compte des achats des grossistes et des chaînes visant à se constituer des stocks. Par conséquent, M. Harington a indiqué que la différence entre les données Rx et les données P‑H d’IMS à compter de la mise en marché est la quantité de produits achetés aux fins de garnissage.

[87]           M. Harington a également souligné la nécessité de corriger les données P‑H d’IMS, à la fin de la période visée, pour tenir compte des retours au fabricant. Les marchandises sont généralement retournées une fois qu’un médicament générique a fait son apparition sur le marché. Les grossistes et les chaînes se retrouveront avec des stocks de produits pharmaceutiques de marque excédant la demande parce que le produit générique occupera la majeure partie, si ce n’est la totalité, du marché. Ainsi, elles retourneront ces marchandises aux fabricants pharmaceutiques, ce que M. Harington a désigné en tant que dégarnissage.

[88]           M. Harington a tenu compte de cette pratique dans son rapport, au contraire de l’expert de Lilly, M. Sims. J’abonde dans le même sens que M. Harington et j’estime qu’il faut considérer ce point. Comme l’a indiqué ce dernier : [traduction« Si cent produits sont vendus et que dix sont retournés, il faut comprendre que seulement 90 produits additionnels ont été mis sur le marché si l’on veut ajuster correctement la taille du marché. »

[89]           L’approche de M. Harington est donc préférable à celle de M. Sims parce qu’elle rend compte du fait que Lilly ne devrait pas être dédommagée pour des ventes faisant par la suite l’objet d’un retour.

[90]           Le rapport initial de M. Sims était fondé sur les données P‑H d’IMS, qu’il supposait rendre compte de marchandises offertes gratuitement. Ce n’est pas le cas. M. Sims a été autorisé à produire un rapport supplémentaire pour corriger son erreur et inclure les marchandises gratuites.

[91]           Dans son rapport initial, M. Harington a utilisé les données P‑H d’IMS, comme M. Sims, et il a également présumé à tort que ces données tenaient compte des marchandises offertes gratuitement. Il a par la suite produit deux autres calculs – l’un fondé sur les données P‑H d’IMS suppléé des marchandises gratuites, l’autre fondé sur les données Rx de l’entreprise. Le calcul réalisé à partir des données Rx a servi à confirmer ses résultats obtenus à l’aide des données P‑H. Selon lui, les données Rx sont pures, c.‑à‑d. qu’elles reflètent les prescriptions exécutées et qu’elles n’ont pas besoin d’être corrigées pour tenir compte des marchandises offertes gratuitement. Il s’est appuyé sur le fait que les données Rx correspondaient plus justement à son estimation des données P‑H incluant les marchandises gratuites qu’à l’estimation de M. Sims. C’est également pourquoi son opinion a primé.

[92]           Selon M. Harington, l’écart entre les pertes de profits de Lilly observé selon son calcul et celui de M. Sims est presque entièrement attribuable à leurs points de vue divergents sur le taux de pénétration du marché d’Apotex. Les deux experts s’entendent pour dire que, peu importe la date à laquelle le Cefaclor d’Apotex aurait été inscrit aux formulaires, la société aurait débuté avec des ventes nulles et aurait pris un certain temps pour grignoter les parts de marché de Lilly.

[93]           Je me penche maintenant sur l’analyse de l’effritement de la part de marché de Lilly au profit d’Apotex dans le monde hypothétique et des répercussions sur les pertes de ventes de Lilly.

2.         Période visée et part de marché

[94]           Il est pertinent d’évaluer le taux d’effritement de la part de marché si l’on veut calculer les ventes dans le monde hypothétique à partir du volume de ventes dans le monde réel au cours de la période visée. À cet égard, dans le monde réel, en date du 19 avril 2000 (date de lancement du Cefaclor d’Apotex dans le monde hypothétique), Apotex participait déjà au marché du Cefaclor avec son Cefaclor Lupin 2 et elle s’était pleinement intégrée au marché. Dans le monde hypothétique toutefois, Apotex est entrée sur le marché au plus tôt le 19 avril 2000. Elle devait faire inscrire son produit aux formulaires, et un certain temps se serait écoulé après son inscription avant qu’elle puisse pleinement capter le marché.

 

[95]           Les calculs de M. Sims supposent un taux de pénétration identique dans le monde hypothétique et le monde réel. M. Harington, utilisant les dates d’inscription aux formulaires présentées par Mme Bacovsky, affirme que [traduction« dans la mesure où le médicament a été inscrit plus rapidement sur les formulaires dans le monde hypothétique que dans le monde réel après la mise en marché, le taux de pénétration accéléré qu’affichent les produits génériques une fois inscrits aux formulaires aurait été atteint plus rapidement, ou plus tôt ». J’adhère davantage à la thèse de M. Harington. Je conviens avec M. Harington que l’approche de M. Sims est fondée sur une [traduction« hypothèse simpliste » selon laquelle les dates d’inscription et le taux de pénétration ne changent pas, et ce même s’il y a un écart temporel entre les deux scénarios. Aucun élément de preuve ne vient étayer l’hypothèse de M. Sims. De plus, Mme Bacovsky, dont j’accepte l’opinion, affirme le contraire.

[96]           La liste 1 du rapport de M. Harington montre que les pertes de profits, redevances exclues, se seraient chiffrées à [..renseignement expurgé.. ] $ si Apotex était entrée sur le marché le 26 juillet 2000 et si son Cefaclor avait été inscrit aux formulaires provinciaux en fonction des dates de lancement indiquées par Mme Bacovsky. En revanche, les pertes sont légèrement inférieures si l’on considère une mise en marché en date du 19 avril 2000, les dates d’inscription aux formulaires ci‑dessus ajustées. La Cour enjoint aux parties de demander à M. Harington de refaire son évaluation des dommages‑intérêts de Lilly en fonction de ces faits.

VIII.       Redevances

[97]           La loi prévoit que Lilly a droit à une redevance raisonnable pour chaque vente de produit contrefait réalisée par Apotex, et ce même si Lilly n’aurait pas effectué la vente par elle‑même. M. Harington a utilisé le taux de redevance présenté dans le rapport de M. Weinstein, un expert appelé par Apotex. Ce dernier a été reconnu en tant qu’[traduction« expert en économie et en évaluation de la propriété intellectuelle et des dommages‑intérêt pour contrefaçon de brevet, y compris les redevances raisonnables au titre des dommages‑intérêts, ayant une expertise en économie des marchés pharmaceutiques ».

[98]           L’analyse de M. Weinstein est fondée sur le fait qu’Apotex a payé 1 500 $ US/kg pour le Cefaclor Lupin 2 non contrefait et 1 005 $ US/kg pour le Cefaclor contrefait. À son avis, les négociations des parties auraient porté sur l’écart de 495 $US/kg économisé par Apotex. Selon la solution de négociation de Nash, M. Weinstein conclut que les parties se seraient entendues sur une redevance de 248 $ US/kg, soit un rapport de 50/50.

[99]           Selon moi, il s’agit ici d’une approche simpliste à la question de la détermination des redevances raisonnables et l’on pourrait même soutenir qu’elle ne rend pas justice à la solution de négociation de Nash. Un taux de redevance raisonnable approprié, y compris selon la solution de négociation de Nash, est obtenu par l’analyse des circonstances et des faits pertinents dans le cas en question, ainsi que du type de négociations hypothétiques dans lesquels seraient entrées les parties au moment en question en fonction de ces faits et circonstances. Au nombre des circonstances et des faits pertinents figurent la disponibilité de procédés de substitution au procédé breveté, le pouvoir de négociation des parties et la relation entre les parties. La création d’une fiction juridique entre un concédant et un licencié consentants n’implique pas pour autant qu’ils soient tous deux prêts à négocier dans la même mesure. On doit s’enquérir auprès des parties sur leur volonté de conclure le marché. S’agit‑il d’un mariage consentant ou d’un mariage forcé?

[100]       J’abonde dans le même sens que Lilly et j’estime que le rapport de M. Weinstein est entaché d’erreurs du fait qu’il fonde son opinion sur la disponibilité d’un produit de remplacement dont Apotex « aurait pu » disposer lorsqu’elle a commencé ses activités contrefaisantes. Rien dans la loi ou la preuve ne soutient cette thèse.

[101]       M. Sims, l’expert de Lilly, a fait valoir que le taux de redevance raisonnable devrait se fixer à un minimum de 1 119  $ CAN/kg. Il fonde cette estimation sur le surplus allant jusqu’à 1 119 $ CAN/kg que payait Apotex pour le Cefaclor Lupin 2 non contrefait par rapport au plus faible prix auquel elle pouvait obtenir le Cefaclor contrefait. Lilly a soutenu que le taux de redevance raisonnable devait se situer plus près du prix le plus élevé qu’avait payé Apotex pour le Cefaclor Lupin 2 (2 500 $ CAN/kg), étant donné le pouvoir de négociation des parties.

[102]       Selon moi, le taux de redevance raisonnable qu’auraient négocié les parties en fonction de leur position sur le marché et de leurs circonstances au moment où Apotex a commencé à vendre du Cefaclor contrefait (alors que le Cefaclor Lupin 2 n’était pas offert) serait supérieur à 1 119 $ CAN/kg, sans toutefois atteindre le niveau proposé par Lilly. Il faut à mon avis considérer que Lilly ne conclut pas d’accord de redevance avec d’autres parties que des fabricants de médicaments génériques autorisés, ce qui n’est pas le cas ici. Il faut également tenir compte du fait que ces parties sont engagées de façon constante et récurrente dans des litiges. C’est pourquoi je crois que Lilly serait moins portée à négocier un marché à moins qu’elle ne soit assurée d’être gagnante dans cet accord. Apotex a soutenu tout au long du procès que l’entreprise a pour principal objectif d’élargir la gamme de produits à son catalogue, ce qui donne à penser qu’elle serait très désireuse de conclure un marché, sans égard au profit qu’elle ferait sur le produit à lui seul. En revanche, compte tenu des moyens financiers de Lilly, il serait peu probable que la société voit un grand avantage financier à conclure une entente où le rapport ne serait pas supérieur à 50/50. Pour ces motifs, je conclus que les parties auraient négocié un taux de redevance raisonnable de 1 500 $ CAN/kg.

[103]       M. Sims et M. Harington ne s’entendent pas sur la quantité totale de matériel assujetti aux redevances. Ayant préféré les éléments de preuve de M. Harington en ce qui concerne les autres questions, j’adhère également à son avis à cet égard. On n’a pas fourni à la Cour des renseignements sur le volume total de matière contrefaite importée et acceptée par Apotex avant le 19 avril 2000. Ce volume, soustrait des déductions évaluées par M. Harington, représente la quantité totale de matière assujettie aux redevances [assiette de redevance]. Il est ordonné aux parties de demander à M. Harington de leur fournir, ainsi qu’à la Cour, cette quantité. La Cour accordera des redevances au taux de 1 500 $ CAN/kg sur l’assiette de redevance.

IX.             Intérêts avant jugement

[104]       Au procès, la juge Gauthier a accordé à Lilly des intérêts avant jugement à un taux « à calculer séparément pour chaque année d’activité contrefaisante, au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada comme taux minimum auquel elle consent des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, L. R. C. 1985, ch. B‑1 ». Cependant, elle a également ajouté que « cette décision est subordonnée à la condition que le juge du renvoi n’accorde pas d’intérêts en vertu d’un droit visé à l’alinéa 36(4)f) de la Loi sur les Cours fédérales ».

[105]       Au paragraphe 673 de ses motifs, la juge de première instance a indiqué que, dans le cadre du renvoi, Lilly aurait la possibilité de prouver qu’elle a droit à des intérêts composés avant jugement :

Lilly aura la possibilité, dans le cadre du renvoi, d’essayer d’établir que la réparation intégrale exige l’octroi d’intérêts composés, et quel est le taux nécessaire à cette fin. Si elle y parvient, son droit à ces intérêts aura sa source ailleurs que dans le paragraphe 36(2) de la Loi sur les Cours fédérales, et l’alinéa 36(4)f) de cette loi interdira à la Cour d’accorder des intérêts avant jugement sous le régime de son paragraphe 36(2).

[106]       Les deux parties ont invoqué l’arrêt de la Cour suprême du Canada Banque d’Amérique du Canada c Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43 [Banque d’Amérique]. Chacune des parties fait valoir que l’arrêt soutient leur position sur l’octroi aux demanderesses d’intérêts composés avant jugement.

[107]       L’arrêt Banque d’Amérique porte sur une affaire d’inexécution de contrat. La Banque d’Amérique avait accepté de financer un projet de construction de copropriétés et la Société de Fiducie Mutuelle avait, quant à elle, accepté de financer les prêts hypothécaires des investisseurs. Les deux sociétés avaient conclu des ententes qui prévoyaient qu’elles touchent des intérêts composés au titre des prêts accordés.

[108]       Le marché de l’immobilier a connu un ralentissement, ce qui a poussé la Société de Fiducie Mutuelle a refusé d’accorder des prêts hypothécaires. La copropriété a ultimement été vendue et les sociétés ont encaissé de lourdes pertes.

[109]       La Banque d’Amérique du Canada a intenté une poursuite contre la Société de Fiducie Mutuelle pour inexécution de contrat, et le juge lui a accordé des intérêts composés avant jugement sur les dommages‑intérêts accordés. Les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario portant sur les intérêts avant jugement sont similaires à celles de la Loi sur les Cours fédérales et prévoient l’attribution d’intérêt simple avant jugement pourvu que « le droit aux intérêts a sa source ailleurs que dans le présent article ».

[110]       La Cour suprême s’est penchée sur le concept de la « valeur temporelle » de l’argent (selon lequel « la valeur de l’argent diminue avec le temps ») et a examiné la jurisprudence portant sur les intérêts dans le droit canadien. Elle a conclu que la common law reconnaissait maintenant l’octroi d’intérêts composés dans les affaires contractuelles et elle s’est exprimée comme suit à cet égard : « Afin que la common law suive l’évolution de la société et que disparaisse la discordance entre l’indemnisation de la perte du profit escompté et la réticence antérieure des tribunaux à accorder de l’intérêt composé, cette réticence doit céder le pas lorsqu’une telle mesure est nécessaire pour accorder au demandeur l’avantage que le contrat devait lui conférer. »

[111]       La Cour suprême a également statué que les tribunaux pouvaient accorder des intérêts composés au titre de la règle d’equity : « Les tribunaux ont reconnu que l’equity pouvait conférer un autre droit aux intérêts, y compris à l’intérêt composé, que celui expressément prévu aux art. 128 et 129 [de la Loi sur les tribunaux judiciaires]. »

[112]       Invoquant le paragraphe 33 de l’arrêt Banque d’Amérique, Lilly soutient que, si on ne lui accorde pas des intérêts composés avant jugement, Apotex sera automatiquement récompensée pour d’avoir retenu les fonds qui sont de droit la propriété de Lilly, et Lilly sera donc désavantagée :

Afin d’éviter qu’un défendeur n’exploite à son avantage la valeur temporelle de l’argent en différant le paiement des dommages‑intérêts et en capitalisant la valeur temporelle de cette somme dans l’intervalle, les tribunaux doivent pouvoir inclure, dans les dommages‑intérêts accordés, des intérêts qui permettent au demandeur de récupérer la valeur acquise par le défendeur entre l’inexécution et le paiement des dommages‑intérêts.

[113]       Dans la décision Astrazeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2011 CF 663 au paragraphe 33, le juge Hughes a affirmé ce qui suit : « Il n’y a pas lieu d’encourager une partie à ne pas payer le montant d’un jugement simplement parce qu’il est moins coûteux de laisser les intérêts s’accumuler. » De la même manière, une partie ne devrait pas être encouragée à retarder et à prolonger le litige parce qu’il est moins onéreux et plus avantageux pour elle d’agir ainsi que de payer ce qui dû.

[114]       D’un autre côté, Apotex fait valoir que l’arrêt Banque d’Amérique établit [traduction« que l’autre droit prévu à l’alinéa 36(4)f) de la [Loi sur les Cours fédérales] peut être un droit d’equity… et un droit en vertu de la common law issu du contrat », et elle soutient qu’aucun de ces droits n’est revendiqué dans ce litige contre Lilly.

[115]       L’interprétation que fait Apotex du jugement de l’arrêt Banque d’Amérique est beaucoup trop restrictive. S’il est vrai que la Cour suprême a affirmé que « [l]es tribunaux ont reconnu que l’equity pouvait conférer un autre droit aux intérêts, y compris à l’intérêt composé, que celui expressément prévu » dans la loi du tribunal pertinente, et que « [l]e droit contractuel à l’indemnisation de la perte du profit escompté, reconnu en common law, constitue également une autre source du droit aux intérêts »; la Cour suprême n’a cependant jamais affirmé que ces droits étaient les seuls autres « droits » dont on pouvait se prévaloir pour appuyer l’octroi d’intérêts composés.

[116]       Il est possible que des intérêts doivent être versés en vertu d’une autre disposition législative, ce que la juge Gauthier a implicitement reconnu lorsqu’elle a écrit que Lilly pouvait avoir droit à des intérêts composés avant jugement « comme élément de l’indemnisation ». L’« indemnisation » tire sa source du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets qui prévoit que le contrefacteur est responsable envers le breveté « du dommage » que cette contrefaçon lui a fait subir. S’il peut établir que les pertes de profits découlent de la contrefaçon et que ces profits auraient généré un revenu régulier au cours de la période de privation de ces profits, alors le breveté a également subi le préjudice de perte de revenus tirés de ces profits.

[117]       Apotex soutient que Lilly n’a pas réussi à prouver de quelconques pertes de cette nature. Elle n’a pas établi qu’elle aurait investi les profits perdus et réinvesti tout revenu tiré de ceux‑ci ou encore qu’elle aurait remboursé une dette.

[118]       Selon moi, le breveté n’est pas tenu de prouver exactement ce qu’il aurait fait des profits perdus en raison des actions du contrefacteur. Le scénario hypothétique existe justement parce que le breveté ne disposait pas des fonds. Je souscris à l’avis exprimé par S. M. Waddams dans The Law of Damages (3e éd., 1997), au paragraphe 437, cité au paragraphe 37 de l’arrêt Banque d’Amérique :

[traduction] [A]ucun principe ne paraît justifier qu’un tribunal ne puisse accorder des intérêts composés. S’il avait été indemnisé le jour où il a subi le préjudice, le demandeur aurait disposé d’un capital à placer; il aurait périodiquement touché de l’intérêt sur ce capital, qu’il aurait également placé. Le défendeur a quant à lui bénéficié des intérêts composés.

J’irais même plus loin pour dire que, dans le monde d’aujourd’hui, il faut présumer qu’un demandeur aurait gagné de l’intérêt composé sur les fonds dus et que c’est justement ce que fait un défendeur au cours de la période pendant laquelle il retient les fonds.

[119]       Apotex soutient que l’attribution d’intérêts composés aurait pour effet de surcompenser Lilly parce que cela permet de calculer les intérêts sur des sommes avant impôts plutôt qu’après impôts. Elle affirme que l’[traduction] « octroi d’intérêt simple permet d’éviter de tenir compte de telles questions fiscales – qui peuvent se révéler très complexe – et de simplifier le calcul ». La facilité du calcul n’est pas un point à considérer dans la détermination des dommages‑intérêts. Mis à part le fait qu’elle a affirmé que le calcul pourrait donner lieu à l’attribution de gains fortuits pour le breveté, Apotex n’a présenté aucun élément de preuve soutenant une réduction justifiée des intérêts composés au cours de la période visée de douze ans. Toute réduction au titre des intérêts composés appliquée par la Cour dans ce dossier ne serait rien d’autre qu’une pure spéculation. Quoi qu’il en soit, si l’omission de tenir compte du fait que les intérêts cumulatifs auraient été gagnés sur des sommes après impôts peut occasionner une indemnisation plus élevée pour Lilly, ceci est contrebalancé, en partie ou en totalité, par le fait que les intérêts composés ne tiennent pas précisément compte des trois facteurs cernés par la Cour suprême pour évaluer la dépréciation de la valeur de l’argent : (i) le coût de renonciation, (ii) le risque et (iii) l’inflation.

[120]       Lilly a appelé M. Stephen Foerster, un analyste financier agréé et professeur de finances à l’école de commerce Ivey de l’Université Western Ontario, afin qu’il donne son avis sur le bien‑fondé d’accorder des intérêts composés et le sur taux approprié. Selon lui, le coût moyen pondéré du capital (CMPC) était le taux le plus approprié pour calculer la redevance à accorder parce qu’il représente la meilleure estimation du coût des occasions perdues par Lilly, qu’il a évalué à [..renseignement expurgé..] %. Je souscris à l’opinion d’Apotex, pour les diverses raisons qu’elle a invoquées, selon laquelle le CMPC n’est [traduction« simplement pas une mesure compensatrice de la valeur temporelle de l’argent ». Le raisonnement principal pour rejeter le CMPC est énoncé par la juge Snider au paragraphe 262 de la décision Lovastatin FC : « [L]e taux en fonction duquel des entreprises très importantes et très prospères décident de leurs investissements n’a guère de pertinence lorsqu’il s’agit de fixer le taux des intérêts avant jugement. »

[121]       M. Forester a également évalué l’utilisation du taux de rendement d’un investissement en bons du Trésor, du taux d’escompte, du coût de la dette de Lilly et du coût d’emprunt d’Apotex. Il est possible que toutes ces mesures soient appropriées dans des circonstances particulières; cependant, selon moi, la meilleure mesure à utiliser pour calculer les pertes subies par Lilly au cours de la période visée pour cause de ne pas avoir eu les fonds à investir serait en fait les profits qu’elle a réalisés par ses activités commerciales pendant cette période. Lorsque la Cour a présenté cette solution à M. Foerster, il a indiqué qu’[traduction« il s’agirait d’un autre scénario certainement viable ».

[122]       La preuve dont la Cour est saisie montre que les marges bénéficiaires de 1997 à 2012 allaient de [..renseignement expurgé..] % à [..renseignement expurgé..] %, la marge bénéficiaire moyenne avant impôt se fixant à [..renseignement expurgé..] %. Les marges bénéficiaires annuelles pour les années ultérieures à 2012 n’ont pas été présentées devant la Cour.

[123]       Apotex fait valoir qu’en raison de l’[traduction« attitude détendue » de Lilly dans ce litige, elle ne méritait pas d’obtenir un taux d’intérêt composé élevé. Elle affirme qu’une telle indemnisation sanctionnerait les actions de Lilly. Comme je l’ai mentionné antérieurement, les deux parties s’accusent d’avoir retardé les procédures. Ayant examiné l’historique entier de ces procédures, la sagesse de Jean 8,7 me vient à l’esprit. Lorsqu’on demanda à Jésus s’il croyait juste que la pécheresse soit lapidée, il a répondu : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. »

[124]       Chaque partie a résumé dans son mémoire les retards qu’elle attribue à l’autre partie. Il est inutile de les exposer en détail. Je me contenterai de dire que les deux parties sont responsables des retards accumulés au cours de ce litige. Selon moi, parce qu’elles ont toutes deux fait preuve d’un comportement similaire à l’égard de l’autre partie, aucune ne devrait être pénalisée ou récompensée.

[125]       Les intérêts composés annuellement avant jugement sur les dommages‑intérêts au taux de [..renseignement expurgé..] % sont accordés à Lilly. J’enjoins aux parties de communiquer à la Cour le montant que totalisent ces intérêts avant jugement, si elles en conviennent, ou de déposer leurs observations sur ce montant, si elles ne s’entendent pas.

X.                Dépens

[126]       Lilly a droit aux dépens. Les deux parties sont au courant de la façon habituelle dont la Cour s’y prend pour calculer les dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, la Cour leur donne des directives après avoir reçu des parties la confirmation qu’il n’existe pas d’offre pertinente de règlement à examiner.

XI.             Résumé

[127]       La Cour ne peut rendre de jugement formel tant qu’elle n’a pas été informée du montant des dommages‑intérêts ainsi que des intérêts avant jugement calculés conformément aux présents motifs. Les parties devront fournir ces renseignements par écrit à la Cour au plus tard le 9 janvier 2015. Si elles ne s’entendent pas sur ce montant, ou si elles ont besoin d’autres directives pour calculer ce montant, elles devront en informer la Cour par écrit avant cette date.

[128]       Les parties doivent également informer la Cour dans le même délai de toute entente conclue au sujet des dépens et du montant de cette entente. À défaut de pareille entente, les parties devront informer la Cour de l’existence de toute offre de règlement pertinente dont la Cour devrait tenir compte avant d’adjuger formellement les dépens.

[129]       Les parties doivent également informer la Cour dans le même délai si des renseignements confidentiels contenus dans les présents motifs confidentiels doivent être expurgés de la version publique des motifs.

[130]       Après avoir reçu les renseignements en question, la Cour rendra des motifs publics ainsi que son jugement formel.

XII.          Addenda

[131]       À la suite de la transmission aux parties des motifs du jugement confidentiels, il a été proposé de supprimer quelques renseignements liés au taux selon le CMPC de Lilly, à ses marges bénéficiaires et au taux d’intérêt avant jugement s’appliquant aux marges bénéficiaires. Tous ces renseignements sont confidentiels et leur suppression est acceptée.

[132]       Lilly a informé la Cour qu’elle ne souhaite supprimer aucun passage du jugement formel. Apotex affirme que, conformément aux passages qu’elle souhaite supprimer, le montant des dommages‑intérêts, des intérêts avant jugement et de l’indemnité totale accordée devrait être expurgé du jugement formel [traduction« étant donné que ces chiffres révéleraient les mêmes renseignements confidentiels ». Bien que ces montants soient calculés à l’aide des renseignements confidentiels expurgés, la Cour est convaincue que la divulgation de ces chiffres n’aurait pas pour effet de les divulguer directement ou indirectement. En tout état de cause, la présumée divulgation ne concerne que des renseignements qui sont confidentiels pour Lilly, laquelle ne s’oppose pas à ce que les chiffres finaux soient révélés. La Cour n’est donc pas disposée à supprimer les chiffres finaux en question en réponse à la seule demande d’Apotex.

[133]       La Cour a enjoint aux parties de demander à M. Harington de recalculer les pertes de profits de Lilly à la lumière des motifs fournis, ce qu’il a fait. Aux fins de ce calcul, Apotex a accepté que la réduction applicable à l’assiette de redevance soit fixée à 100 kg plutôt qu’à 187 kg, comme il était littéralement indiqué dans les motifs. La Cour la salue d’avoir agi ainsi. Les pertes de profits avant intérêts sont établies à 31 234 000 $.

[134]       Les parties ne sont pas parvenues à convenir du montant des intérêts avant jugement. Elles ne peuvent pas s’entendre sur le taux applicable, ni sur la question de savoir si les intérêts devraient être calculés au trimestre ou seulement à la fin de l’année.

[135]       Lilly propose de calculer les intérêts avant jugement trimestriellement plutôt qu’annuellement selon le taux fixe précisé au paragraphe 125 des présents motifs. Quant à Apotex, elle propose que les intérêts soient calculés annuellement à un taux variable correspondant au profit annuel de Lilly. Chacune des parties a largement critiqué le modèle de l’autre partie. Lilly s’oppose, entre autres, à ce que le modèle d’Apotex ne calcule les intérêts avant jugement sur les pertes de profits de 1997 qu’à partir du 31 décembre 1998, et ce uniquement pour une période de douze mois. Apotex conteste, entre autres, que les intérêts avant jugement générés par le modèle de Lilly sont plus importants que les profits qu’elle aurait réalisés. Chacune des positions des parties n’est pas sans valeur. Il est impossible que les intérêts avant jugement correspondent parfaitement aux profits qui auraient été réalisés s’il n’y avait pas eu contrefaçon. La Cour était bien consciente de cette difficulté, et c’est pourquoi l’approche présentée dans les motifs pour établir le calcul des intérêts avant jugement est vague.

[136]       Les intérêts avant jugement doivent être calculés annuellement au 31 décembre de chaque année au taux fixe précisé au paragraphe 125 de ces motifs. Selon les calculs présentés par M. Harington dans sa correspondance avec Apotex datée du 9 janvier 2015, lesquels sont acceptés, Lilly a droit à des intérêts avant jugement s’élevant à 74 501 000 $ au 31 décembre 2014, et à des intérêts quotidiens avant jugement de 23 463 $ après cette date.

[137]       Les avocats n’ont pas réussi à s’entendre sur le montant des dépens. Les deux parties ont soumis des observations écrites au sujet des points litigieux, qui ont été attentivement examinées. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, la Cour calcule les dépens selon la formule suivante en s’inspirant des jugements qu’elle a prononcés dans les affaires Janssen‑Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1333, [2006] ACF no 1684, Apotex Inc c H Lundbeck A/S, 2013 CF 1188, [2013] ACF no 1294, et Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc., 2014 CF 634 :

a)                  Lilly a droit aux dépens alloués selon l’échelon supérieur de la colonne IV.

b)                  Lilly a signifié deux offres écrites de règlement. Elle a obtenu un jugement plus favorable que ces deux offres. La première offre écrite a été faite le 3 mars 2010. Je n’accepte pas les arguments d’Apotex que je devrais utiliser mon pouvoir discrétionnaire et refuser d’accorder des dépens majorés en vertu de l’article 420 des Règles des Cours fédérales. Après le 3 mars 2010, Lilly a le droit de récupérer ses dépens au double du tarif prévu.

c)                  Lilly a le droit de faire taxer les dépens relatifs à la présence d’un avocat principal et d’un avocat adjoint, à condition que les deux aient été présents à toutes les instances préalables au procès, sauf là où un juge ou un protonotaire a ordonné qu’une requête ait été sans frais ou n’a rien dit quant aux dépens.

d)                 Lilly a le droit de faire taxer les dépens relatifs à la présence au procès de deux avocats principaux et d’un avocat adjoint.

e)                  Lilly a le droit de faire taxer les débours raisonnables des avocats pour les déplacements, l’hébergement et les dépenses connexes en classe économique et en chambre à occupation simple.

f)                   Aucuns frais ni débours ne sont recouvrables pour les avocats internes, stagiaires en droit, étudiants, parajuristes ou autre personnel de soutien.

g)                  Sous réserve des observations suivantes concernant les honoraires de M. Sims, Lilly a le droit de recouvrer les honoraires d’expert payés aux personnes qui ont souscrit des affidavits produits dans la présente action et qui ont également témoigné au procès à hauteur des honoraires effectivement facturés ou du taux quotidien de l’avocat principal, selon le moindre de ces deux montants, à l’exclusion des honoraires ayant servir à aider les avocats à préparer la cause ou à répondre à des questions posées lors de l’interrogatoire préalable. Apotex a fait observer que les honoraires de M. Sims excédaient 1,5 million de dollars, ce qui serait excessif. Apotex propose que les honoraires de M. Sims soient fixés à la moitié de ceux de M. Harington, ou 405 000 $. De plus, Apotex souligne que la Cour a préféré le témoignage de M. Harington à celui de M. Sims et que le rapport de M. Sims contenait une erreur qu’il a dû corriger, ce qui a entraîné du travail supplémentaire pour M. Harington. Ce sont là des réflexions valables. Par conséquent, les honoraires d’expert et les débours connexes facturés par M. Sims pour l’addenda dans lequel il a corrigé l’erreur contenue dans son rapport antérieur ne peuvent être recouvrés et les honoraires recouvrables de M. Sims sont fixés à 75 p. 100 des honoraires facturés par M. Harington, c’est‑à‑dire 607 500 $, hors TVH.

h)                  Lilly a le droit de recouvrer les débours raisonnables facturés par les experts dont les honoraires sont recouvrables.

i)                    Lilly a le droit de recouvrer les honoraires et les débours payés aux témoins des faits qui ont témoigné au procès, mais n’a pas le droit de recouvrer les honoraires payés aux témoins qui étaient des employés de Lilly à l’époque où ils ont témoigné. De plus, ainsi qu’il a été ordonné au procès, Lilly devra supporter tous les frais afférents à la nouvelle comparution de M. Ashley relativement à l’addenda de M. Sims.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La défenderesse est condamnée à payer aux demanderesses la somme de 31 234 000 $ à titre de dommages‑intérêts;

2.                  Les demanderesses ont droit  à la somme de 75 040 649 $ en intérêts avant jugement;

3.                  Des intérêts  avant jugement sont accordés aux demanderesses et calculés au taux de 5 p. 100 sur la somme de 106 274 649 $ (correspondant au total des dommages‑intérêts et des intérêts avant jugement), à compter de la date du jugement jusqu’au paiement;

4.                  Les demanderesses doivent faire taxer leurs dépens conformément aux présents motifs et les intérêts après jugement leurs sont accordés, calculés au taux de 5 p. 100 sur les dépens à compter de la date du jugement jusqu’au paiement.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1321‑97

 

INTITULÉ :

ELI LILLY AND COMPANY ET AUTRES c APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 2 au 5, 9 au 12, 15, 16, 18, 23 au 25, 29 et 30 SEPTEMBRE 2014 et 9 et 10 OCTOBRE 2014

jugement et motifs :

le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Anthony Creber

Isabel J. Raasch

Marc Richard

pour les demanderesses

Harry Radomski

David Scrimger

Sandon Shogilev

Jordan Scopa

Daniel Cappe

 

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 



[1] Les brevets canadiens nos 1,133,007, 1,146,536, 1,133,468 et 1,150,725 [les brevets de Lilly] et les brevets canadiens 1,095,026, 1,132,547, 1,136,132 et 1,144,924 [les brevets de Shionogi].

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