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Date : 20011212

Dossiers : T-634-01

T-635-01

T-636-01

T-637-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1359

ENTRE :

                                RÉMI ROYER

                                                                Demandeur

ET :

                      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                    

                                                                Défendeur

                          MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, contre une décision datée du 4 avril 2001, que le Président du tribunal disciplinaire de l'Établissement Drummond a rendue, trouvant le demandeur coupable de l'infraction disciplinaire prévue au paragraphe 40(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. (1992), ch. 20 ("la Loi"). Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision du 4 avril 2001 et l'octroi d'une compensation juste et équitable pour le tort subi.

[2]                 Le demandeur est détenu à l'Établissement de détention Drummond.

[3]                 Le 22 septembre 2000 le demandeur a fait l'objet d'une demande d'échantillon d'urine effectuée au hasard en vertu de l'article 54(b) de la Loi dont le résultat s'est avéré positif. Le 25 octobre 2000, il a été trouvé coupable aux termes du paragraphe 40(k) de la Loi, par le président indépendant Bernard Boudreau, d'avoir introduit dans son corps une substance intoxicante et il a été condamné à 25,00$ d'amende.

[4]                 Suite à une condamnation, une note de service datée du 27 octobre 2000 a été remise au demandeur pour l'aviser qu'à compter du mois de novembre 2000 il devra fournir aux termes l'article 71 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ("le Règlement") un échantillon d'urine tous les mois jusqu'à ce qu'il ait fourni trois échantillons négatifs successifs, compte tenu du fait qu'il avait été reconnu coupable le 25 octobre 2000 d'avoir introduit dans son corps une substance intoxicante (infraction disciplinaire au paragraphe 40(k) de la Loi).


[5]                 Le 27 novembre 2000, un avis pour fournir un échantillon d'urine a été remis au demandeur dans lequel Raymond Fortin, désigné Coordonnateur au programme d'analyse d'urine par le Directeur de l'Établissement, avait autorisé, en vertu de l'article 71 du Règlement, la prise d'un échantillon d'urine au motif qu'il avait été condamné pour l'infraction disciplinaire prévue au paragraphe 40(k) de la Loi. Le demandeur a eu deux heures pour fournir un échantillon d'urine au terme desquelles il a omis de fournir la quantité requise.

[6]                 Considérant ce refus d'ordre, le 28 novembre 2000 le demandeur a reçu un rapport d'infraction et avis d'accusation par lequel il a été accusé d'avoir refusé de fournir un échantillon d'urine après en avoir reçu l'ordre et avoir été avisé des conséquences d'un refus.

[7]                 La même situation s'est reproduite le 10 décembre 2000, le 11 janvier 2001, le 27 février 2001 et le 13 mars 2001.


[8]                 Puis, le 4 avril 2001, suite à une audition disciplinaire commune pour tous ces rapports d'infraction à laquelle a participé le demandeur représenté par son avocat, le Président indépendant Bernard Boudreau a trouvé le demandeur coupable en ce qui concerne les quatre infractions, malgré ses défenses à l'effet que les demandes d'échantillon d'urine étaient illégales puisqu'elles survenaient moins d'un mois après la précédente et que toutes les demandes d'échantillon d'urine étaient illégales puisqu'elles n'étaient pas prévues dans la Loi et constituaient une fouille illégale en contravention de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ("la Charte"). Le Président a condamné le demandeur à 50,00$ d'amende et à 10 fins de semaine de détention. Seule l'infraction alléguée du 27 novembre 2001 a été annulée parce que le rapport d'infraction n'indiquait pas pour quel motif on lui avait demandé de fournir un échantillon d'urine.

[9]                 Il convient de souligner que dans les quatre rapports d'infraction et avis d'accusation, le chef d'accusation mentionné dans la case correspondante de ce formulaire est identifié par l'alinéa "L".    En ce qui concerne le rapport du 27 novembre 2000 le chef d'accusation est identifié par l'alinéa "A".

[10]            Je crois opportun de reproduire les articles pertinents, soit les articles 40(k), 44(1)d) et 54(b) de la Loi ainsi que l'article 71 du Règlement:



Loi

40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui:

...

k) introduit dans son corps une substance intoxicante;

44.(1) Le détenu déclaré coupable d'une infraction disciplinaire est, conformément aux règlements pris en vertu des alinéas 96i) et j), passible d'une ou de plusieurs des peines suivantes:

...

d) amende;

54. L'agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d'urine dans l'un ou l'autre des cas suivants:

...

b) il le fait dans le cadre d'un programme réglementaire de contrôle au hasard, effectué sans soupçon précis, périodiquement et, selon le cas conformément aux directives réglementaires du commissaire,

Règlement

71. En plus de toute peine qui lui est infligée aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, le détenu qui est déclaré coupable d'une infraction disciplinaire visée à l'alinéa 49(k) de la Loi peut être tenu de fournir un échantillon d'urine tous les mois jusqu'à ce qu'il ait fourni trois échantillons négatifs successifs.

Act

40. An inmate commits a disciplinary offence who

...

k) takes an intoxicant into the inmate's body;

44.(1) An inmate who is found guilty of a disciplinary offence is liable, in accordance with the regulations made under paragraphs 96(i) and (j), to one or more of the following:

...

d) a fine;

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

...

b) as part of a prescribed random selection urinalysis program, conducted without individualized grounds on a periodic basis and in accordance with any Commissioner's Directives that the regulations may provide for; or

Regulations

71. Where an inmate is found guilty of a disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) of the Act, the inmate may, in addition to any sanction imposed pursuant to subsection 44(1) of the Act, be required to provide a sample each month until three consecutive negative monthly samples have been provided.


[11]            Le 12 avril 2001, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de chacune des quatre décisions du Président indépendant le déclarant coupable.

  

[12]            Les parties soulèvent un certain nombre de questions qui sont traitées tour à tour dans les dossiers T-634-01, T-635-01, T-636-01 et T-637-01.    Essentiellement, la question principale que soulève ce contrôle judiciaire est de savoir si le Président indépendant a commis une erreur en déclarant le demandeur coupable des infractions disciplinaires du 18 décembre 2000, du 11 janvier 2001, du 27 février 2001 et du 13 mars 2001, et plus particulièrement :

1) Est-ce que le fait que les rapports d'infraction et avis d'accusation indiquaient l'alinéa "L" plutôt que l'alinéa "A" de l'article 40 de la Loi vicie la décision du Président indépendant du 4 avril 2001?


  

[13]            Cette Cour a traité de cette question dans l'affaire Opponechaw c. Établissement de Stony Mountain, [1996] C.A.F. no 1049 (QL) (1ère inst.) et a conclu que le fait qu'il ait été indiqué l'alinéa "L" plutôt que l'alinéa "A" dans la case prévue à cet effet ne constitue pas un motif permettant à cette Cour d'intervenir puisque le demandeur connaissait l'accusation portée contre lui et qu'il n'en a subi aucun préjudice.

  

[14]            De plus, je note que la transcription de l'audition devant le tribunal disciplinaire démontre sans équivoque que le demandeur connaissait exactement les accusations qu'il aurait à réfuter, soit d'avoir refusé d'obéir à l'ordre de fournir un échantillon d'urine. Son procureur n'a d'ailleurs jamais soulevé, lors de l'audition disciplinaire, que l'infraction indiquée dans la case à cet effet sur le formulaire ne correspondait pas à ce qui était reproché à son client.

2) Est-ce que les ordres de fournir un échantillon d'urine formulés les 18 décembre 2000, 11 janvier 2001 et 13 mars 2001 en vertu de l'article 71 du Règlement étaient légaux même si, dans chacun des cas, un ordre semblable avait été formulé moins d'un mois auparavant?

  

[15]            En ce qui a trait à la question de l'interprétation devant être accordée à l'expression "tous les mois" contenue à l'article 71 du Règlement, celle-ci a déjà été tranchée par cette Cour dans l'affaire Neiman c. Établissement de Stoney Mountain, [1996] C.A.F. no 1414 (QL) (1ère inst.). La Cour a conclu que cette expression signifiait qu'il fallait que les demandes de fournir un échantillon d'urine soient formulées dans des mois consécutifs sans cependant qu'il soit nécessairement requis que l'intervalle entre chaque demande soit de 30 jours.

3) Est-ce que l'article 71 du Règlement estultra vires de la Loi et est-ce que les demandes d'échantillon d'urine faites au demandeur en vertu de l'article 71 du Règlement, n'étant prévues ni au paragraphe 44(1) ni au paragraphe 54 de la Loi, constituent une fouille illégale en contravention de l'article 8 de la Charte?

  

[16]            À ce sujet, le demandeur soutient que dans le cas en l'espèce, l'ordre de fournir l'échantillon d'urine n'a pas été fait en vertu des articles 54 ou 55 de la Loi, mais bien en vertu de l'article 71 du Règlement. Ainsi, il soumet qu'il n'a de toute évidence pas commis l'infraction alléguée au paragraphe 40(1) de la Loi puisque certains éléments constitutifs de l'infraction étaient absents.

  

[17]            L'article 71 du Règlement a été valablement pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'alinéa 96(m) de la Loi et constitue une conséquence d'un résultat positif d'analyse d'un échantillon d'urine. Ainsi, lorsqu'un détenu a été déclaré coupable d'avoir introduit dans son corps une substance intoxicante en vertu de l'article 40 de la Loi, suite à un résultat positif, il pourra en vertu de l'article 71 du Règlement être tenu de fournir un échantillon d'urine tous les mois jusqu'à ce qu'il ait fourni trois échantillons négatifs successifs.

  

[18]            Donc, les demandes d'échantillons d'urine constituaient une conséquence directe de son résultat positif d'analyse d'urine recueillie au hasard le 29 septembre 2000 tel que prévu à l'alinéa 96(m) de la Loi. Par conséquent, l'article 71 du règlement n'est aucunement ultra vires de la Loi. D'ailleurs, l'article 71 du Règlement se retrouve, avec les articles 69 à 72, sous l'intertitre "Conséquences des résultats positifs" qui se retrouve lui-même sous le titre plus général de "Prises et analyses d'échantillon d'urine", confirmant par là son origine législative. Rien dans la Loi n'interdit spécifiquement la prise d'un tel règlement, pas même l'article 54 qui n'interdit nullement que, hors des situations qu'il vise, une demande de fournir un échantillon d'urine ne puisse être autorisée ou exigée.

  

[19]            De plus, les échantillons d'urine demandés aux termes de l'article 71 du Règlement constituent une mesure administrative mise à la disposition des autorités carcérales qui peuvent l'utiliser afin de contrer et de contrôler la consommation de drogues par les détenus à l'intérieur des pénitenciers et non pas une sanction disciplinaire. Les sanctions disciplinaires qui peuvent être imposées à un détenu déclaré coupable d'une infraction disciplinaire sont celles énumérées au paragraphe 44(1) de la Loi. Par conséquent, l'article 71 du Règlement est tout à fait conforme à la Loi et à sa disposition habilitante et permettait donc aux autorités carcérales de demander au demandeur de lui fournir un échantillon d'urine.

  

[20]            À mon avis, compte tenu de la nature et de la gravité du problème et de l'importance d'une bonne administration du système correctionnel, le paragraphe 96(m) de la Loi permet l'adoption de règlements attribuant des pouvoirs aux agents correctionnels d'obliger un détenu à fournir un échantillon d'urine dans certaines circonstances bien précises. Le fait que la Loi prévoit de façon limitative aux articles 54 et 55 des pouvoirs spécifiques accordés aux agents correctionnels d'obliger un détenu à fournir un échantillon d'urine dans certaines circonstances précises n'empêche en rien l'élargissement par règlement de leurs pouvoirs de fouille et de saisie d'échantillons d'urine si cela s'avère nécessaire à la poursuite des objectifs de la Loi.

  

[21]            Je suis entièrement d'accord avec le défendeur que les sanctions disciplinaires qui peuvent être imposées à un détenu déclaré coupable d'une infraction disciplinaire sont celles énumérées au paragraphe 44(1) de la Loi et, par conséquent, l'article 71 du Règlement ne permet pas aux autorités carcérales d'imposer une peine ou sanction disciplinaire additionnelle.

  

[22]            Même si l'article 71 du Règlement est en conformité avec le paragraphe 96(m) de la Loi, le demandeur soumet que les ordres qui lui ont été donnés de fournir un échantillon d'urine par le Service correctionnel en vertu de l'article 71 du Règlement étaient illégaux et en violation de son droit constitutionnel à la protection de sa personne contre les fouilles abusives prévu à l'article 8 de la Charte. Le défendeur soutient que pour qu'il y ait violation de l'article 8 de la Charte, il faut qu'il y ait une fouille, une saisie ou une perquisition. En l'espèce, le demandeur a refusé de fournir l'échantillon d'urine demandé à cinq reprises, ce qui fait qu'aucun échantillon n'a été recueilli par le service correctionnel. Par conséquent, comme l'exprimait le juge Pinard dans l'arrêt Picard c. Tribunal disciplinaire de l'Établissement Drummond, (1995), 107 F.T.R. 1 (1ère inst.) à la p. 6 de la décision : "L'article 8 de la Charte n'a pu cependant être effectivement violé, l'échantillon d'urine n'ayant jamais été fourni". Ce moyen du demandeur ne saurait donc réussir.

  

[23]            Dans toute attaque fondée sur l'article 8 de la Charte, il faut répondre à deux questions différentes. La première est de savoir si le détenu pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée. La seconde est de savoir si la fouille en l'espèce constituait une atteinte abusive à ce droit de vie privée. Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265 à la p. 278, le juge Lamer a énoncé les critères pour qu'une fouille, une perquisition ou une saisie soit jugée illégale et abusive dans les termes suivants :

Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas étéeffectuée d'une manière abusive.

[24]            En milieu carcéral, l'expectative de vie privée d'un détenu en matière de fouille et de surveillance est pour ainsi dire quasi nulle. En l'espèce, les autorités carcérales ont eu recours à l'article 71 du Règlement parce que le demandeur avait été reconnu coupable d'avoir introduit dans son corps une substance intoxicante, substance qui est, pour des raisons évidentes, interdite en milieu carcéral.

  

[25]            Puisque le processus de sélection au hasard qui a permis d'obtenir en vertu de l'article 54(b) de la Loi, le 22 septembre 2000, l'échantillon d'urine à l'origine des demandes d'échantillon subséquentes aux termes de l'article 71 du Règlement, est constitutionnellement valide, je suis satisfait que l'article 71 du Règlement ne contrevient pas, pas plus que son application en l'espèce, à l'article 8 de la Charte.

  

[26]            À mon avis, et contrairement aux prétentions des parties à l'audience, il n'existe aucune différence entre le fait d'attaquer la validité constitutionnelle de l'article 71 du Règlement et son application dans le cas en l'espèce, compte tenu du libellé très strict de cette disposition réglementaire. En argumentant que les demandes d'échantillon d'urine qui lui ont été faites et formulées en l'espèce aux termes de l'article 71 du Règlement constituent une fouille illégale en contravention de l'article 8 de la Charte, le demandeur ne fait qu'attaquer la validité constitutionnelle du processus d'analyse d'urine prévu à l'article 71 du Règlement et qui est à l'origine des différentes demandes d'échantillon d'urine. Bien que la question de la validité constitutionnelle de cette disposition n'est pas expressément et directement soulevée dans ce contrôle judiciaire, il est bien établi que dans l'exercice du mandat conféré par la Loi sur la Cour Fédérale, R.S.C. 1985, c. F-7, cette Cour a le pouvoir de se prononcer sur la validité constitutionnelle d'une loi ou d'un règlement qu'il est appelé à appliquer. Or, ce pouvoir ne devrait pas être exercé sans qu'une opportunité pleine et entière ait été accordée aux gouvernements de soutenir la validité constitutionnelle de lois ou de règlements. A fortiari le demandeur aurait dû soulever convenablement la question de la validité constitutionnelle de l'article 71 du Règlement à l'audience ou dans ses représentations écrites et donner l'avis requis à l'article 57(1) de la Loi sur la cour fédérale aux procureurs généraux du Canada et des provinces.

  

[27]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     

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      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 12 décembre 2001

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