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Date : 20150223


Dossier : IMM-5877-13

Référence : 2015 CF 233

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

Entre :

FRANCISCO GONZALEZ CARRILLO

demandeur

et

Le ministre de la citoyenneté
et de l’immigration

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire et contexte

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande en vue d’être dispensé des critères de sélection pour une demande de résidence permanente présentée au Canada a été rejetée.

[2]               Le demandeur est un citoyen du Guatemala âgé de 41 ans. Son épouse et ses enfants adolescents vivent encore au Guatemala. Après avoir quitté le Guatemala en août 2007, le demandeur a vécu aux États-Unis pendant un certain temps avant d’arriver au Canada le 13 mai 2008, où il a présenté une demande d’asile. Il soutenait qu’il était un agent de sécurité au Guatemala et que de dangereux criminels le ciblaient en raison de son rôle dans l’enquête sur un assassinat notoire. Il soutenait de plus que son frère avait été tué en raison des gestes qu’il avait accomplis.

[3]               Le 11 mars 2011, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur. Bien que la SPR ait conclu que le demandeur était un agent de sécurité et que l’assassinat qu’il avait décrit avait bien eu lieu, elle n’était pas convaincue que le demandeur avait participé personnellement à l’enquête, parce qu’il « ne [pouvait] pas décrire l’endroit où l’incident avait eu lieu, dire à quel moment de la journée il s’était produit, comment il était arrivé, comment les forces de police avaient attribué les tâches, qui avait fait quoi, où se trouvaient les coupables, ou quoi que ce soit qui s’était produit ce jour-là ». Toutefois, même si la SPR l’avait cru, le demandeur avait dit que son seul travail consistait à assurer la sécurité : tout d’abord, à la scène du meurtre et par la suite, lorsque les coupables ont été arrêtés. La SPR a conclu que cela n’aurait pas fait de lui une cible, plus particulièrement parce qu’il n’y avait pas de preuve que les autres membres des forces de l’ordre qui avaient joué un rôle beaucoup plus important dans l’enquête étaient ciblés. Enfin, la SPR n’était pas convaincue que le meurtre du frère du demandeur et les incidents à l’occasion desquels sa voiture et son domicile ont été la cible de tirs étaient liés à l’enquête. La SPR a plutôt conclu que ces incidents n’étaient que des symptômes de la criminalité et de la violence endémiques présentes au Guatemala. La SPR a donc rejeté la demande d’asile du demandeur et, le 15 juillet 2011, la Cour lui a refusé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision (Gonzalez Carrillo c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑2478‑11).

[4]               Le 20 juin 2012, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], mais sa demande a été rejetée environ neuf mois plus tard. Le demandeur a alors présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais il s’est désisté de la demande de contrôle judiciaire après que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration eut convenu d’étudier à nouveau l’affaire.

[5]               Néanmoins, l’agente principale d’immigration [l’agente] qui a étudié de nouveau la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a aussi refusé la demande le 29 août 2013. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de cette agente en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. Le demandeur demande que la Cour annule la décision défavorable et renvoie l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision.

II.                La décision visée par le contrôle judiciaire

[6]               Dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur a repris plusieurs des mêmes préoccupations que la SPR avait rejetées. Il a toutefois ajouté qu’un autre de ses frères avait été tué et qu’il craignait que ce meurtre n’ait eu lieu pour les mêmes raisons. L’agente a souligné que le paragraphe 25(1.3) de la LIPR empêche l’examen de facteurs prévus à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la LIPR, mais que ces éléments pouvaient quand même être pertinents pour évaluer l’importance des difficultés auxquelles le demandeur serait exposé. L’agente a cependant accordé beaucoup de poids aux conclusions de la SPR et a aussi conclu que le demandeur n’était pas exposé à une menace précise au Guatemala. L’agente a également tenu compte du rapport sur la situation du pays publié par le département d’État des États‑Unis sur le Guatemala. Même si ce pays connaît de nombreux problèmes, l’agente a conclu que [traduction« les recherches n’indiquent pas que le gouvernement du Guatemala assujettit ses citoyens à un déni soutenu et systémique de leurs droits fondamentaux » et que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État. L’agente a également conclu que le demandeur ne lui avait pas prouvé [traduction] « qu’il était personnellement exposé à des conditions auxquelles la population en général n’est pas exposée. »

[7]               Le demandeur avait présenté à l’agente des lettres d’un psychologue qui l’avait examiné et qui était d’avis que le demandeur ne serait pas une mesure de reprendre son rôle au sein de sa famille s’il retournait au Guatemala parce qu’il souffrait d’un trouble dépressif majeur [TDM] et d’un trouble de stress post-traumatique [TSPT]. L’agente n’était pas convaincue que cela aurait une incidence sur sa capacité de subvenir aux besoins de sa famille, et elle a souligné que le demandeur avait rapidement obtenu un emploi une fois arrivé au Canada et qu’il n’avait consulté un psychologue que quelque quatre ans plus tard, juste avant de présenter sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agente n’a pas non plus jugé raisonnable que le demandeur n’ait pas demandé à être traité après le diagnostic. L’agente a conclu que le demandeur souffrirait des mêmes troubles peu importe l’endroit où il se trouverait dans le monde et qu’il existait au Guatemala des établissements pour traiter de tels troubles. L’agente a donc rejeté cet aspect de la demande du demandeur.

[8]               L’agente a ensuite examiné la situation de l’épouse et des enfants du demandeur, à l’égard desquels le demandeur était demeuré loyal et auxquels il envoyait de l’argent. Selon l’agente, il serait dans l’intérêt supérieur des enfants que le demandeur les retrouve au Guatemala, qu’il s’occupe d’eux et leur apporte son soutien. Même si l’avocat du demandeur avait indiqué que le demandeur pouvait être un danger pour sa famille ou pour lui‑même en raison de son TDM ou de son TSPT, l’agente a déclaré qu’aucune preuve en ce sens ne lui avait été présentée et que sa famille pouvait demander la protection de la police si un tel risque se concrétisait. De plus, l’agente a rejeté la prétention selon laquelle l’incapacité du demandeur l’empêcherait de trouver un emploi au Guatemala, puisque cette incapacité n’avait pas eu d’incidence sur sa capacité de travailler au Canada. Bien que le niveau de vie du demandeur puisse être vraisemblablement inférieur au Guatemala, l’agente a fait remarquer que c’était le cas dans plusieurs pays et, par conséquent, elle n’a pas jugé que cela constituait une difficulté non prévue par la LIPR.

[9]               L’agente n’était pas non plus persuadée que la perturbation de l’établissement du demandeur au Canada constituerait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. Bien qu’il ait un bon dossier civil, qu’il soit un bon travailleur et qu’il se soit intégré à la collectivité, on s’attend à un tel degré d’établissement en raison des avantages qui lui ont été fournis en attente d’une décision concernant sa demande d’asile. L’agente n’était pas non plus persuadée que les difficultés découlant de l’abandon de ses efforts en l’espèce étaient injustifiées, puisque le demandeur aurait pu quitter le Canada avant d’avoir accompli ces réalisations et qu’il n’avait jamais eu une attente raisonnable de recevoir l’autorisation à demeurer au Canada en permanence. De plus, le demandeur pourrait entretenir des communications avec les amis qu’il laissait derrière grâce à Internet, au téléphone et au courrier, et rien ne laissait présager qu’il ne pourrait pas créer un réseau de soutien semblable au Guatemala. L’agente a donc accordé peu de poids au degré d’établissement du demandeur.

[10]           L’agente a conclu sa décision en renvoyant au paragraphe 26 de la décision Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906 (QL), 10 Imm LR (3d) 206, dans laquelle le juge Pelletier a fait remarquer que « [l]a procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. » Bien qu’il puisse être difficile pour le demandeur de s’adapter de nouveau à la vie au Guatemala, l’agente n’était pas convaincue que ces difficultés atteignaient le degré de difficultés susmentionné et elle a donc rejeté la demande.

III.             Les observations des parties

A.                Les arguments du demandeur

[11]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur fondamentale en omettant d’analyser de façon appropriée le préjudice psychologique qu’il subirait s’il retournait au Guatemala. Même si l’agente semble avoir accepté le diagnostic de TDM et de TSPT, le demandeur soutient que l’agente n’a mentionné le rapport que de façon accessoire et qu’elle n’a jamais traité de sa prétention principale, soit la détérioration de son état mental en cas de retour au Guatemala. Le demandeur affirme que son retour équivaudrait à renvoyer un soldat souffrant de TSPT dans une zone de guerre et il fait valoir que la Cour a annulé d’autres décisions relatives à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour des erreurs similaires (citant Lara Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1295, 14 Imm LR (4th) 66, au paragraphe 24; Perez Arias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 757, 3 Imm LR (4th) 100), au paragraphe 15.

[12]           De plus, le demandeur soutient que l’agente a eu tort de tirer une inférence défavorable de son omission de demander à se faire soigner et il ajoute que le renvoi de l’agente au rapport de l’Organisation panaméricaine de la santé [OPS] n’était pas pertinent. Le demandeur fait valoir que les rapports psychologiques étaient simplement des évaluations et non une ordonnance de traitement clinique quel qu’il soit.

[13]           Le demandeur soutient que la décision de l’agente témoigne non seulement d’un manque d’empathie, mais également de compassion. Le demandeur a vécu de très grandes difficultés au cours de sa vie et prétend qu’il était froid et cruel de la part de l’agente de déclarer que sa famille pouvait se réclamer de la protection de la police si ses troubles mentaux lui faisaient peur. En outre, le demandeur fait valoir que l’agente a tout simplement eu tort de déclarer que le demandeur n’a pas fourni [traduction« d’information sur [la] situation personnelle [des membres de sa famille] ni n’a indiqué qu’ils avaient fait l’objet de menaces ou […] qu’ils étaient exposés à des difficultés quelles qu’elles soient. » Les lettres de la mère du demandeur et de son épouse contredisent cette conclusion de l’agente.

[14]           Le demandeur critique également l’analyse effectuée par l’agente en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants. Plus précisément, le demandeur soutient que l’agente a omis d’appliquer le paradigme énoncé dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 63 [Williams]. Le demandeur ajoute aussi que l’agente a eu tort de mentionner qu’il connaissait la langue et les coutumes du Guatemala, car cela n’a aucun lien avec l’intérêt supérieur des enfants. En outre, le demandeur fait valoir que si les rapports psychologiques étaient acceptés, son retour au Guatemala ne serait pas dans l’intérêt supérieur de ses enfants.

[15]           Le demandeur prétend de plus que l’agente a rejeté de façon déraisonnable la preuve concernant la situation générale du pays. Selon lui, le Guatemala est un pays pauvre et inhospitalier où règnent criminalité et violence. Il soutient qu’il [traduction] « n’était pas tenu de montrer la façon dont il serait personnellement touché » par cette situation. De plus, il était déraisonnable que l’agente rejette toute difficulté à laquelle il serait exposé au motif que d’autres personnes au Guatemala y sont elles aussi exposées (citant Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129, 427 FTR 87, aux paragraphes 36 et 37 [Diabate]).

B.                 Les arguments du défendeur

[16]           Le défendeur soutient que la décision faisant l’objet du présent contrôle est raisonnable et qu’elle appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit. Il fait valoir que le demandeur, par ses arguments, demande essentiellement à la Cour de soupeser la preuve à nouveau.

[17]           Selon l’observation du défendeur, l’agente n’a pas uniquement fait mention des rapports psychologiques, mais elle en a aussi apprécié le contenu de façon appropriée et raisonnable. De l’avis du défendeur, il était raisonnable pour l’agente de tenir compte du rapport de l’OPS lorsqu’elle a déterminé le traitement dont pourrait se prévaloir le demandeur au Guatemala pour ses problèmes psychologiques. Selon le défendeur, ces motifs répondent aux critères énoncés dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16, qui a considérablement réduit les possibilités d’annuler une décision au motif que le décideur n’a pas suffisamment tenu compte du contenu d’un rapport psychologique (citant Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379, [2014] 2 RCF 3, aux paragraphes 33 et 34 [Kaur]).

[18]           Le défendeur soutient également que l’agente n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants. S’il retournait au Guatemala, le demandeur serait réuni avec ses enfants, et l’agente fait valoir qu’il était raisonnable de conclure que cela serait dans leur intérêt supérieur. Pour sa part, le demandeur soutient que les agents ne sont pas tenus d’appliquer la formule de Williams (citant Webb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060, 417 FTR 306, au paragraphe 13). En bref, le défendeur soutient que l’agente était réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants et que la décision était raisonnable à cet égard.

[19]           Dans la même veine, le défendeur fait valoir que la preuve selon laquelle le demandeur pourrait être un danger pour quiconque ou qu’il ne pourrait pas trouver d’emploi au Guatemala était insuffisante, et il soutient qu’il était raisonnable pour l’agente de le reconnaître.

[20]           En ce qui a trait à la situation du pays, le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de convaincre l’agente qu’il serait exposé à des difficultés à cet égard (citant Piard c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 170; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 [Owusu]). Le demandeur n’a pas convaincu l’agente en l’espèce, et le défendeur soutient donc que l’agente n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande du demandeur.

IV.             Question en litige et analyse

A.                Norme de contrôle

[21]           La norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit à l’égard d’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la raisonnabilité (voir Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108, au paragraphe 13; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au paragraphe 18). La Cour d’appel fédérale l’a récemment confirmée dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, 372 DLR (4th) 539, aux paragraphes 30 et 32 [Kanthasamy], en statuant qu’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était semblable au genre de décision qui appelait l’application de la norme de contrôle de la raisonnabilité dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559.

[22]           Ainsi, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision d’un agent quant à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est intelligible, transparente et justifiable et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Une cour de révision ne peut jamais soupeser de nouveau la preuve présentée à l’agent ni ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339). Comme corollaire de cet énoncé, la Cour n’a pas le « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 54).

B.                 La décision de l’agente était-elle raisonnable?

[23]           Lors de l’examen de la décision de l’agente en l’espèce, il est important de souligner que l’article 25 de la LIPR prévoit des dispenses de la règle générale prévue à l’article 11 de la LIPR. Cette règle générale exige que les étrangers présentent une demande de visa pour entrer au Canada depuis l’extérieur du Canada. Il est de jurisprudence constante que les décisions prises par des agents principaux d’immigration relativement à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires et, par conséquent, qu’il convient que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard de ces décisions.

[24]           En l’espèce, on ne peut dire que l’agente a évalué les rapports du psychologue de façon déraisonnable ou qu’elle a omis d’en tenir compte de façon appropriée. Au contraire, même si l’agente n’a pas expressément fait mention de tous les éléments de preuve contenus dans ces rapports, il ressort clairement de l’examen de la décision de l’agente qu’elle a expressément tenu compte de la conclusion principale selon laquelle le demandeur souffrirait d’un TSPT et d’un TDM, peu importe où il se trouve, et qu’elle a aussi raisonnablement conclu qu’il existait des établissements et des traitements dont pouvait se prévaloir le demandeur au Guatemala.

[25]           On ne peut non plus dire que l’agente a évalué l’intérêt supérieur des enfants du demandeur de façon déraisonnable. Bien que les observations relatives à l’intérêt supérieur des enfants que le demandeur a présentées à l’agente aient été relativement brèves, l’agente a néanmoins expressément traité non seulement de l’argument du demandeur selon lequel l’intérêt supérieur des enfants serait mieux servi si les enfants étaient finalement réunis avec leur père au Canada, où il gagne un revenu, mais elle a également tenu compte des autres facteurs, comme la situation économique au Guatemala, l’état psychologique du demandeur et ses possibilités d’emploi. Après avoir examiné la décision de l’agente et les motifs à cet égard, il est manifeste qu’elle était réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants du demandeur.

[26]           En dernier lieu, l’agente a examiné de façon appropriée les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé à son retour au Guatemala. En préambule à sa décision, l’agente a reconnu à juste titre le principe portant que, lorsqu’un risque est invoqué comme facteur dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il doit être évalué dans le contexte du degré de difficulté du demandeur. Après avoir examiné la situation du pays au Guatemala, l’agente a conclu raisonnablement que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il ferait personnellement l’objet d’une situation défavorable dans le pays et qu’il n’avait pas montré que les difficultés liées à son retour au Guatemala équivalaient à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. De plus, il était raisonnable pour l’agente en l’espèce de ne pas évaluer de nouveau le risque que la SPR avait déjà évalué.

[27]           Certes, l’agente a laissé entendre que les difficultés liées à la situation de pays ne sont valables que si [traduction] « la population en général n’y est pas exposée », ce qui pose problème. Importer une telle exigence du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR est une erreur (Diabate, au paragraphe 36), puisque [traduction] « l’accent devrait porter sur les difficultés pour le demandeur lui-même et, une fois établies, il n’est pas nécessaire que ces difficultés soient plus importantes que celles auxquelles toute autre personne est exposée dans ce pays » (Maroukel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 83, au paragraphe 35). En l’espèce toutefois, l’agente a raisonnablement souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur n’avait jamais été ciblé par des criminels au Guatemala. Ainsi, le demandeur n’a pas réussi à établir de lien direct entre la preuve relative à la situation du pays et sa situation personnelle (Kanthasamy, au paragraphe 48). Bien que l’agente ait choisi une formulation malheureuse, un contrôle judiciaire n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458), au paragraphe 54), et « il faut les lire [les motifs] en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, [2007] 1 RCF 490, au paragraphe 15).

[28]           Finalement, je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a pas fourni suffisamment de preuve pour convaincre l’agente qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives en étant tenu de présenter une demande de visa de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada (voir Owusu, aux paragraphes 5 et 8).

[29]           La décision de l’agente est intelligible, transparente et justifiable, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

V.                Conclusion

[30]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire du demandeur devrait être rejetée et est par les présentes rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et il s’ensuit qu’aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

La cour statue que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


 cour fédérale

avocats inscrits au dossier


Dossier :

IMM-5877-13

 

Intitulé :

FRANCISCO GONZALEZ CARRILLO c le ministre de la citoyenneté de l’immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 novembre 2014

 

JUGEMENT ET

MOTIFS DU JUGEMENt :

Le juge BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 février 2015

 

Comparutions :

Bjorn Harsanyi

 

Pour le demandeur

 

Maria Green

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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