Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150220


Dossier : IMM‑8424‑13

Référence : 2015 CF 229

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

CARLOS ALBERTO ALDANA CARDENAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature du problème

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire et l’annulation d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui, le 9 décembre 2013, a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs ci‑dessous exposés, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur, Carlos Alberto Aldana Cardenas, de citoyenneté colombienne, est âgé de 40 ans. Il prétend avoir été menacé, et pris pour cible par des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC).

[3]               Le demandeur a vécu aux États‑Unis pendant toutes les années 1990. Il a rencontré son épouse alors qu’il vivait aux États‑Unis, et, en 1999, les deux ont eu un fils. En décembre 2000, le demandeur est rentré en Colombie, où son fils et son épouse l’ont rejoint plus tard. Le couple s’est marié en Colombie, le demandeur s’inscrivant à l’université pour y mener des études de psychologie, alors que son épouse est rentrée aux États‑Unis pour entamer les démarches de parrainage.

[4]               Après une période de séparation, la relation entre le demandeur et son épouse s’est détériorée. En Colombie, le demandeur s’est engagé dans relation avec une femme qui est devenue sa seconde épouse, et avec qui il a eu, en juillet 2003, une petite fille. En 2007, à Bogota, ville dont il était originaire, le demandeur a ouvert plusieurs petits commerces.

[5]               Le 20 août 2008, alors que le demandeur se trouvait dans son bureau, il a reçu un coup de téléphone de quelqu’un se présentant comme un membre des FARC. L’auteur du coup de fil a essayé de lui extorquer de l’argent. Le demandeur a résisté, ne possédant pas la somme qui lui était réclamée. Il a reçu de nouvelles menaces, et, plus tard, son bureau a été dévalisé.

[6]               Suite à cela, le demandeur a commencé à fermer son commerce, et lui et son épouse sont partis vivre à Pereira, ville dont sa femme était originaire. Le 20 novembre 2008, alors qu’il se trouvait à Pereira, le demandeur a reçu à nouveau des menaces téléphoniques. Le demandeur s’est enfui seul au Mexique dans l’intention de se rendre aux États‑Unis. Alors qu’il se trouvait au Mexique, il a été détenu et torturé par des policiers agissant en dehors de leurs fonctions, et a passé deux années en prison. Son cas a été enfin porté devant une formation de trois juges qui ont prononcé son acquittement.

[7]               Après sa remise en liberté, le demandeur a tenté de demeurer au Mexique muni d’un permis de travail. Cependant, il ne s’y est pas senti en sécurité et a donc tenté à nouveau de se rendre aux États‑Unis. Il n’y est pas parvenu cependant, ayant été détenu par la police frontalière américaine et renvoyé en Colombie.

[8]               Le demandeur est rentré en Colombie le 28 novembre 2011 et, le 29 décembre 2011, il a fait, à Bogota, l’objet d’une tentative d’enlèvement de la part d’individus se présentant comme des membres des FARC. Il est parvenu à s’enfuir et a porté plainte à la police. Le demandeur est allé retrouver son épouse à Pereira; mais, le 25 janvier 2012, un individu non identifié a frappé à la porte de son domicile, s’exprimant en ces termes [traduction« il nous faut votre salaud de mari », et « ce gros salaud sait très bien qui est à sa recherche ». Le demandeur, craignant que cet individu appartienne aux FARC, a quitté à nouveau la Colombie pour le Mexique, arrivant cette fois‑ci à franchir la frontière américaine pour finalement arriver au Canada où vivait sa sœur. Le 10 mai 2012, il a présenté une demande d’asile.

III.             Les questions en litige

[9]               La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si c’est à tort que la Commission a conclu que la ville de Pereira offrait au demandeur une possibilité de refuge intérieur (la PRI).

IV.             Décision

[10]           Pour la Commission, la question déterminante était de savoir si la ville de Pereira, où continuent à vivre son épouse et sa fille, offrait effectivement au demandeur une PRI.

[11]           La Commission s’est d’abord penchée sur l’incident du 25 février 2012 où un individu non identifié avait crié à travers la porte. La Commission a expliqué qu’à l’audience on a demandé au demandeur pourquoi il s’agissait, d’après lui, de quelqu’un appartenant aux FARC. Le demandeur a répondu que seuls des membres des FARC viendraient à sa recherche en proférant de telles vulgarités. Selon la Commission, il ne ressortait pas clairement du témoignage du demandeur que l’individu en question savait qu’il était effectivement au domicile du demandeur, ou qu’il n’y avait pas eu erreur sur la personne.

[12]           Selon la Commission, cet incident n’offrait pas une preuve fiable et crédible établissant que les FARC avaient retrouvé le demandeur à Pereira. La Commission a précisé que Pereira est situé à environ sept heures de route de Bogota, et que si les prétendus agresseurs avaient effectivement effectué un tel parcours à la recherche du demandeur, il est peu probable qu’ils se seraient si facilement découragés.

[13]           La Commission a également souligné que le demandeur n’avait fourni aucune preuve fiable et crédible établissant que ses persécuteurs avaient continué à le rechercher à Pereira. Peu avant l’audience, le demandeur a apporté des modifications à son formulaire de renseignements personnels (le FRP) afin d’y ajouter que, récemment, sa sœur, qui habite Bogota, avait reçu un coup de téléphone de quelqu’un le recherchant. La Commission a noté, cependant, que le demandeur n’a pas affirmé que son épouse, qui continue d’habiter à Pereira le même appartement, avait été contactée par quelqu’un le recherchant.

[14]           Ensuite, la Commission s’est penchée sur le fait qu’à Pereira, le demandeur n’avait pas demandé l’aide de la police. Le demandeur a expliqué que s’il n’avait pas communiqué avec la police, c’est parce qu’il avait peur et ne pensait pas que la police de Pereira était en mesure de contrôler les activités des membres des FARC. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants permettant de réfuter la présomption voulant que le demandeur ait pu se prévaloir de la protection de l’État, précisant toutefois que la Commission s’intéressait surtout à la possibilité de refuge intérieur, mais que la question de la protection étatique, et celle d’une PRI étaient inéluctablement liées. La Commission a souligné la minceur de la preuve documentaire permettant de confirmer une présence des FARC dans la région où Pereira est située, et que les éléments de preuve versés au dossier ne permettaient pas de conclure qu’à Pereira le demandeur n’aurait pas pu obtenir de l’État une protection adéquate.

[15]           La Commission s’est après cela penchée sur le second volet du critère permettant de conclure à l’existence d’une PRI, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si, compte tenu des circonstances, il aurait été raisonnable de la part du demandeur de se prévaloir de l’éventuelle PRI. La Commission a conclu que les effets résiduels des expériences traumatisantes vécues par le demandeur ne répondaient pas aux conditions permettant d’affirmer qu’il aurait été, pour le demandeur, « objectivement déraisonnable » d’aller vivre à Pereira.

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle

[16]           La viabilité d’une PRI est une question mixte de fait et de droit qui doit être tranchée selon la norme de la décision raisonnable. S’agissant de dire si une décision est ou non raisonnable, l’analyse s’attachera à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 C.S.C. 9, au paragraphe 47.

B.                 Le demandeur n’a pas su démontrer le caractère déraisonnable de la PRI

[17]           Le critère permettant de conclure à l’existence d’une PRI comporte deux volets : la Commission doit d’abord, selon la prépondérance des probabilités, être convaincue de l’absence de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté ou exposé à un risque dans la région de la PRI : Henriquez de Umana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 326, au paragraphe 24; Campos Shimokawa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 445, au paragraphe 25. Le second volet exige que, dans la nouvelle région, les conditions soient telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge : Campos Shimokawa, au paragraphe 25; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1994), 85 FTR 218 (1re inst.).

[18]           Le critère permettant de conclure au caractère déraisonnable d’un PRI vu les circonstances du demandeur d’asile est un critère exigeant : Shehzad Khokhar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 41. Cela dit, la PRI doit représenter, pour le demandeur d’asile, une option réalistement accessible. On n’exige pas du demandeur d’asile qu’il s’expose à un danger ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans la région en question, ou pour y séjourner : Thirunavukkarasu c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF), au paragraphe 14. La Commission a en l’espèce estimé qu’en se prévalant de la PRI, le demandeur ne s’exposerait à aucun danger, ni ne subirait d’épreuve indue. Il ne répond donc pas au critère applicable.

[19]           La Commission s’est penchée, de manière raisonnable, sur le premier volet du critère permettant de conclure à une PRI, prenant en compte la preuve documentaire qui donne à penser que même si les FARC [traduction« continuent de poser, pour la société colombienne et la sécurité de ses citoyens, un risque considérable », ce risque [traduction« se concentre dans les provinces rurales du sud du pays ainsi que dans les alentours de la frontière avec le Venezuela ». Or la ville de Pereira n’est pas située dans l’une ou l’autre de ces régions.

[20]           La Commission a par ailleurs relevé qu’il n’était pas clair, d’après le témoignage livré par le demandeur, que l’individu non identifié qui s’était rendu en février 2012 chez le demandeur savait qui habitait là, ou que cette visite n’était pas due à une erreur sur la personne. Cet incident n’offrait pas une preuve crédible et fiable permettant d’établir que des membres des FARC avaient retrouvé le demandeur à Pereira.

[21]           La Commission a par ailleurs estimé que le demandeur n’avait pas fourni de preuve crédible ou fiable que des membres des FARC avaient fait depuis son départ de nouveaux efforts afin de le retrouver à Pereira. Le demandeur n’avait notamment pas fait valoir que sa femme, qui, à Pereira, vivait encore dans le même appartement que le demandeur, avait été contacté par quelqu’un qui était à sa recherche.

[22]           Sur la base de ces constatations, la Commission n’était pas persuadée de l’existence d’une sérieuse possibilité qu’à Pereira le demandeur risquait d’être persécuté par les FARC. Cette conclusion quant au premier volet du critère permettant de conclure à l’existence d’une PRI s’inscrit parmi les issues possibles et acceptables se justifiant au regard des faits et du droit.

[23]           La conclusion à laquelle la Commission est parvenue quant au second volet du critère applicable était, elle aussi, raisonnable. La Commission a conclu à l’absence d’éléments de preuve de l’existence de conditions de nature à mettre en danger la vie et la sécurité du demandeur dans la région offrant éventuellement une PRI. Pour conclure en ce sens, la Commission s’est fondée sur la preuve documentaire démontrant que, de plus en plus, l’action des FARC se limite aux zones rurales de la Colombie, et ne s’exerce pas dans la région où est située la ville de Pereira.

[24]           La Commission nota que pour se rendre à Pereira, le demandeur devra peut‑être passer par Bogota où il avait précédemment vécu. La Commission a cependant conclu, raisonnablement, qu’avant de poursuivre sa route jusqu’à Pereira, le demandeur n’aurait pas à passer plus de quelques jours à Bogota. La Commission a estimé que, lors de ce bref séjour, il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur serait repéré à Bogota.

[25]           Ensuite, la Commission a pris en compte les éléments de preuve fournis au sujet de l’état psychologique du demandeur, notamment le rapport du docteur Thirlwell. La Commission a cependant estimé que la formation que le demandeur avait suivie en psychologie lui serait utile, et que les effets résiduels des expériences traumatisantes qu’il avait vécues au Mexique et en Colombie, expériences évoquées dans le rapport du médecin, ne répondaient pas aux exigences du critère permettant de conclure qu’il aurait été, de la part du demandeur, [traduction« objectivement déraisonnable » d’aller s’installer à Pereira.

[26]           Ainsi que nous l’avons vu, les conditions permettant de conclure au caractère déraisonnable d’une PRI sont rigoureuses et exigent que soient produits certains éléments de preuve établissant l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Reyes Montalvo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 716, au paragraphe 17; Martinez De Argueta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 369, au paragraphe 22. La Commission a examiné les éléments de preuve versés au dossier au regard des conditions que prescrit le critère applicable. La Commission a conclu à l’insuffisance des éléments de preuve produits en l’espèce, conclusion à laquelle la Commission pouvait raisonnablement parvenir au vu du dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8424‑13

INTITULÉ :

CARLOS ALBERTO ALDANA CARDENAS c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATES DES MOTIFS :

LE 20 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Caitlin Maxwell

pour le demandeur

Rafeena Rashid

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Equity Legal

Avocats

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.