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Date : 20141212


Dossier : IMM‑6085‑13

Référence : 2014 CF 1199

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ANDRAS GEZA DINOK,

AGNES BELOVAI DINOKNE,

DOMINIK NORDIN DINOK,

DEBORA EVA DINOK

demandeurs

et

Le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire et contexte

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada [la Commission] a rejeté les demandes d’asile déposées par les demandeurs en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Commission en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]               Les demandeurs sont une famille rome de Hongrie composée du demandeur principal, de son épouse et de leurs deux enfants, maintenant âgés respectivement de 12 ans et de 17 ans. Ils sont arrivés au Canada le 10 novembre 2010 et y ont effectué sur‑le‑champ une demande d’asile. Au départ, ils affirmaient craindre la discrimination et la violence raciste, mais peu de temps avant l’audition de leur demande par la Commission, le 17 avril 2013, le demandeur principal a complété le récit que contenait son formulaire de renseignements personnels en faisant état d’activités d’extorsion et de l’enlèvement de sa fille.

[3]               Le demandeur principal a allégué devant la Commission qu’il avait pris peur après que des membres d’une organisation criminelle eurent exigé de sa part le paiement d’une somme de 25 millions de forint. Il a déclaré que vu son refus de payer il avait été battu et obligé à la pointe du fusil, le 6 août 2010, de leur remettre sa voiture Mercedes‑Benz. Après cet incident, le demandeur principal a hypothéqué sa maison pour payer la rançon exigée mais, deux jours plus tard, les extorqueurs ont formulé une demande supplémentaire de 30 millions de forint; c’est alors que le demandeur principal a décidé de fuir avec les membres de sa famille et d’aller s’installer au domicile de sa belle‑mère, à Pilis, pour s’y cacher. Selon la version du demandeur principal, le 10 septembre 2010, la fille de ce dernier a été enlevée à l’extérieur de son école et les membres de l’organisation criminelle en question ont exigé de lui qu’il verse la somme de 30 millions de forint, faute de quoi la sécurité de ses enfants serait menacée. Les demandeurs ont quitté la Hongrie quelque deux mois plus tard.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[4]               Dans sa décision datée du 27 août 2013, la Commission a décidé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

[5]               La Commission n’a pas ajouté foi au récit des demandeurs au sujet des demandes d’extorsion et de l’enlèvement. Elle a estimé que le récit du demandeur principal était truffé d’incohérences sur de nombreux points, concernant notamment son travail, le lieu de résidence de sa famille, et l’école de sa fille. Le demandeur principal a déclaré à la Commission qu’il avait hypothéqué sa maison pour satisfaire aux exigences des extorqueurs et qu’il avait signalé l’enlèvement à la police, mais il n’a fourni aucun document confirmant l’existence d’un emprunt hypothécaire ni rapport de police, et il n’a pas fourni non plus, dans le but de confirmer la véracité de son récit, une déclaration solennelle de l’avocat qui l’aurait aidé.

[6]               De plus, la Commission a jugé significatif le fait que le demandeur n’ait quitté la Hongrie que deux mois après l’incident allégué de septembre 2010, qui a entraîné leur départ. Étant donné que Budapest est une grande destination internationale, la Commission n’a pas cru le demandeur principal lorsqu’il a prétendu qu’il lui avait fallu attendre deux mois après l’incident pour trouver un vol. Quoi qu’il en soit, la Commission a déclaré que le risque d’être victime d’un crime ne pouvait pas justifier l’application de l’article 96 de la LIPR faute de lien avec un des motifs de la Convention, et que l’alinéa 97(1)b) de la LIPR ne s’appliquait pas étant donné que les autres citoyens hongrois à l’aise financièrement étaient aussi exposés au risque en question.

[7]               La Commission a conclu que les demandeurs étaient des Roms et elle n’a pas mis en doute la véracité des allégations figurant dans leurs récits initiaux. Elle a pris en compte ces allégations et a conclu que les Roms en Hongrie étaient victimes de discrimination et d’actes préjudiciables. En effet, les membres de groupes racistes continuent à agresser violemment les Roms et ces derniers font l’objet de discrimination dans presque tous les domaines de la vie, notamment l’emploi, l’éducation et le logement. Même des acteurs politiques adoptent des attitudes discriminatoires à l’égard des Roms, et un parti de droite fait campagne contre la soi‑disant « terreur tsigane ».

[8]               Cependant, la Commission a jugé que les demandeurs n’étaient pas dans une situation comparable à celle de la plupart des autres Roms qui vivent en Hongrie. Elle a plutôt conclu qu’ils étaient passablement riches à cause de la réussite du demandeur en affaires. Même si les demandeurs adultes avaient grandi dans un contexte de mépris, subissant le ridicule et un traitement différentiel, la Commission a estimé qu’ils n’avaient pas été pour autant victimes de persécution. Le défaut de la police d’arrêter les hommes qui ont agressé le demandeur principal en 1995 ne permet pas de conclure à l’insuffisance de la protection de l’État étant donné que le demandeur principal n’avait pas été en mesure d’identifier ses agresseurs. Lorsque le demandeur principal a été agressé de nouveau en 2010, la police est intervenue et a arrêté deux des agresseurs.

[9]               La Commission a résumé divers aspects de la preuve relatifs à la réponse de l’État hongrois aux crimes et aux actes de discrimination perpétrés sur son territoire contre les membres de minorités comme les Roms. Tout en reconnaissant que la police n’avait pas toujours réagi de façon parfaite, la Commission a estimé que « la Hongrie fait des efforts sérieux pour régler ces problèmes, [et] que la police et les autorités du gouvernement ont la volonté et la capacité de protéger les victimes ». En ce qui a trait à la discrimination que subissent les Roms, la Commission a constaté l’existence d’un certain nombre de programmes qui ont pour objet d’aider les Roms à surmonter les obstacles auxquels ils se heurtent en Hongrie, et que ce pays travaille à améliorer ses normes afin qu’elles se conforment à celles de l’Union européenne. Ces programmes n’ont sans doute pas entièrement réglé les problèmes que vivent les Roms; toutefois, la Commission a relevé que les demandeurs étaient passablement plus fortunés que l’étaient les Roms en général. En effet, le demandeur principal et son épouse avaient tous les deux occupé un emploi à temps plein pendant des années et, au moment où ils ont quitté la Hongrie, ils étaient propriétaires d’une maison, d’un appartement et d’une entreprise prospère. Dans ces circonstances, la Commission n’a pas estimé que les demandeurs avaient réfuté la présomption de protection adéquate de l’État. Elle a donc rejeté leurs demandes.

III.             Questions en litige

[10]           Les demandeurs ne contestent aucune des conclusions de la Commission en matière de crédibilité. Ils soumettent plutôt trois questions qu’ils voudraient que la Cour examine. Elles peuvent être reformulées de la façon suivante :

1.                  La Commission a‑t‑elle omis d’évaluer l’efficacité des efforts faits par la Hongrie en vue de protéger les Roms?

2.                  Est‑ce que les motifs de la Commission sont suffisants pour justifier sa décision vu ses conclusions de fait sur le sort des Roms en Hongrie?

3.                  La Commission a‑t‑elle omis de prendre en compte correctement le traitement réservé aux personnes vivant des situations semblables en Hongrie?

[11]           Le défendeur estime que la Cour devrait se pencher uniquement sur deux questions, à savoir : (1) la norme de contrôle applicable et (2) le caractère raisonnable ou non de la décision de la Commission.

[12]           Pour faciliter l’analyse, les questions peuvent être reformulées comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Est‑ce que la Commission a mal compris les critères juridiques applicables en ce qui a trait à la protection de l’État et à la persécution?

3.                  Est‑ce que la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État était déraisonnable?

IV.             Arguments des parties

A.                Arguments des demandeurs

[13]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur fondamentale qui vicie l’ensemble de sa décision vu son examen de la situation des Roms en Hongrie.

[14]           Les demandeurs soulignent que la Cour a annulé à plusieurs reprises des conclusions portant que la protection offerte par l’État aux Roms en Hongrie est adéquate et soutiennent qu’il devrait en être ainsi en l’espèce (voir : p. ex. Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5, [2012] ACF No 273 (QL) [Hercegi]). Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en affirmant que les efforts importants consentis par la Hongrie pour assurer une protection aux Roms étaient suffisants, sans se pencher sur la question de savoir si ces efforts s’étaient traduits par une réelle protection sur le terrain (voir : p. ex. Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1407, aux paragraphes 56‑60, 62‑66, 69 et 71, [2011] ACF No 1715 (QL) [Koky]).

[15]           De plus, les demandeurs affirment que la Commission n’a pas justifié adéquatement sa décision, ce qui est un déni de justice naturelle qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (VIA Rail Canada Inc c Canada (Office national des transports) (2000), [2001] 2 RCF 25, aux paragraphes 21‑22, 193 DLR (4th) 357). Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que la décision de la Commission était déraisonnable et qu’elle se situait à l’extérieur de l’éventail des issues acceptables.

[16]           Les demandeurs soutiennent qu’il ressort sans l’ombre d’un doute des conclusions de fait de la Commission que les Roms de Hongrie sont non seulement persécutés et victimes de discrimination, mais qu’ils subissent des actes de violence sociale et policière. Dans ce contexte, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en omettant d’expliquer les motifs pour lesquels elle a conclu que la protection de l’État était adéquate étant donné que cette conclusion n’était étayée par aucun élément de preuve (Kaleja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 252, aux paragraphes 21‑26, [2010] ACF No 291 (QL) [Kaleja]).

[17]           De plus, les demandeurs allègent que la Commission, de façon inexplicable, n’a pas tenu compte du fait qu’ils étaient des Roms et leur a imposé l’obligation de démontrer qu’ils avaient été personnellement persécutés auparavant, ce qui est contraire aux directives de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada (Salibian c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 RCF 250, 73 DLR (4th) 551 [Salibian]; Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux pages 724‑725, 103 DLR (4th) 1 [Ward]). Les demandeurs soulignent aussi que la décision de la Commission ne contenait pas d’évaluation prospective des risques auxquels ils seraient exposés.

B.                 Arguments du défendeur

[18]           Le défendeur soutient qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la Commission en matière de protection de l’État (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 785, au paragraphe 23, [2014] ACF No 842 (QL) [Lakatos]). Le défendeur affirme que les demandeurs doivent démontrer que la décision qui fait l’objet du contrôle se situe à l’extérieur de l’éventail des issues raisonnables ou acceptables.

[19]           Le défendeur insiste sur le fait qu’aucun État ne peut offrir une protection sans faille et que les demandeurs doivent démontrer que la protection que l’État leur offrait était inadéquate. Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont pas été jugés crédibles, et que la Commission a examiné avec soin tous les éléments de preuve et a reconnu qu’ils n’allaient pas tous dans le même sens. Selon le défendeur, il était loisible à la Commission de conclure que la protection offerte par l’État en Hongrie était adéquate étant donné que la preuve démontrait de façon raisonnable non seulement que l’État avait déployé des efforts sérieux, mais aussi que ceux‑ci avaient donné des résultats positifs. De plus, le défendeur ajoute que la conclusion de fait tirée par la Commission, selon laquelle tous les Roms ne sont pas persécutés, est raisonnable et que, en fin de compte, il incombait aux demandeurs, pour que leurs demandes soient accueillies, de présenter une preuve suffisamment crédible pour éviter la présomption de protection adéquate de l’État.

[20]           Enfin, le défendeur soutient que la question du caractère adéquat des motifs ne peut en soi justifier d’accueillir une demande de contrôle judiciaire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 21‑22, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]), et que la Commission a expliqué de façon appropriée et raisonnable le fondement de sa décision.

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[21]           Il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive en ce qui concerne la norme de contrôle lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante la norme applicable à une question donnée (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Je reconnais avec le défendeur que la question du caractère adéquat des motifs n’est pas une question d’équité procédurale et qu’elle ne requiert pas le recours à la norme de la décision correcte, comme le souhaiteraient les demandeurs. Il suffit de fournir des motifs pour qu’il soit satisfait à l’obligation d’en donner, et toute contestation relative à la qualité desdits motifs est considérée dans le contexte de l’analyse du caractère raisonnable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 22).

[22]           Cependant, je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique à toutes les questions en litige. Les demandeurs soutiennent que la Commission a mal compris la règle de droit applicable en ce qui a trait à la question de la protection de l’État et que, pour cette raison, la norme de contrôle de la décision correcte entre en jeu en ce qui la concerne (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 et 22, [2013] ACF No 1099 (QL) [Ruszo] ; Koky, au paragraphe 19). Je suis d’accord avec les demandeurs sur ce point. Cependant, la façon dont le droit a été appliqué aux faits doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 53; Ruszo, aux paragraphes 21‑22; Lakatos, au paragraphe 23).

[23]           Une décision est raisonnable si elle se justifie et est transparente, si le processus décisionnel est intelligible, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. « [L]es motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16).

B.                 Est‑ce que la Commission a mal compris les critères juridiques applicables en ce qui a trait à la protection de l’État et à la persécution?

[24]           Lorsqu’une personne craint de subir des actes de persécution dont l’État n’est pas complice, elle n’est pas réputée entretenir cette crainte avec raison, sauf si son État d’origine ne peut pas lui fournir une protection adéquate (LIPR, art 96; Ward, pages 716‑717, 726). De la même façon, l’existence de la protection de l’État aura un effet déterminant sur le sort réservé à une allégation de risque sous le régime de l’alinéa 97(1)b) étant donné que ledit alinéa ne s’applique que si la personne « ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » (LIPR, sous‑al. 97(1)b)(i)). De plus, sauf dans le cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique, « il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur » (Ward, page 725). Il incombe donc généralement aux demandeurs d’assumer le fardeau de prouver le caractère inadéquat de la protection de l’État et leurs demandes doivent être rejetées sauf s’ils confirment « d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer [leur] protection » (Ward, page 724).

[25]           En l’espèce, les demandeurs ont soutenu que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la protection de l’État parce qu’elle a examiné uniquement les efforts sérieux de l’État en vue d’offrir une protection, sans déterminer si ces efforts avaient eu des effets concrets sur le terrain. Je ne suis pas d’accord. Dans l’arrêt Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, 1992 CarswellNat 78 (WL Can), au paragraphe 7, 99 DLR (4th) 334, 150 NR 232 (CAF), la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes :

[L]orsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. [soulignement ajouté]

[26]           L’erreur dont il est question dans les décisions invoquées par les demandeurs se produit lorsque la Commission évalue uniquement les bonnes intentions d’un État et non les répercussions concrètes de ces dernières. Dans l’arrêt Ward, à la page 724, la Cour suprême a souligné que la volonté des États de tenter de protéger une personne ne sera pas suffisante si une « évaluation objective a établi qu’ils ne peuvent pas le faire efficacement ». Par conséquent, « il ne suffit pas que le gouvernement soit disposé à assurer une protection et fasse des efforts pour y parvenir ». (Koky, au paragraphe 63). En d’autres termes, « lors de l’examen de la question de savoir si un État faisait de sérieux efforts pour assurer la protection de ses citoyens, la protection doit être évaluée sur le terrain » (Gilvaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 598, au paragraphe 39, 81 Imm LR (3d) 165).

[27]           Rien n’indique qu’en l’espèce la Commission ait omis d’examiner le degré de protection existant sur le terrain. Au contraire, la Commission était bien consciente de l’obligation d’examiner la situation sur le terrain et l’a souligné expressément au paragraphe 38 :

J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que la Hongrie fait des efforts sérieux pour régler ces problèmes, que la police et les autorités du gouvernement ont la volonté et la capacité de protéger les victimes, et que des efforts à caractère satisfaisant sont déployés pour contrer la discrimination et la violence à l’endroit des minorités, dont les Roms. [soulignement ajouté]

[28]           La Commission a bien compris la règle de droit applicable et cela se reflète dans son analyse. Par exemple, elle ne s’est pas contentée de souligner que la Hongrie a adopté des lois contre les comportements répréhensibles de la police, mais elle a examiné la question de savoir combien d’accusations de nature disciplinaire avaient été portées contre des membres des forces policières.Lla Commission n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.

[29]           Les demandeurs ont aussi allégué que la Commission avait commis une erreur en se concentrant trop sur la situation des demandeurs eux‑mêmes et en omettant de tenir compte du sort des autres Roms. Dans l’arrêt Ward, aux pages 724‑725, la Cour suprême a fourni les exemples suivants quant à la façon dont le caractère insuffisant de la protection de l’État peut être établie : « un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée ». D’ailleurs, dans l’arrêt Salibian, page 259, la Cour d’appel fédérale a appuyé l’énoncé selon lequel « la meilleure preuve qu’une personne risque sérieusement d’être persécutée réside généralement dans le traitement accordé à des personnes placées dans une situation semblable dans le pays d’origine ». En corollaire, « le requérant n’a pas à prouver qu’il avait été persécuté lui‑même dans le passé ou qu’il serait lui‑même persécuté à l’avenir » (Salibian, page 258).

[30]           Cependant, je ne vois pas ce qui pourrait être reproché à la Commission sur ce plan. À de nombreux endroits tout au long de ses motifs, la Commission a fait état de la situation des autres Roms et a décrit les recours auxquels ces derniers ont accès. C’est sur cet aspect que la Commission a mis l’accent dans sa décision. Elle a aussi tenu compte des événements vécus par les demandeurs, mais cela ne constituait pas une erreur. En fait, comme la Cour suprême l’a reconnu, le témoignage d’un demandeur « au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée » est aussi pertinent. Rien ne donne à penser que la Commission, en l’espèce, a mal compris la règle de droit applicable et les demandeurs ne peuvent en que contester la façon dont ces critères ont été appliqués dans leur cas.

C.                 Est‑ce que la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État était déraisonnable?

[31]           Les demandeurs soulignent que dans la décision Hercegi, au paragraphe 5, le juge Hughes a déclaré que « […] la preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms ». Mais les demandeurs ne tiennent pas compte du fait que le juge Hughes a incorporé à son énoncé l’expression « en l’espèce ». Dans la décision Konya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 975, au paragraphe 47, 63 Admin LR (5th) 27, la juge Snider a expliqué le problème que pose l’argument des demandeurs :

[47]      [l]a demanderesse semble se servir de conclusions de la Cour comme preuves qu’en Hongrie, la protection de l’État n’est pas adéquate. Il s’agirait là d’une application erronée du droit. Un juge de la Cour fédérale, siégeant dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ne décide pas si la protection de l’État est adéquate ou non en Hongrie. La tâche de ce juge est de contrôler la décision afin de déterminer si elle raisonnable. Chaque affaire est tranchée en fonction des faits et des arguments qui sont soumis à la Cour. Dans le cadre de son analyse, un juge peut exprimer des opinions sur ce que la preuve documentaire tend à montrer. Mais on ne peut pas transformer les commentaires du juge en conclusions de fait. Seule la Commission est en mesure de tirer de telles conclusions. Le fait d’utiliser la jurisprudence comme le voudrait la demanderesse est inapproprié. [Je souligne.]

[32]           Par conséquent, le simple fait qu’une conclusion de protection adéquate de l’État ait été tirée de façon déraisonnable dans la décision Hercegi et dans d’autres affaires ne signifie pas nécessairement que la décision de la Commission en l’espèce était déraisonnable. Comme le juge Russell l’a souligné dans la décision Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 530, au paragraphe 105, [2012] ACF No 551 (QL) :

Il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. La réponse à cette question dépend en grande partie des faits et des éléments de preuve présentés dans chaque cas ainsi que de la réponse à la question de savoir si la SPR a procédé à une analyse raisonnable. Dans l’affirmative, j’estime qu’il n’appartient pas à notre Cour d’intervenir, et ce, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente.

[33]           À mon avis, la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État était raisonnable vu les faits et les circonstances de l’espèce. La Commission a reconnu que les Roms sont maltraités en Hongrie, mais a finalement conclu « que la situation des demandeurs d’asile ne peut être décrite comme semblable à celle de la plupart des autres Roms vivant en Hongrie ». Au contraire, les demandeurs sont instruits et à l’aise. Les motifs pour lesquels la Commission a jugé ces facteurs pertinents sont compréhensibles étant donné que certains des problèmes que vivent la plupart des autres Roms, comme le manque de logement ou les mauvaises perspectives d’emploi, ne risquent pas d’affliger les demandeurs.

[34]           Fait plus important, la Commission a conclu que la protection offerte par l’État hongrois aux Roms dans ce pays est adéquate. La Commission a décrit une série de crimes commis contre des Roms qui ont fait l’objet d’une large publicité et que la police a résolus; elle a ajouté que l’une des fois où le demandeur principal a été attaqué, la police a mis fin à l’agression et a arrêté les agresseurs. De plus, bien qu’il existe des rapports relatifs à la corruption dans la police et à l’utilisation occasionnelle d’une force excessive par les policiers contre les Roms, des mesures sont prises lorsque des plaintes sont déposées, et la conclusion tirée à cet égard par la Commission est étayée par la preuve dont elle disposait. De la même façon, la Commission décrit en détail les divers programmes que la Hongrie administre pour lutter contre la discrimination qui vise les Roms de même que les effets positifs de ces programmes. Encore une fois, les raisons pour lesquelles la Commission a rendu cette décision sont compréhensibles et le résultat appartient aux issues acceptables eu égard aux faits et au droit.

VI.             Conclusion

[35]           Je conclus donc que la décision de la Commission était raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Une décision en ce sens est donc rendue. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé de question aux fins de certification, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6085‑13

 

INTITULÉ :

ANDRAS GEZA DINOK, AGNES BELOVAI DINOKNE, DOMINIK NORDIN DINOK, DEBORA EVA DINOK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 septembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 décembre 2014

 

COMPARUTIONS :

George J. Kubes

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George J. Kubes

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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